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é 13
DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DE
L'ARCHITECTURE
FRANÇAISE
DU Xl« AU XVr SIÈCLE
VII
Droilt de traduetion et de reprodueUoo rèiervét*
TARIS. — IMPR. E. MARTINET, RUE MIONON, 2.
DICTIOMMAIRE RAISONNÉ
DE
L'ARCHITECTURE
FRANÇAISE
DU Xr AU XVI' SIÈCLE
M. VIOLLET-LE-DUC
IHsriCtEUI GÉKtlitL DES tOIFlCES DlOCfail^S
TOME SEPTIÈME
PARIS
A. MOREL, ÉDlTËUf
RUE BONAPARTE. 1 3
APRt948
DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DB
L'ARCHITECTURE
FRANÇAISE
DU xr AU xvr siècle
PALAIS, s. m. C'est la maison royale ou suzeraine, le lieu où le suze-
rain rend la justice. Aussi ce qui distingue particulièrement le palais,
c'est la basilique, la grand'salle qui toujours en fait la partie principale.
Le Palais, au moyen âge, est, à dater des Garlovingiens, placé dans la
capitale du suzerain, c'est sa résidence jusque vers le xiv° siècle. Ce-
pendant les rois mérovingiens ont possédé des palais dans les campa-
gnes ou à proximité des villes. Ces premiers palais étaient à peu près
élevés sur le modèle des villœ gallo-romaines, quelquefois même dans
les restes de ces établissements. Les palais de Verberie, de Compiègne,
de Chelles, de Noisy, de Braisne, d'Attigny, n'étaient que de véritables
villœ,
« L'habitation royale n'avait rien de l'aspect militaire des châteaux du
« moyen âge : c'était un vaste bâtiment entouré de portiques d'architec-
« ture romaine, quelquefois construit en bois poli avec Soin et orné de
a sculptures qui ne manquaient pas d'élégance. Autour du principal corps
« de logis se trouvaient disposés, par ordre, les logements des officiers
« du palais, soit barbares, soit romains d'origine, et ceux des chefs de
« bande qui, selon la coutume germanique, s'étaient mis avec leurs
« guerriers dans la truste du roi, c'est-à-dire sous un engagement spécial
« de vasselage et de fidélité. D'autres maisons de moindre apparence
« étaient occupées par un grand nombre de familles qui exerçaient,
« hommes et femmes, toutes sortes de métiers La plupart de ces fa-
« milles étaient gauloises, nées sur la portion du sol que le roi s'était
« adjugé comme part de conquête, ou transportées violemment de quel*
VIL — 1
[ PALAIS ] — 2 —
« ques villes voisines pour coloniser le domaine royal ; mais si Ton en
((juge par la physionomie des noms propres, il y avait aussi parmi elles
« des Germains et d'autres barbares dont les pères étaient venus en Gaule,
« comme ouvriers ou gens de service, à la suite des bandes conquérantes,
a D'ailleurs, quelle que fût leur origine, ou leur genre d'industrie, ces
(( familles étaient placées au même rang et désignées par le même nom,
a par celui de lues en langue tudesque, et en langue latine par celui de
(f fiscalins, c'est-à-dire attachées au fisc. Des bâtiments d'exploitation
« agricole, des haras, des étables, des bergeries et des granges, les ma-
(( sures des cultivateurs et les cabanes des serfs du domaine complétaient
« le village royal, qui ressemblait parfaitement, quoique sur une plus
«grande échelle, aux villages de l'ancienne Germanie'.... » Des haies
vives, des murs de pierres sèches, des fossés, entouraient cet ensemble de
bâtiments, et formaient quelquefois plusieurs enceintes, suivant l'usage
des peuples du Nord. L'architecture des bâtiments participait des diverses
influences sous lesquelles on les avait élevés ; c'était un mélange de tra-
ditions gallo-romaines et de constructions de bois élevées avec un certain
art, peintes de couleurs brillantes. Des granges, des hangars, des celliers
énormes, contenaient des provisions amassées pendant plusieurs mois, et
que les princes barbares venaient consommer avec leurs leudes. Lorsque
tout était vide, ils se transportaient dans un autre domaine. Ces palais,
bâtis sur la lisière des grandes forêts, retentissaient des cris des chas-
seurs et du fracas d'orgies qui se prolongeaient souvent pendant plusieurs
jours. Les Garlovingiens conservèrent encore cet usage de vivre dans les
palais de campagne, et Gharlemagne en possédait un grand nombre^
Mais alors la vie en commun était remplacée par une sorte d'étiquette ;
les palais ressemblaient davantage à une cour ; de beaux jardins les
entouraient, cultivés avec soin ; les enceintes étaient mieux marquées.
Toutefois la grande salle, la basilique, formait toujours la partie princi-
pale du domaine. Voici (ûg. 1) un aperçu de l'ensemble de ces palais
carlovingiens. Gharlemagne avait fait entièrement rebâtir le palais de
Verberie, près de Gompiègne. 11 en restait encore de nombreux fragments
dans le dernier siècle, si l'on en croit le P. Garlier'. D'après cet auteur,
Gharlemagne aurait bâti la tour du Prœdium^ c'est-à-dire le donjon do-
minant le domaine, tour dont les soubassements étaient encore visibles
de son temps. Il aurait fait construire le principal corps de logis, a édi-
* Récit des temps mérovingiens, par Augustin Thierry, récit !•'.
^ Gharlemagne avait aussi des palais dans des villes, celui d*Aix entre autres, qui
passait pour très-heau.
< Kwlfls ne toma pas à Saint-PoUe martir
( N'an son palais plenier, qi fu de marbre bis. •
(La Chanson its Saxons, cb. l.)
S Hist.du duché de Vcdoiij par le P. Garlier, prieur d'Andrexy, 176&, 1. 1, liv. il, p. 169.
— 3 — [ PALAIS ]
fice immeose n , ainsi que la chapelle du palais, qui n conservait encore
le nom de cbapelle Gharlemagne au xiv* siècle u .
^: -■;;^ "--^
« Ce palais, dit le P. Carlier, tenait h plusieurs dépendances, qui Tor-
(I maieat comme autant de châteaux particuliers^ dont chacun avait sa
« destination... Le palais de Verberie avait son aspect au midi; les édî-
« Bces qui le composaient s'étendaient de l'occident à l'orient, sur une
Il ligne de 240 toises. Un corps de logis très-vaste, où se tenaient les
(I assemblées générales, les parlements, les conseils, etc., mallobergiam*,
a terminait à l'occident cette étendue de bâtiments, de même que la
a chapelle à l'orient. La cbapelle et la salle d'assemblée formaient comme
« deux ailes, qui accompagnaient une longue suite d'édifices dedifTé-
u rentes formes et de différentes grandeurs. Au centre de toute cette
a étendue paraissait un magnifique corps de logis, d'une hauteur exces-
€ sive, composé de deux grands étages... J'ai tiré ces notices, ajoute
■ Mallobergiitm, malbergium, roaiwii des pltida, lieu où l'on rendait la juiUce. (Vorei
dn Ctnge, Glatsaire.)
[ PALAIS ] — 4 —
« Garlier, de quelques restes de l'ancien palais et d'un titre du règne de
« François I*', qui perraetladéraolition des différentes parties de ce palais,
a Ces parties de bâtiment avaient été incendiées sous le règne infortuné
(( de Charles VI, un siècle auparavant, p
Ce ne fut qu'après les invasions des Normands que ces résidences se
convertirent en forteresses, et constituèrent les premiers châteaux féo-
daux. (Voy. Château.)
La résidence des rois de France, dans l'île de la Cité, à Paris, était
désignée sous le nom du Palais par excellence, tandis qu'on disait le
château du Louvre, le château de Vincennes. Tous les seigneurs suze-
rains possédaient un palais dans la capitale de leur seigneurie. A Troyes
était le palais des comtes de Champagne, à Poitiers celui des comtes de
Poitiers, à Dijon celui des ducs de Bourgogne. Cependant, à dater du
XI* siècle, conformément aux habitudes des seigneurs du moyen âge, le
palais était ou fortifié ou entouré d'une enceinte fortifiée ; mais généra-
lement il occupait une surface plus étendue que les châteaux de cam~
pagne, se composait de services plus variés, et laissait quelques-unes de
ses dépendances accessibles au public. Il en était de même pour les rési-
dences urbaines des évoques, qui prenaient aussi le nom de palais, et
qui n'étaient pas absolument fermées au public comme le château féodal.
Plusieurs de nos anciens palais épiscopaux de France conservent ainsi
des servitudes qui datent de plusieurs siècles. Les cours, plaids, parle-
ments, les tribunaux de l'offîcialité, se tenaient dans les palais du suze-
rain ou de l'évoque ; il était donc nécessaire de permettre au public de
s'y rendre en maintes occasions. La partie essentielle du palais est tou-
jours la grand'salle, vaste espace couvert qui servait à tenir les cours plé-
nières, dans laquelle on convoquait les vassaux, on donnait des banquets
et des fêtes. De longues galeries accompagnaient toujours la grand'salle;
elles servaient de promenoirs. Puis venait la chapelle, assez vaste pour
contenir une nombreuse assistance ; puis les appartements du seigneur,
les logements des familiers, le trésor, le dépôt des chartes ; puis enfin les
bâtiments pour les hommes d'armes, des cuisines, des celliers, des ma-
gasins, des prisons, des écuries, des préaux, et presque toujours un jar-
din. Une tour principale ou donjon couronnait cette réunion de bâtiments,
disposés d'ailleurs irrégulièrement et suivant les besoins.
La plupart de ces palais n'avaient pas été bâtis d'un seul jet, mais
s'étaient accrus peu à peu, en raison de la richesse ou de l'importance
des seigneurs auxquels ils servaient de résidence.
Le palais des rois à Paris, dans lequel ces souverains tinrent leur cour
depuis les Capétiens jusqu'à Charles V, présentait ainsi, au commence-
ment du xiv** siècle, une réunion de bâtiments dont les plus anciens
remontaient à l'époque de saint Louis, et les derniers dataient du règne
de Philippe le Bel. Des fouilles récemment faites dans l'enceinte du palais
dç Paris ont n^is au jour quelques restes de constructions gallo-romaines,
— 5 — [ PALAIS ]
notamment du côté de la rue de là Barillerie ; mais dans l'ensemble des
b&timents il ne reste rien d'apparent qui soit antérieur au règne de
Louis IX. Depuis Charles V, le Palais fut exclusivement affecté au service
de la justice, et les rois ne l'habitèrent plus. Ce souverain y fit faire quel-
ques travaux intérieurs, ainsi que Louis XI ; mais Louis XII l'augmenta
en construisant le bâtiment destiné à la chambre des comptes, et qui se
trouvait occuper, place de la Sainte-Chapelle, l'emplacement affecté
aujourd'hui à l'hôtel du préfet de police. Nous donnons (fig. 2) le plan
du Palais de Paris à rez-de-chaussée, tel qu'il existait au commencement
du XVI* siècle.
Des constructions de saint Louis, il ne restait plus alors, comme
aujourd'hui encore, que la sainte Chapelle A, le corps de bâtiment B
compris entre les deux tours du quai de l'Horloge, et la tour carrée
du coin G, dont les substructions paraissent même appartenir à une
époque plus ancienne. Le bâtiment D, affecté aux cuisines, est un peu
postérieur au règne de saint Louis. Peut-être l'enceinte E, avec les
portes F, qui existaient sur la rue de la Barillerie, et qui, au xiv* siècle,
donnaient encore sur un fossé, avaient-elles été élevées par Louis IX,
ainsi que le donjon G, dit tour de Montgomery ', et qui subsista jusque
vers le milieu du dernier siècle^.
Philippe le Bel fit construire les galeries H, la grand'salle I, les por-
tiques K et le logis L, a tressumpteux et magnifiques ouvrages», dit
Corrozet^, qui les a encore vus tout entiers, bâtis sous la direction de
o messire Ënguerrand de Marigny, comte de Longueville et général des
(c finances, et voyez (ajoute le même auteur) quels hommes on employoit
<t jadis à tels états plustost que des affamez, et des hommes qui ne deman-
tt dent que piller l'argent du prince. » Ënguerrand de Marigny n'en fut
pas moins pendu, comme chacun sait, ce qui enlève quelque chose au
sens moral de la remarque du bon Parisien Corrozet.
Les bâtiments de la chambre des comptes, commencés par Louis XI
et achevés par Louis XII, étaient en M. En N, était une poterne avec
tournelles, dont nous avons encore vu les restes intéressants il y a quatre
ans. Cette poterne et l'enceinte 0, avec quais, dataient du xiv" siècle.
Quant à l'enceinte Ë\ ses traces étaient visibles dans des maisons parti-
culières avant la construction du bâtiment actuel de la police correc-
tionnelle, ainsi que le constate un plan relevé avec le plus grand soin
' Ce fut dans celte toar que Montgomery fut enfermé après le tournoi qui fut si fatal
à Henri II.
' Ainsi que le constatent deux dessins fort curieux, représentant les démolitions du
Palais avant la construction de la façade actuelle sur la cour du May. Ces dessins, qui
appartenaient à M. Lassus, ont été lithographies pour faire partie d'une monographie du
Palais, qui n*a pas été publiée.
• Antiquités de Paru.
[ PALAIS ] — 6 —
par M. Bertf, et accompagné de renseignements bien précieux*. En P
' Voj. VHisl. topûgr.et arrhéol, de l'onc. Paris, p»r HU, A, Lenoiret A. Berty (feuille X).
— 7 — [ PALAIS ]
était une chapelle placée sous le vocable de saint Michel^ en R le pont
aux Changeurs, et en S le pont aux Meuniers^ ou le Grand- Pont. En T,
le jardin, les treilles du roi, séparé d'une petite tle (lie aux Vaches) par
un bras de la Seine. Là était le bâtiment des étuves. De ce vaste ensemble
de logis et monuments, il reste encore aujourd'hui : la sainte Chapelle,
privée seulement de son annexe Y à trois étages, servant de sacristie et de
trésor des chartes; le rez-de-chaussée de la grand'salle, tel que le donne
notre plan ; une partie notable des portiques K ; la partie intérieure du
bâtiment des cuisines et de la salle B, ainsi que les quatre tours sur le quai
de l'Horloge ; le logis L dans toute sa hauteur. C'était dans la cour X qu'était
planté le may. Cette réunion de monuments, tous d'une bonne architec-
ture, présentait au centre de la Cité l'aspect le plus saisissant. Nous avons
essayé d'en donner une idée dans la vue cavalière (fîg. 3} prise de la pointe
de nie en aval ^ Les étrangers qui visitaient la capitale s'émerveillaient
fort de la beauté des bâtiments du Palais, principalement de l'effet de la
cour du May, qui, en entrant par la porte donnant sur la rue de la Baril-
lerie, présentait une réunion d'édifices plantés de la manière la plus
pittoresque. Le grand perron, qui donnait au premier étage de la galerie
d'Enguerrand ; celui de droite, qui montait sur la terrasse communiquant
à la grand'salle; les parois de celle-ci avec ses fenêtres à meneaux ; le
gros donjon de Montgomery, dont la toiture paraissait au-dessus des
combles de la grande galerie ; la sainte Chapelle, avec son trésor, for-
maient réellement un bel ensemble, quoique peu symétrique. Si l'on
tournait à gauche vers la chapelle Saint-Michel, on découvrait la façade
élégante de la chambre des comptes avec son gracieux escalier couvert,
puis l'escalier de la sainte Chapelle bâti par Louis XII, puis le gros don-
jon relégué au fond de la cour. En longeant la chambre des comptes, on
passait dans les jardins du Palais, et l'on voyait se développer la façade
mouvementée du logis, dont il reste encore aujourd'hui toute une por-
tion. A chaque pas, c'était un aspect nouveau, une surprise, et la variété
de toutes ces constructions contribuait à augmenter leur étendue. Il y a
bien loin de ce palais aux bâtisses glaciales et ennuyeuses par leur mo-
notonie, auxquelles nous sommes habitués depuis le grand siècle.
C'est dans ce palais que Charles Y reçut et logea l'empereur Charles lY,
probablement dans des bâtiments qui occupaient l'emplacement affecté
plus tard à la chambre des comptes... et Lors, ûst le roy lever l'empereur,
tt à tout sa chayere, et, contremont les degrez porter en sa chambre
« (l'empereur était goutteux), et aloit le roy, d'un costé, et menoit le roy
' Voyez le grand plan de Paris à vol d'oiseau, par Mérian, et la tapisserie de l'Hôtel
de ville; la Topographie de la Gaule, par Mérian ; Livre troisième de la Cosmogt*. uni-
verseile, Sébastien Munster et Belleforest, 1665 ; le Plan de Gomboust ; l'œuvre d'Is-
raël Sylvestre; la Topographie de la France, Bibl. imp.; l'œuvre de Pérelle (vue du
pont au Change); VHist.pitior. du Palais de justice , par Sauvan et Schmit, 1825; Vltiné-
raire arch. de Paris ^ par M. le baron de Guilhermy.
[ PALAIS ] — 8 —
« des Rommains à sa sénestre main, et ainssy le convoya en sa chambre
(I de bois d'Irlande, qui regarde sus les jardins et vers la saincle Cliap-
« pelle, qu'il avoit fait richemenl appareiller, èl toutes les autres cbam-
— 9 — [ PALAIS ]
ttbres derrière y laissa pour Tempereur et son filz; et il fu logiés es
« chambres et gaiatois que son père le roy Jehan fist faire ^ »
Il est certain que ces palais, ces grandes résidences seigneuriales, au
moyen Age, s'élevaient successivement. Suivant une habitude que nous
voyons encore observée en Orient, chaque prince ajoutait aux bâtiments
qu'il trouvait debout, un logis, une salle, suivant les goûts ou les besoins
du moment. Il n'y avait pas de projet d'ensemble suivi méthodiquement,
exécuté par fractions, et,loin de se conformer à une disposition unique,
les seigneurs qui faisaient ajouter quelque logis à la demeure de leurs
prédécesseurs, prétendaient donnera l'œuvre nouvelle un caractère par-
ticulier ; ils marquaient ainsi leur passage, laissaient l'empreinte de leur
époque en bâtissant un logis tout neuf, suivant le goût du jour, plutôt
que d'approprier d'anciens bâtiments. Ces résidences présentent donc de
la variété non-seulement dans les parties qui les composent, mais aussi
entre elles, et si leur programme est le môme, la manière dont il a été
interprété diffère dans chaque province. Ici la chapelle prend une impor-
tance considérable, là elle se réduit aux proportions d'un oratoire. Dans
tel palais, le donjon est un ouvrage de défense important ; dans tel autre,
il ne consiste qu'en une bâtisse un peu plus épaisse et un peu plus élevée
que le reste du logis. Seule la grand'salle occupe toujours une vaste sur-
face, car c'est là une partie essentielle, c'est le signe de la juridiction
seigneuriale, le lieu des grandes assemblées ; comme dans les châteaux,
elle possède un large perron et s'élève sur des celliers voûtés. A Troyes,
par exemple, le palais des comtes de Champagne, accolé à l'église Saint-
Etienne, qui lui servait de chapelle, n'avait, relativement à l'édifice reli-
giegji, qu'une étendue assez médiocre; ses logements étaient peu nom-
breux, mais la grand'salle avait 52 mètres de longueur sur 20 mètres
environ de largeur. Une tour carrée, accolée au flanc nord de l'église et
dépendant de celle-ci, servait de trésor et de donjon. Les pièces desti-
nées à rhabitatioii, renfermées dans un premier étage sur rez-de-chaus-
sée voûté, étaient placées en enfilade sur l'un des flancs de la grand'salle
et devant Téglise du côté ouest ; elles donnaient sur un bras de la Seine.
Un jardin du côté du midi et une place du côté septentrional bornaient
le palais ; c'était sur cette place que s'étendait le large perron servant
d'entrée principale à la grand'salle'. Du reste, le palais de Troyes cessa
d'être la demeure des comtes de Champagne dès 1220; ceux-ci préfé-
rèrent établir leur résidence à Provins.
Le palais des comtes de Poitiers est un de ceux qui, en France, ont
conservé peut-être les plus beaux restes. Bâti sur des ruines romaines
par les Carlovingiens, puis détruit à plusieurs reprises^ il fut réédifié par
1 Christine de Pisao, le Livre des faicts et b(mnes meurs du sage roif Charles,
cbap. xnvui.
> Voyez le plan de ce palais dans le Voyage archéoL dans le département de l'Aube^
par A. F. Arnaud (1837). Ce palais est entièrement rasé.
VII. — 2
[ PALAIS ] — 10 —
Guillaume le Grand au commencement du \i° siècle; de cette recon-
struction il ne reste rien. On attribue à Guy GeofTroy, filsde Guillaume, la
construction de la grand'salle que nous voyons aujourd'hui ; mais celte
salle présentant tous les caractères de l'architecture civile de la tin du
xn' siècle, et Guy Geoffroy étant mort en i086, il faut lui trouver un
autre fondateur. Le palais de Poitiers fut bt^lé en 13£l6 par les Anglais,
puis réparé en 1395 par Jean, duc de Berry et comte du Poitou. Ce
prince, frère du roi Charles V, fit rebâtir le pignon de la grand'salle,
décoré d'une immense cheminée (voy. CnsHiNËB, flg. 9 et 10), et le don-
jon qui existe encore, quoique très-mutilé, et qui sert aujourd'hui de
cour d'assises'. Cette magnifique eonslruction se compose d'un gros
corps de logis barlong, à trois étages voûtés, fianqué de quatre tours
rondes aux angles et couronné de mâchicoulis, créneaux et combles.
Nous donnons (fig. U) le plan des parties encore existantes du palais
de Poitiers. En A est la grand'salle,
'' en B le donjon. D'autres logis exis-
taient en C, mais il n'en reste plus
que quelques traces. La muraille de
la ville gallo-romaine passait en Rei
servait de soubassement i la grand'-
salle, dont l'entrée était en D. Une
déviation de voie publique, ou peut-
être l'orientation, avait dû faire plan-
ter le donjon de biais, ainsi que l'in-
dique le plan. Ce donjon de palais
affecte une disposition particulière
qui u'est point celle que nous obser-
vons dans les donjons de châteaux,
lesquels ne présentent qu'une tour
ou un amas de logis fortement défen-
dus par des ouvrages importants,
comme l'est, par exemple, celui du
château de Pierrefonds. Le donjon
du- palais de Poitiers est à lui seul
un petit château , possédant une
' grand'salle k chaque étage et des
chambres dans les tours. Il affecte
une apparence de forteresse, mais il
n'est réellement qu'un gros logis
éclairé par de larges baies et n'était
nullement propre à la défense ; il se rapproche de l'architecture civile,
> ■ C'etl là, ditU. Ch. de Cbergù, dans mu Guidt du voyageur àPoiliers,qve m
H trouTe 1« tour historique de Hauberguoa {Matkbenj, Budienccs en lieux couierta, Mallo-
— 11 — [ PALAIS ]
elles tours, les luÂchicouiis ne sont là qu'un appareil féodal ^ Nous don-
nons (&g. 5) une élévation du donjon du palais de Poitiers, faite sur l'un
des petits côtes. Aujourd'hui les constructions des tourssont dérasées au
niveau N ; cependant les seize statues ont été conservées sur leurs culs-
de-lampe, quoique fort mutilées. Ces statues sont révolues de l'habit
civil du commencement du xv* siècle. L'artiste a-t-il voulu représenter
les comtes du Poitou? C'est ce qu'il est difficile de savoir. Quoi qu'il en
soit, elles sont d'un beau travail. La coupe transversale du donjon, faite
sur la ligne BC du plan (fig. 6)^ montre les deux salles inférieures, avec
leurs voûtes reposant sur une épine de trois piliers, puis le second étage
ne formant plus qu'une grand'salle sans piliers. Au-dessus se trouvent
le galetas et les chemins de ronde desservant les mâchicoulis. Un escalier
à vis compris dans une tour carrée, autrefois englobée dans les logis
bâtis entre ce donjon et*la grand'salle, permet d'arriver aux trois étages
par un couloir détourné, ainsi que l'indique le plan.
Les palais des seigneurs suzerains laïques forment au milieu des villes
où ils sont situés une sorte d*oppîdum, de lieu à la fois fortifié et sacré,
comme était l'acropole des villes grecques. C'est dans le palais suzerain
que sont conservées les reliques les plus précieuses et les plus vénérées
par le peuple ; c'est là que sont déposés les chartes, les trésors ; c'est là
que se tiennent les cours plénières, que siègent les parlements, que se
passent les fêtes à l'occasion du mariage des princes, des traités. Quant
aux palais des évoques, ils ont un autre caractère qui mérite de fixer
l'attention des archéologues. Situés dans le voisinage des cathédrales
(ce qui est naturel), ils sont presque toujours bâtis le long des murailles
ou sur les murailles mômes de la cité, et peuvent contribuer à leur
défense au besoin. Ce fait est trop général pour qu'il n'ait pas une ori-
gine commune. En premier lieu, il prouverait ceci : c'est que lesévêchés
se sont établis, primitivement, sur quelque castellum tenant aux murs
des villes gallo-romaines; en second lieu, que la construction de ces palais
a dû précéder la construction des cathédrales et déterminer leur empla-
cement. En effet, on ne s'expliquerait pas comment la plupart de nos
« bergtum), lieu où, dès l'origine, et sous Gliarleinagne, Turent tenues les audiences pu-
« bliqnes et rendue la justice, et dont relevèrent depuis tous les fiefs capitaux de la pro-
« Tînce..... Ce fut dans le palais de Poitiers que le dauphin, fils de France, fut proclamé
« roi sous le nom de Charles VII (oct. 1&22) ; ce fut là encore que fut interrogée, par les
« docteurs les plus habiles, Jeanne d'Arc, la Pucelle (mars 1A29); ce fut là que s'assem-
« blèrent les parlements de Paris et de Bordeaux, au moment oh la France presque
« entière était anglaise.. •• » Si un monument est historique, c'est bien celui-là.
I En effet, les saillies des ornements entourant les fenêtres, les statues décorant les
cylindres des tours, auraient gêné beaucoup le service des mâchicoulis, si l'on eût voulu
en faire usai^e en cas d'attaque. M. de Mérindol a bien voulu nous communiquer l'excel-
lent travail qu'il a fait sur le palais de Poitiers, et c'est d'après ses relevés très-exacts que
nos dessins ont été réduits.
( PALAIS ] — 12 —
plus anciennes cathédrales, rebflties plusieurs fois, loujours sur le mfSTne
emplacement, depuis les vu" et viii* siècles, celles de Paris, de Meaux, de
Bourges, d'Amiens, de Soissons, de Beauvais, de Laon, de genlis, de
Noyon, de Langres, d'Auxerre, du Mans, d'Évreux, de Narbonne, d'Alby,
d'AngouIême, de Poitiers, de Carcassonne, de Limoges, et tant d'autres.
— IS — { PALAIS ]
s'élèvent plutôt près des ancleos remparts qu'au milieu mftme de Von-
eeinte des cités. Les villes gallo-romaines possédaient, ou un capîtole.
ou an moins un easteliwn, le long d'un des fronts des remparts, comme
sont encore nos citadelles modernes ; c'est au milieu de ce capitole
gallo-romain, ou dans un de ces réduits voisins des remparts, que s'im-
plantent les premiers évéchés. N'oublions pas qu'à la fin du vi' siècle,
« les évëques étaient les cbefs naturels des villes ; qu'ils administraient
[ PALAIS ] — 14 —
le peuple dans Tintérieur de chaque cité ; qu'ils le représentaient auprès
des barbares; qu'ils étaient ses magistrats en dedans, ses protecteurs au
dehors*.»
Le palais épiscopal bâti, la cathédrale s'élève à côté ; et chaque fois
que la cathédrale se rebâtit à neuf, il est rare que le palais épiscopal ne
soit point reconstruit en même temps. Or il nous reste quelques plans
d'évêchés du xii" siècle et même du xi*. Ces plans présentent une dispo-
sition à peu près uniforme : une grande salle, une chapelle, une tour ou
donjon, des dépendances mixtes entre le palais et la cathédrale, et des
logis qui, probablement, avaient peu d'importance, puisqu'on n'en trouve
pas de traces. Le signe représentatif du pouvoir épiscopal, à la fois reli-
gieux et civil dans les premiers siècles du moyen âge, c'est la grande
salle, curie canonique et civile, au besoin forteresse, qui devient plus
tard l'offlcialité et la salle synodale. L'évéché de Paris, reconstruit par
l'évoque Maurice de Sully, vers 1160, conservait encore ce caractère; il
ne faisait d'ailleurs que remplacer un palais plus ancien dont les fonda-
tions, découvertes par nous en 18/i5 et 1846, peuvent passer pour une
structure gallo-romaine. C'était la résidence dont parle Grégoire de Tours,
et qui existait de son temps. Dans la chapelle palatine épiscopale, dont
nous avons vu encore les restes en 1830, on lisait cette inscription rap-
portée par le P. Dubreul * : « Hœc basilica (la chapelle) consecrata est a
Domino Mauritio Parisiensi episcopo^ in honore beatœ Mariœ^ beatofum mar~
tyrum Dionysii^ Vincentii^ Mauritii, et omnium sanciorum, » Or, ce palais
reconstruit par Maurice de Sully se composait d'une grande salle, avec
bâtiments tenant au chœur de la cathédrale, qu'il réédifiait en même
temps, et d'une chapelle. Des logements privés du prélat, nulle trace.
Voici (fig. 7) le plan du rez-de-chaussée de ce palais épiscopal du
XIV siècle :
En A était la chapelle, en B le donjon, en G la grande salle, qui alors
ne s'étendait pas au delà du mur pignon D. Le chœur de la cathédrale,
rebâti par Maurice de Sully, est en Ë ; la salle F servait de trésor au pre-
mier étage, avec escalier de communication entre le palais et le chœur,
et de sacristie au rez-de-chaussée. La grande salle au premier étage for-
mait un seul vaisseau voûté. Ici la muraille gallo-romaine de la cité passe
en M, sous la cathédrale et au delà de son abside, et en creusant les fon-
dations de la nouvelle sacristie, nous avons retrouvé une substruction
de la même époque en G et en P. Il semblerait donc que les évêques de
Paris avaient profité d'un saillant formé par les défenses de la cité,
d'une sorte de castellum, pour y enfermer le palais épiscopal. Le mur
méridional de la grande salle était môme bâti sur les fondements de
l'enceinte gallo-romaine, et fut encore crénelé par Maurice de Sully.
1 Guizot, Hist. de la civilisât, en France , viii* leçon.
2 Le Théâtre des antiquités de Paris, 1612^ p. A3.
— 15 — [ PALAIS ]
Alors, dit le P. Dubreul, n l'evesque et les siens alloicnt de la grande
«salle à la grande église (la cathédrale) par une gallerie (l'aile P),
■ laquelle messieurs les Ponchers successeurs evesques (du xvi' siècle)
a ODl depuis quittée aux chanoiues qui y mettcut les reliques et les plus
• beaux oruemens. Depuis messire Pierre d'Urgcmont (commencement
[ PALAIS ] — 16 —
« du xv^ siècle) fit bastir le second corps d'hostel, qui a veuë tant sur le
«jardin que sur le lieu dict (c'est le bâtiment H). Longtems après
« messire Ëstienne de Poncher (commencement du xvi* siècle), cent
«deuxième evesque de Paris, fit œdifier le bastiment joignant le vieil,
« lequel est vis à vis de Téglise, où est à présent la geoUe et autres de-
« meures (c'est le corps de logis doublé en K). Messire François de Pon-
«cher, son neveu et successeur, fit bastir le troisième corps d'hostel, qui
« est derrière la chappelle (c'est le logis L). En ce lieu auparavant estoient
(des écuries et quelques maisonnettes où demeuroient les quatre cha-
«noines de la basse chappelle » La chapelle avait en effet deux
étages, comme celle de Meaux, et plus tard celle de Reims. Les construc-
tions 0 dataient seulement du xvii* siècle, et en H étaient des logis qui
furent cédés à THÔtel-Dieu. Le pont f^ux Doubles S fut élevé plus tard,
après tous ces bâtiments. Les évoques de Paris n'avaient pas que
ce palais ne renfermant pendant plusieurs siècles qu'une grande salle.
Hugues de Besançon, en 1326, avait son hôtel rue des Amandiers.
Guillaume de Chanac, son successeur, logeait dans la rue de Bièvre,
et donna son logis pour la fondation du collège de Chanac ou de Saint-
Michel. Pierre d'Orgemont, qui bâtit l'annexe K à la grande salle du
palais épiscopal, hérita de Thôtel des Tournelles qui appartenait au
chancelier d'Orgemont, son père, et le vendit au duc de Berry, dont il
était le chancelier. Girard de Montagne avait une maison rue des Mar-
mousets et une autre rue Saint-André-des-Ars *. Le long de la rivière et
derrière l'abside de la cathédrale s'étendaient des jardins qui touchaient
au cloître du chapitre bâti vers le nord- est. La grande salle crénelée du
xii* siècle, avec son annexe élevée par Pierre d'Orgemont au commen-
cement du XV* siècle, son donjon et sa chapelle à deux étages, avait fort
grand air du côté de la rivière, ainsi que le fait voir la perspective (fig. 8)
prise du point Y ^ avant les adjonctions 0 et la construction du pont
aux Doubles.
Un des palais épiscopaux les plus anciens, celui d'Angers, construit
vers la fin du xi* siècle, conserve encore sa grande salle romane d'un
beau style (voy. Salle), et des dépendances assez considérables qui da-
tent de la môme époque. Des travaux récents, dirigés par l'architecte
diocésain, M. Joly Leterme, ont fait reparaître une partie des logements
entourant cette grande salle ^, qui est mise en communication directe
1 Sauvai, Uv. Vil.
2 Voyes la tapisserie de l'Hôtel de ville ; le Plan de Gomboust ; le grand Plan de Paris
à vol d*oiseau, de Mérian; les vues d'Israël Sylvestre, celle de Pérelle; le Plan delà
Cité, de l'abbé Dclagrive; les plans et coupes déposés aux Archives de l'empire, et dont
M. A. Berty a eu l'obligeance de nous communiquer des calques; une gravure du parvis
Notre-Dame, par L. van Merlen, qui montre le couronnement du bâtiment H.
' Voy es dans le tome II de V Architecture civile et domestique de MM. Vcrdier et
Cattois, page 201, le plan du palais épiscopal.
— n — [ PALAIS J
aïec le bras de croix nord de la calhédrale. On remarque méiiie certaines
portions de murs de ce palais qui ont tout à faîl le caractère de la struc-
turegallo-romaine des bas temps, et qui pourraient bien avoir appartenu,
ainsi que l'observe H. le docteur Cattois, à la demeure que l'ancien
maire du palais de Neustrie, Hainfroy, aurait fait construire i Angers,
sur l'emplacement du capitole. A l'évëché de Meaux, il existe une cha-
pelle à deux étiiges, de la seconde moitié du xii" siècle, ayant les plus
[ l'ALAIS 1 — 18 —
grands rapports avec celle de l'ancien évôchc de Paris, el l'élage infé-
rieur de la graud'salle. Ce rez-de-cUaussée, comme celui de ia grand'-
saite du palais épiscopal de Paris, se compose de deux nefs voûtées.
Le palais de Mcaux est également bâti à proxiinilé des remparts gallo-
romains. A Soissons, l'évCché repose sur une partie de lu muraille anti-
que, mais des constructions de l'ancien palais il ne reste qu'une tourelle
du commencem^i du \ni* siècle et quelques substructions de la même
époque. A Beauvais, le palais épiscopal joignait l'ancienne fortiQcation
romaine, et une tourelle datant du xir siècle Oauquait même le vieux mur
romain '. A Reims, l'étage inférieur de la graud'salle date du commen-
cement du XIII* siècle, et iachapelle à deux étages, du milieu du xiii' siècle
(voy. Cuapelle). A Auxerrc,
l'un des pignons de la graud'-
salle existe encore, et date du
milieu du xiii' siècle, comme
le chœur de la cathédrale ;
une galerie du xii' siècle re-
pose sur l'ancien mur de la
ville gallo-romaine. A Rouen,
on trouve également des
restes assez considérables da
XIII'' siècle, et notamment l'un
des pignons de la grand'salle.
A Laon, l'assemblage des bâ-
timents de l'évôché (aujour-
d'hui palais de justice) est des
plus intéressants à étudier.
Ce palais fut reconstruit après
l'incendie de 1112, qui dé-
truisit l'ancienne cathédrale
et les bâtiments environnants.
En effet, on retrouve dans
l'évèobé de Laon des parties
de bâtiments qui appartien-
nent au style de la première
moitié du xii' siècle, notam-
ment la chapelle A (figure 9)
et les corps de logis B. Quant
,^ àlagrand'salleCélevéesurun
■rez-de-chaussée doublé d'un
portique du côté de la cathé-
drale, sa construction est due
à 1 évèque Garnier (12Û5). La grand'salle s'éclaire sur la cour 0 et sur la
' Celle lourelle eiisU u.icoic. [ Vuj. l'.i.tftrf.eù . cl dom. de MM. Verdier cl Callub, 1. 1.)
— 19 [ PALAIS ]
campagne. Le portique intérieur fut remanié à uneépoque ancienne déjà.
Les arcs furent reconstruits, les appuis des fenêtres baissés ; on a la preuve
de ce remaniement en observant l'arcade unique de retour E dont la cour-
bure et Tornementation primitives sont conservées. L'aspect de ce grand
corps de logis, sur l'extérieur, devait être fort beau avant les mutilations
qui en ont alléré le caractère. Cette façade qui domine la muraille de la
ville passant parallèlement à quelques mètres de sa base, est flanquée de
trois tourelles portées sur des contre-forts, et entre lesquelles s'ouvrent
les fenêtres delà grand'salle au premier étage. Le couronnement, autre-
fois crénelé, pouvait au besoin servir de seconde défense par-dessus les
remparts de la cité, dominant un escarpement abrupt. Voici (fig. 10) une
vue de cette façade extérieure prise du point P. Au xv* siècle, les évoques
de Laon (voy. le plan , fig. 9) élevèrent les deux corps de logis F et G. Une
porte fortifiée était ouverte en K.
Le portique occupant une moitié de la longueur de la grand'salle du
côté de la cour donne h ce palais épiscopal une physionomie particulière.
Cette galerie, exposée au midi sur un plateau où la température est ha-
bituellement froide, servait de promenoir, et contribuait à l'agrément de
l'habitation. Le palais épiscopal de Laon, comme ceux que nous venons
de décrire précédemment, n'en était pas moins un lieu fortifié très-bien
situé, facile à garder et à défendre. Nous voyons que le palais archiépis-
copal de Narbonne, dans le Languedoc, bien que rebâti à la fin du
xiii* siècle et pendant le xiv«, est encore une véritable place forte élevée
probablement sur l'emplacement du capitole de la ville romaine. C'est
après le palais des papes, en France, la construction la plus importante
qui nous reste des nombreuses résidences occupées par les princes de
l'Église.
Le palais archiépiscopal de Narbonne est réuni à la cathédrale actuelle,
fondée en 1272, par un cloître bâti par l'archevêque Pierre de la Jugée,
dans la seconde moitié du xiv* siècle. Déjà, en 1308, la grosse tour carrée
du palais, servant dedonjon, avait été construite par l'archevêque Gilles.
Pierre de la Jugée éleva entre le cloître et cette tour des bâtiments con-
sidérables qui subsistent encore en grande partie, et qui comprennent
plusieurs tours rondes, des logis, une grand'salle et une autre tour car-
rée formant pendant avec le donjon. Cependant, au milieu de ces con-
structions du XIV* siècle, on retrouve encore une tour romane fort an-
cienne, et une belle porte du commencement du xii* siècle.
Les archevêques de Narbonne furent, il est vrai, pendant une partie du
moyen âge, des seigneurs puissants, et leur palais acquit, dès le xi* siècle,
une importance en rapport avec leur fortune. En 1096, l'archevêque Dal-
matius prit le titre de primat des Gaules. La ville de Narbonne avait d'ail-
leurs conservé en partie, comme beaucoup de villes du Midi, son admi-
nistration municipale romaine.
La commune possédait jusqu'au xii* siècle des conseillers qui prenaient
le titre de nobiles viri ou probi hommes. Alors on les appela consuls, ou
[ PALAIS ] — 20 —
plutôt cùsaouls. Cotle commune fit en 1106 un Imité de commerce avec
la république de Gi>nes, el plus lartl avec Pise, Marseille, llhodes, etc.
En 1212. Armand Amalaric, légat du pape el archevCque de Narbonne,
se déclara duc, et le vicomte lui rendit hommage. Alors la ville étail sous
la juridiction de trois seigneurs, l'archevCque, le vicomte et l'abbé de
Saint-Paul \ en 1232, ces trois personnages confirmèrent les franchises
et coutumes de la commune. Cependant, en 123A, les consuls de Nar-
— 21 — [ PALAIS ]
bonne invoquent le secours des consuls de Nîmes contre l'archevêque^ et
en 1255 les magistrats municipaux ordonnent que les coutumes de la ville
seront traduites du latin en roman, afin de les mettre à la portée de tous.
Les vicomtes, moins puissants que les archevêques, inclinent à protéger
les prérogatives des Narbonnais^ et c'est en présence de cette lutte crois-
sante contre le pouvoir des seigneurs archevêques, que Gilles Ascelin
construit, en 1318, l'énorme tour encore intacte aujourd'hui, et que ses
successeurs font, de leur résidence, un véritable château fort, se reliant
à la cathédrale fortifiée elle-même *.
Ce mélange d'architecture militaire, religieuse et civile, fait donc du
palais archiépiscopal de Narbonne un édifice des plus intéressants à con-
naître. Disons d'abord qu'il ne faut pas chercher là des influences de l'art
italien du siV" siècle ; cet édifice est bien français, et plutôt français
septentrional que languedocien. Ses combles étaient aigus, ainsi que le
prouvent plusieurs des pignons existants; la construction des voûtes, les
sections des piles, le cloître et ses détails, la forme des fenêtres^ les dis-
positions défensives, et jusqu'à l'appareil, appartiennent à l'architecture
du domaine royal ; et le palais archiépiscopal de Narbonne est d'autant
plus curieux à étudier, qu'il dut servir de point de départ pour construire
le palais des papes à Avignon, dont nous nous occuperons tout à l'heure.
Voici (fig. il) le plan du palais des archevêques de Narbonne, à rez-
de-chaussée. En A, est la cathédrale, commencée, comme nous l'avons
dit, en 1272, sur un plan français (voy. Cathédrale, fig. /i8).Une place
fort ancienne *, et qui, très-vraisemblablement, occupe l'emplacement
du forum de la ville romaine, est en 6. Les fondations du capitole antique
commandèrent la disposition des bâtiments, qui se contournent en par-
tant de l'angle C jusqu'à la cathédrale. En D, est une tour romane, et en
E, des bâtiments dont quelques parties appartiennent au xii* siècle. La
grosse tour carrée, bâtie par Gilles Ascelin en 1318, est en F. Elle est
plantée sur la place, en face de la tour du vicomte, beaucoup plus basse;
elle dominait par conséquent la tour du seigneur laïque et le canal se
reliant au port, lequel passe à 10 mètres environ du point C. De la place 6
au cloître G, le terrain s'élève de 5 mètres environ. On entrait dans la
cour H du palais, en passant sons un arc I, en prenant une rue K bordée
de bâtiments fortifiés, et en franchissant le grand porche voûté L. En 0,
était la salle des gardes, communiquant au rez-de-chaussée de la tour dite
Saint-Martial, U, par un emmarchement intérieur. Toutes ces disposi-
tions sont à peu près intactes. En passant de la rue K, sous une arcade P
fortifiée, on arrive à un degré Q qui monte au cloître, lequel commu-
nique à la cathédrale par une porte R.
De la cour H, en descendant le degré S, terminé par un ciel ouvert S',
> Nous devons ces renseignements historiques à M. Tournai, conservateur du Musée
de Narbonne.
^ Dite aujourd'hui l«i place aux Herbes.
[ PALAJS ] _ 22 —
et prenniit u gauche un souterrain passant sous le grand logis V, on arri-
vait à une poterne T, donnant dans un fossé qui séparait tout le front ab
d'un jardin, formant ouvrage avancé. Le grand logis V est, à rez-de-chaus-
sée, occupé par des celliers disposés sous la (^rand'sallo. De la cour H,
on montait aux appartements par un escalier X, détruit aujourd'hui',
En d, d', étaient des portiques, et en Z un bâtiment en retraite qui réu-
nissait la grosse tour à la tour Saint-Martial.
Cette dernière partie, dont on ne voyait que des fragments avant 18Û7,
■ Cet escalier tut délruil vers 1620, et remplacé pur un bel escalier placé dans la tour Y.
C'est de 1620 à 163A que turent élevées <lc nouTellcs façades dant In cour, cl que turenl
arrangées les grands appartements acluellement occupés en partie par le musée de l» Tille.
Nous arons retrouvé le; traces des ToniIntioDs de l'escalier X.
— 23 — [ PALAIS ]
enclavée dans des constructions beaucoup plus récenleS) a été rasée pour
faire place au nouveau bâtiment de Thôtei de ville. Mais ayant été chargé
de diriger cette dernière construction, nous avons pu constater la dispo-
sition des grands contre-forts avec mâchicoulis M, et du petit corps de
garde N avec sa poterne n. Les bâtiments/?, dits de la Madeleine, sont les
plus anciens. Ils se composent d'un rez-de-chaussée voûté et d'une grande
salie t^ également voûtée, sous une belle chapelle disposée au premier
étage ; cette salle t communiquait avec le passage dit de l'Ancre * par deux
portes W. Ces portes VV devaient permettre au public d'entrer dans
la salle t^ qui servait de chapelle basse. Une cour de communs était dis-
posée en m avec un petit logis e fortifié. L'enceinte de l'archevêché allait
rejoindre celle de la cathédrale par un mur /", également fortifié. En g,
est une grande salle capitulaire. L'abside de la cathédrale continuait les
défenses de ce côté /"par une suite de tourelles crénelées réunies par des
arcs surmontés de créneaux, ainsi que les couronnements des chapelles.
Ce palais présentait donc un ensemble de défenses formidables domi-
nées par l'énorme tour carrée F, formant saillie.
Examinons maintenant le plan du premier étage de ce palais (fig. 12).
L'escalier X permettait d'arriver directement de la cour à la grande
salle V, possédant une vaste cheminée dont on voit encore les traces à
l'extérieur. Cette grande salle était éclairée par de hautes fenêtres termi-
nées de tiers-point, et couverte au moyen d'arcs plein cintre, portant un
solivage au-dessus duquel était un étage lambrissé donnant sur le créne-
iage extérieur. De la grande salle on pouvait arriver à tous les apparte-
ments. Des escaliers à vis permettaient de descendre au rez-de-chaussée
sur plusieurs points, ou de monter aux étages supérieurs. On voit qu'on
ne pouvait entrer dans la salle octogonale de la tour carrée que par un
passage détourné, et de cette salle octogonale on descendait par une
trappe dans la salle circulaire du rez-de-chaussée, laquelle servait de
charire ou de cachot. De larges mâchicoulis s'ouvrant au second étage, à
la hauteur du crénelage, défendaient le front ab. Ici on reconnaît l'utilité
des passages pratiqués en I et en P, sur les deux arcades franchissant la
rue K ; ils établissaient une comnlunication entre le logis L et celui T de
la Madeleine, et entre la tour Saint-Martial U et la chapelle M. Le cloî-
tre, couvert en terrasse, donnait une promenade d'où l'on pouvait jouir
de la vue étrangement pittoresque de tous ces grands bâtiments se dé-
coupant les uns sur les autres, surmontés d'un côté par la grosse tour
carrée, de l'autre par l'abside colossale de la cathédrale. ,
Ces constructions sont élevées en belles pierres de Sijean et de Béziers;
elles couvrent une surface de 4000 mètres environ, déduction faite des
cours : et malgré les nombreuses mutilations qu'elles ont subies, bien
que des couvertures plates modernes et sans caractère aient remplacé
' On désignait ainsi ce pcutsnge, parce que sous l'arcade 1 était suspendue une ancre,
cofunie signe des droits que les archevêques possédaient sur le port de Narbonue.
[ PALAIS ] — 2(1 —
les ancicimes toitures à pentes rapides, bien que des adjonctions misé-
rables ou l'ubandon aient détruit plusieurs de leurs parties les plus inté-
ressantes, elles ne laissent pas d'eu imposer par leur grandeur et leur
puissance.
Nous donnons (lig. 13) une vue cavalière de ce palais, prise du c6téde
la g^'osse tour carrée (voy. Cloitiie, Salle, Tour). Mais ce palais des
archevêques de Narbonne est un pauvre logis, si on le compare au palais
des papes à Avignon. Il est nécessaire, pour faire comprendre l'impor-
tance de cette résidence des souverains pontiTes, de donner un historique
sommaire de leur séjour dans le comtat Venaissîn.
Au xiu* siècle, le rocher d'Avignon, sur lequel devait s'élever le palais
des papes, était partie en pâturages, partie couvert d'habitations domi-
nées par l'ancien château ou paluis du podestat, non loin duquel s'élevait
— 25 — [ PALAIS 1
celui de l'évéque'. De ces constructions antérieures au séjour des pon-
tifes, l'église Notre-Dame des Doms, servant de cathédrale, existe seule
aujourd'hui.
' • Item cifitiB (Aienloni») hab«t patuum qnod eit juili cimclerium Saacti Beiiedicti
• UMjue ad rupem cattrîcuni iKrliueutiiii nuit uaque ail KhodaDuai et u>qu« ad ilotuua i|u<i
VII. — U
[ PALAIS ] — 26 —
Le pape Clément V vint à Avignon en 1308, et habita le couvent des
Frères prêcheurs (Dominicains). Clément V était Bertrand de Grotte,
archevêque de Bordeaux ; ce prélat passait pour être Tennerai du roi de
France, Philippe le Bel. Ce prince eut avec lui une entrevue ; « Arche-
« vôque, lui dit-il, je puis te faire pape si je veux, pourvu que tu pro-
« mettes de m'octroyer six grâces que je te demanderai. » Bertrand
tomba à ses genoux, et lui répondit : « Monseigneur, c'est à présent que
« je vois que vous m'aimez plus qu'homme qui vive, et que vous voulez
« me rendre le bien pour le mal. Commandez et j'obéirai. » Bertrand de
Grotte fut élu, et vint s'établir en France à Avignon.
Jean XXII habita le palais, alors situé sur l'emplacement du palais
actuel des papes (1316).
C'est Armand de Via, son neveu, évêque d'Avignon, qui, n'ayant point
de palais, acheta le terrain où fut bâti l'archevêché, aujourd'hui occupé
par le petit séminaire. Jean XXII, voulant agrandir le palais qu'il habi-
tait, fit démolir la paroisse de Saint-Étienne, qu'il transféra à la chapelle
Sainte-Madeleine.
Benoît XII, en 1336, fit démolir du palais tout ce que son prédécesseur
avait fait construire, et d'après les plans de l'architecte Pierre Obreri*,
fit bâtir la partie septentrionale du palais apostolique, qu'il termina par
la tour de Trouillas. Sous ce pontife, la chambre apostolique acheta le
palais qu'avait fait bâtir Armand de Via pour servir d'habitation aux
évêques d'Avignon. Clément VI fit construire la façade méridionale du
palais des papes et les enceintes du midi qui, dans la suite, servirent à
contenir l'arsenal.
C'est en 13^7 seulement que la ville d'Avignon et lecomtat Venaissin
devinrent la propriété des papes. Avignon appartenait à Jeanne de Naples,
qui était comtesse de Provence en même temps que reine des Deux-
Siciles. Chassée de Naples comme soupçonnée de complicité avec les
assassins de son mari, André de Hongrie, Jeanne se réfugia en Provence,
et vint se jeter aux pieds de Clément VI. Lorsqu'elle quitta Avignon
pour retourner dans ses États d'Italie, elle était déclarée innocente du
crime dont la voix publique l'accusait; elle était munie d'une dispense
pour épouser son cousin Louis de Tarente, le principal instigateur de
l'assassinat d'André. Avignon et le comlat Venaissin appartenaient au
pape. Cette cession avait été stipulée au prix de 80 000 florins.
Innocent VI acheva la partie méridionale et la grande chapelle supé-
rieure. Urbain V fit tailler dans le roc l'emplacement de la cour princi-
(1 possidentur pro Hugone Bcrtraudo et sicut protenditur usque adstare Bertrandi Hu«
« gonis et usque ad cimetcriuni ecclesie Bcate Marie et usque ad ecclesiam béate Marie
« de Castro. » (Bibl. d'Avignon^ fonds Requien, cartul. des statuts. Invent des biens de
la rcpubl. d'Avignon fait en 1234 par le podestat Parceval de Doria.) -^ Gonimuniqué
par M. Achard^ archiviste de la préfecture de Vaucluse.
1 Ou Pierre Obrier, selon les Annales d'Avignon, t. III. — Manuscrit donné au musée
d*Avignonpar M. Requien; couim. par M. Acbard, archiviste de la préfecture.
— 27 — [ PALAIS ]
pale du palais^ ety fit creuser un puit?; il fit construire Taile crienlale
donnant sur des jardins, et ajouta une septième tour, dite des Anges, aux
six déjà bâties.
Grégoire XI part pour Rome en 1376, et meurt en 1378. Ainsi le palais
d'Avignon a été le siège de la papauté de 1316 à 1376, pendant soixante
ans, sous six papes. La papauté était alors française, élue principalement
parmi les prélats gascons et limousins. Les papes français installèrent
des candidats de leur choix au sein du sacré collège, et maintinrent leur
prédominance pendant la durée'du séjour des papes à Avignon. Il ne faut
pas oublier ce fait, qui eut, comme nous le verrons tout à l'heure, une
influence sur la construction du palais des papes d'Avignon.
Les antipapes, Clément VII et Benoît XIIÏ, occupèrent le palais d'Avi-
gnon de 1379 à 1408 (mars).
Benoit XIII fut assiégé dans le palais par le maréchal Boucicaut, le
8 septembre 1398; le siège fut converti en blocus jusqu'après le départ
de ce pontife, en 1403. Hoderic de Luna, neveu de Benoît XIII, iut de
nouveau assiégé, ou plutôt bloqué, par les légats du pape de Rome ei
par Charles de Poitiers, envoyé par le roi de France en 1409. Il évacua
le palais, ainsi que le château d'Oppède, par capitulation en date du
22 novembre 1411.
Le cardinal légat (cardinal de Clermont] fit bâtir en 1513 l'apparte-
ment appelé la Mirande, regardant le midi, et la galerie couverte qui
mettait en communication ces appartements avec les tours donnant sur
le jardin : c'était là que les vice-légats recevaient leurs visites.
On a tenu dans le palais d'Avignon six conclaves :
Celui pour l'élection de BenoH XII, en 1335 ; de Clément VI^ en 1342 ;
d'Innocent VI, en 1352; d'Urbain V, en 1362 ; de Grégoire XI, en 1370,
et de Benoit Xin, en 1394.
A la suite d'un conflit qui eut lieu entre les gens du pape et ceux du
duc de Créquy, ambassadeur de Louis XIV près le saint-siège, les satis-
factions demandées à la cour de Rome paraissant insuffisantes^ le roi de
France fit occuper Avignon par ses troupes, et menaça le souverain pon-
tife d'envoyer un régiment à Rome (1662). Le général Bonaparte, par
le traité de Tolentino, obtint la cession des Romagnes et du comtat
d'Avignon.
Ainsi, en soixante années, les papes firent bâtir non-seulement cette
résidence, dont la masse formidable couvre une surface de 6ù00 mètres
environ, mais encore toute l'enceinte de la ville, dont le développement
est de 4800 mètres.
En 1378, un incendie détruisit presque tous les combles du palais des
papes^ En 1413, la grande salle du Consistoire, le quartier des cuisines
I On Yoit encore aujourd'hui les traces de ce sinistre dans les parties supérieures de
rédifice. « L*an 1378, h l'heure du trépas du pape Grégoire XI à Rome, selon les vieux
« documents de Provence, le palais d'Avif^on s'omhrnsn par telle fureur, qu'il ne fut ja-
[ PALAIS ] — 28 —
et celui de la sommellerie furenl-consiimés malgré la diligence de Marc,
neveu du pape Jean XXIII, et qui commandait alors dans cette ville ^
Les documents étendus que M. Achard, archiviste de la préfecture de
Vaucluse, a bien voulu réunir pour nous, avec un empressement dont nous
ne saurions trop le remercier, ne donnent que le nom d'un architecte
dans la construction de celte œuvre colossale : c'est un certain Pierre
Obreri ou Pierre Obrier. Obreri n'est guère un nom italien ; mais ce qui
l'est encore moins, c'est le monument lui-môme. L'architecture italienne
du xiy* siècle, soit que nous la prenions dans le sud ou dans le nord de
la Péninsule, ne rappelle en rien celle du palais des papes. Depuis la tour de
Trouillas jusqu'à celle des Anges, dans toute retendue de ces bâtimenU^,
du nord au sud, de l'est à l'ouest, la construction, les profils, les sec-
tions de piles, les voûtes, les baies, les défenses, appartiennent à l'archi-
tecture française du Midi, à cette architecture gothique, qui se débarrasse
difficilement de certaines traditions romanes. L'ornementation, très-
sobre d'ailleurs, rappelle celle de lacathédrale de Narbonne dans ces parties
hautes, qui datent du commencement du xiv* siècle. Or, la cathédrale
de Narbonne est l'œuvre d'un architecte français, le môme peut-être
qui bâtit celle de Glermont en Auvergne, et celle de Limoges, ainsi
que peut le faire supposer la parfaite conformité de ces trois plans. Les
seuls détails du palais d'Avignon, qui sont évidemment de provenance
italienne, ce sont les peintures attribuées à Giotlo et à Simon Memmi
ou à ses élèves 2. N'oubhons pas d'ailleurs que Clément V, qui le premier
établit le siège apostolique à Avignon, était Bertrand de Grotte, né à
Villandrau, près de Bordeaux; que Jean XXII, son successeur, était
Jacques d'Ëuse, né à Cahors; que Benoit XII était Jacques Fournier, né
à Saverdun, au comté de Foix; que Clément YI était Pierre Roger,' né au
château de Maumont, dans le diocèse de Limoges ; qu'Innocent VI était
Etienne d'Albert, né près de Pompadour, au diocèse de Limoges; qu'Ur-
bain Y était Guillaume Grimoald, né à Grisac, dans le Gévaudan, diocèse
de Mende, et que Grégoire XI, neveu du pape Clément VI, était, comme
son oncle, né â Maumont, au diocèse de Limoges. Que ces papes, qui
firent entrer dans le sacré collège un grand nombre de prélats français,
et particulièrement des Gascons et des Limousins, eussent fait venir des
architectes italiens pour bâtir leur palais, ceci n'est guère vraisemblable;
« mais au pouvoir des hommes, quel secours qui de toute part y arrivât, de rétcindrc ni
« arrêter, que la plus grande partie de ce grand et superbe édifice no fut arse dévorée et
« mise en consommation par les flammes, ainsi que j'en ai moi-même encore vu les mar-
a ques et vestiges dans cette flère et hautaine masse de pierres. » (Nostradamus, Hùst. de
Provence, p. 437.)
* Journal d'un habitant d* Avignon ^ cité par Gaufridi (Hist. de Provence),
' Il est bon d'observer ici que Giotto était mort ù l'époque où s'élevait le palais des
papes. Les seules peintures qu'on pourrait lui attribuer sont celles qu'on voyait, il y
a quelques années, sous le porche de Notre-Dame des Doms. Mais quand elles furent
faites, les papes n'étaient pas à Avignon.
— 29 — [ PALAIS ]
mais les eussent-ils fait venir, qu'il serait impossible toutefois de ne point
considérer les constructions du palais des papes d'Avignon comme
appartenant à Tarchitecture des. provinces méridionales de la France.
Nous insistons sur ce point, parce que c'est un préjugé communément
établi que le palais des papes est une de ces constructions grandioses
appartenant aux arts de l'Italie. A cette époque, au xiv* siècle, le goût
de l'architecture italienne flotte indécis entre les traditions antiques et
les influences de France et d'Allemagne, et ce n'est pas par la grandeur
et la franchise qu*ilse distingue. Les papes établis en France, possesseurs
d'un riche comtat, réunissant des ressources considérables, vivant rela-
tivement dans un état de paix profonde, sortis tous de ces diocèses du
Midi, alors si riches en monuments, ont fait à Avignon une œuvre abso-
lument française, bien supérieure comme conception d'ensemble, comme
grandeur et comme goût, à ce qu'alors on élevait en Italie. Examinons
maintenant ce vaste édifice dans toutes ses parties. Nous devons prendre
le palais des papes à Avignon, tel qu'il existait à la fin du xi\^ siècle,
c'est-à-dire après les constructions successives faites depuis Clément V
jusqu'à Grégoire XI, car il serait difficile de donner les transformations
des divers services qui le composent, et de montrer, par exemple, le
palais bâti par Jean XXII. Ces immenses bâtiments s'élèvent sur la décli-
vité méridionale du rocher des Doms, à l'opposile du Rhône ; de telle
sorte que le rez-de-chaussée de la partie voisine de l'église Notre-Dame,
qui est la plus ancienne, se trouve au niveau du premier étage de la par-
tie des bâtiments élevés en dernier lieu, du côté sud, par Urbain V. Si
donc nous traçons le plan durez-de-chaussée du palais des papes, vers sa
partie inférieure, nous tombons en pleine roche, en nous avançant vers
le nord (flg. 16).
L'entrée d'honneur A s'ouvre sur une esplanade dominant tous les
alentours, et autrefois divisée en plusieurs bailles, avec courtines, tour et
portes. Cette entrée A est défendue par deux herses^ des vantaux et un
double mâchicoulis. En avant, donnant sur l'esplanade, l'ouvrage avancé
fut remplacé au xvii* siècle par un mur de contre-garde crénelé. Sous le
vestibule d'entrée, à droite, est la porte s'ouvrant dans un vaste corps de
garde B, voûté. De la cour d'honneur C on peut se diriger sur tous les
points du palais. Du vestibule D on monte aux étages supérieurs par un
large et bel escalier à deux rampes, ou bien on entre dans la grande salle
basse E et son annexe F, ou encore dans la salle G* Par le passage H,
on descend à l'esplanade orientale I, où l'on pénètre dans les salles K,
sous la grosse tour L et son annexe /. Par le petit passage 0 détourné, on
s'introduit dans la grand' salle M, laquelle servait de poste et communi-
quait aux défenses supérieures par un escalier P. En R, est une poterne
défendue par un mâchicoulis intérieur, une herse et des vantaux. En S, est
une second poterne défendue par des mâchicoulis et une herse ; en T,
un degré qui monte au rez-de-chaussée de la partie du palais bâtie sur le
rocher à un niveau plus élevé que le sol de la cour d'honneur. La partie
[ PALAIS ]
a plus ancienne du priais, la tour de Tronillas, esl en V, llanquant le
— 31 — [ PALAIS ]
rocher el s'élevanl au-dessus de toutes les autres tours du palais : c'est le
donjon, dont nous ne voyons ici que les soubassements. Un escalier X,
desservant cette partie des bâtiments, descend jusqu'au sol de l'espla-
nade I, et donne entrée sur le mur de défense Z garni de mâchicoulis et
d'un chemin de ronde. En N, adossé à ce mur, est un fournil.
Tout ce rez-de-chaussée est voûté et construit de manière à défier le
temps et la main des hommes. Du corps de garde B on monte par un
escalier à vis aux défenses supérieures de la porte principale A. Un autre
escalier Q monte aux appartements donnant sur l'esplanade.
Ainsi qu'on peut le reconnaître, la disposition du rez-de-chaussée est
bonne, en ce que, de la cour d'honneur, on arrive directement à tous les
points du palais. Observons aussi que les deux poternes R, S, sont percées
dans des rentrants, bien masquées et défendues ; que les fronts sont
flanqués, et que les architectes ont profité de la disposition naturelle du
rocher pour établir leurs bâtiments. Des jardins s'étendaient du côté du
sud, sur une sorte de promontoire que forme la colline. D'un côté (vers
le nord), le rocher des Doms est à pic sur le Rhône, et était de plus dé-
fendu par un fort (le fort Saint-Martin). De l'autre (vers le sud), il s'im-
plantait au centre de la ville, et la coupait pour ainsi dire en deux parts.
Vers l'ouest, les bailles s'étendaient jusqu'au palais épiscopal, étaient
arrêtées par le rempart de la ville, qui descendait jusqu'aux bords du
Hhône et se reliait au fort Saint-Martin ^ Des rampes ménagées le long
de ce fort descendaient jusqu'à la porte ouchâtelet donnant entrée sur
le pont Saint-Bénézet, qui traversait le Rhône (voy. Pont). Vers l'est,
l'escarpement est abrupt et domine les rues de la cité. L'assiette de ce pa-
lais était donc merveilleusement choisie pour tenir la ville sous sa dépen-
dance ou protection, pour surveiller les rives du fleuve précisément au
point où il forme un coude assez brusque, pour être en communication
avec le mur d'enceinte, et pour sortir, au besoin, de la cité sans être vu.
Afin de ne pas multiplier les figures, nous présentons le plan du palais
des papes à rez-de-chaussée pour la partie la plus élevée, et au premier
étage pour la partie située au-dessus des bâtiments entourant la cour
d'honneur. Par le fait, le niveau du rez-de-chaussée des bâtiments supé-
rieurs correspond au niveau d'un étage entresolé, disposé en partie sur le
plan donné dans la figure i/!i.
En A (flg. 15), est l'église Notre-Dame des Doms, rétablie dans sa forme
première et avant l'adjonction des chapelles qui ont altéré le plan de ce
bel édifice. Élevée pendant le xir siècle, l'église Notre-Dame des Doms,
aujourd'hui encore cathédrale d'Avignon, fut conservée parles papes^ et
c'est dans son voisinage que les pontifes élevèrent les premières construc-
tions de leur palais, entre autres les tours B et les corps de logis b, S'avan-
çant peu à peu vers le sud et suivant la déclivité du rocher, les papes
fermèrent d'abord la cour G, entourée d'un large portique avec étage
> Ce fort fut dttriiil, cii 1650, par Texplusiuii de lu poudrière qu'il couteiiait.
au-dessus, puis la cour d'houiieur D. Il est à remarquer qu'en élevant
^^3» — [ PALAIS ]
chaque tour el chaque corps de logis, on les fortifiait, pour mettre
toujours les portions terminées du palais à Tabri d'une attaque. Ainsi,
le bâtiment E, par exemple, était défendu par des mâchicoulis en e,
parce qu'au moment de sa construction, il avait vue directe sur les de-
hors, la cour d'honneur D et la grande salle G ayant été construites en
dernier lieu, ainsi que la tour H.
Sous Urbain V, les appartements du pape se trouvaient au premier
étage, autour de la cour d'honneur. Une grande salle (la salle G) entière-
ment voûtée, servait de chapelle. Ces voûtes étaient couvertes de belles
peintures dont il ne reste plus que des fragments. L'escalier d'honneur I
donnait entrée dans celte chapelle et dans les appartements des corps de
logis à l'occident et au levant. Un couloir de service longe les pièces de
l'aile occidentale, est desservi par l'escalier K, communique à la porterie
et avec défenses supérieures par les vis L, aboutit au-dessus de la poterne
P, et met l'aile occidentale en communication avec le logis Ë. Un créne-
lage avec larges mâchicoulis bordait les chambres de l'aile occidentale,
au niveau du premier étage, sur le dehors. En F, étaient placées, au pre-
mier étage, les grandes cuisines*. La salle des festins était au-dessus de
la salle 6, et se trouvait séparée des galeries du cloître par une cour très-
étroite et très-longue; on observera que des mâchicoulis défendent le
pied des quatre bâtiments qui entourent ce cloître. Des cloisons, dont
nous n'avons pas tenu compte dans ce plan, parce qu'elles ont été chan-
gées plusieurs fois de place, divisaient les logis qui entourent le cloître
et laissaient des couloirs de service. Ce vaste palais était donc très-habi-
table, toutes les pièces étant éclairées au moins d'un côté. On remarquera
aussi que dans l'épaisseur des murs des tours notamment, sont pratiqués
des couloirs de service et des escaliers qui mettaient en communication
les divers étages entre eux, et pouvaient au besoin faciliter la défense.
Une élévation prise sur toute l'étendue de la face occidentale fait saisir
l'ensemble de ce majestueux palais (flg. 16) qui domine la ville d'Avi
gnon, le cours du Rhône et les campagnes environnantes. Il était autrefois
richement décoré de peintures à l'intérieur''*. Mais deux incendies, l'a-
bandon et le vandalisme, ont détruit la plus grande partie des décora-
tions. Quelques plafonds assez richement peints datent du xvi"* siècle.
L'emmarchement du grand escalier, aujourd'hui délabré et sordide, était
fait de marbre ou de pierre polie, ses voûtes étaient peintes. La chapelle
était des plus splendides et contenait des monuments précieux : c'est dans
ce vaisseau que furent déposés les trophées envoyés au pape en i3/iO, par
le roi de Gastille, à la suite de la victoire de Tarifa.
Les deux tourelles qui surmontent la porte d'entrée en forme d'échau-
* Ce sont ces cuisines qu'on montre comme étant . une salle d'exécution à huis clos
el une chambre de torlure.
^ 11 uc reste de ces peintures que des traces dans la grande chapelle, et dans deux de»
>jiUe«dc la tour dite aujourd'hui de la Justice, M.
VU. — 5
giielle): ne Turent tlémoiics qu'en 17ùy, pixrre quc(iJil un rapport du sieui
— 35 — [ PALAIS ]
Thibaut, ingénieur, en date du 29 mars de la môme année) elles mena-
çaient ruine; un tableau déposé dans la bibliothèque d'Avignon et plu-
sieurs gravures nous en ont conservé la forme. Quant aux couronnements
des tours, notamment ceux de la tour de Trouillas, ils ne furent complè-
tement détruits qu'au commencement de ce siècle, et sont également
représentés dans les tableaux et gravures du xv!!"* siècle. Le palais des
papes possède sept tours, qui sont : i"^ la lour de Trouillas, 2® de la Gâ-
che S 3" de Saint-Jean, 4' de Saint-Laurent, 5* de la Cloche, 6« des
Anges*, V de TEstrapade.
Les légats habitèrent le palais d'Avignon, après le départ de Fantipape
Benoit XIII, et y firent quelques travaux, entre autres le cardinal d'Ar-
magnac, en 1569; mais cette vaste habitation était fort délabrée et «fort
mal logeable D, comme le dit Ch. de Brosses, pendant le dernier siècle.
Aujourd'hui, c'est à grand'peîne qu'on peut reconnaître les disposi-
tions intérieures à travers les planchers et les cloisons qui coupent les
étages, pour loger de la troupe ^.
Ce dernier exemple indique, comme les précédents, que la question
de symétrie n'était point soulevée lorsqu'il s'agissait de bâtir des palais
pendant le moyen âge. On cherchait à placer les services suivant le terrain
ou l'orientation la plus favorable, suivant les besoins, et l'on donnait à cha-
que corps de logis la forme, l'apparence qui convenaient à sa destination.
Tous les palais épiscopaux n'avaient pas en France cet aspect de for-
teresse. Le palais archiépiscopal de Rouen, le palais épiscopal d'Ëvreux^
celui de Beauvais, rebâtis presque entièrement au xv* siècle, ressem-
blaient fort à des hôtels princiers s'ouvrant sur les dehors par de larges
fenêtres, et ne possédant plus de tours de défense. Quant aux rois de
France, à dater de la fin du xiv* siècle, lorsqu'ils résidaient dans les villes,
ils habitaient des hôtels. A Paris, le roi possédait plusieurs hôtels, et dans
la plupart des bonnes villes on avait le logis du roi, qui souvent n'était
qu'une résidence très-modeste. Les châteaux furent préférés, on y jouis-
sait d'une plus grande liberté. Les troubles qui remplirent la capitale
pendant une grande partie du xv" siècle engagèrent les souverains à ne
plus se fier qu'à de bonnes murailles à distance de la ville.
Les châteaux du Louvre, de la Bastille, de Vincennes, ceux des bords
de la Loire, devinrent la résidence habituelle des rois de France, depuis
les guerres de l'indépendance jusqu'au règne de François I•^ Les grands
vassaux suivirent en cela l'exemple du souverain, et préféraient leurs
> Ce nom lai venail de ce qu'elle servait de guette. Du haut de la tour de la Gâche
(la plus voisine de la façade de Notre-Dame des Doms et la plus élevée, voyez sur la façade)
on donnait^ à son de trompe, le signal du couvre-feu, on avertissait les habitants en cas
d'incendie ou d'alarme.
^ C'est la tour située entre la porte et la grande chapelle (voyez la façade).
' L'empereur Napoléon 111 a donné l'ordre, lors de son passage h Avignon, en 1860,
de bâtir une caserne dans la ville, afin de pouvoir débarrasser et réparer ce magnifique
palus.
[ PALISSADE ] — 36 —
châteaux à leurs résidences urbaines, et le nom de palais resta aux bâti-
ments occupés par les parlements.
PALIER, s. m. Repos ménagé entre les volées d'un escalier (voy.
Escalier).
PALISSADE, s. f. {palis, plaseis, pel, peus, picois). Enceinte formée de
pieux fichés en terre et aiguisés à leur partie supérieure.
Beaucoup de bourgades, de villages et d'habitations rurales, manoirs,
granges, etc., n'étaient, pendant le moyen âge, fermés que de palissades.
Les dépendances des châteaux, basses-cours, jardins, garennes, n'avaient
souvent d'autre défense qu'une palissade avec haie vive.
« Là ù li Griu rccuevrent de plaseis
« Fu muU Tors li estors el durs li fcreis ^ ;
tt
« Ne Tpuct garir castiaus, tant soit clos de palis,
« Fossés, ne murs entor, dognons, ne plaseis ^. »
Il était d'usage aussi de planter des palissades au pied des remparts des
villes, de manière à laisser entre la muraille et l'enceinte de pieux un
espace servant de chemin de ronde, de licCy ainsi qu'alors pn appelait ces
espaces. C'était un naoyen d'empôcher les assaillants de saper le pied
des remparts, lorsqu'il n'y avait pas de fossés, de prolonger la défense,
et de permettre aux assiégés de faire des sorties. Lorsqu'une troupe in-
vestissait un château ou une ville fortifiée, il y avait d'abord de furieux
combats livrés pour s'emparer des palissades et des lices, afin de pouvoir
attacher les mineurs aux murs, ou faire approcher les galeries et tours
roulantes.
tf Aportex mei cet pel dont cel chastel est clos ;
« Coin ajnz Tarez tolli, ainz serez à repos ^. »
((
« Li Dus a Herloin mnlt bien asseuré,
(( Monsteroil a bien clos, cnforchié è fermé.
« De pel à hérichon, de mur è de Tossc *. n
«.'
« N'i poent pel ne mur remclndre ^ »
Ces ouvrages de bois autour des places avaient souvent une grande
importance; ils formaient de véritables barbacanes^ ou défendaient de
1 U Romans (TAiixandre : Combat de Perdkas et d'Akin, Édit. de Stuttgard, 1846»
p. lAO.
^ ihid, : Message à Darius, p. 251,
3 Le Roman de Hou, vers 1^600.
* Ibid., vers 2628,
5 /6îV/., vers 7352.
— 37 — [ PAN DE BOIS ]
longues caponnières. Les assiégés faisaient du mieux qu'ils pouvaient
pour les conserver, car ces palissades forçaient les assaillants à étendre
leur contrevallation, permettaient l'entrée des secours et des provisions,
et rendaient la défense du haut des remparts plus efficace en ce qu'elle
découvrait un champ plus étendu. (Voy. Architecture militaire, Sikge.)
PAN DE BOIS, s. m. Ouvrage de charpenterie, composé de sablières
hautes et basses, de poteaux, de décharges et de tournisses, formant de
véritables murs de bois, soit sur la face des habitations, soit dans les inté-
rieurs, et servant alors de murs de refend. Aujourd'hui,[en France, il est
interdit de placer des pans de bois sur la voie publique, dans les grandes
villes, afin d'éviter la communication du feu d'un côté d'une rue à
l'autre. Par la même raison, il n'est pas permis d'élever des murs mi-
toyen en pans de bois. Mais jusqu'au dernier siècle, l'usage des pans de
bois, dans les villes du Nord particulièrement, était très-fréquent. L'ar-
ticle Maison signale un certain nombre d'habitations dont les murs de
face sont en tout ou partie des pans de bois très-heureusement combi-
nés. Ce moyen avait l'avantage de permettre des superpositions d'étages
eu encorbellement, afin de laisser un passage assez large sur la voie
publique et de gagner de la place dans les étages supérieurs. Il était éco-
nomique et sain, car, à épaisseur égale, un pan de bois garantit mieux
les habitants d'une maison des variations de la température extérieure
qu'un mur de brique ou de pierra II n'est pas de construction à la fois
plus solide, plus durable et plus légère. Aussi emploie-t-on encore habi-
tuellement les pans de bois dans les intérieurs des cours ; seulement, au
lieu de les laisser apparents, comme cela se pratiquait toujours pendant
le moyen âge, on les couvre d'un enduit, qui ne tarde guère à échauffer
les bois et à les pourrir; mais on simule ainsi une construction de pierre
ou tout au moins de moellon enduit.
On ne saurait donner le nom de pan de bois aux empilages horizon-
taux de troncs d'arbres équarris ; cette sorte de structure n'appartient pas
h l'art du charpentier ; on ne la voit employée que chez certains peuples,
et jamais elle ne fut admise sur le territoire de la France, à dater de
l'époque gallo-romaine. Les Gaulois, au dire de César, élevaient quel-
ques constructions, notamment des murs de défense, au moyen de lon-
grines de bois alternées avec des pierres et des traverses ; mais il ne
parait pas que celte méthode ait été employée pendant le moyen âge, et
elle n'a aucun rapport avec ce que nous appelons un pan de bois.
Le pan de bois, par la combinaison de ses assemblages, exige en effet
des connaissances étendues déjà de l'art du charpentier, et ne se ren-
contre que chez les populations qui ont longtemps pratiqué cet art diffi-
cile. Les Romains étaient d'habiles charpentiers, et savaient en peu de
temps élever des ouvrages de bois d'une grande importance. Employant
des bois courts comme plus maniables, il les assemblaient solidement.
[ PAN DE BOIS ] — 38 —
et pouvaient au besoin s'élever à de grandes hauteurs *. Les peuples
du Nord, et particulièrement des Normands, excellents charpentiers,
mêlèrent à ces traditions antiques de nouveaux éléments, comme par
exemple l'emploi des bois de grandes longueurs et des bois courbes, si
fréquemment usités dans la charpenterie navale ; ils adoptèrent certains
assemblages dont les coupes ont une puissance extraordinaire, comme
pour résister aux chocs et aux ébranlements auxquels sont soumis les
navires, et jamais ils n'eurent recours au fer pour relier leurs ouvrages
de bois.
Prodigues d'une matière qui n'était pas rare sur le sol des Gaules, les
architectes romans, lorsqu'ils élevaient des pans de bois, laissaient peu
de place aux remplissages, et se servaient volontiers de pièces, sinon
très-épaisses, au moins très-larges, débitées dans des troncs énormes,
et formant par leur assemblage une lourde membrure; n'ayant guère
d'espaces vides entre elles que les baies nécessaires pour éclairer les
intérieurs.
L'assemblage à mi-bois fortement chevillé était un de ceux qu'on em-
ployait le plus souvent à ces époques reculées. On composait ainsi de
véritables panneaux rigides qui entraient en rainure dans les sablières
hautes et basses. Rarement, à cette époque, plaçait-on des poteaux cor-
niers aux angles, et les pans de bois étaient pris entre les deux jambes-
étrières de murs de maçonnerie qui formaient pignons latéralement ; en
un mot, le pan de bois de face d'une maison n'était qu'une devanture
rehaussée de couleurs brillantes cernées de larges traits noirs. Bien
entendu, ces constructions, antérieures au xiii* siècle, ont depuis long-
temps disparu, et c'est à peine si, dans quelques anciennes villes fran-
çaises, on en trouvait des débris il y a une trentaine d'années ; encore
fallait-il les chercher sous des lattis récents, ou les recueillir pendant
des démolitions. C'est ainsi que nous avons pu, en iS^U, dessiner à
Dreux, pendant qu'on la jetait bas, les fragments d'une maison de bois,
qui paraissait dater du milieu du xii" siècle. Cette maison, exhaussée au
XV' siècle, ne se composait primitivement que d'un rez-de-chaussée, d'un
premier étage en encorbellement et d'un galetas. L'ancien comble, dis-
posé avec égout sur la rue, n'existait plus, et l'étage du galetas avait été
surmonté d'un haut pignon de bois recouvert de bardeaux. Des fenêtres
anciennes, il ne restait que les linteaux avec entailles intérieures, indi-
quant le passage, à mi-bois, des pieds-droits.
Voici (fig. 1) une vue de ce curieux pan de bois, compris entre deux
murs formant tète avec encorbellements. Les sablières basses et hautes,
1 Les charpentiers italiens, notamment à Rome, ont conservé les traditions antiques,
et élèvept aujourd'hui, en quelques heures, des échafauds au moyen de chevrons courts
et d'un faible équarrissage. U est impossible de ne pas reconnaître entre ces échafauds
et les charpentes fig^urées sur les bas-reliefs de la colonne Trtgane une parfaite identité de
moyens.
[ l'A» I(E BOIS ]
les poteaux, étaient des bois de sept pouees environ (19 centimètres) ; les
[ PAN DE BOIS ] — i|0 —
jambages des fenêtres, des bois de 15 -|- 18 centimètres. Le cintre de la
porte se composuil de deux
morceaux de charpente assemblés à
mi-bois entre eux et avec les deux
jambages. Les solives des planchers
reposaient, comme les sablièresbas-
ses des pans de bois, sur tes murs
latéraux et sur une poutre posée,
parallèlement à ces murs, environ
au milieu de la façade. Toute cette
cbarpente était coupée avec soin,
ornée de quelques moulures très-
simples et de gravures d'un faible
creux. On voyait, sous les appuis des
fenêtres des galetas, des restes de
panneaux épais également décorés
par des gravures. La ligure 2 pré-
sente la coupe de ce pan de bois; elle
indique le poteau intermédiaire A,
renforçant la face du rez-de-chaussée
et portant, au moyen d'un lien B,
la poutre transversale C, laquelle
soulage d'autant la portée de la sa-
blière basse D du pan de bois supé-
rieur. Au-dessus de ce lien B se
dresse le poteau E jusque dessous
la sablière haute F, portant une au-
tre poutre G transversale sous com-
ble. L'about de cette poutre est sou-
lagé par un lien L Une semelle H
reçoit l'extrémité des chevrons et
les blochets K. La poutre L s'assem-
ble par un tenon dans le poteau E,
lequel, sous cet assemblage, possède
un repos M [voy. le détail 0). Cette
poutre est de plus portée par une
décharge P, dont le pied est assemblé
à tenon dans la première solive R du
plancher du premier étage. La vue
(Dg. 1) fait voir comment les faces
du pan de bois reportent les pesan-
teurs sur le poteau intermédiaire et
sur les murs latéraux, au moyen de décharges courbes, lesqucllc!: s'as-
semblent sous les sablières et dans les extrémités des linteaux évidés
des fenêtres.
— 41 — [ PAU DB BOIS ]
La Bgure Z fera saisir les assemblages des poteleU formant jambages
des fenêtres, et des décharges courbes. Nous moulrons le linteau A
d'une de ces fenêtres à l'intérieur. Les potelets intermédiaires B, formant
meneaux, s'assemblent i mi-bois dans ces linteaux, et portent, à leur
^
extrémité supérieure A, un tenon qui entre dans une mortaise c, ménagée
sons la sablière. Une petite languette e a'embrëve en outre dans le lin-
teau, et empêche celui-ci de désaflleurer le poteau. Les linteaux A pos-
sèdent eux-mêmes des languettes /qui s'cmbrévent sous les sablières
en g. La coupe C donne le gëométral de ces assemblages, l'intérieur du
pan de bois étant en h. Le potelet G, formant jambage, s'assemble de
même à ni-bois dans l'extrémité du linteau, et porte son tenon i tombant
dans une mortaise j; mais la décharge B porte une coupe biaise /, qui
bute le Jinteau, et un tenon m qui s'engage dans la mortaise n. Ce
tenon forme aussi languette s'embrevant dans l'extrémité du linteau
en p.
Les assemblages de cette charpente rappellent ceux employés dans la
VII. — 6
[ PAN DE BOIS ] — U2 —
menuiserie, et ceQx aussi adoptés pour les constructions navales. La
main-d'œuvre est considérable, comme dans toute structure primitive;
mais on observera que les ibrrements ne sont admis nulle part. D'ailleurs
le cube de bois employé est énorme, eu égard à la petite diûiension de
ce pan de bois de face; les remplissages en maçonnerie ou en torchis à
peu près nuls. Au xiii* siècle déjà, on élevait des pans de bois beaucoup
plus légers, mieux combinés, dans lesquels la main-d'œuvre était écono-
misée, et qui présentaient une parfaite solidité. Souvent, à cette époque,
les solives des planchers portent sur les pans de bois de face, et senent à
les relier avec les pans de bois intérieurs de refend.
Nous traçons (ûg. U) un de ces pans de bois, qui appartient, autant
qu'on peut en juger parles profils,à la fin du xiii* siècle*. Ici pas de murs
pignons de maçonnerie, comme dans l'exemple précédent ; la construc-
sion est entièrement de charpente, et les mitoyennetés sont des pans de
bois composés de sablières, de poteaux, de décharges et de tournisses.
Les deux étages de pans de bois de face sont posés en encorbellement
l'un sur l'autre, ainsi que l'indique le profil A. Les poteaux d'angle et
d'axe de la façade B ont 22 et 2U centimètres d'équarrissage ; tous les
autres, ainsi que les sablières et solives, n'ont que 17 à 19 centimètres.
Les solives G des planchers posant sur les sablières hautes assemblées
sur la tête des poteaux, sont soulagées par des goussets et liens D
à l'intérieur et à l'extérieur, et peuvent ainsi recevoir à leur extrémité la
sablière basse de l'étage au-dessus. Ces solives étant espacées de près
d'un mètre, elles reçoivent de plus faibles solives, ou plutôt des lam-
bourdes, sur lesquelles sont posés les bardeaux avec entrevous, aire et
carrelage. Le roulement du pan de bois est maintenu par des décharges
E assez fortes, et des croix de Saint-André sous les appuis des fenêtres.
Un détail (fig. 5) explique l'assemblage des sablières a sur les poteaux b,
des goussets et liens c, soit dans ces poteaux, soit dans les solives e. On
voit en g comment s'embrèvent les sablières basses h aux abouts des
solives, et comment, entre chacune de ces solives, on a posé des entre-
toises moulurées t\ Le tracé perspectif f montre l'une des solives désas-
semblée avec ses mortaises; le tracé perspectif/ figure le linteau m de la
porte et son assemblage avec le poteau ;>, formant jambage. Quant au
tracé géométral B, il explique l'assemblage marqué d'un ^ dans la fig. li.
Ce pan de bois est bien tracé ; les bois sont parfaitement équarris, les
moulures nettement coupées, les assemblages faits avec soin. Il était, bien
entendu, apparent ; les remplissages étaient hourdés en mortier et petit
moellon enduits.
Nous avons signalé ailleurs ^ l'habileté des charpentiers du moyen âge,
principalement pendant les xiii*, mv"* et xv* siècles. Il ne faudrait pas
croire que les constructions se bornaient alors à employer les pans de
1 D'une maison de Ghâteaudun.
'^ Voyez Tarticle Ghaveute*
[ PAN DE BOIS ]
is pour les mnisons de bourgeois : le pan de bois était, au contraire.
( PAN BB BOIS ] _ /,i _
un genre de conslriiclion fréquemment adopté, m6me dans les édifices
publics, les palais et châteaux. Dans beaiiroup de résidences seigneu-
riales,Ies logis avaient h l'intérieur, ou en guise de murs de refend, des
pans de bois. Nous avons souvent conslalé la présence de ces ouvrages
de charpenterie, détruits par des incendies, dans des chAteaux d'une cer-
taine importance. On employait aussi les pans de bois comme moyen
provisoire de clore des édifices qu'on n'avait pas le temps d'achever,
ou dont ia contlruction demeurait stu|>eDdue. C'est ainsi qu'on voit, au
— &5 — [ FAN DE BOIR ]
sommet du mur septentrional de la cathédrale d'Amiens, un pignon eu
pan de bois qui date du xiv* siècle.
Dans certaines contrées où le bois Était abondant et la pierre rare, on
bdiissait nifime des églises tout entières de bois. On voit encore dans un
^
H
-I
des faubourgs de ta ville de Troyes ' une chapelle, placée sous le Tocable
de saint Gilles, (|ui est bAtie en pans de bois et date de la seconde moitié
duiiv< siècle. Cet édifice, auquel des adjonctions plus récentes onten-
Icïé une partie de son caractère, se composait d'une seule nef, encore
entière aujourd'hui, terminée par une abside à quatre pans. Nous don-
nons (fig. 6) en A le plan, et en B la coupe transversale de la chapelle de
' FrabouiB Croneeiu.
[ PAN DE BOIS J — Û6 —
Saint-Gilles'. Tout le syMème consiste en une suite de poteaux [un par
travée et à ehaque angle) reposant sur une sablière basse et porlant des
fermes ; une sablière haute relie le sommet, et deux coui-s d'entretoises,
avec des écharpes et polelets, maintiennent le dévei-s. Les eniraits et
poinçons de la charpente sont apparents; celle-ci est lambrissée. Une
flfïche dont l'amorce est tracée en D couronne le comble sur la troi-
sième travée, plus étroite que les autres. La figure 7 donne en A le détail
gcométral de l'assemblage des poleaux dans les eniraits avec les liens
doubles qui les soulagent, et en B le tracé perspectif d'une des travées à
l'intérieur, avec la fenfitre, la sablière haute el l'entretoise haute mou-
lupées. On voit comme, dans cet humble édifice, lacharpenleest traitée
avec soin, comment la décoration n'est, h tout prendre, que l'apparence
de la structure. Sur ces bois, point d'enduit sur lattis simulant une con-
struction de pierre; aussi ces charpentes laissées à l'air libre sur deux
faces se sont conservées plus de quatre siècles. On observera que les liens
G (fig. 7) sont bien moins destinés & soulager les entraits des fermes qu'à
■ M. Millet, architerle diocéMin île Trajet, n bien voulu nous fournir Ira clcsains de
ce polil édiOcr.
— 47 — [ PAN DE BOIS ]
arrêter le dévers des pans de bois. Ils tiennent lieu d'cquerres, de gous-
sets qui empêchent tout le système de se coucher, soit d'un côté, soit de
l'autre.
Les bois employés dans les pans de bois, à dater du xiii* siècle, ne
sont jamais d'un fort équarrissage; ils sont sains et choisis parmi des
arbres qui n'étaient pas trop vieux. Ce sont presque toujours des bois de
brio, c'est-à-dire équarris sur un seul tronc, d'un assez faible diamètre
par conséquent. Ces bonnes traditions s'étaient conservées jusqu'au com-
mencement du xvii* siècle, puisque le traité de Mathurin Jousse en fait
mention * ; et en effet il existe encore quelques pans de bois de cette
époque qui sont bien taillés et façonnés de bois choisis.
C'est principalement dans les provinces de l'Est, en se rapprochant du
Rbin, qu'on trouve des restes de constructions en pans de bois d'une
grande dimension. Strasbourg a conservé jusque dans ces derniers temps
des maisons de bois plus grandes d'échelle que la plupart de celles que
l'on voyait dans nos villes du domaine royal. A Constance, il existe des
édifices publics considérables en pans de bois. Beaucoup de ces maisons
de Strasbourg, qui dataient de la fin du xiv' siècle et du xv*, étaient mu-
niesde bretèches aux angles ; elles étaient vastes et hautes. Voici comment
sont généralement combinés les pans de bois de face avec bretèches aux
angles (fig. 8). La face de la bretè«*he forme avec la face de la maison
un angle de U5^ (voy. la première enrayure A, prise au niveau a). En B,
est un poteau cornier qui monte de fond, depuis la sablière basse S jus-
qu'à la sablière supérieure S'. A ce poteau cornier est accolé le poteau C,
milieu de la face de la bretèche. Les polcaux d'angle £ de la bretèche
sont corniers, et reposent sur les solives bb' dont le porte à faux est sou-
lagé par les liens e» Au niveau de chaque plancher la bretèche est reliée
à la construction principale par le solivage (voy. la seconde enrayure D,
prise au niveau d'). Les têtes des poteaux corniers de bretèche E reçoivent
les deux chapeaux horizontaux h dans lesquels s'assemblent les sablières^
(voy. le plan F de la dernière enrayure, pris au niveau /;. Un petit ap-
pentis de madriers recouverts d'ardoise ou d'essente, et posés sur les
royaux i, garantit la partie inférieure de la bretèche et sert d'abri. Cette
sorte de construction donnait beaucoup d'agrément aux maisons, en ce
qu'elle permettait de voir à couvert dans la longueur de la rue. Les pans
de bois latéraux portaient les poutres transversales sur lesquelles repo-
saient les solives des planchers. Celles-ci retenaient ainsi le dévers du pan
de bois de face, leurs abouts étant engagés entre deux sablières ou colom-
Mle$, comme on appelait alors ces pièces horizontales.
L'assemblage des poteaux C, milieux des faces des bretèches contre les
grands poteaux corniers B, mérite d'être détaillé. Le poteau cornier B
montant de fond (flg. 9) est largement chanfreiné sur son arête formant
' Le ThéAtre de i^ari du charpentier^ enrichi de diverses figures avec t interprétation
'^Keliesy faict et dressé par Mathurin Jousse de (a Flèche, 1627,
l'angle externe, comme il est indiqué en 0. Un repos P sur cette aréle esl
— Ù9 -^ [ PAN DB B0I8 ]
ménagé dans la masse, sous le chanrrein, qui a comme largeur la lar-
geur de l'une des faces du poteau de milieu G de la bretèche. Sur ce
repos P est posée à cul la chandelle M dont les deux languettes R vienaent
\
sasserabler dans les deux mortaises du poteau cornier. Sur cette chan-
delle un blochet N s'assemble à tenon et mortaise, et est maintenu en
oulfe par un tenon n tombant dans la mortaise n'. Ce blochet N reçoit,
dans une mortaise e, le tenon e' du poteau G, et dans deux mortaises laté-
rales les tenons des entreloises S. Le blochet N porlc en outre la petite
'oolrs-flche formant appentis. Des prisonniers G, de bois dur, chevillés
?ii. — 7
[ PARVIS ] — 50 —
dans le poicau B cornier et dans le poteau C, de distance en distance,
rendent ces deux poteaux solidaires. Tous les autres assemblages du
pan de bois sont fiiciles à comprendre et n'ont pas besoin d'être expli-
qués.
Vers le milieu du xv® siècle, on adopta un système de pans de bois qui
présentait une grande puissance, mais qui exigeait une main-d'œuvre
compliquée. Il consiste en un treillis de pièces assemblées à mi-bois, de
façon à former une série de losanges. C'est ainsi que sont disposés les
quatre pans de bois qui, après l'incendie des charpentes de la cathédrale
de Reims, en 1481, furent destinés à porter une flèche de charpente
qu'on n'éleva jamais. Vers le milieu du xvi'' siècle on façonna des pans de
bois de face d'habitations privées, d'après ce système qui fut suivi jusque
sous Louis XIII. On construisait alors aussi des pans de bois dits en brins
de fougère, ainsi que l'indique Mathurin Jousse dans son œuvre publiée
pour la première fois en 1627. Plusieurs maisons de Rouen et d'Orléans
nous montrent encore des façades en pans de bois ainsi combinées, et qui
présentent une grande solidité en ce qu'ils acquièrent une rigidité par-
faite. Si on les compare à ces ouvrages, nos pans de bois modernes enduits
sont très-grossiers et n'ont qu'une durée très-limitée.
PANNE, s. f. Pièce de charpente posée horizontalement sur les arbalé-
triers des combles, et destinée à porter les chevrons. La plupart des
combles taillés pendant le moyen âge se composent d'une suite de che-
vrons portant ferme, dépourvus de pannes par conséquent (voy. Char-
pente). Cependant les charpentiers de cette époque faisaient, dans cer-
tains cas, usage des pannes. L'emploi des pannes devint fréquent dès que
l'on dut économiser les bois de grande longueur,
PARPAING, s. m. Se dit d'une pierre faisant l'épaisseur d'un mur. Pen-
dant le moyen âge on employait rare-
ment les parpaings. Presque tous les
murs en pierre de taille se composaient
de carreaux et de boutisses. Les pierres A
(voy. la fig.) sont des carreaux; les pier-
res B, des boutisses; les pierres C, des parimings. (Voy. Construction.)
»
PARVIS, s. m. Nous ne discuterons pas les étymologies plus ou moins
ingénieuses qui ont pu donner naissance à ce mot. On appelle parvis, un
espace enclos, souvent relevé au-dessus du sol environnîint, une sorte de
plate-forme qui précède la façade de quelques églises françaises.
Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Reims, possédaient leur parvis.
Quelques églises conventuelles ont parfois devant leur façade des parvis,
mais ces derniers avaient un caractère particulier.
Le parvis est évidemment une tradition de l'antiquité : les temples des
E
A
C
— 51 — [ PARVIS 1
Grecs étaient habituellement précédés d'une enceinte sacrée dont la clô-
ture n'était qu'une barrière à hauteur d'appui.
Les Romains suivirent cet exemple, et nous voyons sur une médaille
frappée à l'occasion de l'érection du temple d'Antonin et Faustine, à
Rome S la façade du monument, devant laquelle est figurée une barrière
avec porte. Ces enceintes ajoutaient au respect qui doit entourer tout
édifice religieux^ en isolant leur entrée, en la séparant du mouvement de
la voie publique. Dn des plus remarquables parvis de l'époque romaine
est celui qu'Adrien éleva en avant du temple du Soleil, àBaalbek. Ce par-
vis était entouré de portiques avec exèdres couverts, et était précédé
d'une avant-cour à six côtés, avec péristyle et large emmarchement.
Les premières basiliques chrétiennes possédaient également une cour
entourée de portiques, en avant de leur façade, et au milieu de cette
cour étaient placés quelques monuments consacrés, tombeaux, puits,
fontaines, statues.
Le parvis de nos cathédrales n'est qu'un vestige doces traditions ; mais
la cathédrale française, à dater de la fin du xii* siècle, se manifeste comme
nn monument accessible, fait pour la cité, ouvert à toute réunion : aussi
le parvis n'est plus qu'une simple délimitation, il ne se ferme pas; il n'est,
à proprement parler, qu'une plate-forme bornée par des ouvrages à claire-
voie peu élevés, nepouvantopposer un obstacle à la foule. C'est un espace
résené à la juridiction épiscopale, devant l'église mère.
C'était dans l'enceinte du parvis que les évoques faisaient dresser ces
échelles sur lesquelles on exposait les clercs qui, par leur conduite,
avaient scandalisé la cité ; c'était aussi sur les dalles du parvis que certains
coupables devaient faire amende honorable. C'était encore sur le parvis
qu'on apportait les reliques à certaines occasions, et que se tenaient les
clercs d*un ordre inférieur pendant que le chapitre entonnait le Gloi'ia
du haut des galeries extérieures de la façade de l'église cathédrale.
Nous n'avons sur la forme de l'ancien parvis de Notre-Dame de Paris
que des données assez vagues. Au xvi* siècle, il ne consistait qu'en un
petit mur d'appui avec trois entrées, l'une en face du portail, donnant à
côté de la chapelle de Saint-Christophe ; celle de gauche s'ouvrant près
delà fiiçade de Saint-Jean le Rond, et la troisième en regard, descendant
»Ma Seine ^. Ce mur d'appui n'avait pas plus de quatre pieds de haut. Le
sol du parvis de la cathédrale de Paris était au niveau du sol intérieur de
l'église, si ce n'est du côté gauche, au droit de la porte de la Vierge, où il
s'abaissait de 30 à ^0 centimètres ^. Du parvis on descendait sur la berge
de la rivière, avant la construction du pont, par un degré de treize mar-
* Diva Faustixa. Sur le revers, Aeternitas. Autour de l'image du temple, S. C.
* Voyeï le plan de Paris gravé sur bois, joint aux Recherches de Belleforest; le plan
de Mérian, la tapisserie de l'Hôtel de viUe, et la gravure de la façade de Notre-Dame
de Van Iferlen.
' Cot ancien f»ol a été découvert en 1847.
[ PARVIS ] — 52 —
ches. C'est ce qui a fait supposer que devant la façade de l'église s'éten-
dait un perron de Ireize marches. Il est îi croire que du côté du Marché-
Neuf, on descendait également plusieurs marches pour arriver ù la voie
publique qui passait entre l'Hôtel-Dieu et la chapelle Saint-Christophe ;
mais ce degré dut être supprimé dès le xiv*" siècle, puisque alors les gens
à cheval pouvaient arriver sur le sol même du parvis. L'enceinte avait
environ 35 mètres de large sur autant de longueur *.
Le parvis de la cathédrale de Reims, beaucoup moins étendu que celui
de Notre-Dame de Paris, demeura entier jusqu'au sacre de Louis XVI.
C'était une charmante clôture dont il reste une amorce le long du contre-
fort extérieur à la gauche de la façade. Des dessins et des gravures de
cette clôture existent encore, et nous permettent de la restituer. Le plan
du parvis de Notre-Dame de Reims ne présentait pas un parallélogramme,
mais un trapèze, ainsi que le fait voir le plan, figure 1 . Il n'était point
relevé au-dessus du sol de la voie publique, comme l'était le parvis de la
cathédrale de Paris, et le grand degré montant au portail était posé à
l'intérieur de l'enceinte , devant le contre-fort. Le pan coupé A (voy. le
plan) avait été ménagé afin de faciliter l'accès vers l'entrée des cloîtres,
situés sur le ilanc nord de la nef.
L'enceinte se composait de pilettes portant un appui avec pinacles aux
entrées et aux angles, c'est-à-dire en B. Nous donnons en C le détail de
cette clôture à l'extérieur, et en D sa coupe. Les deux pinacles B' de cha-
que côté de l'entrée principale étaient surmontés de supports avec écus-
sons ; des fleurons G amortissaient les autres pinacles.
Le parvis de la cathédrale d'Amiens est relevé ; mais sa clôture, si ja-
mais elle a été faite, n'existe plus depuis longtemps'^.
Les parvis des églises conventuelles dont les façades donnaient sur une
place publique étaient souvent établis en contre-bas du sol extérieur : tel
était le parvis de l'église abbatiale de Saint-Denis ^. L'église abbatiale de
Sainte-Radegonde, à Poitiers, a conservé encore cett« disposition fort
ancienne, mais rétablie vers la fin duxv*" siècle. La figure 2 présente une
vue à vol d'oiseau de la moitié de ce parvis, l'axe étant en A. Deux des-
centes sont ouvertes sur la face. Le terrain s'inclinait vers le portail de
l'église ; deux autres entrées sont pratiquées latéralement de plain-pied.
Des figures d'anges agenouillés, tenant des écussons armoyés, surmon-
tent les bahuts des deux entrées de face vers l'extérieur. Des animaux,
chiens et lions, amortissent les angles des entrées latérales et le revers
des bahuts des entrées de face. Un ressaut avec écusson se présente
1 Nous avons pu, sur plusieurs points, retrouver les fondations de cette enceinte. Des
restes romains existent sous toute la surface de la place actuelle, immédiatement sous le
pavé : ce qui prouve que le sol du parvis était au niveau du dallage de l'église.
'^ Ce parvis, devenu inabordable, doit être prochainement restauré.
3 Nous avons trouvé des traces du dullagc de ce parvis, auquel on descendait évident-
ment dès une époque ancienne, c'est-ànJirc du temps de Suger.
[ PARVIS ]
Fi
^
dans l'axe. Une coupe (Ag. 3) f^ite sur l'un des degrés de Tace donne
[ PABVIS 1 — oU —
le détail de la dispo^itiun de celle clâliire. Des bnncs garnissent tout le
bahut du cAté intérieur. Le lerre-plein du parvis était dallé, les i
s'écoutant par les issues latérales.
Il n'est pas besoin de faire ressortir l'clTet monumental de ces aires
clôturées en avant des églises. Quelquefois, comme devant le portail de
l'église abbatiale de Cluny, une croix de pierre était plantée au milieu du
— 55 — [ PAVAGE ]
parvii>; des lombes étaient élevées dans l'enceinte. Ces dispositions, comme
la plupart de celles qui tenaient à la dignité des églises cathédrales ou
abbatiales^ furent bouleversées par les abbés et les chapitres pendant le
dernier siècle. Ces emplacements furent livrés, moyennant une rede-
vance, à des marchands, les jours de foire, puis bientôt se couvrirent
d'échoppes permanentes. Pour quelques rentes, le clergé des cathédrales
et des abbayes aliénait ainsi les dépendances de Téglise ; le premier
il portait le marteau sur tout ce qui devait inspirer le respect pour les
monuments sacrés.
PATIENCE, s. f. [misMcorde). Petit siège en forme de cul-dc-lampe,
placé sous la tablette mobile des stalles, et servant de point d'appui lors-
que celle-ci est relevée. (Voy. Stallb.)
PAVAGE, s. m. Le pavage des voies publiques, des places, des cours
des palais, est un travail qu'on ne voit entreprendre que dans un État
civilisé. Les Romains apportaient, comme chacun sait, une grande at-
tention aux pavages des rues des villes, et partout où ils ont séjourné,
on retrouve de ces grandes pierres dures, granit, grès, lave, basalte, po-
sées irrégulièrement au moyen d'une sauterelle, et formant, sur une cou-
che de béton, une surface assez unie et d'un aspect monumental. Ces
pavages, établis de manière à durer plusieurs siècles, servirent en effet jus-
que pendant les premiers temps du moyen âge. Peu à peu, n'étant pas
renouvelés ni môme entretenus, ils se dégradèrent, furent remblayés,
afln de boucher les ornières les plus profondes, et disparurent sous une
épaisse couche de boue ou de poussière. Les grandes voies des villes
gallo-romaines, pendant la période cariovingienne, conservèrent tant
bien que mal les pavages antiques, mais les égouts s'obstruaient, les pavés
s'écrasaient, et ces voies ne formaient plus que des cloaques immondes.
Cependant, déjà au xii* siècle, on pavait
certaines places ou des voies fréquen-
tées.
Nous avons retrouvé parfois des restes
de ces pavages, faits habituellement de
petits cubes de grès ou de pierre résis-
tante» (fig. 1).
Philippe-Auguste passe pour avoir fait
paver les rues de Paris au moyen de gran-
des pierres de grès*. Guillaume le Breton
prétend que ce pavage était fait de pierres
carrées et assez grosses. Il n'existe pas
trace de ce pavé. Lorsque, il y a quelques années, on découvrit les fonda-
» Dans la cité, à Paris ; à Vczclay, ù Sentis, à Provins, à Coiicy-lc-Chàlcau.
^ Guillaume de Naugis, Chronicon, 1184, édit. de la Société de l'histoire de Fn^uce,
*' 1, p. 78.
1
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-V0-»
[ PEINTURE ] — 56 —
lions du petit Châtelet pour rebâtir le Petit-Pont, on enleva une assez
grande quantité de pavés de grès posés à 1 mètre en contre-bas du soi
actuel. Ces pavés avaient environ 0",^0 carrés et 0",20 d'épaisseur. Très-
usés sur leur face externe, ils avaient dû servir pendant un assez long
temps, et dataient probablement de l'époque de la construction du Châ-
telet (fin du xiii* siècle). Pendant les xv* et xvi* siècles on employait fré-
quemment les cailloux pour paver les voies publiques, les cours et les
places. Ces cailloux étaient damés sur un fond de sable, ainsi que cela se
pratique encore dans quelques villes du midi de la France, notamment
à Toulouse. A Paris, la rue de la Juiverie avait été repavée d'après ce sys-
tème et comme essai, pendant la Ligue.
Quand les pentes étaient roides, on pavait les voies au moyen de pier-
res dures posées de champ. Nous avons découvert des pjivésde ce genre,
en bon état de conservation, aux alentours du château de Pierrefonds.
Les étages inférieurs des habitations étaient souvent pavés, et Ton voyait
encore des maisons du moyen âge, il y a peu d'années, dont le sol à rez-
de-chaussée était couvert de petits cubes de pierre de 0",10 de côté en-
viron, posés jointifs sur une aire de mortier ou de ciment.
PEINTURE, s. f. Plus on remonte vers les temps antiques, plus on recon-
naît qu'il existait une alliance intime entre Tarchitecture et la peinture.
Tous les édifices de l'Inde, ceux de l'Asie Mineure, ceux d'Egypte, ceux
de la Grèce, étaient couverts de peintures en dedans et au dehors. L'ar-
chitecture des Doriens, celles de l'Attique, de la Grande-Grèce et de
l'Étrurie étaient peintes. Les Romains paraissent avoir été les premiers
qui aient élevé, sous l'empire, des monuments de marbre blanc ou de
pierre sans aucune coloration ; quant à leurs enduits de stuc, ils étaient
colorés à l'extérieur comme à l'intérieur. Les populations barbares de
l'Europe septentrionale et occidentale peignaient leurs maisons et leurs
temples de bois, et les Scandinaves prodiguaient les couleurs brillantes
et les dorures dans leurs habitations.
Nous devons seulement ici constater ces faits bien connus aujourd'hui
des archéologues, et ne nous occuper que de la peinture appliquée à
l'architecture française du moyen âge. Alors, comme pendant la bonne
antiquité, la peinture ne parait pas avoir été jamais séparée de l'archi-
tecture. Ces deux arts se prêtaient mutuellement secours, et ce que nous
appelons le tableau n'existait pas, ou du moins n'avait qu'une importance
très-secondaire. Grégoire de Tours signale, à plusieurs reprises, les pein-
tures qui décoraient les édifices religieux et les palais de son t«mps. «ës-
c( tu (disent, à Gondovald, les soldats qui assiègent la ville de Commin-
a ges), es-tu ce peintre qui, au temps du roi Glotaire, barbouillait en treillis
a les murailles et les voûtes des oratoires * ? » Quand ce prélat répara
1 « Tune es pictor ille, qui, lempore Ghlotfaacharii régis, per oratoria parietes atqu6
« caméras caraxabas. » (Greg. Turon., Hist, Franc. ^ iib. Vil, cap. xxxvi.)
— 57 — [ PEINTURE ]
les basiliques de Saint-Perpétue, à Tours, il les lit « peiudre et décorer
par les ouvriers du pays avec tout l'éclat qu'elles avaient ancienne-
ment' ». Cet usage de peindre les édifices fut continué pendant toute la
période carlovingienne, et Frodoard nous apprend que TévêqucHincmar,
reconstruisant la cathédrale de Reims, a orna la voûte de peintures,
éclaira le temple par des fenêtres vitrées, et le fit paver de marbre * ».
Les recherches faites sur l'architecture dite romane constatent que la
peinture était considérée comme l'achèvement nécessaire de tout édifice
civil et religieux, et alors s'appliquait-elle de préférence à la sculpture
d'ornement ou à la statuaire^ aux moulures et profils, comme pour en
faire ressortir l'importance et la valeur. Toutefois, dès que cette archi-
tecture prend un caractère original, qu'elle se dégage des traditions gallo-
romaines, c'est-à-dire vers la fin du xi** siècle, la peinture s'y applique
suivant une méthode particulière, comme pour en faire mieux saisir les
proportions et les formes. Nous ne savons pas trop comment, suivant
quel principe, la peinture couvrait les monuments carlovingiens en Oc-
cident, et nous n'avons guère, pour nous guider dans ces recherches, que
certaines églises d'Italie, comme Saint-Vital de Ravenne, par exemple,
quelques mosaïques existant encore dans des basiliques de Rome ou de
Venise ; et dans ces restes l'effet des colorations obtenues au moyen de
ces millions de petits cubes de verre ou de pierre dure juxtaposés, n'est
pas toujours d'accord avec les formes de l'architecture. D'ailleurs ce mode
de coloration donne aux parois, aux voûtes, un aspect métallique qui ne
s'harmonise ni avec le marbre, ni, à plus forte raison, avec la pierre ou
le stuc des colonnes, des piliers, des bandeaux, soubassements, etc. La
mosaïque dite byzantine a toujours quelque chose de barbare ; on est
surpris, préoccupé ; ces tons d'une intensité extraordinaire, ces reflets
étranges qui modifient les formes, qui détruisent les lignes, ne peuvent
convenir à des populations pour lesquelles l'architecture, avant tout, est
un art de proportions et de combinaisons de lignes. Il est certain que les
Grecs de l'antiquité, qui cependant regards^ient la coloration comme né-
cessaire à l'architecture, était trop amants de la forme pour avoir admis
la mosaïque dite byzantine dans leurs monuments, ils ne connaissaient
la peinture que comme une couverte unie, mate, fine, laissant aux lignes
leur pureté, les accentuant même, exprimant les détails les plus délicats.
La peinture appliquée à l'architecture ne peut procéder que de deux
manières : ou elle est soumise aux lignes, aux formes, au dessin de la
structure; ou elle n'en lient compte, et s'étend indépendante sur les
parois, les voûtes, les piles et les profils.
Dans le premier cas, elle fait essentiellement partie de l'architecture;
' « Basilicas saiicli Perpctui adusias iuceudio reperi^ quas in illo uilorc vel pin|;i,Vcl
« exornari, ut prius fucraiit, arlilicuiii nustroniin opère, iinperavi. » [\aU. X, cap. xxxi,
* Frodoard, //i>/. fie f église ffe Heimny chap. v.
vu. - 8
[ PEINTURE ] — 58 —
dans le second, elle devient une décoration mobilière, si Ton peut ainsi
s'exprimer, qui a ses lois particulières et détruit souvent Teffet architec-
tonique pour lui substituer un effet appartenant seulement à Tart du
peintre. Que les peintres considèrent ce dernier genre de décoration pic-
turale comme le seul bon, cela n'a rien qui doive surprendre; mais que
l'art y gagne, c'est une question qui mérite discussion. La peinture ne
s'est séparée de l'architecture qu'à une époque très-récente, c'est-à-dire
au moment de la renaissance. Du jour que le tableau, la peinture isolée,
faite dans l'atelier du peintre, s'est substituée à la peinture appliquée sur
le mur qui doit la conserver, la décoration archi tectonique peinte a été
perdue. L'architecte et le peintre ont travaillé chacun de leur côté, creu-
sant chaque jour davantage l'abîme qui les séparait, et quand par hasard
ils ont essayé de se réunir sur un terrain commun, il s'est trouvé qu'ils
ne se comprenaient plus, et que voulant agir de concert, il n'existait plus
de lien qui les pût réunir. Le peintre accusait l'architecte de ne lui avoir
pas ménagé des places convenables, et l'architecte se croyait en droit de
déclarer que le peintre ne tenait aucun compte de ses dispositions archi-
tectoniques. Cette séparation de deux arts autrefois frères est sensible,
quand on jette les yeux sur les essais qui ont été faits de nos jours pour
les accorder. Il est clair que dans ces essais l'architecte n'a pas conçu,
n'a pas vu l'effet que devait produire la peinture appliquée sur les sur-
faces qu'il préparait, et que le peintre ne considérait ces surfaces que
comme une toile tendue dans un atelicrmoins commode que le sien, ne
s'inquiétant guère d'ailleurs de ce qu'il y aurait autour de son tableau.
Ce n'est pas ainsi que l'on comprenait la peinture décorative pendant le
moyen âge, ni môme pendant la renaissance, et Michel-Ange, en pei-
gnant la voûte de la chapelle Sixtine, ne s'isolait pas, et avait bien la
conscience du lieu, de la place où il travaillait, de l'effet d'ensemble qu'il
voulait produire. De ce qu'on peint sur un mur au lieu de peindre
sur une toile, il ne s'ensuit pas que l'œuvre soit une peinture monumen-
tale, et presque toutes les peintures murales produites de notre temps ne
sont toujours, malgré la différence du procédé, que des tableaux ; aussi
voyons-nous que ces peintures cherchent un encadrement, qu'elles se
groupent en scènes ayant chacune un point de vue, une perspective par-
ticulière, ou qu'elles se développent en processions entre deux lignes ho-
rizontales. Ce n'est pas ainsi non plus qu'ont procédé les anciens maîtres
mosaïstes, ni les peintres occidentaux du moyen âge. Quant à la pein-
ture d'ornement, le hasard, l'instinct, l'imitation, servent seuls aujourd'hui
de guides, et neuf fois sur dix il serait bien difficile de dire pourquoi tel
ornement prend cette forme plutôt que telle autre, pourquoi il est rouge
et non pas bleu. On a ce qu'on appelle du goût, et cela suffit, croit-on,
pour décorer d'enluminures l'intérieur d'un vaisseau ; ou bien on recueille
partout des fragments de peintures, et on les applique indifféremment,
celui-ci qui était sur une colonne, à une surface plane, cet autre qu'on
voyait sur un tympan, à un soubassement. Le public, eflarouché par ces
— 59 — [ PEINTURE ]
bariolages, ne trouve pas cola d'im bon offel, nnais on lui démontre que
les décorateurs du moyen dge ont été scrupuleusement consultés, et ce
nu*mc public en.conclut que les décorateurs du moyen âge étaient des
barbares, ce que d'ailleurs on lui accorde bien volontiers.
Dans la décoration de l'architecture, il faut convenir, il est vrai, que
la peinture est la partie la plus difficile peut-être et celle qui demande
le plus de calculs et d'expérience. Alors qu'on peignait tous les inté-
rieurs des édifices, les plus riches comme les plus pauvres, on avait né-
cessairement des données, des règles qu'on suivait par tradition ; les
artistes les plus ordinaires ne pouvaient ainsi s'égarer. Mais aujourd'hui
ces traditions sont absolument perdues, chacun cherche une loi incon-
nue ; il ne faut donc pas s'étonner si la plupart des essais tentés n'ont pro-
duit que des résultats peu satisfaisants.
Le XII* siècle atteint l'apogée de l'art de la peinture architectonique
pendant le moyen âge en France; les vitraux, les vignettes des manu-
scrits et les fragments de peintures murales de cette époque accusent un
art savant, très-avancé, une singulière entente de l'harmonie des tons, la
coïncidence de cette harmonie avec les formes de l'architecture. Il n'est
pas douteux que cet art s'était développé daiïs les cloîtres et procé-
dait de l'art grec byzantin. Alors les étoffes les plus belles, les meubles,
les ustensiles colorés, un grand nombre de manuscrits môme, rapportés
d'Orient, étaient renfermés dans les trésors et les bibliothèques des cou-
vents, et servaient de modèles aux moines adonnés aux travaux d'art.
Plus tard, vers la fin du xii* siècle, lorsque l'architecture sortit des mo-
nastères et fut pratiquée par l'école laïque, il se fit une révolution dans
l'art de la peinture, qui, sans être aussi radicale que celle opérée dans
l'architecture, modifia profondément cependant les principes posés par
l'école monacale.
Sans parler longuement de quelques fragments de peinture à peine
visibles, de linéaments informes qui apparaissent sur certains monu-
ments avant le xi*" siècle, nous constaterons seulement que dès l'époque
gallo-romaine, c'est-à-dire vers le iv* siècle, tous les monuments parais-
sent avoir été peints en dedans et en dehors. Cette peinture était appli-
quée, soit sur la pierre même, soit sur un enduit couvrant des murs
de maçonnerie, et elle ne consistait, pour les parties élevées au-dessus du
sol, qu'en une sorte de badigeon blanc^ ou blanc jaunâtre, sur lequel
étaient tracés des dessins très-déliés en noir ou en ocre rouge. Près du
sol apparaissent des tons soutenus, brun rouge, ou même noirs, relevés
de quelques filets jaunes, verdàtresou blancs. Les sculptures elles-mêmes
étaient couvertes de ce badigeon d'une faible épaisseur, les ornements
se détachant sur des fonds rouges et souvent rehaussés de traits noirs et
de touches jaunes ^ Ce genre de décoration peinte parait avoir étélong-
1 Nous avons vu beaucoup de traces de ces sortes de peintures sur des fragments de
monuments gallo-romains des bas temps; malheureusement ces traces disparaissent
prompiciûeDt au contact de Tair.
[ PEINTURE J — 60 —
temps pratiqué dans les Gaules et jusqu'au moment où Charlcmagne fit
venir des artistes d'Italie et d'Orient. Celle dernière influence étrangère
ne fut pas la seule cependant qui dut conduire à l'art de la peinture
monumentale, tel que nous le voyons se développer au xii*^ siècle. Les
Saxons, les Normands, couvraient d ornements peints leurs maisons, leurs
ustensiles, leurs armes et leurs barques; et il existe dans la bibliothèque
du Musée Britannique des vignettes de manuscrits saxons du xi*^ siècle qui
sont, comme dessin, comme finesse d'exécution et comme entente de
l'harmonie des tons, d'une beauté surprenante *. Cet art venait évidem-
ment de l'Inde septentrionale, de ce berceau commun à tous les peuples
qui ont su harmoniser les couleurs. La facilité avec laquelle les Nor-
mands, à peine établis sur le sol de la Gaule, exercèrent et développèrent
môme l'art de l'architecture, la façon de vivre déjà raffinée à laquelle les
Saxons étaient arrivés en Angleterre au moment de l'invasion de Guil-
laume le Bâtard, indiquent assez que ces peuples avaient en eux autre
chose que des instincts de pillards, et qu'ils provenaient de fiimilles pos-
sédant depuis longtemps certaines notions d'art. Mais d'abord il est né-
cessaire de bien s'entendre sur ce qu'est l'art de la" peinture appliqué à
l'architecture. De notre temps on a mis une si grande confusion en toutes
ces questions d'art, qu'il est bon de poser d'abord les principes. Ce qu'on
entend par un peuple de coloristes (pour me servir d'une expression
consacrée, si mauvaise qu'elle soit), c'est-à-dire les Vénitiens, les Fla-
mands par exemple., ne sont pas du iouicolojnstes à la façon des populations
du Tibet, des Hindous, des Chinois, des Japonais, des Persans et même
des Égyptiens de l'antiquité. Obtenir un eff'et saisissant dans un tableau,
par le moyen de sacrifices habilement faits, d'une exagération de certains
tons donnés par la nature, d'une entente très-délicate, des demi-teintes,
comme peuvent le faire, ou Titien, ou Rembrandt, ou Metzu, et faire
un châle du Tibet, ce sont deux opérations très-distinctes de l'esprit. 11
n'y a qu'un Titien, il n'y a qu'un Rembrandt- et qu'un Metzu, et tous les
tisserands de l'Inde arrivent à faire des ccharpes de laine qui, sans
exception aucune, donnent des assemblages harmoniques de couleurs.
Pour qu'un Titien ou qu'un Rembrandt se développe, il faut un milieu
social extrêmement civilisé de tous points ; mais le Tibétain le plus igno-
rant, vivant dans une cabane de bois, au milieu d'une famille misé-
rable comme lui, tissera un châle dont le riche assemblage de couleurs
charmera nos yeux et ne pourra ôtre qu'imparfaitement imité par nos
fabriques les mieux dirigées. L'état plus ou moins barbare d'un peuple,
à notre point de vue, n'est donc pas un obstacle au développement d'une
certaine partie de l'art de la peiniure applicable à la décoration monu-
mentale; mais il ne faut pas conclure cependant de ce qu'un peuple est
très-civilisé, qu'il ne puisse arriver ou revenir à cet art monumental;
témoin les Maures d'Espagne, gens très-civilisés, qui ont produit en fait
' Voyez, entre autres, le manuscr. de la bibliotli. Golt. Ncro, D, IV, Évangr. lat. s«ax.
— 61 — [ PEINTURE J
de peinture appliquée à rurchiteclure d'excellents niodèles; et de ce
que Tart du peintre, comme on l'entend depuis le xvi* siècle, arrive à
un degré trcs-élevé de perfection, on ne puisse en môme temps posséder
une peinture architectonique : témoin les Vénitiens des xv* et xvi'' siè-
cles. Une seule conclusion est à tirer des observations précédentes : c'est
que l'art du peintre de tableaux et l'art du peintre appliqué à l'architec-
ture procèdent différemment; que vouloir mêler ces deux arts, c'est
tenter l'impossible. Quelques lignes suffiront pour faire ressortir cette
impossibilité. Qu'est-ce qu'un tableau? C'est une scène qu'on fait voir
au spectateur à travers un cadre, une fenêtre ouverte. Unité de point
de vue, unité de direction de la lumière, unité d'effet. Pour bien voir un
tableau, il n'est qu'un point, un seul, placé sur la perpendiculaire élevée
du point de l'horizon qu'on nomme point visuel. Pour tout œil délicat,
regarder un tableau en dehors de cette condition unique est une souf-
france, comme c'est une torture de se trouver devant une décoration de
théâtre au-dessus ou au-dessous de la ligne de l'horizon. Beaucoup de
gens subissent cette torture sans s'en douter, nous l'admettons; mais ce
n'est pas sur la grossièreté des sens du plus grand nombre que nous pou-
vons établir les règles de l'art.
Partant donc de cette condition rigoureuse imposée au tableau, nous
ne comprenons pas un tableau, c'est-à-dire une scène représentée sui-
vant les règles de la perspective, de la lumière et de l'effet, placé de
telle façon que le spectateur se trouve à li ou 5 mètres au-dessous de son
horizon, et bien loin du point de vue adroite ou à gauche. Les époques
brillantes de l'art n'ont pas admis ces énormités : ou bien les peintres
(comme pendant le moyen ûge) n'ont tenu compte, dans les sujets peints
à toutes hauteurs sur les murs, ni d'un horizon, ni d'un lieu réel, ni de
Feffel perspectif, ni d'une lumière unique; ou bien ces peintres (comme
ceux du XVI* et duxvn' siècle) ont résolument abordé la difficulté en tra-
çant les scènes qu'ils voulaient représenter sur les parois ou sous le pla-
fond d'une salle, d'après une perspective unique, supposant que tous les
personnages ou objets que l'on montrait au spectateur se trouvaient
disposés réellement où on les figurait, et se présentaient par conséquent
sous un aspect déterminé par cette place même. Ainsi voit-on, dans des
plafonds de cette époque, des personnages par la plante des pieds, cer-
taines ligures dont les genoux cachent la poitrine. Naturellement celte
façon de tromper l'œil eut im grand succès. Il est clair cependant que
si, dans cette manière de décoration monumentale, l'horizon est sup-
posé placé à 2 mètres du sol, à la hauteur réelle de l'œil du spectateur,
il ne peut y avoir sur toute cette surface horizontale supposée à 2 mètres
du pavé, qu'un seul point de vue. Or, du moment qu'on sort de ce point
unique, le tracé perspectif de toute la décoration devient faux, toutes
les lignes paraissent danser et donnent le mal de mer aux gens qui
ont pris l'habitude de vouloir se rendre compte de ce que leurs yeux
leur font percevoir. Quand l'art en vient à tomber dans ces erreurs.
[ PEINTURE ] — 62 —
î\ vouloir sortir du domaine qui lui csl assigné, il cesse bientôt d'exister;
c'est le saut périlleux qui remplace Téloquêiice, le jongleur qui prend la
place de Torateur. Mais encore les cirtisles qui ont adopté ce genre de
peinture décorative ont pu admettre un point, un seul disons-nous, d'où
le spectateur pouvait, pensaient-ils, éprouver une satisfaction complète ;
c'était peu, sur toute la surface d'une salle, de donner un seul point
d'où Ton pût en saisir parfaitement la décoration, mais enfin c'était
quelque chose. Les scènes représentées se trouvaient d'ailleurs enca-
drées au milieu d'une ornementation qui elle-même affectait la réalité
de reliefs, d'ombres et de lumières se jouant sur des corps saillants.
C'était un système décoratif possédant son unité et sa raison, tandis
qu'on ne saurait trouver la raison de ce parti de peinture, par exemple,
qui, à côté de scènes affectant la réalité des effets, des ombres et des
lumières, delà perspective, place des ornements plats composés de tons
juxtaposés. Alors les scènes qui admettent l'effet réel produit par le
relief et les différences de plans sont en dissonance complète avec cette
ornementation plate. Ce n'était donc pas sans raison que les peintres du
moyen âge voyaient dans la peinture, soit qu'elle figurât des scènes, soit
qu'elle ne se composât que d'ornements, une surface qui devait tou-
jours paraître plane, solide, qui était destinée non à produire une illusion,
mais une harmonie. Nous admettons qu'on préfère la peinture en
trompe-l'œil de la voûte des Grands Jésuites à Rome à celle de la voûte
de Saint-Savin, près de Poitiers; mais ce que nous ne saurions admettre,
c'est qu'on prétende concilier ces deux principes opposés. Il faut opter
pour l'un des deux.
Si la peinture et l'architecture sont unies dans une entente intime de
Yart pendant le moyen âge, à plus forte raison la peinture de figures et
celle d'ornements ne font-elles qu'une seule et même couverte décorative.
Le même esprit concevait la composition de la scène et celle de l'orne-
mentation, la même main dessinait et coloriait Tune et l'autre, et les
peintures monumentales ne pouvaient avoir l'apparence de tableaux
encadrés de papier peint, comme cela n'arrive que trop souvent aujour-
d'hui, lorsqu'on fait ce qu'on veut appeler des peintures murales, les-
quelles ne sont, à vrai dire, que des tableaux collés sur un mur, entourés
d'un cadre qui, au lieu de les isoler comme le fait le cadre banal de bois
doré, leur nuit, les éteint, les réduit à l'état de tache obscure ou claire,
dérange l'effet, occupe trop le regard et gêne le spectateur. Quand la pein-
ture des scènes, sur les murs d'un édifice, n'est pas traitée comme l'or-
nementation elle-même, elle est forcément tuée par celle-ci; il faut,
ou que l'ornementation soit traitée en trompe-l'œil, si le sujet entre dans
le domaine de la réalité, ou que le sujet -soit traité comme un dessin
enluminé, si l'ornementation est plate.
Ces principes posés, nous nous occuperons d'abord de la peinture mo-
numentale des sujets. Nous avons dit que l'art grec avait été la pre-
mière école de nos peintres occidentaux au point de vue de l'iconogra-
— 63 — [ PEINTURE ]
pbieet au point de vue de Texécution. Cependant, dès le xi' siècle en
France (et il ne nous reste pas de peinture monumentale de sujets anté-
rieurs à cette époque), on reconnaît, dans la manière dont est traité le
dessin, une indépendance, une vérité d'expression dans le geste qu'on
n'aperçoit point dans les peintures dites byzantines de la même époque.
Pour retrouver cette indépendance dans la peinture grecque, il faut
feuilleter les manuscrits byzantins des viii* et ix* siècles'; plus tard cet
art grec s'immobilise, et tombe dans une routine étroite dont il ne sort
plus. Non-seulement nos artistes du xi* siècle prennent leurs modèles
dans les peintures du style grec, mais ils s'emparent même des procédés
matériels adoptés par les Byzantins ; nous en trouvons la preuve évidente
dans le traité du moine Théophile qui vivait au xii*" siècle. L'ébauche des
peintures de l'église de Saint-Savin^ a été faite au pinceau; elle consiste
en des traits brun-rouge. « Les couleurs ont été appliquées par larges
« teintes plates, sans marquer les ombres, au point qu'il est impossible
a (le déterminer de quel côté vient la lumière. Cependant, en général,
a les saillies sont indiquées en clair et les contours accusés par des teintes
« foQcées ; mais il semble que l'artiste n'ait eu en vue que d'obtenir ainsi
« une espèce de modèle de convention, à peu près tel que celui qu'on
« voit dans notre peinture d'arabesques. Dans les draperies, tous les plis
«sont marqués par des traits sombres (brun-rouge), quelle que soit la
«couleur de l'étoffe. Les saillies sont accusées par d'autres traits blancs
«assez mal fondus avec la teinte générale. » (Ces traits ne sont pas
fondus, mais indiqués en hachures plus ou moins larges peintes sur
le ton de l'étoffe.) « 11 n'y a nulle part d'ombres projetées, et, quant à
«la perspective aérienne, ou môme à la perspective linéaire, il est
« évident que les artistes de Saint-Savin ne s'en sont nullement préoc-
«cupés*.»
^ La Bibliothèque impériale en possède quelques-uns d'une rare beauté.
' Ces peintures datent de la seconde moitié du xi° siècle en grande partie.
' Vojei la Notice sur les peintures de Véglise de Saint-Savin» — M. Mérimée, auquel
nous empruntons ce passage, igouie un peu plus loin ces observations, que nous devons
signaler. « Presque toujours les figures se détachent sur une couleur claire eltran-
« chante, mais il est difficile de deviner ce que le peintre a voulu représenter. Souvent
« une suite de lignes parallèles de teintes différentes offre l'apparence d'un tapis ; mais
« cela n'est, je pense, qu'une espèce d'ornementation capricieuse, sans aucune préten-
« tien à la vérité, et le seul but de l'artiste semble avoir été de faire ressortir les pcr-
« sonnages et les accessoires essentiels à son sujet. A vrai dire, ces acc/essoires ne sont
« que des espèces d'hiéroglyphes ou des images purement conventionnelles. Ainsi les
« nuages, les ai'bres, les rochers, les bâtiments, ne dénotent pas la moindre idée d'imi-
« tation ; ce sont plutôt, en quelque sorte, des explications graphiques ajoutées aux
« groupes de figures pour l'intelligence des compositions.
« Blasés aujourd'hui par la recherche de la vérité dans les petits détails que l'art mo-
« cJeme a poussée si loin, nous avons peine à comprendre que les artistes d'autrefois
« aient trouvé un public qui admit de si grossières conventions. Rien cependant de plus
[ PEINTURE ] — èk
Par le fait, dans ces peintures de sujets, chaque ligure présente une
silhouette se détachant en vigueur sur un fond clair, ou en clair sur un
fond sombre, et rehaussée seulement de traits qui indiquent les formes,
les plis des draperies, les linéaments intérieurs. Le modelé n'est obtenu
que par ces traits plus ou moins accentués, tous du môme ton brun, et
la couleur n'est tiîutre chose qu'une enluminure. Les peintures des vases
dits étrusques, celles qu'on a découvertes dans les tombeaux de Gorneto,
procèdent absolument de la m^^me manière. Alors les accessoires sont
traités comme des hiéroglyphes, la figure humaine seule se développe
d'après sa forme réelle. Un palais est rendu par deux colonnes et un
fronton, un arbre par une tige surmontée de quelques feuilles, un fleuve
par un trait serpentant, etc. Peut-on, lorsqu'il s'agit de peinture monu-
mentale, produire sur le spectateur autant d'effet par ces moyens primi-
tifs que par l'emploi des trompe-l'œil ? ou, pour parler plus vrai, des
hommes nés au milieu d'une civilisation chez laquelle on s'est habitué
à estimer la peinture en raison du plus ou moins de réalité matérielle
obtenue, peuvent-ils s'émouvoir devant des sujets traités comme le sont
ceux des tombeaux de Gorneto, ceux des catacombes, ou ceux de l'église
de Saint-Savin ? C'est là toute la question, qui n'est autre qu'une question
d'éducation.
Un enfant est tout autant charmé, sinon plus, devant un trait enlu-
miné que devant un tableau de Rubens. Il n'est pas dit que ce trait soit
barbare, sans valeur comme art. Faites au contraire que ce trait ne
reproduise que de belles formes, qu'il soit pur de style et que l'enlumi-
nure soit harmonieuse : si le spectateur est ému devant cette interpréta-
tion de la nature, n'est-ce pas un hommage qu'il rend à l'art? et l'art ne
prouve-t-il pas ainsi qu'il est une puissance ? Que pour la peinture de
chevalet on en soit arrivé peu à peu à une imitation fine et complète de
la nature choisie, à produire des effets de lumière d'une extrême déli-
catesse, à concentrer pour ainsi dire l'attention du spectateur sur une
scène rendue à l'aide d'une observation scrupuleuse, avec une parfaite
distinction, certes nous ne nous en plaindrons pas, puisque c'est à ce
({ facile à produire que l'illusion, même avec cette naïveté de moyens qui semblent To-
« loigner. Assurément un mur de scène de marbre, avec sa décoration immobile, n'em-
« péchait pas les Grecs de s'intéresser à une action qui devait se passer dans une forêt
« ou parmi les rochers du Caucase ; et le parterre de Shakspeare, en voyont deux lances
« croisées au fond de la grange qui servait de théâtre^ comprenait qu'une bataille avait
« lieu : la péripétie l'agitait, et chacun frémissait aux cris de Richard offrant tout son
a royaume pour un cheval.
« A cùlé de cette indiflcrence pour les détails accessoires, ou, si l'on veut, de cette
u ignorance primitive, on remarque parfois une imitation très-juste et un sentiment
« d'observation très-fin dans les altitudes et les gestes des personnages. Les têtes, bien
« que dépourvues d'expression, se distinguent souvent par une noblesse singulière et une
« régularité de traits qui rappelle, de bien loin, il est vrai, les typej: que nous aduiirouï'
(( dans l'art antique...... n
— 65 — [ PEINTURE ]
progrès que nous devons les chefs-d'œuvre qui garnissent nos galeries,
et qui sont une des gloires de la civilisation occidentale depuis le
xvi** siècle. Mais l'art qui convient à la toile encadrée, au tableau, quelle
que soit sa dimension, n'a point de rapports avec celui qui est destiné à
couvrir les murs et les voûtes d'une salle. Dans le tableau nous ne voyons
qu'une expression isolée d'un seul art, nous nous isolons pour le regar-
der; c'est, encore une fois, une fenêtre qu'on nous ouvre sur une scène
propre à nous charmer ou nous émouvoir. En est-il de môme dans une
salle que l'on couvre de peintures? N'y a-t-il pas là le mélange de plu-
sieurs arts? Doivent-ils alors procéder isolément, ou produire un effet
d'ensemble? La réponse ne saurait être douteuse.
Si nous examinons les essais qui ont été tentés pour concilier les deux
principes opposés de la peinture prise isolément et de la peinture pure-
ment monumentale, n'apercevons-nous pas tout de suite l'écueil contre
lequel les plus grands talents ont échoué? Et la voûte de la chapelle Six-
line elle-même, malgré le génie prodigieux de l'artiste qui l'a conçue et
exécutée, n'est-elle pas un hors-d'œuvre qui épouvante plutôt qu'il ne
charme? Cependant Michel-Ange, architecte et peintre, a su, autant que
le programme qu'il s'était imposé le lui permettait, si bien souder ses
sujets et ses figures à l'ornementation, à la place occupée, que l'unité
de la voûte est complète. Mais que devient la salle? Que devient même,
au point de vue décoratif, sous cette écrasante conception, la peinture
dw Jugement dernier?
Dans la chapelle Sixtine, il faut s'isoler pour regarder la voûte, s'isoler
pour regarder le Jugement dernier^ oublier la salle. On se souvient de la
voûte, on se souviendrait très-imparfaitement de la page du jugement,
si on ne la connaissait par des gravures; quant h la salle, on ne sait pas
si elle existe. Or, les arts ne sont pas faits pour s'entre-détruire, mais pour
s'aider, se faire valoir ; c'est du moins ainsi qu'ils ont été compris pen-
dant les belles époques. On pardonne bien à un génie comme Michel-
Ange d'étouffer ce qui l'entoure et de se nuire au besoin à lui-même,
d'effacer quelques-unes de ses propres pages pour en faire resplendir une
seule : celte fantaisie d'un géant n'est que ridicule chez des hommes de
taille ordinaire ; elle a cependant tourné la tête de tous les peintres de-
puis le XVI* siècle, tant il est vrai que l'exemple des hommes de génie
même est funeste quand ils abandonnent les principes vrais, et qu'il ne
faut jamais se laisser guider que par les principes. De Michel-Ange aux
Carrachesil n'y a qu'un pas; et que sont les successeurs des Carraches?
Les peuples artistes n'ont vu dans la peinture monumentale qu'un
dessin enluminé et très-légèrement modelé. Que le dessin soit beau,
l'cDluminure harmonieuse, la peinture monumentale dit tout ce qu'elle
peut dire; la difficulté est certes assez grande, le résultat obtenu consi-
dérable, car c'est seulement à l'aide de ces moyens si simples en appa-
rence qu'on peut produire de ces grands effets de décoration coloriée
dont l'impression reste profondément gravée dans l'esprit.
VII. — 9
[ PEINTURE ] — 66 —
Nous avons dit que les peintres grecs avaient été les premiers maîtres
de nos artistes occidentaux ; mais en Grèce (nous parlons de la Grèce
byzantine) la peinture a conservé une forme hiératique dont chez nous
on s'est affranchi rapidement. Au xiii' siècle déjà, Guillaume Durand,
évéque de Mende, écrivait dans son Bationale divinorum officiorum \ en
citant un passage d'Horace : « Diversœ histcrim tam Novi quam Veteris
« Testamenti pro voluntate pictorum depinguntur ; nam
«M... picloribus atque poetis,
« Quidlibet audendi semper fuit sequa potestas. »
Cet hommage rendu à la liberté qui doit être laissée à l'artiste fait un
étrange contraste avec la rigueur des traditions de l'école byzantine, con-
servées presque intactes jusqu'à nos jours*. Dans le style aussi bien que
dans le faire et les procédés des peintures produites en France pendant
les XI* et xii« siècles, on reconnaît exactement les enseignements de
Denis, l'auteur grec du Guide de la peinture. Nous retrouvons les recettes
de ce maître grec du xi* siècle dans le traité du moine Théophile '
(xii* siècle), et même encore dans l'ouvrage du peintre italien Gennîno
Gennini, qui vivait au xiv* siècle * ; mais si les artistes du moyen âge con-
servèrent longtemps les procédés fournis par l'école byzantine, ils s'af-
franchirent très-promptement des traditions hiératiques, disons-nous, et
cherchèrent leurs inspirations dans l'observation de la nature. Toutefois
(et cela est à remarquer), en donnant au style de leurs œuvres un carac-
tère de moins en moins traditionnel, nos artistes occidentaux, surtout en
France, surent laissera leurs peintures une harmonie décorative jusque
vers le milieu du xv* siècle, en maintenant le principe du dessin enlu-
1 LîT. I, chap. III.
2 Voyez à ce sujet le Manuel et iconographie chrétienne, traduit du manuscrit byzantin,
itf Guide de la peinture, par le docteur Paul Durand, avec une introduction et des notes
de M. Didron. L'auteur de ce guide, Denis, vivait au xi^ siècle.
« Le canon suivant », dit M. Didron dans une de ses notes (Introduction, p. viii),
« du second concile de Nicée, comparé au passage de Tévêque de Mende, exprime à
tt merveille la condition de dépendance où vivaient les artistes grecs.... « Non est imngi-
tt num structura pictorum inventio, sed Ecclesiœ catholicœ probata legislatio et traditio.
« Nam quod vetustatc exccllit venerandum est, ut inquit divus Basilius. Testatur hoc
a ipsa rerum antiquitas et patrum nostrorum, qui Spiritu sancto fcruntur, doctrina.
tt Etenim, cum bas in sacris teinplls conspicereut, ipsi quoque animo propenso veneranda
« templa exstruentes, in eis quidem gratas orationes suas et incrueuta sacrificia Dco om-
tt nium rerum domino ofTerunt. Atqui consilium et traditio ista non est pictoris (ejus enim
« sola ars est), verum ordinatio et dispositio patrum nostrorum, quae sedificavenint. »
(SS. Concil. Pbil. Labbe, t. VU, Synod, Nicœna II, actio vi, col. 831 et 832.) De fait^
le concile de Nicée n'avait pas tout à fait tort, et les plus belles peintures byzanUnes con-
nues sont incomparablement les plus anciennes.
• Diversarum artium Schedula, publ. par M. le comte de l'Escalopier, 1843.
* Voyez réditioude cet ouvrage donnée à Rome, en 1821, par le chevalier Giuseppe
Tambroni.
— 67 — [ PEINTURE 1
miné et légèrement modelé. Nos artistes en France, en ce qui touche au
dessin, à l'observation juste du geste, de la composition, de l'expression
même, s'émancipèrent avant les maîtres de Tltalie; les peintures et les
vignettes des manuscrits qui nous restent du xiii* siècle en sont la preuve,
et cinquante ans avant Giotto nous possédions en France des. peintures
qui avaient déjà fait faire à l'art les progrès qu'on attribue à l'élève Cima-
bue*. De la fin du xii* au xv* siècle le dessin se modifie. D'abord rivé
aux traditions byzantines, bientôt il rejette ces données conventionnelles
d'école, il cherche des principes dérivant d'une observation de la nature,
sans toutefois abandonner le style ; l'étude du geste atteint bientôt une
délicatesse rare, puis vient la recherche de ce qu'on appelle l'expres-
sion. Le modelé, sans atteindre à r^y/è^, s'applique à marquer les plans.
On reconnaît des efforts de composition remarquables dès la seconde
moitié du xiii'' siècle. L'idée dramatique est «admise, les scènes pren-
nent parfois un mouvement d'une énergie puissante. Vers le milieu
du xi\^ siècle, de fin^ de délicat^ le dessin penche déjà vers la manière ;
les types admis se perdent pour être remplacés par l'imitation de la
nature individuelle : l'exagération de ce parti est sensible au commence-
ment du XV* siècle, à ce point que le laid s'introduit dans l'art de la pein-
ture, et arrive trop souvent à s'emparer de toute forme. En même temps
on reconnaît que l'habileté de la main est extrême^ que les artistes pos-
sèdent des procédés excellents, et qu'ils poussent à l'excès la recherche
du détail, la minutie dans l'exécution, dans l'étude des accessoires.
La coloration subit des transformations moins rapides : l'harmonie de
la peinture monumentale est toujours soumise à un principe essentielle-
ment décoratif; cette harmonie change de tonalité, il est vrai, mais c'est
toujours une harmonie applicable aux sujets comme aux ornements.
Ainsi, par exemple, au xn"* siècle, cette harmonie est absolument celle
des peintures grecques, toutes très-claires pour les fonds. Pour les figures
comme pour les ornements, ton local, qui est la couleur et remplace
ce que nous appelons la demi-teinte ; rehauts clairs, presque blancs, sur
toutes les saillies; modelé brun égal pour toutes les nuances; finesses soit
en clair sur les grandes parties sombres, soit en brun sur les grandes par-
ties claires, afin d'éviter, dans l'ensemble, les taches. Couleurs rompues,
jamais absolues ^, au moins dans les grandes parties; quelquefois emploi
du noir comme rehauts. L'or, admis comme broderie, comme points bril-
lants, nimbes; jamais, ou très-rarement, comme fond. Couleurs domi-
nantes, l'ocre jaune, le brun-rouge clair, le vert de nuances diverses ;
couleurs secondaires, le rose pourpre, le violet pourpre clair, le bleu clair.
Toujours un trait brun entre chaque couleur juxtaposée. Il est rare, d'ail-
^ Il a manqué à nos artistes un Vasari, un apologiste exclusif. C'est un malheur, mais
cela diminue*-t-il leur mérite ? et est-ce à nous de leur reprocher l'oubli où nous les avons
laissés.
^ Cela provient des procédés employés, ainsi que nous l'indiquerons tout à Theure.
[ TEINTURE j — 68 —
leurs, dans l'harmonie des peintures du xii'' siècle, qu'on trouve deux
couleurs d'une valeur égale posées l'une à côté de l'autre, sans qu'il y ait
entre elles une couleur d'une valeur inférieure. Ainsi, par exemple, entre
un brun rouge et un vert de valeur égale, il y aura un jaune ou un bleu
très-clair ; entre un bleu et un vert de valeur égale, il y aura un rose
pourpre clair. Aspect général, doux, sans heurl, clair, avec des fermetés
très-vives obtenues par le trait brun ou le rehaut blanc. Vers le milieu
du xni* siècle, cette tonalité change. Les couleurs franches dominent,
particulièrement le bleu et le rouge. Le vert ne sert plus que de moyen
de transition ; les fonds deviennent sombres, brun rouge, bleu intense,
noirs môme quelquefois, or, mais dans ce cas toujours gaufrés. Le blanc
n'apparaît plus guère que comme filets, rehauts délicats ; l'ocre jaune
n'est employée que pour des accessoires ; le modelé se fond et participe
de la couleur locale. Les tons sont toujours séparés par un trait brun très-
foncé ou môme noir. L'or apparaît déjà en masse sur les vêtements, mais
il est, ou gaufré, ou accompagné de rehauts bruns. Les chairs sont clai-
res. Aspect général chaud, brillant, également soutenu, sombre même,
s'il n'était réveillé par l'or. Vers la fin du xiii* siècle, la tonalité devient
plus heurtée; les fonds noirs apparaissent souvent, ou bleu très-intense,
ou brun rouge, rehaussés de noir ; les vêtements, en revanche, prennent
des tons clairs, rose, vert clair, jaune rosé, bleu très-clair ; l'emploi de
Tor est moins fréquent ; le blanc et surtout le blanc gris, le blanc verdâtre,
couvrent les draperies. Celles-ci parfois sont polychromes, blanches, par
exemple, avec des bandes transversales rouges brodées de blanc, ou de
noir, ou d'or. Les chairs sont presque blanches. Au xiv" siècle, les tons
gris, gris vert, vert clair, rose clair, dominent ; le bleu est toujours mo-
difié : s'il apparaît pur, c'est seulement dans des fonds, et il est tenu
clair. L'or est rare; les fonds noirs ou brun rouge, ou ocre jaune, per-
sistent ; le dessin brun est fortement accusé et le modelé très-passé. Les
rehauts blancs n'existent plus, mais les rehauts noirs ou bruns sont fré-
quents ; les chairs sont très-claires. L'aspect général est froid. Le dessin
l'emporte sur la coloration, et il semble que le peintre ait craint d'en
diminuer la valeur par l'opposition de tons brillants. Vers la seconde
moitié du xiv* siècle, les fonds se chargent de couleurs variées comme
une mosaïque, ou présentent des damasquinages ton sur ton. Les drape-
ries et les chairs restent claires ; le noir disparaît des fonds, il ne sert plus
que pour redessiner les formes; l'or se môle aux mosaïques des fonds ; les
accessoires sont clairs, en grisailles rehaussées de tons légers ou d'orne-
ments d'or. L'aspect général est doux, brillant ; les couleurs sont très-
divisées, tandis qu'au commencement du xv® siècle elles apparaissent par
plaques, chaudes, intenses. Alors le modelé est très-passé, bien que la
direction une de la lumière ne soit pas encore déterminée nettement. Les
parties saillantes sont les plus claires, et cela tient au procédé employé
dans la peinture décorative. Mais dans les fonds, les accessoires, arbres,
palais, bâtiments, etc., so^t déjà traités d'une manière plus réelle; la
— 69 — l PEINTURE ]
perspective linéaire est quelquefois cherchée ; quant à la perspective
aérieone, on n'y songe point encore. Les étoffes sont rendues avec adresse,
les chairs très-délicatement modelées; Tor se mêle un peu partout, aux
vêtements, aux cheveux, aux détails des accessoires, et Ton ne voit pas
de ces sacrifices considérés comme nécessaires, avec raison, dans la
peinture de tableau. L'accessoire le plus insignifiant est peint avec autant
lie soins, et tout autant dans la lumière que le personnage principal. C'est
là une des conditions de la peinture monumentale. Sur les parois d'une
salle vues toujours obliquement, ce que l'œil demande, c'est une harmo-
nie générale soutenue, une surface également solide, également riche,
non point des percées et des plans dérobés par des tons sacrifiés qui dé-
rangent les proportions et les parties de l'architecture. Ces données géné-
rales établies, nous passons à l'étude des styles de la peinture de sujets
et à celle des procédés employés.
Nous l'avons dit plus haut, les peintures les plus anciennes que nous
possédions en France, présentant un ensemble passablement complet,
sont celles de l'église de Saint-Savin, près de Poitiers. Dans ces peintures,
ainsi que nous l'avons encore avancé, bien qu'on retrouve les tradi-
tions de l'école byzantine, on observe cependant une certaine liberté de
composition^ une étude vraie du geste, une tendance dramatique, qui
n'existent plus dans la peinture grecque du xi'' siècle, rivée alors à des
types invariables. Dans les fresques de Saint-Savin, à côté d'un person-
nage représenté évidemment suivant une tradition hiératique, l'artiste
a donné à des groupes de figures des attitudes étudiées sur la nature.
Quelques scènes ont môme un mouvement dramatique très-énergique-
ment rendu, malgré l'imperfection et la grossièreté du dessin. Nous cite-
rons, entre autres, les scènes de l'Apocalypse peintes sous le porche ; dans
l'église, sous la voûte, l'offrande de Caïn et d'Abel, la fuite en Egypte,
la construction de la tour de Babel, l'ivres&e de Noé, les funérailles
d'Abraham (tig. 1); Joseph vendu par ses frères; Joseph accusé parla
femme de Putiphar. Dans ces compositions on remarque de la grandeur,
un sentiment vrai, puissant, des hardiesses même, qui fout assez voir que
cette école du Poitou ne se bornait pas à la reproduction sèche des pein-
tures byzantines. Plus tard cependant, au xii* siècle, nous retrouvons
des peintures françaises se soumettant scrupuleusement aux traditions
grecques: telles sont celles de la chapelle du Liget', dont le dessin, les
types, les compositions, le modelé, se rapprochent exactement de l'école
de Byzance ^ au point qu'on les pourrait attribuer à un artiste de cette
école.
Dans les peintures de la chapelle du Liget, si l'art est soumis à une
sorte d'archaïsme, on sent la recherche du beau, on aperçoit les der-
* Département d'Indre-et-Loire.
^ Tojez les copies de ces peintures, faites avec un soin scrupuleux par M. Savinien
Petit [Archives tles monument ^ ht'Horique.^),
[ PEINTURE 1 — 70 —
niëres lueurs de l'anliquil6. si brillantes encore dans les catacombes de la
Rome chrétienne. La figure 2, qui donne l'un des personnages peints sur
les parois de la chapelle du Ligel, suffit pour faire rtîssortir les rapports
existant entre cet art du \ri' siècle et celui des époques primitives de la
peinture byzantine. Les tons de ces peintures sont doux, le dessin large
et ferme. Les couleurs sont : le jaune clair pour la chasuble, avec orne-
ments bruns ; le vert pour le capuchon rabattu, le blanc pour la robe ; le
brun rouge clair pour le manipule et le nimbe, ainsi que pour le fond. Le
dessin est soutenu par un trait brun.
Pendant la période du moyen âge comprise entre le x* siècle et la fin
du XII', il y avait donc, dans l'art de la peinture plus encore que dans
l'architecture en France, diversité d'écoles, tâtonnements: ici une sou-
mission entière aux maîtres byzantins, là tentatives d'émancipations,
observation de la nature, étude du geste, recherche de l'etfet dramatique.
En Auvergne, par exemple, au xit' siècle, il existait une puissante école
de peinture, serrée dans son exécution, belle par son style, autant que
des fragments, rares aujourd'hui, nous permettent de l'apprécier. Mais
alors (à la fin du xii° siècle), l'attention des populations au nord de la
Loire semblait se concentrer sur les développements d'une architecture
nouvelle. On abandonnait les sujets peints sur les murailles pour se livrer
& l'exécution de la peinture translucide des vitraux. D'ailleurs l'architec-
ture nouvellement inaugurée n'offrait plus aux artistes de ces grandes
surfaces nues propres à la peinture. La peinture se bornait à la coloration
de la sculpture et aux décorations obtenues par des combinaisons d'or-
nements. Mais dans les cartons de leurs vitraux, les peintres avaient l'oc-
casion de développer largement leur talent, et l'art ne restait pas station-
[ PÏIIITORE ]
naire. Lorsque la tièvre d'architeelure (jui ;■ 'empara des populations du
[ PELNTCRE ] — 72 —
domaine royal de 1160 à 1230 fut un peu calmée, on vit la peinture de
sujets reparaître sur les surfaces intérieures des édifices, et Ton put recon-
naître les pas immenses qu'elle avait faits dans l'observation attentive de
la nature, dans la recherche du beau et dans Texéculion. Il faut bien le
reconnaître toutefois, elle avait perdu beaucoup au point de vue du grand
style, tel que l'antiquité Tavait compris; elle penchait déjà vers la ma-
nière, l'exagération de l'expression; le geste était toujours vrai, le dessin
s'était épuré, mais la grandeur faisait place à la recherche d'une certaine
grâce déjà coquette.
Villard deHonnecourt, qui vivait alors (de 1230 à 1270), nous a laissé,
sur les méthodes des peintres de son temps, des renseignements précieux *.
Les vignettes de ce manuscrit repro-
duites en fac-similé dans les plan-
ta ches XXXIV, XXXV, xxxvi et xxxvii,
nous donnent certains procédés
pratiques pour obtenir les attitu-
des et les gestes des figures, au
moyen de combinaisons de lignes
droites ou d'arcs de cercle et de
figures géométriques; nous nous
bornerons à présenter ici un seul des
exemples fournis, afin de faire saisir
les méthodes sur lesquelles Villard
s'appuie.
Voici (fig. 3) deux lutteurs que le
dessinateur paraît vouloir montrer
comme étant de forces égales^. Le procédé de tracé est celui-ci (fig. 6).
Soit un triangle équilatéral ABC, dont la base AB, divisée en deux par-
ties égales, donne deux autres triangles équilatéraux secondaires. La ligne
d'axe DG étant prolongée, sur ce prolongement en E nous prenons un
point, centre des ari s de cercle, FG, HI. Sur l'arc FG, ayant marqué
deux point 0, 0, ces points sont les centres des arcs KL. Ainsi, les
côtés du grand triangle équilatéral et les côtés des deux petits triangles
nous donnent la direction des jambes des lutteurs ; les deux arcs FG, HI,
le mouvement des genoux et des torses ; les arcs KL, la ligne des dos
des deux figures. D'où s'ensuit la stabilité des personnages et la relation
de leur attitude. Villard, qui n'est pas un peintre, mais un architecte, ne
donne qu'un certain nombre de ces figures obtenues au moyen de tracés
géométriques, et principalement de triangles; mais il nous fait suffisam-
ment connaître ainsi quelles étaient les méthodes pratiques employées
par les imagiers ; méthodes qui obligeaient les artistes les plus médiocres
' Voyez VAibum de ViUavd de Honnecourf, ins. publ. en fac-siiiiile, avec notes par
I.assu0, et coinincolaires par A. Darcel. Paris^ 1858, chez Dclion.
* Cette figure est copiée en fac-similé.
— 75 — [ PiipiTnRB ]
* ** renfermer dans l'observation de certaines lois très-simples, d'une
'jtVlication facile, à l'aide desquelles ils restaienldans des données justes
^J" moins, s'ils n'avaient un mérite assez élevé pour produire des chefs-
Dans les peintures françaises du xiii* siècle qui nous restent, l'art ar-
chaïque, encore conservé pendant la période du xu* siècle, est abandonné ;
les artistes cherchent non-seulement la vérité dans le geste, mais une
souplesse dans les poses, déjà éloignée de la rigidité du dessin byzantin.
Le faire devient plus libre, l'observation de la nature plus délicate. L'exem-
ple que nous donnons ici (flg. 5), copié sur un fragment d'une pein-
ture de la Qn du xiii* siècle ', explique en quoi consiste ce changement
ou plulét ce progrès dans l'art. Ici le Irois-quart de la tête de la Vierge
est finement tracé. La pose ne manque pas de souplesse, les draperies
sont dessinées avec une liberté et une largeur remarquables au moyen
(l'un trait brun rouge*. On voit que le peintre a dû opérer sur un décalque
ne donnant qu'une masse générale, une silhouette et quelques linéa-
ments principaux, et que les détails ont été rendus au bout de pinceau.
Certains repentirs même ont été laissés apparents, dans le bas du man-
' Du lonibcsu d'un abbé de Saint- Philibert de Touraus- Vojez le» copies Tiiiteg par
■- DïDuclli! sur i'cnsfmblc de cette peinture remarquable, rcprcsciitunt u
■Ml de II Vierge {Arcliiaea des momttmnls hâtoriqnea),
UcoloruîQU de cette |ieiiituri! a pretque entièrement disparu.
¥11. — 10
[ PEISTUBB ] — 1^1 —
leau du cùlé gauche. Souvent ces peintures murales sont de véritables
improvisations ; ces artistes ne fiiisaienl des cartons que pour des sujets
étudiés avec un soin exceptionnel. Or, pour tracer comme un croquis une
figure de grandeur naturelle, ii faut posséder des méthodes sûres, très-
arrêtées.
Les peintres byzantins ne faisaient pas, cl encore aujourd'hui ne font
pas de cartons; ils peignent immédiatement sur le mur. PenUanl le
moyen âge, en Occident, on procédaitde la même manière : c'est ce qui
explique l'ulilité absolue de ces recettes données dans le Guide de la
— 75 — [ PEINTURE ]
peinture cité plus haut, dans l'essai du moine Théophile et dans le traité
(le Cennino Cennini. D'ailleurs comment des artistes qui couvraient en
peu de temps des surfaces très-étendues auraient-ils eu le temps de faire
des cartons; tout au plus pouvaient-ils préparer des maquettes à une
échelle réduite. Pendant lesxii* et xiii* siècles, les traits gravés dans l'en-
duit frais ne se voient qu'exceptionnellement, et ces traits indiquent
toujours le décalque d'un carton; on aperçoit souvent au contraire des
traits légers faits au pinceau, couverts de la couche colorante sur laquelle
le trait définitif, qui est une façon de modelé, vient s'apposer. Ce trait
définitif corrige, rectifie l'esquisse primitive, la modifie même parfois
complètement, et nous ne connaissons guère de peinture des xii% xiii"
et XIV* siècles sans repentirs.
Les peintres du xn* siècle employaient plusieurs sortes de peintures :
la peinture à fresque, la peinture à la colle, à l'œuf, et la peinture à l'huile.
Celte dernière, faute d'un siccatif, n'était toutefois employée que pour
de petits ouvrages, des tableaux sur panneaux qu'on pouvait facilement
exposer au soleil. Pour l'emploi delà peinture h fresque, c'est-à-dire sur
enduit de mortier frais, l'artiste commençait, ainsi que nous venons de
le dire, par tracer avec de l'ocre rouge délayée dans de l'eau pure les
masses de ces personnages, puis il posait le ton local qui faisait la demi-
teinte, par couches successives, mêlant de la chaux au ton ; il modelait
les parties saillantes, ajoutant une plus grande partie de chaux à mesure
qu'il arrivait aux dernières couches ; puis, avec du brun rouge mêlé de
noir, il redessinait les contours, les plis, les creux, les linéaments inté-
rieurs des nus ou des draperies.
Celte opération devait être faite rapidement, afin de ne pas laisser
sécher complètement l'enduit et les premières couches. Cette façon de
peindre dans la pâte donne une douceur et un éclat particuliers à ce genre
de travail, et un modelé qui, d'un bleu intense, arrivant, par exemple sur
les parties saillantes ou claires, au blanc presque pur, n'est ni sec ni
criard, chaque ton superposé s'embuvant dans le ton inférieur et y parti-
cipant. L'habileté du praticien consiste à connaître exactement le degré
de sîccité qu'il faut laisser prendre à chaque couche avant d'en apposer
une nouvelle. Si cette couche est trop humide, le ton apposé la détrempe
de nouveau et fait avec elle une boue tachée, lourde, sale ; si elle est trop
sèche, le ton opposé ne tient pas, ne s'emboit pas, et forme un e^me som-
bre sur son contour. Le trait noir brun, si nécessaire, et qui accuse les .
silhouettes et les formes intérieures, les ombres, les plis, etc., était sou-
vent placé lorsque le modelé par couches successives était sec, afin d'ob-
tenir plus de vivacité et de netteté. Alors on le collait avec de l'œuf ou
de la colle de peau. Aussi voit-on souvent, dans ces anciennes fresques,
ce trait brun se détacher par écailles et ne pas faire corps avec l'enduit.
L'emploi de la chaux comme assiette et même comme appoint lumi-
neux dans chaque ton, ne permettait au peintre que l'usage de certaines
couleurs, telles que les terres, le cobalt bleu ou vert. Cette obligation de
[ PEINTURE ] — 76 —
n'employer que les terres et un très-petit nombre de couleurs minérales,
contribuait à donner à ces peintures une harmonie très-douce et pour
ainsi dire veloutée. Au xiii* siècle, cette harmonie paraissait trop pâle
en regard des vitraux colorés, qui donnent des tons d'une intensité pro-
digieuse ; on dut renoncer à la peinture à fresque, afln de pouvoir em-
ployer les oxydes de plomb, les verts de cuivre et même des laques.
D'ailleurs rarchiteclure adoptée ne permettant pas les enduits, il fallait
bien trouver un procédé de peinture qui facilitât l'apposition directement
sur la pierre. En effet, divers procédés furent employés. Les plus com-
muns sont : la peinture à l'œuf, sorte de détrempe légère et solide ; la
peinture à la colle de peau ou à la colle d'os, également très-durable
lorsqu'elle n'est pas soumise à l'humidité. La plus solide est la peinture
à la résine dissoute dans un alcool; mais ce procédé, assez dispendieux,
n'était employé que pour des travaux délicats. Quelquefois aussi on se
contentait d'un lait de chaux appliqué comme assiette, et sur lequel on
peignait à l'eau avant que cette couche de chaux, mise à la brosse,
fût sèche. La peinture à l'huile, très-clairement décrite par le moine
Théophile, et adoptée avant lui, puisqu'il ne s'en donne pas comme l'in-
venteur, ne s'employait, ainsi que nous le disions plus haut, que sur des
panneaux, à cause du temps qu'il fallait laisser à chaque couche pour
qu'elle pût sécher au soleil, les siccatifs n'étant pas encore en usagée
La peinture à la gomme, employée au xfi* siècle, parait avoir été fré-
quemment pratiquée parles peintres du xiii' pour de menus objets, tels
que retables, boiseries^ etc. a Si vous voulez accélérer votre travail, dit
« Théophile*, prenez de la gomme qui découle du cerisier ou dupru-
(( nier, et la coupant en petites parcelles, placez-la dans un vase de terre;
(( versez de l'eau abondamment, puis exposez au soleil, ou bien, en hiver,
u sur un feu doux, jusqu'à ce que la gomme se liquéfie. Mêlez soigneu-
a sèment au moyen d'une baguette, passez à travers un linge ; broyez
a les couleurs (avec) et apppliquez-les. Toutes les cotileurs et leurs mé-
a langes peuvent être broyés et posés à l'aide de cette gomme, excepté
a le minium, la céruse et le carmin, qui doivent se broyer et s'appli-
a quer avec du blanc d'œuf.. . n Ces peintures à la gomme, ou même
à l'huile, étaient habituellement recouvertes d'un vernis composé de
gomme arabique dissoute à chaud dans l'huile de lin ^; elles avaient
ainsi un éclat extraordinaire.
Les artistes du xiii* siècle, en peignant des sujets dans des salles gar«
t « On peut, dit Théophile, broyer les couleurs de toute espèce avec la même sorte
c d*huile (l'huile de lin), et les poser sur un ouvragée de bois, mais seulement pour les
« objets qui peuvent être séchës an soleil ; car, chaque fois qu'une couleur est appliquée,
« vous ne pouvez en apposer une autre, si la première n*est séchée : ce qui, dans les ima-
« ges et autres peintures, est long et très-ennuyeux. » (Liv. I, chap. xxvii.)
* Liv. I, chap. xxvh.
' Théoph., chap. xxi, De ylutine vemiiion.
— 77 — [ PEINTURE 1
nies de vitrau?^ colorés, tenaient à leur donner un brillant et une solidité
de ton supérieurs à la peinture d'ornement et qui pussent lutter avec Tor
très-fréquemment employé alors. Pour obtenir cet éclat, ils devaient faire
usage des glacis, et en effet la coloration des figures, lorsqu'elles sont
peintes avec quelque soin, est obtenue principalement par des appositions
de couleurs transparentes sur une préparation en camaïeux très-modelés.
Ces artistes, soit par tradition, soit d'instinct^ avaient le sentiment de
l'harmonie (leurs vitraux en sont une preuve évidente pour tout le monde).
Du jour que l'or entrait dans la décoration pour une forte part, il fallait
nécessairement modifier l'harmonie douce et claire admise par les pein-
tres du XII'' siècle. L'or est un métal et non une couleur, et sa présence
en larges surfaces dans la peinture force le peintre à changer toute la
gamme de ses tons. L'or a des reflets clairs très-vifs, très-éclalants, des
demi-teintes et des ombres d'une intensité et d'une chaleur auprès des-
quelles toute couleur devient grise, si elle est claire, obscure et lourde, si
elle est sombre K Pour pouvoir lutter avec ces clairs si brillants et ces
demi-teintes si chaudes de l'or, il fallait des tons très-colorés, mais qui,
pour ne pas paraître noirs, devaient conserver la transparence d'une
aquarelle. C'est ainsi que les petits sujets décorant l'arcature de la
sainte Chapelle haute du Palais à Paris étaient traités. Ces sujets, qui se
détachent alternativement sur un fond de verre damasquiné de dorures
ou d'or gaufré, avaient été peints très-clairs, puis rehaussés par une colo-
ration transparente très-vive et des traits bruns. Cependant, avec l'or,
tous les tons n'étaient pas traités de la même manière ; les bleus^ les
verts clairs (verts turquoise) sont empâtés , et ainsi posés^ prennent une
valeur très-colorante ; tandis que les rouges, les verts sombres, les pour-
pres, les jaunes, ont besoin, pour conserver un éclat pouvant lutter avec
les demi-teintes de l'or, d'être apposés en glacis. Ces glacis semblent avoir
été collés au moyen d'un gluten résineux, peut-êtrQ seulement à l'aide
de ce vernis composé d'huile de lia et de gomme arabique. Quant à la
peinture des dessous ou empâtée, elle est fine, et est posée sur une as^
sielle de chaux très*mince; ce n'est cependant pas de la fresque, car
celte peinture s'écaille et forme couverte.
* Noas ATons des exemples de l'effet que produit Tor a côté de tons à la fresque, à In
cire on même i l'huile empâtée. Des vêtements blancs sur un fond d'or paraissent sales,
f(riset temeS; les chairs sont lourdes. Les seuls tons qui se soutiennent sur des fonds d'or,
sont les tons transparents qu^on peut obtenir par des glacis. Et encore faut-il faire sur
l'or, soit un travail de gaufrure, soit un treillis puissant, une mosaïque. Les voûtes des
Statae peintes par Raphaël, au Vatican, nous fournissent des observations d'un grand
iotérèt à cet égard, particulièrement celle de la salle de la Dispute du saint sacrement.
I^s fonds d'or sont craquelés comme des mosaïques, et les sujets à fresque sont d'une
vigueur de coloration qui n'a pu être obtenue que par des retouches, soit à l'œuf, soit
^ toute autre manière, apposées en glacis. I^ même observation peut être faite dans la
Ubrairie de la cathédrale de Sienne, en examinant la voûte ah^idale do l'église Santa-
^wiadel Popolo, à Kome, attribuée à Pinturicchio.
, I PEINTURE 1 — 78 —
•^ Il arrivait même souvent aux artistes peignant des sujets ou des orne-
1 ments sur fond d'or, de dorer les dessous des ornements ou draperies
I destinés à être colorés en rouge, en pourpre ou en jaune mordoré. Alors
la coloration n'étai t qu'un glacis très- transparent posé sur le métal, et, avec
des tons très-intenses, on évitait les lourdeurs. Ces tons participaient du
fond et conservaient quelque chose de son éclat métallique.
La cherté des peintures dans lesquelles l'or jouait un rôle important,
les difficultés, conséquences de l'emploi de ce métal, qui entravaient le
peintre à chaque pas pour conserver partout une harmonie brillante, très-
soutenue, sans tomber dans la lourdeur, firent que vers la fin du xiii* siè-
cle, ainsi que nous l'avons dit, on adopta souvent le parti des grisailles.
On avait poussé si loin, vers le milieu du xiii* siècle, la coloration des
vitraux ; cette coloration écrasante avait entraîné les peintres à donner
aux tons de leurs peintures un tel éclat et une telle intensité, qu'il fallait
revenir en arrière. On fit alors beaucoup de vitraux en grisailles, ou l'on
éclaircit la coloration translucide; l'or ne joua plus dans la peinture
qu'un rôle très-secondaire et les sujets furent colorés par des tons doux,
très-clairs, et, pour éviter l'effet plat et fade de ces camaïeux à peine
enluminés, on les soutint par des fonds très-violents , noirs, brun-rouge,
bleu intense, chargés souvent de dessins tons sur tons ou de damasqui-
nages de couleurs variées, mais présentant une masse très-vigoureuse. On
rie songeait guère alors aux fonds de perspective, mais on commençait à
donner aux accessoires, comme les sièges, les meubles, une apparence
réelle. Peu à peu le champ de l'imitation s'étendit; après avoir peint
seulement les objets touchant immédiatement aux figures suivant leur
forme et leur dimension vraie, on plaça un édifice, une porte, un arbre,
sur un plan secondaire ; puis enfin les fonds de <;onvention et purement
décoratifs disparurent, pour faire place à une interprétation réelle du
lieu où la scène se passait. Toutefois il faut constater que si les peintres,
avant le xvi" siècle, cherchaient à donner une représentation réelle du
lieu, ils ne songeaient, comme nous l'avons dit déjà, ni à la perspective
aérienne, ni à l'effet, c'est-à-dire à la répartition de la lumière sur un point
principal, nia produire l'illusion, et que leurs peintures conservaient
toujours l'aspect d'une surface plane décorée, ce qui est, croyons-nous,
une des conditions essentielles de la peinture monumentale.
Nous ne pourrions nous étendre davantage, sans sortir du cadre de cet
article, sur la peinture des sujets dans les édifices. D'ailleurs nous avons
l'occasion de revenir sur quelques points touchant la peinture, dans les
articles Style et Vitrail. Nous passerons maintenant à la peinture d'orne-
ment, à la décoration peinte proprement dite. Il y a lieu de croire que
sur cette partie importante de l'art, les artistes du moyen âge n'avaient
que des traditions, une expérience journalière, mais peu ou point de
théories. Les traités de peinture ne s'occupent que des moyens matériels
et n'entrent pas dans des considérations sur l'art, sur les méthodes à
employer dans tel ou tel cas. Pour nous, qui avons absolument perdu ces
— 79. — [ PEiwruiiE ]
traditions, et qui ne possédons qu'une expérience très-bornée de l'effet
décoratif de la peinture, nous devons nécessairement nous appuyer sur
l'observation des exemples passés pour reconstituer certaines théories
résultant de cette expérience et de ces traditions. Il serait assez inutile
à nos lecteurs de savoir que tel ornement est jaune ou bleu, si nous
n'expliquons pas pourquoi il est jaune ici et bleu là, et comment il pro-
duit un certain effet dans l'un ou l'autre caç. La peinture décorative est
avant tout une question d'harmonie, et il n'y a pas de système harmo-
nique qui ne puisse être expliqué.
La peinture décorative est d'ailleurs une des parties de l'art de Tarchi-
tecture difficiles à appliquer, précisément parce que les lois sont essen-
tiellement variablesen raison du lieu et de l'objet. La peinture décorative
grandit ou rapetisse un édifice, fe rend clair ou sombre, en altère les
proportions ou les fait valoir; éloigne ou rapproche, occupe d'une manière
agréable ou fatigue, divise ou rassemble, dissimule les défauts ou les
exagère. C'est une fée qui prodigue le bien ou le mal, mais qui ne de-
meure jamais indifférente. A son gré^ elle grossit ou amincit des colonnes,
elle allonge ou raccourcit des piliers, élève des voûtes ou les rapproche
de l'œil, étend des surfaces ou les amoindrit; charme ou offense, concen-
tre la pensée en une impression ou distrait et préoccupe sans cause. D'un
coup de pinceau elle détruit une œuvre savamment conçue, mais aussi
d'un humble édifice elle fait une œuvre pleine d'attraits, d'une salle froide
et nue un lieu plaisant où l'on aime à rêver et dont on garde un souvenir
ineffaçable.
Lui fallait-il, au moyen âge, pour opérer ces prodiges, des maîtres ex-
cellents, de ces artistes comme chaque siècle en fournit un ou deux ? Non
certes; elle ne demandaitque quelques ouvriers peintres agissant d'après
des principes dérivés d'une longue observation des effets que peuvent pro-
duire l'assemblage des couleurs et l'échelle des ornements. Alors la plus
pauvre église de village badigeonnée à la chaux avec quelques touches
de peinture était une œuvre d'art, tout comme la sainte Chapelle, et l'on
ne voyait pas, au milieu de la môme civilisation, des ouvrages d'art d'une
grande valeur ou au moins d'une richesse surprenante, et à quelques pas
de là de ces désolantes peintures décoratives qui déshonorent les murailles
qu'elles couvrent et font rougir les gens de goût qui les regardent.
Il n'y a, comme chacun sait, que trois couleurs, le jaune, le rouge et le
bleu, le blanc et le noir étant deux négations : le blanc la lumière non
colorée, et le noir l'absence de lumière. De ces trois couleurs dérivent
tous les tons, c'est-à-dire des mélanges infinis. Le jaune et le bleu
produisent les verts, le rouge et le bleu les pourpres, et le rouge et le
jaune les orangés. Au milieu de ces couleurs et de leurs divers mélanges
la présence du blanc et du noir ajoute à la lumière ou l'atténue. Précisé-
ment parce que le blanc et le noir sont deux négations et sont étrangers «
aux couleurs, ils sont destinés, dans la décoration, à en faire ressortir
la valeur. Le blanc rayonne, le noir fait ressortir le rayonnement et le
[ PEINTURE ] — 80 —
limite. Les peintres décorateurs du moyen âge, soit par instinct, soit bien
plutôt par tradition , n'ont jamais coloré sans un appoint blanc ou noir,
souvent avec tous les deux. Partant du simple au composé, nous allons
expliquer leurs méthodes. Nous ne parlons que de la peinture des inté-
rieurs, de celle éclairée par une lumière diffuse ; nous nous occuperons en
dernier lieu de la peinture extérieure, c'est-à-dire éclairée par la lumière
directe. Pendant la période du moyen âge^ où la peinture monumentale
joue un rôle important^ nous observons que l'artiste adopte d'abord une
tonalité dont il ne s'écarte pas dans un même lieu. Or, ces tonalités sont
peu nombreuses, elles se réduisent à trois : la tonalité obtenue par le
jaune et le rouge avec l'appoint lumineux et obscur, c'est-à-dire le blanc
et le noir; la tonalité obtenue avec le jaune, le rouge et le bleu, qui en-
traine forcément les tons intermédiaires, c'est-à-dire le vert, le pourpre
et l'orangé, toujours avec appoint blanc et noir, ou noir seul ; la tonalité
obtenue à l'aide de tous les tons donnés par les trois couleurs, mais avec
appoint d'or et l'élément obscur, le noir, les reflets lumineux de l'or
remplaçant dans ce cas le blanc.
En supposant que le jaune vaille 1, le rouge 2, le bleu 3 : mêlant le
jaune et le rouge, nous obtenons l'orangé, valeur 3 ; le jaune et le bleu,
le vert, valeur 4; le rouge et le bleu, le pourpre, valeur 5. Si nous met-
tons des couleurs sur une surface, pour que l'effet harmonieux ne soit
pas dépassé, posant seulement du jaune et du rouge, il faudra que la
surface occupée par le jaune soit le double au moins de la surface occu-
pée par le rouge. Mais si nous ajoutons du bleu à l'instant, Tharmonie
devient plus compliquée; la présence seule du bleu nécessite, ou une
augmentation relative considérable des surfaces jaune et rouge, ou l'ap-
point des tons verts et pourpres, lesquels, comme le vert, ne devront pas
être au-dessous du quart et le pourpre du cinquième de la surface totale.
Ce sont là des règles élémentaires de l'harmonie de la peinture décora-
tive des artistes du moyen âge. Aussi ont-ils rarement admis toutes les
couleurs et les tons qui dérivent de leur mélange, à cause des difficultés
innombrables qui résultent de leur juxtaposition et de l'importance rela-
tive que doit prendre chacun de ces tons, comme surface. Dans le cas de
l'adoption des trois couleurs et de leurs dérivés, l'or devient un appoint
indispensable ; c'est lui qui est chargé de compléter ou môme de rétablir
l'harmonie. Revenant aux principes les plus simples, on peut obtenir
une harmonie parfaite avec le jaune et le rouge (ocre rouge), surtout à
l'aide de l'appoint blanc; il est impossible d'obtenir une harmonie avec
le jaune et le bleu, ni môme avec le rouge et le bleu, sans l'appoint de tons
intermédiaires. Voudriez-vous décorer une salle toute blanche comme
fond, avec des ornements rouges et bleus ou jaunes et bleus, môme clair-
semés, que l'harmonie serait impossible ; le rouge (ocre rouge) et le jaune
(ocre jaune) étant les deux seules couleurs qui puissent, sans l'appoint
d'autres tons, se trouver ensemble.
L'observation d'autres principes aussi élémentaires n'était pas moins
81 — [ PEIRTCRE ]
fimilière k ces artistes. Ils avaient reconnu, par exemple, qu'une même
tMme d'ornement blanc ou d'un ton clair sur un fond noir, ou noir sur
UDfoad clair, changeait de dimension. Pour nous faire bien comprendre,
soient (Bg. 6), en A, des billeltes brun rouge sur fond blanc, ou B, blan-
cba sur fond brun rouge : les billetlesjbrunes paraîtront, plus on s'éloi-
gnera de la surface peinte, plus petites que les billettes blanches, et la
face occupée par le fond blanc paraîtra plus étendue que celle occupée
par le fond brun. Soient deux pilastres de môme largeur et de mèmehau-
VII. — 11
[ PEINTURE ] — 82 —
leur: si l'un des deux, celui G, est décoré de lignes verticales, il paraîtra,
à distance, plus long et plus étroit que celui D orné de bandes horizon-
tales. Et pour en revenir aux observations précédentes sur la valeur har-
monique des couleurs, le rouge étant supposé 2 et le bleu 3, le rouge devant
alors occuper une surface plus grande que le bleu pour obtenir une har-
monie entre ces deux couleurs, si (fig. 6) lesbillettes A sont bleues sur
un fond rouge, il sera possible d'avoir une surface harmonique; mais si
au contraire c'est le fond qui est bleu et les billeltes qui sont rouges,
l'œil sera tellement offensé, qu'il ne pourra s'attacher un instant sur cette
surface : l'assemblage des deux couleurs, dans cette dernière condition,
fera vaciller les contours au point de causerie vertige. Chacun peut faire
cette expérience en employant le vermillon pur pour le rouge et un bleu
d'outremer pour le bleu. Non -seulement les couleurs ont une valeur
absolue, mais aussi une valeur relative quant à la place qu'elles occu-
pent et à l'étendue qu'elles couvrent; de plus elles modifient, en raison
de la forme de l'ornement qu'elles colorent, l'étendue réelle des surfaces.
Dans la tonalité la plus simple, celle où le jaune (ocre) et le rouge (ocre)
sont employés, il est clair que l'une des deux couleurs, l'ocre rouge,
a plus d'intensité que le jaune; mais si à ces deux couleurs nous ajou-
tons le bleu, il faut que la valeur du rouge et du bleu soit différente,
que le rouge le cède au bleu, ou, ce qui est plus naturel, que le bleu le
cède au rouge. Alors c'est le brun rouge qu'il faut admettre et le bleu
clair; si nous ajoutons (presque forcément d'ailleurs) des tons dérivés à
ces trois couleurs, comme le vert et le pourpre, il faudra également
établir ces tons et ces couleurs suivant une valeur différente, c'est-à-dire
n'avoir jamais deux tons de valeur égale. Il ne s'agit plus ici de surface
occupée, mais d'intensité; or cette intensité est facultative. Si, quand
nous n'employons que les trois couleurs, le rouge doit être brun rouge
et prendre la plus grande intensité, employant avec ces trois couleurs
les dérivés, le rouge doit redevenir franc, c'est-à-dire vermillon, parce
que le brun rouge ne pourrait s'harmoniser ni avec le vert ni avec le
pourpre ; l'adjonction des tons dérivés exige que les couleurs soient pures
si on les emploie. Toutefois il est bon que la première valeur soit laissée
à une couleur plutôt qu'à un ton; cette première valeur ne pouvait être
donnée au jaune, ce sera le ton rouge (vermillon) ou le bleu qui la pren-
dra (habituellement le bleu). Supposons que ce soit le bleu intense qui
soit la première valeur : les peintres du moyen âge se sont gardés de
donner la seconde valeur à une autre couleur, c'est-à-dire au rouge; ils
l'ont accordée à un ton, le plus souvent au vert, parfois au pourpre. Vient
alors la troisième valeur, qui sera le rouge (vermillon) ; puis entre cette
couleur et le jaune, un autre ton, habituellement le pourpre, parfois le
vert. Après le jaune viennent les valeurs inférieures, les pourpres très-
clairs (roses), les bleus clairs, les verts turquoise, les jaune-paille^ blanc
laiteux et gris. Car au-dessous de la dernière valeur-couleur, qui est for-
cément le jaune ocre, il faut des tons, jamais la gamme des valeurs ne
— 83 -^ [ PEINTURE ]
finissant par une couleur, comme rarement elle necommenccpar un ton K
Ces principes connus, il reste encore une quantité de règles d'un ordre
secondaire que ces artistes du moyen âge ont scrupuleusement observées*
Nous en citerons quelques-unes. Le bleu intense étant dur et froid, les
peintres l'ont souvent un peu verdi, et Tout relevé par des semis d'or ; puis
ils y ont presque toujours accolé un rouge vif (vermillon), puis après le
rouge un vert clair ou même un blanc bleui ou verdi, des traits noirs
séparant d'ailleurs chaque ton et chaque couleur. Le bleu en contact
direct avec le jaune produit un effet louche, le rouge ou le pourpre a
été interposé. Le bleu gris ardoise peut seul se coucher sur une surface
jaune. Le vert est souvent mis en contact direct avec le bleu, et c'est une
dissonance dont on a tiré parti avec une adresse rare, mais alors le vert
incline au jaune ou au bleu, il n'est pas franchement vert ; si le vert est
en contact avec le jaune, cette dernière couleur est orangée et le vert est
clair, ou le jaune est limpide et le vert est sombre. Les pourpres qui,
comme surface^ ont la valeur 5, et qui par conséquent doivent occuper
le moindre champ dans la décoration peinte, ne s'approchent jamais du
violet: ce ton faux étant absolument exclu, il incline vers l'orangé ou la
garance. Nous avons souvent observé combien la nature est ingénieuse
dans la combinaison harmonique des tons des plantes : ainsi sur dix géra-
niums ou dix roses trémiéresqui auront des fleurs de rouges et de pour-
pres différents, nous verrons dix tons verts différents pour les feuilles,
tons verts combinés chacun pour le rouge ou le pourpre qu'ils entourent.
Les peintres du moyen âge avaient-ils étudié les secrets de l'harmonie
des tons sur la nature? Nous ne savons ; mais comment se fait-il que ces
secrets soient perdus, ou que les femmes seules les possèdent encore lors-
qu'il s'agit de leurs toilettes? Que s'il faut peindre une salle, nosartistes
semblent appliquer au hasard des couleurs, des tons, produisant dans
l'ensemble une harmonie presque toujours fausse ? est-ce défaut de prin-
cipes, de traditions, de pratique? Il est certain que dans l'art difficile de
la décoration peinte^ l'instinct ne suffit pas, comme plusieurs le pensent,
et que dans cette partie importante de l'architecture, le raisonnement et
le calcul interviennent comme dans toutes les autres, à défaut d'une
longue suite de traditions.
La peinture décorative la plus simple; celle qui demande le moins de
combinaisons, est celle qu'on obtient avec l'ocre jaune, l'ocre rouge ou
brun rouge, le noir, le blanc et le composé des deux, le gris. Cette pein-
ture n'est, pour ainsi dire, qu'un dessin, une grisaille chaude de ton,
cependant elle peut produire des effets très-variés déjà. L'ocre jaune et
1 U uinte Chapelle du palais présente le plus curieux exemple de cette échelle chro-
iD%lk{Qe. Malgré de nombreuses et larges traces des tons anciens, lors de la restaura-
^ des peintures, les difficultés ont été nombreuses ; il est des tons qu*il a fallu refaire
Men des fois, et fantc d'une expérience consommée. En couchant un ton dont la trace
éUU certaine, il a fallu souvent changer la valeur des tons supérieurs ou inférieurs.
[ PEINTURE ] — 8(l —
l'ocre rouge sont deux couleurs de la même famille, pour ainsi dire, qui
s'harmonisent toujours sans difficultés. Que vous peigniez un ornement
jaune sur brun rouge, ou brun rouge sur fond jaune, quelle que soit la
forme ou la dimension de Tornement, celui-ci ne fera jamais tache; mais
si vous rehaussez l'ornement jaune ou brun rouge de filets noirs ou blancs,
vous obtenez alors des efiets d'une extrême finesse et riches de ton. Cette
observation peut être faite dans les salles du donjon du château de
Goucy. La décoration peinte de la salle du rez-de-chaussée ne consiste
guère qu'en un appareil tracé en blanc avec filets brun rouge sur un
fond d'ocre jaune. Les forraerets de la voûte se composent (voyez leur
section en A, fig. 7) d'un retour d'équerre avec ornement courant de
a en i et de b en c, puis d'un profil dont les membres sont alternative-
ment peints en brun rouge et en ocre jaune. Nous donnons en B,6',B",
trois échantillons de ces ornements courants sur les deux faces en retour
d'équerre. Celui B est brun rouge sur fond ocre, avec larges filets noirs
sur les rives des feuilles, et trait blanc à une égale distance du bord, à
cheval sur le filet noir. Celui B' est jaune foncé (ocre jaune mêlé d'ocre
rouge) sur fond ocre jaune redessiné de filets brun rouge très-sombre et
de traits blancs à l'intérieur; des pois blancs sont de plus marqués sur le
fond jaune ; celui B" est brun rouge redessiné d'un filet blanc sur fond
jaune avec tiges 6 gris ardoise. L'effet de cette ornementation est des
plus brillants. Il va sans dire que le même ornement se retrouve à
chaque formeret sur les deux faces ab, bc, et se double. Quelques tons
verts se voient sur les chapiteaux de cette salle et des tons vermillon sur
les nervures des voûtes, mais il y a absence de bleu, le gris remplaçant
parfois cette couleur. Le vert et le gris ardoise entrent sans difficultés
dans cette harmonie simple, et il semble que les artistes du xii* siècle et
du commencement du xni'' aient reculé devant remploi du bleu, qui,
comme nous le disions tout à l'heure, exige immédiatement l'application
de tons variés entre le bleu et le rouge, ou lé bleu et le jaune. Il existe,
dans l'édifice connu à Poitiers sous le nom de temple de Saint-Jean, des
peintures du xii* siècle qui présentent les combinaisons les plus riches
de l'harmonie simple. L'une des faces de la salle principale présente
avec des figures colorées en jaune, en brun rouge clair, en vert, en gris
vert et gris ardoise, des litres dont nous donnons (fig. 8) deux échantillons.
Celle A forme la frise supérieure sous la charpente, celle B tient
lieu d'appui relevé sous les fenêtres. La litre A est composée d'un
méandre oblique, coloré en brun rouge, en ocre jaune et en vert sur
fond blanc laiteux. Un filet blanc forme la rive antérieure du méandre.
Chaque ton du méandre est modelé au moyen de hachures parallèles
d'un ton plus sombre, et d'autant plus larges qu'elles s'approchent du
bord postérieur de chaque face oblique. Les tons sont marqués ainsi :
le brun rouge par la lettre R, le jaune J, le vert V, le gris ardoise BG.
Les oiseaux sont brun rouge et jaune. Les points blancs sont piqués ré-
gulièrement sur les bandes horizontales supérieure et inférieure. À cetl^
— 86 — [ PEINTURE ]
tpoque, an xii' siècle, les points blancs (perlés) sont très-fréquemment
Wplojés sur les tons brun rouge et jaune, souvent ii cheval entre les
deux : c'était uu moyen de donner une apparence précieuse à la pein-
ture et d'enlever aux tons absolus leur crudité. Il est bon d'observer que
les bruns rou^s de ces peintures sont d'un éclat remarquable, transpa-
[ FEI?ni<AE ] — 86 —
rents el vifs, sans avoir la dureté du rouge (vermillon). La seconde litre
que nous donnons en 1) est sur fond gris ardoise clair; les palmes sont
jaunes, les lleurons brun rou(;e clair avec milieu brun rouge foncé;
ces ornements jaune et rouge sunt bordés d'un filet blanc. L'harmonie
des tons de cette litre est d'une exti-ême tlnessc et en même temps des-
soude. On peignait à relie époque, c'esl-à-dire pendant le xii' siècle
et le commencement du xiii', la plupart des édilices non-seulement h
l'intérieur, mais à l'extérieur, et le système harmonique de ces peintures
s
..; ■h
repose toujours, sauf de bien rares exceptions, sur cetle donnée simple.
Cependant on fabriquait alors une quantité de vitraux qui acquéraient
d'autant plus de richesse comme couleur que les fenâtres devenaient
plus grandes (yoy. Vitrail). Si avec des fenfilres d'une petite dimension,
garnies de vitraux blancs ou très-clairs, sous une lumière diffuse et peu
étendue, il était naturel et nécessaire même de donner à la peinture
décorative un aspect brillant et doux à la fois, lorsqu'on prit l'habitude
de placer des verrières très-colorées devant les baies destinées à éclairer
les intérieurs, cette peinture claire, d'un ton transparent, était complè-
tement éteinte par l'intensité des tons des nouveaux vitraux. Le bleu.
le rouge, entrant pour une forte part dans la coloration translucide des
— 87 -^ [ PEINTURE ]
vitraux, donnaient aux tons ocreux un aspect louche, les verts deve-
naient gris et ternes, les blancs disparaissaient ou s'irisaient. Avec les
vitraux colorés il fallait nécessairement des tons brillants sur les murs,
et encore ces tons, pour prendre leur valeur, devaient être accompa-
gnés et cernés de noirs comme les verres colorés eux-mêmes. Aussi
voyons-nous que pendant le xiii* siècle, l'harmonie de la peinture déco-
rative des intérieurs se modifie. Si par des raisons d'économie on con-
serve encore de grandes surfaces claires, occupées seulement par des
filets, les litres, les nervures des voûtes, leurs tympans, se colorent vive-
ment, et cette coloration est d'autant plus brillante^ qu'elle s'éloigne de
l'œil. Nous avons un exemple remarquable de cette transition du système
harmonique de la peinture décorative dans l'ancienne église des Jacobins
d'Agen, bâtie vers le milieu du xiii' siècle. Cette église, conformément
à l'usage établi par Tordre de Saint-Dominique, se compose de deux nefs
séparées par une épine de piliers. Peinte avec simplicité, on voit cepen-
dant que l'artiste a voulu soutenir l'effet éclatant des verrières qui
autrefois garnissaient les fenêtres. Chacune des travées de cette salle
(fig. 9) se compose d'une tapisserie bornée par les piliers engagés et
par le formeret de la voûte. Une fenêtre, relativement étroite, s'ouvre
au milieu de la tapisserie. En A, est couché un ton uni sombre, avec
filets; au-dessus est tracé un appareil brun rouge sur fond blanc, de
B eu G. Une litre est peinte en D ; le tympan au-dessus de cette litre
^t occupé par un fond blanc avec deux écussons armoyés : cette pein*
Uire est donc d'une extrême simplicité. Les voûtes sont plus riches ;
[ PBINTL'RE 1 — 88 —
noa-seulemeni les nervures sonl colorées ainsi que les clefs, mais sous
les intrados des Inangles de remplissages, de la cler centrale à celle des
formerets, de larges bandes A (tig. 10) sont
tO (^^ "j^ couvertes d'ornements peinls d'un beau dessin.
Quant aux triangles B, ils ne sont occupés que
par un appareil tracé en bran rouge sur fond
blanc. Or il est nécessaire d'observerque lacou-
leurbleuen'apparaltquedans les ornements des
voûtes et sur les écus armoyés. Toutes les tapis-
series ne reçoivent d'autres tons que le jaune
ocre, le brun rouge, le noir el le blanc laiteux.
Ainsi (Qg. 11> les litres indiquées en D dans la travée, figure 9, sont
colorées au moyen de deux tons, ocre jaune et hrun rouge avec parties
^ ] y/
blanches et fonds noirs. Les tiges de renroulemenl sont alternativement
jaunes et rouges, ainsi que les feuilles et les grappes. Les feuilles jaunes
sont cernées de rouge el de noir sur fond blanc, les feuilles rouges sonl
couchées à plat. Deux larges lilels, jaunes en dedans, rouges en dehors,
arrêtent le fond noir. Ces litres varient comme dessin à chaque travée,
tout en conservant la même harmonie. Les nervures des voûtes, dont la
section est donnée en S (llg. 12), sont couvertes chacune d'ornements
variés dont nous donnons en G et en H deux échantillons. Ces omemenis
ne tiennent compte qu'à demi du profil, c'est-à-dire que. pour le dessin G,
lemilieuadela nervure étant en o', i'aréte b tombeenA'.eirarôteceno'.
— 89 — [ PEINTURE ]
Pour la nervure G, les rosettes sont pourpres, bordées d'un filet blanc
intérieur et d'un filet noir eslérieup ; l'œil est jaune, bordé de noir ; le
fond est bleu intense (indigo). Pour la nervure H, les amandes sont
jauees, bordées d'un HIet blanc à l'intérieur, noir à l'extérieur ; les rosettes
Hnt blanches, avec œil jaune bordé d'un liletnoir; les fonds sont altema-
liVfment bleu intense et rouges ; le vert apparaU dans d'autres nervures.
Ouantaux bandes des clefs de triangles, nous en donnons un échantillon
uas la flgijre 13. Toutes ces bandes sont variées, mais toutes détachent
ledessJD sur fond noir; les méandres sont brun rouge, bleu clair et blanc,
*'w filet blanc sur la rive antérieure. Les palmettes sont blanches avec
qu^qaes parties bleu très-clair, modelées au moyen de hachures brun
™"Ï6. Le système harmonique dé coloration de cette salle, — car cette
église n'est à propiciiient parler qu'iiae salle à deux nefs, — est celui-ci :
— 91 — [ PEINTURE 1
pour les parties verticales, les murs, les tapisseries, harmonie la plus
simple, celle qui est donnée par les tons jaune et rouge sur fond blanc
avec rehauts noirs; mais pour les voûtes, plus éloignées de l'œil et qu'on
ne voit qu'à travers Tatmosphère colorée par la lumière passant à tra-
vers des verrières brillantes de ton, harmonie dans laquelle le bleu clair
et le bleu intense interviennent, et par suite le pourpre et le vert, le
tout rehaussé par des fonds et filets noirs : fonds noirs pour les bandes
des triangles des voûtes, filets noirs seulement pour redessiner les orne-
ments des nervures. En effet, le redessiné noir devient nécessaire dès
qu'on passe à une] harmonie composée des trois couleurs, jaune, rouge
et bleu avec leurs dérivés; car s'il y aune si grande différence de valeur
entre le jaune et le rouge brun, qu'il n'est pas nécessaire de séparer le
brun rouge du jaune ocre par un trait noir, il n'en est pas ainsi quand on
juxtapose deux couleurs dont les valeurs sont peu différentes, comme le
pourpre et le bleu, le bleu et le rougè^ le bleu clair et le jaune, le vert et
le pourpre, etc. ; le filet noir devient alors absolument nécessaire pour
éviter la bavure d'un ton sur l'autre, et par suite la décomposition de
l'un des deux. Ainsi, si vous couchez un ton bleu immédiatement à côté
d'un ton pourpre, vous rendrez le pourpre gris et louche si le bleu est
intense, ou le bleu clair azuré, lilas même, si le pourpre est vif. Plus on
s'éloignera de l'objet peint, plus cette décomposition de l'un des deux
tons, et quelquefois des deux, sera complète. Mais si, entre ce bleu et ce
pourpre vous interposez, comme dans l'exemple G (fig. 12), un filet noir
et un filet blanc même doublant le noir, vous isolez chacun des tons, vous
leur rendez leur valeur; ils influent l'un sur l'autre sans se confondre
et se nuire par conséquent ; ils contribuent à une harmonie, précisément
parce qu'ils gardent chacun leur qualité propre et qu'ils agissent (qu'on
nous passe le mot) dans la plénitude de cette qualité. En musique, pour
qu'il j ait accord, il faut que chacune des notes données, devant concou-
rir à l'accord, soit juste ; mais si une seule de ces notes est fausse, l'ac-
cord ne saurait exister. Ëh bien ! il en est de même dans la peinture dé-^
corative : pour qu'il y ait accord, il faut que chaque ton conserve, à part
lui, toute sa pureté ; pour qu'il la conserve, il ne faut pas que sa colo-
ration ou sa valeur soit faussée par le mélange d'un ton voisin, mélange
qui se fait surtout à distance, si l'on n'a pas pris le soin de circonscrire
chaque ton par du noir, qui n'est pas un ton. Le blanc seul serait insuf-
fisante produire eet effet, parce que le blanc se colore et subit le rayon-
nement des tons voisins. Le noir est absolu, il peut seul circonscrire
chaque ton. 11 faut donc établir entre les tons d'une peinture décorative
cette échelle harmonique de valeilrs dont nous avons parlé plus haut,
mais il faut aussi tenir compte du rayonnement plus ou moins prononcé
de ces tons ; rayonnement qui augmente en raison de la distance à la-
quelle l'œil est placé. Ainsi, par exemple, le bleu rayonne plus qu'au-
cune autre couleur. Une touche bleue sur un fond jaune, près de l'œil,
n'altère presque pas le jaune; à distance, cette même touche bleue
[ PEINTURE ] — 92 —
rendra le jaune vert sale et le bleu paraîtra gris. Si la touche bleue est
cernée d'un trait noir, le jaune sera moins altéré ; si entre la touche bleue
et le jaune vous interposez un trait noir et un trait brun rouge, le fond
jaune conservera sa valeur réelle, le brun rouge circonscrira entiôrement
le bleu, qui demeurera pur.
Les peintres décorateurs du moyen âge ont poussé aussi loin que pos-
sible cette connaissance de la valeur des tons, de leur influence et de leur
harmonie; et si les essais qu'on a tentés de nos jours n'ont guère réussi,
ce n'est point à ces peintres qu'il faut s'en prendre, mais à notre igno-
rance à peu près complète en ces matières. Le système harmonique
simple pour les parties verticales plus près de l'œil, composé déjà pour
les voûtes, employé dans la décoration de l'église des Jcicobins d'Agen,
établit une transition des plus intéressantes à observer. Les décorateurs
de cette salle ont été avares de bleu, et cependant, ne l'employant qu'en
très-petites surfaces, ils ont immédiatement admis le pourpre, le vert
et les filets noirs. Ils n'ont admis que deux tons bleus, le bleu intense
(valeur indigo, mais moins azuré), et le bleu limpide (cobalt mélangé
de blanc) ; quant au pourpre, il est brillant, comme celui qu'on pourrait
obtenir avec un glacis de laque garance avec une pointe de bleu minéral
sur une assiette de mine-orange posée claire. Les touches vertes, très-
rares d'ailleurs, sont vives et tendent au jaune. Les bruns rouges sont
éclatants, ils ont la valeur du vermillon avec plus de transparence. Les
jaunes sont du plus bel ocre mélangé parfois d'une pointe de cinabre.
D'or il n'en est pas une parcelle ; c'est que l'or est commandé par la pré-
sence du bleu en grande surface. Nous l'avons, dit tout à l'heure, le bleu
est une couleur qui rayonne plus qu'aucune autre, c'est-à-dire que sa
présence altère jusqu'à un certain point tous les autres tons: avec le bleu,
le rouge chatoie, le jaune verdit, les tons intermédiaires grisonnent ou
sont criards. L'or seul, par ses reflets métalliques, peut rétablir l'har-
monie entre les tons, quand le bleu apparaît en grande surface. L'or a
cette qualité singulière, bien qu'il donne une gamme de tons jaunes, de
ne pas être verdi par le bleu et de ne pas altérer son éclat. 11 prend, dans
ses ombres, des tons chauds qui tiennent lieu du brun rouge que nous
interposions ci-dessus entre le jaune ocre et le bleu; dans les demi-
teintes, il acquiert des reflets verdâtres qui ont une valeur puissante et
qui azurent le bleu ; dans les clairs, il scintille et prend un éclat qui ne
peut être altéré par aucun ton, si brillant qu'il soit. L'or devient ainsi
comme un thème dominant les accords, thème assez puissant pour
maintenir l'harmonie entre des tons si heurtés qu'ils soient. Il empêche
le rayonnement du bleu, et l'azuré tellement, qu'il faut le verdir pour
qu'il ne paraisse pas violet; il éclaircit le rouge (vermillon) par la cha-
leur extraordinaire de ses ombres ; il donne aux verts un éclat qu'ils ne
pourraient avoir à côté de surfaces bleues; il réchauffe le pourpre par
ses demi-teintes verdâtres. Ce n'est donc pas un désir assez vulgaire de
donner de la richesse à une décoration peinte qui a fait employer l'or en
— 93 — [ PEINTURE ]
û grande quantité pendant le xm* siècle, c'est un besoin d'harmonie im*
posé par l'adoption du bleu en grande surface, et l'adoption du bleu en
graade surface est commandée par les vitraux colorés. Cette question
mérite d'être examinée. Au xn* siècle, ainsi que nous l'avons vu, on avait
adopté une harmonie décorative simple et claire, composée de blanc, de
tons jaunes, brun rouge^ verdâtres, gris, gris ardoise, gris noir. Lorsqu'on
en vint à poser des verrières très-vivement colorées, et que la lumière,
éclairant les intérieurs, fut décomposée par l'interposition de ces vitraux,
on s'aperçut bientôt que ces tons clairs s'alourdissaient et prenaient un
aspect louche. On multiplia les traits noirs pour rendre de l'éclata ces
peintures ; mais le noir lui-même, sous le rayonnement des verrières
colorées, grisonnait. On mit des touches bleues ; mais il était difficile de
les harmoniser avec les jaunes ocres, et en petite surface ces bleus fai-
saient taches. Alors on prit un parti franc, on osa coucher des voûtes
entièrement en bleu, non pas en bleu pâle comme dans certaines déco-
rations de l'époque romane, mais en bleu pur, vif, éclatant. Il ne fallut
qu'un essai de ce genre pour faire voir que cette hardiesse devait faire
modifier tout le système harmonique de la peinture décorative. D'abord
les voûtes bleues éclairées par la lumière décomposée des vitraux pri-
rent un aspect tellement azuré, qu'elles paraissaient presque violettes,
d'un ton lourd que rien ne pouvait soutenir. Sur ces voûtes bleues on
essaya, comme correctif et pour rendre au bleu sa valeur réelle, de poser
des touches rouges, mais le chatoiement du rouge sur le bleu ne fai-
sait qu'azurer davantage cette couleur. On essaya des étoiles blanches,
mais les étoiles blanches paraissaient grises. Puis enfin on appliqua des
étoiles d'or. Immédiatement le bleu prit sa valeur, et au lieu de paraître
écraser le vaisseau , il s'éleva et acquit de la transparence. Soit que ces
touches d'or prissent la lumière, soit qu'elles restassent dans l'ombre,
dans le premier cas, leur éclat jaune, brillant, métallique, adoucissait
le ton bleu, dans le second leur valeur d'un jaune brun très-chaud le
bleuissait. Alors on put modifier ce ton bleu sans inconvénient, on le ver-
dit un peu pour lui enlever tout aspect violet. Mais ce point de départ si
intense, si brillant, si puissant, devait faire changer toute la gamme des
tons admis jusqu'alors. Pour soutenir des voûtes bleues rehaussées de
points d'or, aucune couleur n'était trop brillante ni trop intense; il fallut
admettre le vermillon, et même le vermillon glacé de laque,^ les verts
brillants, les pourpres transparents, et au milieu de tout cela jeter l'or
comme élément harmonique, saillant, dominant le tout. On alla même
jusqu'à plaquer des fonds d'émail ou de verre coloré et doré simulant un
émail, des gaufrures dorées, des applications de verroteries. C'est ainsi
que fut comprise la coloration de la sainte Chapelle du palais. Aucun
genre de décoration n'est plus entraînant que la peinture. Si vous mon-
ICE un ton, il faut monter tous les autres pour conserver l'accord : la pre-
mière couche de couleur que vous posez sur une partie est une sorte
d'engagement que vous vous imposez, qu'il faut rigoureusement tenir
[ PBINTURB ] — 9^ —
jusqu'au bout, sous peine de ne produire qu'un barbouillage repoussant.
Depuis longtemps on se tire d'affaire avec de l'or; quand l'harmonie ne
peut se soutenir, qu'elle n'a pas été calculée, on prodigue l'or. Mais l'or
(qu'on nous permette l'expression) est une épice, ce n'est pas un mets ; en
jeter partout, toujours et à tout propos, peut-ôtre n'est-ce qu'un aveu
d'impuissance. Il est des peintures d'un aspect très-riche sans que l'or y
entre pour la plus faible parcelle. L'or est l'appoint presque obligé du
bleu ; mais on peut produire un effet très-brillant sans bleu, et par con-
séquent sans or. Les peintures du donjon de Goucy, où il n'eati^ pas
une parcelle de bleu ni d'or, sont vives, gaies, harmonieuses, chaudes et
riches. Celles du réfectoire de la commanderie du Temple, à Meiz ^
sont d'un éclat mei*veilleux, et l'or ni le bleu ne s'y trouvent. Cette pein-
ture date de la première moite du xiii* siècle ; elle décore une salle com-
posée de deux nefs, avec une épine de colonnes portant un plafond en
charpente (fig. ik, voy. le plan A). Sur les colonnes est posée une poutre
maîtresse qui reçoit un solivage. La poutre, les solives et les parois de
la muraille sont entièrement revêtues de peintures. En B, nous indi-
quons la peinture des murailles dont le fond se modifie, comme dessin,
à chaque travée. Toute l'ornementation ne comporte que le blanc pour
les fonds, le jaune (ocre) et le rouge (ocre). Entre chaque solive a est un
dessin représentant des animaux se détachant en brun rouge vif sur fond
blanc. AuTdessous est une frise b dont l'ornement est blanc sur fond
brun rouge clair, avec redessinés brun rouge foncé. Puis, au droit de
chaque colonne, un dais c tracé de môme en brun rouge, avec figure d.
Entre chaque dais les fonds e se composent d'un semis brun rouge sur
blanc. Le soubassement f consiste en de larges denticules brun rouge,
avec intervalles jaune ocre g et feuillages brun rouge clair rehaussés de
traits noirs. La poutre maîtresse, par-dessous, donne le dessin h composé
d'un onde brun rouge sur le blanc, avec larges bordures jaunes. Les
solives I sont toutes variées : les unes figurent un vairé blanc sur fond
gris, avec filets brun rouge; d'autres, des chevrons alternativement
blancs, rouges et jaunes, séparés par des traits noirs. Sur ces faces, la
poutre maîtresse/ présente des chevaliers chargeant peints et redessinés
en rouge brun sur fond blanc, avec rosettes également rouges. Toute la
décoration de cette salle ne consiste donc qu'en deux tons, le jaune ocre
et le rouge ocre sur fond blanc, avec quelques rares touches grises. A
l'aide de ces moyens si simples, l'artiste a cependant obtenu un effet très-
brillant, très-vif et d'une harmonie parfaite. Mais ici le bleu ni l'or n'in^
terviennent dans la peinture.
On observera que les parties qui figurent des membres d'architecture,
comme le dais e, par exemple, ne prétendent pas simuler une ornemen-
tation en relief. Cette architecture peinte est toute de convention ; c'est
I Ge réfectoire est aujourd'hui compris dans les ouvrages de la citadeUe de Meti; il
sert de magasin à fourrages.
— 95 — ( PEINTURE ]
un hiéroglyphe. On ne songeait pas alors, pas plus que pendant la bonne
ïDliquiti, à faire des trompe-l'œil. Celte façon d'interpréter en peinture
irslfl'inf
l«^ÉW
i
certaines roriues arcbitectoniques mérite quelque attention, c'est une
partie Importante de cet art. 11 ne s'agit point de reproduire esactement
les dimensions relatives, le modelé, l' apparence réelle des reliefs, des
[ PEINTURE ] — 96 —
moulures, des colonnes el de» chapiteaux, mais d'interpréter ces formes
et de les faire entrer dans le domaine de la peinture. De fait^ si Ton pré-
tend modeler, par exemple, une arcature de pierre par des tons, ad-
mettant qu'on puisse produire quelque illusion sur un point, il est
certain qu'en regardant ce trompe-l'œil obliquement, non-seulement
l'illusion est impossible, mais ces surfaces qui n'ont pas de saillies, ces
moulures et profils qui ne se soumettent pas aux lois de la perspective,
produisent l'effet le plus désagréable. Le trompe-l'œil, dans ce cas, est
une satisfaction puérile que se donne le peintre à lui-môme, considérant
l'objet qu'il veut rendre sur un point; il ne fait pas une peinture décora-
tive, mais seulement un tour d'adresse. La belle antiquité et le moyen
âge n'ont pas compris de cette manière la peinture décorative. Les
peintres du xiii* siècle voulaient-ils décorer un soubassement par une
arcature que l'architecte n'avait pu obtenir en réalité, ils interprétaient
les formes architectoniques de cette manière (fig. 15 '). A l'aide de
couchés à plat en ocre jaune et de dessins brun rouge sur fond blanc,
ils obtenaient une décoration très-riche, très-facile à exécuter, peu dis-
pendieuse, et qui, en réalité, produit un effet beaucoup plus décoratif
que ne pourrait le faire une peinture en trompe-l'œil. Ici les tympans
entre les arcs, et les voiles tendus, ainsi que le filet J, sont couchés en
ocre jaune ; tout le reste de l'arcature, ainsi que les redessinés et bordures
des voiles, les ornements des tympans, est en brun rouge; le fond est
blanc laiteux. Ces procédés si simples, qu'on peut faire employer par
les ouvriers les plus ordinaires, expliquent comment la peinture s'appli-
quait alors aussi bien à des édifices modestes qu'à des chapelles et à des
salles somptueuses. Supposons le fond de cette arcature en bleu intense,
les formes en or redessinées de noir, les voiles et tympans pourpre clair
ou vert clair avec damasquinage d'or, et nous aurons un soubassement
d'une extrême richesse, qui cependant ne présentera aucune dificulté
d'exécution. Dans la peinture modeste comme dans la peinture somp-
tueuse, nous aurons une dose égale d'art; cela, en vérité, vaut mieux
les marbres peints, et l.'apparence grossière et barbare de la richesse
qu'on cherche généralement dans la peinture décorative, en essayant,
sans jamais y parvenir, bien entendu, à tromper le spectateur sur la
valeur réelle de l'objet décoré. Nous avons conservé quelques restes de
ces bonnes traditions dans nos papiers peints. Aussi se vendent-ils dans
le monde entier comme des œuvres d'art.
On a vu précédemment que les verrières très-colorées avaient imposé
une grande variété et une grande intensité de tons dans la peinture mu-
rale, ainsi que l'appoint de l'or. Mais des raisons d'économie ne per-
mettaient pas toujours d'adopter résolument cette harmonie compli-
quée qu'on ne pouvait obtenir qu'avec des ressources étendues. Il est
intéressant de voir comment les «rrtistes se sont tirés d'affaire en pareil
> Traces d'une arcature peinte^ abbaye de Fontfroide.
97 — [ PEINTURE ]
cas, en ne pouvant employer l'or, ni le bleu par conséquent, et en se bor-
nant à l'harmonie simple, celle qui ne comporte que le rouge, le jaune,
le blanc, le noir, et quelques intermédiaires, comme le gris et le vert.
Le cliŒur de l'église Saint-Nazaire de Carcassonne, ancienne cathé-
drale, est une véritable lanterne garnie de vitrauï d'un éclat et d'une
richesse de ton incomparables. Pour soutenir ta coloration translucide
de CCS verrières, on a cru devoir peindre ce chœur, mais probablement
les ressources étaient minimes, et l'on a visé à l'économie. Ne pouvant
employer l'or, les peintres n'ont pas adopté le bleu ; ils se sont contentés
«le l'harmonie simple, et voici comment ils ont procédé. Les verrières
formant la surface totale des parois, il ne restait à peindre que l'arcature
du soubassement, les piles et la voûte. La ligure 16, donnant la projec-
VIL — 13
[ FBIHTURE ] — 98 —
tion horizontale de celle voùle, on a réservé le triangle A pour y tracer
un sujet : Le Christ dans sa gloire; tous les autres triangles ont été divi-
sés aui deîs par des bandes b. Dans les quatre demi-triangles c ont été
tracées des figures d'anges sur fonds
blancs étoiles de rouge. Quant aux
" autres fonds des voûtes, ils ont été
alternativement coucbés en blanc et
en ocre rouge, ainsi que l_'indique
le tracé, la lettre B marquant le.s
fonds blancs et la lettre R les fonds
rouges. Cela était hardi', on en con-
viendra. Pour soutenir la valeur de
ces Ions placés sous tes voûtes, non-
seulement celles-ci ont été coupées
parles handes des clefs, mais elles ont
été bordées d'ornemenis très-vifs de
tons et très -dé taillés. Les nervures ont
été de môme couvertes d'ornemenLs
menus d'une extrême vivacité. Voici
(Qg. 17) un détail de la partie de la
voûte occupée par le Chrisl. Le person-
nage divin est v6tu d'une robe pourpre
se rapprochanlduviolel,avec doublure
vert clair ; son nimbe seul est or ; aussi
la seconde auréole a, peinte derrière
sesépaules, est-elle bleue. C'est la seule
touche bleue de toute la voûte. Le fond du Christ est rouge vif, les ani-
maux sont en grisaille, ainsi que l'auréole externe. Le fond des séra-
phins est brun rouge. Les deux anges et les deux séraphins sont en gri-
saille, avec ailes jaunes. Quant au fond P des autres grands anges, il est
blanc étoile de rouge, comme nous l'avons dit. Ceux-ci sont vêtus de
jaune, avec ailes en grisaille. La figure 18 donne les détails de la peinture
de ces voûtes. En A, l'arc-doubleau tracé en A' sur la ligure 17. Le
listel b est peint de carrés alternativement vermillon et brun rouge bor-
dés de larges traits noirs, avec demi-carrés ocre jaune. La gorge c est
brun rouge. Le boudin rf est orné d'une torsade alternativement noire,
ocre jaune et brun rouge, chaque ton étant séparé par un filet blanc. La
gorgerf'est brun rouge. Le second listel e est rempli par de petits quatre-
feuilles ocre jaune et brun rouge bordés d'un filet blanc, avec fond noir,
La gorge /est brun rouge. Le second boudin possède sur sa partie supé-
rieure des carrés vermillon bordés de lilets blancs ; le fond est ocre jaune;
la gorge au-dessous est ocre jaune. Le listel h se décore pardesquatre-
feuilles alternativement brun rouge et ocre jaune sur fond noir et bordé.s
de filets blanc.
Les arêtes B ont leur listel t semblable au listel e, La gorge k est brun
— 99 — [ PEIimiRE ]
rouge, le boudin / torsadé comme le boudin d. La gorge m possède des
pelils carrés gris ardoise sur fond ocre jaune, avec filet blanc inférieur.
Le boudin extrCme m est couTert de quatre-feuilles vermillon sur fond
noir, avec filets blancs. Le filet extrême o est également blanc. £n C,
nous donnons l'une des bordures couchées sur les voûtes à cAté des
arêtes ; ces bordures sont toutes à peu près semblables. Le fond du
dessin est brun rouge vif- les quatre-feuilles vermillon, avec carrés noir-
bleu; ils sont cernés d'un trait noir et d'uD bord blanc; les carrés iuter'
médiaires sont en ocre jaune et le petit enroulement blanc. Un large
filet blanc borde ces bandes ; il est doublé d'un autre filet brun rouge
clair, avec carrés gris ardoise et traits noirs. L'une des étoiles est figurée
en p. Ces étoiles, qui sont rouges sur les fonds blancs des voûtes, sont
blanches sur les fonds brun rouge. En D, nous donnons une des bandes
de clefs des voûtes; leur coloration consiste en un ornement blanc
quelque peu modelé de traits rouges, sur fond vermillon ; un large
filet brun rouge les divise par le milieu dans leur longueur; des filets
blancs arrêtent les fonds vermillon et sont bordés extérieurement de
yr^L
,1'
\
\
\
f
\
^
7X.
6
fllelB noir. Ces voûtes étapt supportées par des faisceaux de fines coton-
— 101 — [ PEINTURE ]
nettes, celles-ci sont simplement colorées de tons alternativement jaunes
et rouges, avec gorges noires ou rouges garnies de carrés noirs et filets
blancs; les chapiteaux ont leurs feuillages peints en ocre jaune sur
fond brun sombre. A l'entrée du chœur, des demi-colonnes G d'un assez
fort diamètre, 0",/!iO, sont décorées de peintures dont nous donnons le
détail développé en G'. Ce sont des carrés à quatre lobes alternativement
vert bleu et ocre jaune, sur les fonds desquels se détachent des orne-
ments jaune foncé sur le bleu verdâtre, blancs sur le jaune. Les inter-
valles / sont ocre jaune, avec ornements blancs dont nous traçons un
fragment à une plus grande échelle en S. Les carrés lobés sont cernés
d'un trait brun rouge et d'un champ blanc. Les filets externes de la
demi-colonne sont blancs, brun rouge et ocre jaune. Sous les fenêtres
il règne une arcature très-riche *, peinte d'écus armoyés sur des fonds
verts, des mitres surmontent lesécus. Les boudins sont ornés de torsades
blanches, noires et rouges; les gorges, de tons verts, avec carrés semés
noirs. Des filets blancs et rouges bordent les fonds. Malgré l'éclat des
vitraux, cette coloration se soutient et s'harmonise parfaitement avec
les tons translucides. Ces voûtes à triangles blancs et rouges alternés,
avec leurs bandes de clefs d'un ton brillant, et leurs bordures riches, sont
d'un effet très-chaud et très-solide. Les membres de l'architecture, vive-
ment détachés par des détails très-fins où le noir joue un rôle important,
se distinguent bien des remplissages, tout en paraissant légers. Ces pein-
tures datent du commencement du xiv* siècle, comme la construction
elle-même.
Il était nécessaire de prendre un parti franc lorsqu'on prétendait dé-
corer de peintures l'architecture dite gothique. Il fallait que cette pein-
ture laissât dominer entièrement l'éclat des vitraux colorés, ou qu'elle
pût soutenir cet éclat et y participer ; il était important surtout que les
formes de la construction, qui ont une si grande importance à dater du
XIII* siècle dans les édifices, fussent accusées nettement par le système
de peinture. Si l'on admettait les voûtes bleues étoilées d'or, par exemple,
il fallait que les nervures des voûtes fussent assez brillamment colorées
pour soutenir ces fonds puissants de ton et les renvoyer pour ainsi dire
à un autre plan. L'or était d'un grand secours en ces occasions, ainsi
que le noir cernant des tons vifs, comme le vermillon et le vert. La pein-
ture des nerfs de voûtes ainsi montée, il fallait, pour la soutenir, des tons
non moins vifs sur les faisceaux composant les piUs, d'autant que le
rayonnement des couleurs des vitraux tendait à atténuer la coloration
de ces piles, souvent très-minces. Ce n'était alors que par des gorges d'un
ton très-chaud et très-sombre, comme le brun rouge glacé de laque, ou
le pourpre très-puissant, ou le noir brun, qu'on pouvait combattre le
grisonnement que répandait le rayonnement des verrières sur ces sur-
* Voyei à l'article Co!fsnucTi05 la figure lii, qui donne une coupe de rentrée de ce
chœur.
[ PEINTURE ] — 102 —
faces voisines. 11 fallait même, pour donner à certaines couleurs, comme
le vermillon, tout leur éclat, les semer de touches opposées. Ainsi sur
la colonnette couchée en vermillon, on semait des touches bleu clair
cernées toujours de noir ; ou sur la colonnette couchée en bleu clair,
des touches d'un pourpre vif; sur celle couchée en bleu intense, des
touches pourpre rose. L*or venait aussi, bien entendu, prêter son éclat
à ces faisceaux de colonnettes dévorées par la juxtaposition des couleurs
translucides, lorsque le bleu entrait pour une grande part dans Tharmo-
nie générale. Les arcatures ou tapisseries disposées au-dessous des fenê-
tres, moins dévorées par les vitraux et plus près de FœiU pouvaient
reprendre des tons plus doux et plus clairs, et alors les faisceaux de co-
lonnettes passant devant elles se détachaient en vigueur et en éclat. Ce
parti était parfaitement compris dans la peinture de la sainte Chapelle
haute du Palais*. En effet, dans le système de peinture adopté pour cet
intérieur, toutes les parties qui portent, qui forment Tossatùre et les nerfs
de rédifice, se détachent en vigueur et en éclat. Les fonds sont au con-
traire doux et tenus au second plan.
Les peintres décorateurs du moyen âge, pour circonscrire le rayonne-
ment des vitraux colorés, employaient certains moyens d'un effet sûr.
Si les fenêtres possédaient des ébrasements, comme au commencement
du xiii* siècle, par exemple, ceux-ci étaient décorés d'ornements très-
vivement accusés par la différence des tons. Ces dessins étaient noirs et
blancs, comme celui présenté en A dans la figure 19, ou brun rouge noir
et blanc, comme celui tracé en B. Ces couleurs tranchées, atténuées par
l'effet de la lumière décomposée passant à travers des vitraux colorés,
conservaient assez de vigueur et de netteté pour border les peintures
translucides, et prenaient des tons harmonieux par le rayonnement de
ces peintures. Si les fenêtres, comme la plupart de celles qui se voient
dans les édifices du milieu du xiii* siècle, se composaient de meneaux
formant de légers faisceaux de colonnettes, celles-ci se couvraient de
tons très-voisins du noir, ainsi que le brun rouge foncé, le vert bleu très-
intense, l'ardoise sombre, le pourpre brun. Ces lignes obscures faisaient
un encadrement à la verrière ; mais cependant les vitraux colorés étant
toujours bordés d'un mince filet de verre blanc, comme pour les mettre
en marge et empêcher la bavure des tons translucides sur l'architecture,
le long de ce filet blanc transparent on peignait le solin en vermillon,
afin de mieux fairft ressortir l'éclat de la ligne lumineuse (voy. VmiAiL).
Indépendamment de la coloration et du système harmonique des tons
de la peinture décorative, les artistes des xii* et xiii* siècles notamment
' Lorsque Tou commença la restauration des peintures de la sainte ChapeUe, on n'a-
Ysit pas découvert le parti de coloration du fond des arcatures sous les fenêtres. On fit de
nombreux essais, tous sur une gamme sombre, mais l'harmonie générale était dérangée
par celle de ces fonds obscurs. En lavant un mur, du côté de l'entrée, on trouva, un
jour, un fragment de la tapisserie claire qui forme le fond de cette arcature; reproduit
immédiatement, rharmonie générale fut rétabUe.
— 103 — [ FBUfTURE ]
doDnaient aux dessins des orDemeots peints des formes qui convenaient
à la place qu'ils occupaient dans l'architecture. En effet, le dessin d'un
ornement appliqué sur une surface modifie sensiblement celle-ci, comma
9
nous l'avoDS indiqué sommairement dans la figure 6. Les litres, les ban-
deaux, se couvrent d'ornements courant horizontalement. Les piliers, les
colonnes, les surfaces verticales, qui portent et doivent paraître rigides,
ont leur surface occupée par des ornements ascendants.
Voici quelques exemples (fig. 20) d'ornements empruntés à des pein-
tures couvrant des colonnes des xii' et xiii" siècles. L'exemple A pro-
vient de colonnes des chapelles absidales de Saint-Denis. Il présente une
torsade vert clair sur fond blanc jaune, bordée d'un filet bruii rouge, avec
perlé blanc à cheval sur le rouge et le vert'. Les exemples B proviennent
de colonnes de l'église deHomans(DrAme). Celui F donne un treillis de
' Ce* ornemeats de colonne) sont présentés dételoppéi.
[ PEINTLIBE ] — jO(l —
feuillages rouges sur fond verl bleu ; celui Ha, un losange vert bleu, aver
dessins brun rouge sur fond blanc ; celui B6, un vairé bruu sombre el
verl sur blanc ; celui hc, un chevronné vert et rouge sur fond blanc, avec
niet brun interposé. Le dessin C, qui est tracé sur un fût d'une colonoe
de l'église Saint-Georges de Boscberville, est un chevronné rouge laqueux
et vert vifsurfondblanc, avec filet brun rougevif interposé'. L'exemple D,
très- fréquent au xiu' siècle, donne aux colonnes de la flnesse et de la
rigidité. Les ressauts des lignes verticales ont l'avantage de faire sentir
la surface cylindrique de la colonne, toujours détruite par les cannelure»,
surtout si ces colonnes sont grêles. C'est ce besoin de conformer l'orne-
' Ces l'ianiplcB Je colnimcs |ieialc* npparlieiiiiciil au xii* i^ièck'.
— 105 — [ PEINTURE ]
ment peint à la structure, et d'appuyer même celle-ci par le genre de
peinture^ qui a fait adopter ces appareib si fréquents dans la décoration
colorée des xii* et xiii« siècles particulièrement. Ces appareils sont très-
simples ou riches, ainsi que le fait voir la figure 21, blancs sur fond
u
il
TT
jaune ocre, ou, plus fréquemment, brun rouge sur fond blanc ou sur
fond jaune pÂle ; les lignes ainsi filées au pinceau sur de grandes surfaces,
simples, doublées, triplées ou accompagnées de certains ornements, pré-
sentent une décoration très-économique, faisant parfaitement valoir les
litres, les bandeaux, les faisceaux de colonnes, les bordures couvertes
d'une ornementation plus compliquée et de couleurs brillantes.
Dans les intérieurs, lorsque les parois et les piles sont peintes, la
sculpture, naturellement, se couvre de couleurs ; car il est à observer
que les artistes du moyen âge, comme ceux de l'antiquité, n'ont pas
admis la coloration partielle; ou bien ils n'ont pas peint les intérieurs,
ou ils les ont peints entièremenL S'ils ne disposaient que de ressources
minimes, quelquefois cette peinture n'était, sur une grande partie des
vu. — 1&
[ PEINTURE ] — 106 —
surfaces, qu'un badigeon; mais ils pensaient que la peinture appelait la
peinture, et qu'une litre colorée ne pouvait se poser toute seule sur un
mur conservant son ton de pierre. C'est là un sentiment d'harmonie
très-juste. S'il est parfois des exceptions à cette règle, c'est quand la
peinture n'est considérée que comme un redessiné de la forme. On voit
certaines sculptures de chapiteaux, par exemple, et des bas-reliefs, dont
les ornements ou les figures sont redessinés en noir ou en brun rouge ;
certaines gorges de nervures ou de faisceaux de colonnettes remplies
d'un ton brun, pour tracer la forme : mais cela n'est plus de la peinture,
c'est du dessin, un moyen d'insister sur des formes qu'on veut faire
mieux saisir. Parfois aussi, comme dans les voûtes du chœur de la cathé-
drale de Meaux, par exemple, on a eu l'idée de distinguer les claveaux
des arcs ogives ou des arcs-doubleaux au moyen de deux tons différents.
Ce sont là des exceptions. A l'article Statuaire, nous parlerons du mode
de coloration des imageries et des statues, car les artistes du moyen âge
ont le plus souvent admis, comme les Grecs de l'antiquité, que la sta-
tuaire devait être colorée. Quanta la sculpture d'ornement des intérieurs,
tenue dans des tons clairs sur fonds sombres pendant l'époque romane
et le XII' siècle, vert clair ou jaune ocre sur fonds brun, pourpre et même
noir, elle se colore plus vivement pendant le xiu* siècle, et surtout pen-
dant le xiV, afin de se détacher en vigueur sur les parties simples, con-
formément au parti que nous avons signalé plus haut. Si l'or apparaît
dans la décoration, les feuillages des chapiteaux sont dorés en tout ou
partie sur fonds pourpre, bleu, ou vermillon. Si l'or est exclu, les orne-
ments se couvrent de tons jaune, vert vif, sur fonds très -vigoureux, et le
Jaune est redessiné de traits noirs comme l'or; car jamais la dorure n'est
posée sans ôtre accompagnée d'épaisseurs et de dessous rouges, avec
redessinés noirs, afin de nettoyer et d'éclaircir les formes de la sculpture.
Ces traits noirs sont brillants, posés au moyen d'une substance assez
semblable à notre vernis, et ont toujours un œil brun. De cette manière
la dorure prend un éclat et un relief merveilleux, elle n'est jamais molle
et indécise. Si la dorure est posée en grandes surfaces, comme sur des
fonds ou sur des draperies de statues, des gaufrures ou un glacis donnent
un aspect précieux et léger à son éclat; on évite ainsi ces reflets écra-
sants pour la coloration voisine, les lumières trop larges et trop unifor-
mément brillantes.
Terminons cet aperçu de la décoration peinte des intérieurs par une
remarque générale sur le système adopté par les artistes du moyen âge.
Tout le monde a vu des tapis dits de Perse, des châles de l'Inde; chacun
est frappé de l'éclat doux et solide de ces étoffes et de leur harmonie in-
comparable. £h bien ! qu'on examine le procédé de coloration adopté
par ces tisserands orientaux. Ce procédé est au fond bien simple. Mettant
de côté le choix des tons, qui est toujours sobre et délicat, nous verrons
que sur dix tons huit sont rompus, et que la valeur de chacun d'eux ré-
sulte de la juxtaposition d'un autre ton. Défilez un châle de l'Inde, sépa-
— 107 — [ PEINTURE ]
rez les tons, et vous serez surpris du peu d'éclat de chacun d'eux pris
isolément. Il n'y aura pas un de ces pelotons de laine qui ne paraisse
terne en regard de nos teintures^ et cependant, lorsqu'ils ont passé sur
le métier du Tibétain et qu'ils sont devenus tissus, ils dépassent en
valeur harmonique toutes nos étoffes. Or cette qualité réside uniquement
dans la connaissance du rapport des tons, dans leur juste division, en
raison de leur influence les uns sur les autres, et surtout dans l'impor-
tance relative donnée aux tons rompus. Il ne s'agit pas en effet, pour
obtenir une peinture d'un aspect éclatant, de multiplier les couleurs
franches et de les faire crier les unes à côté des autres, mais de donner
une valeur singulière à un point par un entourage neutre. Un centimètre
carré de bleu turquoise sur une large surface brun mordoré acquerra
une valeur et une finesse telles, qu'à dix pas cette touche paraîtra bleue
et transparente. Quintuplez cette surface, non-seulement elle semblera
terne et louche, mais elle fera paraître le ton brun chaud qui l'entoure
lourd et froid. Il y a donc là une science^ science expérimentale, il est
vrai, mais que nos décorateurs possédaient à merveille pendant le moyen
âge, ainsi qu'ils l'ont prouvé dans la peinture de leurs monuments, de
leurs vignettes de manuscrits et de leurs vitraux; car ces lois, impérieuses
déjà dans la coloration monumentale, sont bien autrement tyranniques
encore dans la coloration translucide de vitraux, où chaque touche de
couleur prend une si grande importance.
Les procédés employés par les peintres pour décorer les intérieurs
étaient déjà très-perfectionnés au xiii* siècle, ainsi qu'on en peut juger
en examinant les peintures anciennes de la sainte Chapelle et celles de
certains retables de la même époque '. Alors les vernis et même la pein-
ture à l'huile étaient en usage. Au xiv* siècle, il parait même qu'on fai-
sait un emploi fréquent de ce dernier procédé en France, en Italie et en
Allemagne^. M. Émeric David, dans ses Discours historiques sur lapein-
twre moderne ^y démontre d'une manière évidente que dès le xi* siècle les
peintres employaient les couleurs broyées avec de l'huile de lin pure,
et le devis des peintures exécutées par ordre du duc de Normandie (de-
puis Charles Y) dans le château de Yaudreuil, en 1355, par Jehan Coste^
prouve que le procédé de la peinture à l'huile était alors connu en France,
et pratiqué non-seulement pour les meubles et menus ouvrages, mais
aussi pour la décoration sur les murs. Ce devis commence ainsi :
a Premièrement pour la salle assouvir en la manière que elle est
« commenciée ou mieux ; c'est assavoir : parfaire l'ystoire de la vie de
' Entre autres, le rcUble déposé dans le bas côté sud du chœur de l'église abbatiale
de Westminster (ouvrage de TÉcoIe française).
' Voyez Cennino Gennini, déjà cité, et le devis de la peinture faite dans Tancien château
royal de Yaudreuil, en Normandie, en 1356, publié dans les tomes I et 111 de la 2*^ série
de la Biblioth. de V École des chartes, p. 544 et 334.
^ Paris, 1813, in-8.
f PEINTURE ] — 108 —
a César, et au-dessouz en la derreniere liste (litre) une liste de bestes et
a d'images, einsi comme est commencée.
« Item la galerie à rentrée de la salle en laquelle est la chace parfaire,
a einsi comme est commencée.
« Item la grant chapelle fere des ystoires de Notre Dame, de sainte
(( Anne et de la Passion entour l'autel, ce qui en y pourra estre fet, etc.
« Et toutes ces choses dessus devisées seront fêtes de fines couleurs
(( à l'huile, et les champs de fin or enlevé (en.relief)*-** etc. »
Les glacis, fréquemment employés dans la peinture décorative, à dater
du xiri* siècle, la finesse de ces peintures, leur solidité et leur aspect
brillant, indiquent un procédé permettant toutes les délicatesses de mo-
delé et de coloration. Avec la peinture à l'huile, les artistes des xiv* et
XV* siècles, en France, employaient aussi une peinture dans laquelle il
entre, comme gluten, un principe résineux très-dur et très-transparent,
ainsi que la gomme copale par exemple. Peut-être les deux éléments,
l'huile et la résine, étaient-ils simultanément employés, la gomme copale
tenant lieu alors de siccatif. L'analyse de quelques-unes de ces peintures
présente souvent en effet une certaine quantité de résine.
La peinture décorative ne s'appliquait pas seulement aux parois des
intérieurs, elle jouait un rôle important à l'extérieur des édifices. La
façade de Notre-Dame de Paris présente de nombreuses traces de pein-
tures et de dorures, non pas posées sur les nus des murs, mais sur les
moulures, les colonnes, les sculptures d'ornement et la statuaire. Od
peut faire la môme observation sous les porches de la cathédrale d'Amiens;
et les ornements placés au sommet des grands pignons du transsept
de la cathédrale de Paris, qui datent de 1257, étaient dorés avec fonds
rouge sombre et noir.
La coloration appliquée à l'extérieur est beaucoup plus heurtée que ne
l'est celle des intérieurs ; ce sont des tons rouge vif (vermillon glacé d'un
ton pourpre très-brillant), des tons vert cru, des jaune ocre orangé, des
noirs et des blancs purs, rarement des bleus. C'est qu'en effet, à l'exté-
rieur, la vivacité de la lumière directe et des ombres permet des duretés
de coloration qui ne seraient pas supportables sous la lumière tamisée et
diffuse des intérieurs.
La statuaire, suivant la méthode antique, est redessinée par des linéa-
ments noir brun, qui accusent les traits des tètes, les bords des dra-
peries, les broderies, les plis des vêtements. Les ornements sont de
même très-fortement redessinés par ces traits noirs, soit sur les fonds,
soit sur les rives. Quelquefois, sous les saillies des larmiers, des ban-
deaux ou corniches, les boudins couchés d'un ton rouge ou vert étaient
rehaussés de perlés blancs ou jaunes qui donnaient une singulière finesse
aux moulures. Nous sommes devenus si timides, en fait de peinture
monumentale, que nous ne comprenons guère aujourd'hui cette expres-
sion de l'art. Il en est de la peinture appliquée à l'architecture comme
d'une composition musicale qui, pour être comprise, doit être entendue
— 109 — [ PBIMTUIIE ]
plusieurs fais. Et s'il j a vingt ans, personne à Paris ne comprenait une
symphonie de Beethoven, on ne saurait s'en prendre à Beethoven. L'har-
monie est un langage pour les oreilles comme pour les yeux ; il faut se
familiariser avec lui pour en saisir le sens. Quelques personnes éclairées
admettent volontiers que les intérieurs des édifices peuvent bien être
décorés de peintures; mais l'idée de décorer les extérieurs semble très-
étrange, surtout s'il s'agit de les décorer, non point par quelques tym-
pans sous des porches, mais par un ensemble de coloration qui s'éten-
drait sur presqu& toute une façade.
Cependant les artistes du moyen âge n'eurent jamais l'idée de couvrir
entièrement de couleur une façade de 70 mètres de hauteur sur 50 de
large, comme celle de Notre-Dame de Paris. Mais sur ces immenses sur-
faces ils adoptaient un parti de coloration. Ainsi à Notre-Dame de Paris
les trois portes, avec leurs voussures et leurs tympans, étaient entière-
ment peintes et dorées; les quatre niches reliant ces portes, et conte-
nant quatre statues colossales, étaient également peintes. Au-dessus, la
galerie des rois formait une large litre toute colorée et dorée. La pein-
ture, au-dessus de cette litre, ne s'attachait plus qu'aux deux grandes
arcades avec fenêtres, sous les tours, et à la rose centrale, qui étincelait
de dorures. La partie supérieure^ perdue dans l'atmosphère, était laissée
en ton de pierre. En examinant cette façade, il est aisé de se rendre
compte de l'effet splendide que devait produire ce parti si bien d'accord
avec la composition architectonique. Dans cette coloration le noir jouait
un rôle important ; il bordait les moulures, remplissait des fonds, cer-
nait les ornements, redessinait les figures en traits larges et posés avec
un sentiment vrai de la forme. Le noir intervenait là comme une retouche
du maître, pour lui enlever sa froideur et sa sécheresse; il ne faisait que
doubler souvent un large trait brun rouge. Les combles étaient brillants
de couleurs, soit par la combinaison de tuiles vernissées, soit par des
peintures et dorures appliquées sur les plombs (voy. Plomberie). Quel-
quefois môme des plaques de verre posées dans des fonds sur un mas-
tic, avec interposition d'une feuille d'étain ou d'or, ajoutaient des touches
d'un éclat très-vif au milieu des tons mats. Pourquoi nous privons-nous
de toutes ces ressources fournies par l'art ? Pourquoi l'école dite classique
prétend-elle que la froideur et la monotonie sont les compagnes insépa-
rables de la beauté, quand les Grecs, qu'on nous présente comme les
artistes par excellence, ont toujours coloré leurs édifices à l'intérieur
comme à l'extérieur, non pas timidement, mais à l'aide de couleurs
d'une extrême vivacité ?
A dater du xvi* siècle on a renoncé à la peinture extérieure de l'archi-
tecture, et n'est-ce que peu à peu que la coloration disparaît ; encore au
commencement du xvii* siècle cherchait-on les effets colorés à l'aide
d'un mélange de brique et de pierre, parfois même de faïences appli-
quées.
( PBMDENTTF ] _ HO —
PENDENTIF, s. m. Triangle d'une voûle hémisphérique laissé entre les
pénétrations, dans cette voûle, de deux berceaux se mi -cylindriques, ou
Tormés d'une courbe brisée [dite ogive). Les pendenlifs les plus anciens
signalés dans l'architerture du moyen âge en France sont ceux qui
portent les coupoles de l'église abbatiale de Saint-Front, à Périgueux
[voy. CorroLE, fig. 6). Ce système de construction n'a guère été employé
que dans les localités voisines de ce monument important. Mais, par
extension, on a donné le nom de jumdeniif» h. des trompes ou à des
encorbellements posés dans les angles formés par des arcs portant sur
plan carré et desliné^^ à faire passer la construction du carré h l'octogone
ou au plan circulaire.
— 111 — [ PBNDBWTIF J
Prenant la dénomination de pendentifs dans celle dernière acceplion^
nous aurions dans beaucoup de provinces de la France des coupoles
et des tours de transsept portant sur pendentifs. Ainsi, par exemple, la
lanterne centrale de l'église de Nantua serait portée sur des pendentifs
(fig. 1). De fait, le triangle A n'est qu'un encorbellement dont la section
horizontale est droite et non courbe, ainsi que doit être toute section
horizontale de pendentif. Les assises qui composent cet encorbellement
ont leurs lits horizontaux, et non point tendants au centre d'une sphère,
comnae doivent l'être les lits des pendentifs.
Afin de rétablir la véritable signification du mol pendentifs nous pré-
sentons dans la figure 2 une sorte d'analyse du syslème de construction
auquel seul on doit rappliquer. Soit une demi-sphère dont la projection
horizontale est la ligne ponctuée ABGD. Si, sur chaque face du carré
ABGD inscrit par cette sphère, nous élevons des plans verticaux, nous
formons quatre sections ABa, BC6, GDc, DArf, dans la demi-sphère, qui
donnent les demi-cercles. Supposons que, sous ces quatre demi-cercles,
nous bandions quatre arcs, nous reportons le poids de la calotte supé-
rieure de cette sphère et des quatre triangles sur les quatre points ABGD.
Ceci fait, admettons qu'au-dessus de la clef de ces quatre arcs, nous fas-
sions une section horizontale dans la demi-sphère, nous obtenons un
cercle parfait abcd. Sur ce cercle élevons une voûte hémisphérique abcde^
[ PBNDBNTIF ] — 112 —
nous aurons une coupole portée sur quatre véritables pendentifs. Les
coupes de tous les claveaux formant ces pendentifs (qui ne sont que des
fragments d'une première coupole) tendront au centre E, comme toutes
les coupes des claveaux de la coupole supérieure abcde tendront au
centre g. Ainsi Tensemble formera une croûte homogène, dont les pe-
santeurs tendront à presser les claveaux vers l'intérieur et se reporteront
en totalité sur les quatre points ABCD. Ce système de voûte, employé
pour la première fois dans la grande église de Sainte-Sophie de Gonstan-
tinople S fut, comme nous l'avons dit, appliqué à la construction de
l'église de Saint-Marc de Venise, puis à celle de Téglise de Saint-Front
de Périgueux, vers la fin du x* siècle. Toutefois les constructeurs péri-
gourdins manifestèrent une timidité dans l'emploi des moyens, qui
ferait croire à leur peu de confiance dans l'efficacité de ce système, et
surtout à leur complète ignorance de la théorie des pendentifs ; tandis
qu'à Saint-Marc de Venise, les coupoles et leurs pendentifs sont tracés et
conduits suivant le principe théorique qui régit ce genre de structure.
A Saint-Marc, la courbe génératrice des pendentifs et des coupoles est le
demi-cercle parfait ; il n'en est pas de même à Saint-Front de Périgueux,
et nous allons voir quelles furent les conséquences singulières de la
modification apportée par les architectes français au [^principe admis à
Saint-Marc. La figure 3 donne en A la projection horizontale de l'une
des coupoles de Saint-Front. Les quatre piliers qui portent les arcs-dou-
bleaux recevant les pendentifs sont en B. Effrayé peut-être du sur-
plomb qu'allaient former les quatre pendentifs, s'ils étaient engendrés
par un demi-cercle, l'architecte de Saint-Front eut l'idée d'engendrer ces
pendentifs au moyen d'une courbe brisée abc (voy. la coupe C). Dès lors,
élevant des plans verticaux des angles des quatre piliers pour former la
pénétration des arcs-doubleaux dans la forme génératrice des pendentifs,
on ne pouvait obtenir des demi-cercles, mais une courbe elliptique tracée
en efg. L'ellipse présentant des difficultés d'appareil, l'architecte tricha
et remplaça cette courbe elliptique par un arc brisé efi. Fait inusité
pour l'époque, et qui semble d'autant plus étrange, que, dans cet édifice,
tous les autres arcs sont plein cintre. Cet architecte, au lieu d'élever la
coupole sur les pendentifs à l'aplomb A, la retraita en /, et donna à
celle-ci une courbe en ogive émoussée /m, ainsi que le fait voir la coupe.
Si bien que la coupe faite sur la diagonale no donne le tracé D. Il faut
dire que les pendentifs, au lieu d'être construits au moyen de claveaux
dont les coupes tendraient au centre n, sont formés d'assises de gros
moellons posés horizontalement en encorbellement , comme on le voit
enp. Les pendentifs n'étaient donc ici qu'une apparence^ non point un
principe de structure compris et admis. Ce fait seul semblerait indiquer
que si Téglise de Saint-Front fut élevée à l'iqstar de celle de Saint-Marc,
' Sainte-Sophie de CSonsiantinoplc présente, du moins, le premier exemple connu de
ce genre de Toute.
— 113 — [ PENDENTIF ]
îiiûsi que Va parfaitement démontré M. Félix de Verneilh', la construc-
lion en aurait élé confiée à quelque architecte occidental qui, ne seren-
^^ntpas un compte exact du système des coupoles sur pendentifs (puiss
I t'
*"^''chiteclHre ôyzanltne en Frawce, 1851.
VII. — 15
[ PÉnÉTBATION ] — ll/l —
que ces pendentifs ne sont, après tout, que des encorbeliements], cher-
chait par conséquent à diminuer leur surplomb en ne faisant pas élever
les coupoles à l'aplomb de la section supérieure de ces pendentifs. Plus
tard nos architectes occidentaux, mieux renseignés ou plus savants, éle-
vèrent de véritables coupoles sur pendentifs, ainsi que le démontrent les
(■glises d'Angoulême, de Solignac, de Gahors, de Souillac, etc. Et cepen-
dant on observera que la courbe génératrice admise pour les pendentifs
(le Saint-l-'ront de Périgueux demeura consacrée, car les arcs-doubleaux
do ces églises donnent tous des courbes brisées, bien que, dans ces con-
trées, le plein cintre fût longtemps en honneur. (Voy. Abchitect0re
RELIGIEUSK, CONSTRIICTION , GOUPOLE.}
PÉNÉTRATION, S. f.
Mot employé en archi-
tecture pour désigner
les points d'intersec-
tion de deux corps ou
de deux formes. Ainsi,
par exemple, dans In
figure 139 (voy. article
CoNSTHUCTtON), les Ou-
vertures des lucarnes
de la grand'salle du
château de Coucy for-
ment des pénétra-
tions dans la voûte en
lambris. Dans l'archi-
Iccture romane, on
voit quelquefois des
fenêtres faire pénétra-
tion dans des voûtes
en maçonnerie. Uuel-
ques voûtes en ber-
ceau de l'époque ro-
mane reçoivent aussi
parfois des voûtains
en pénétration. Ces
cas toutefois sont ex-
trêmement rares. En
voici [figure 1 ) un
exemple provenant de
l'église abbatiale de
Fontgombaud (Indre)
(xir siècle). 11 est surprenant qu'ayant reconnu le danger des voûtes en
berceau, dont les poussées agissent sur toute la longueur des murs goût-
— 115 — [ PEimoN ]
terots, les architectes du xii* siècle n'aient pas plus souvent employé le
système des pénétrations, qui avait cet avantage de répartir ces poussées
sur certains points plus solides ou contre-butés. Dans l'église de Font-
gombaud, les arcs et voûtes sont en plein cintre. Cette pénétration seule,
bien que de la même époque, présente une courbe en tiers-point; elle
avait été pratiquée dans la première travée des bras de croix, pour per-
mettre l'ouverture d'une fenêtre supérieure exceptionnelle. On voit des
fenêtres en pénétration dans la voûte de la nef de la petite église de Chft-
teauneuf (Saône-el-Loire).
On donne aussi le nom de pénétrations à ces formes prismatiques
verticales qui, dans l'architecture du xv* siècle, passent à travers les
bandeaux et se retrouvent à des hauteurs différentes. (Voy. l'article
Trait).
PENTURE, S. f. Pièce de serrurerie employée pour suspendre les van-
taux de portes. (Yoy. Scbroreiue).
PERRON, s. m. Pendant le moyen ftge, le mot perron s'emploie com
raanément pour désigner l'emmarchement extérieur qui donne entrée
dans la salle principale du château ou du palais, dans le lieu réservé aux
plaids, aux grandes assemblées.
Dans la Chanson des Saxons^ les barons apportent à Charlemagne cha-
cun quatre deniers. L'empereur fait mettre la somme en monceau :
« Karlcs les a fait fondre ù force de charbons,
tt Devant la maistre sale an fa faiz. i. perrons,
« Li baron de Herupe (Angers) i escristrent lor nous;
« Puis i fu mis li Karle^ si que bien le savons,
« Que jamais en Herupe n'icrt chevages semons \ »
Le perron est une de ces traditions des peuples du Nord dont l'origine
remonte bien loin dans les annales historiques. C'est la plate-forme des
Scythes, ramoncellement de pierres sur lequel s'assied le chef de la tribu ;
Temblème du lieu élevé où se tiennent et d'où descendent les races con-
quérantes et supérieures. Il serait intéressant de rechercher et de réunir
les origines de la plate-forme assise sur un emmarchement, car c'est là
un des monuments qu'on trouve sur la surface du globe partout où
une race supérieure s'est établie au milieu de peuplades conquises. C'est
du haut d'un perron que Yimperator romain parle aux troupes sous ses
ordres. Le tribunal de campagne sur lequel s'assied le général pour
recevoir la soumission des vaincus, n'est-ce qu'un amoncellement de
1 Chanson de$ Saxons ^ de Jean Bodel, poëtc artésien du xni* siècle.
* Chap. xLV,
[ perhon J — 116 —
pierres avecemmarcheraent *. Cestsur un perron que l'auteur d« la Chanson
de Roland fait mourir son héros, comme sur un lieu sacré :
a Prist rolifan, que reproce n'en ail,
« E Durandal s'espéc en l'altre main ;
« D'un arbaleste ne poest traire uu quarrel ;
« Devers Espaigne en vait en un guaret,
d M untet sur un tertre desui un arbre bclo ;
M Quatre perrons i ad de marbre faite ;
« Sur l'erbe verte si est caeit envers,
c Là s'est pasmet ; kar la mort li est près '. »
Dans les romans des xii* et xiii' siècles, il est sans cesse question de
perrons au haut desquels se tiennent les seigneurs pour recevoir leurs
vassaux :
ff Li dux s'asist sus un peron de marbre '. ■
C'est au bas du perron des palais que descendent les personnages qui
viennent visiter le suzerain ; c'est là qu'on les reçoit, si l'on veut leur
faire honneur.
a De joiaus, de richesses trestous Paris resplent :
« Au perron de ]a sale la ro^ne descent,
« Maint haut baron Tadestrent moult debonairement.
If Car de H honorer a chascun bon talent ^. »
Lorsque Guillaume d'Orange se rend auprès du roi de France après la
prise d'Orange, il arrive incognito :
« Li cuens Guillaumes descend! au perron
« Mes ne trova cscuier né garçon
« Qui li tenist son auferrant gascon (son cheval).
« Li bers l'atache à l'olivier réon ^. »
Les perrons des châteaux étaient accompagnés de montoirs (voy.
Montoir) :
« Sor les chevax montèrent c'on lor tint au perron ' :
il Fors de la salle aueit-un mis,
a Un graut peron de marbre bis,
« U li poisant hume munteient.
« Qui de la Gurt le Roi esteient T. »
' Vojei 1^8 bas-reliefs de la colonne Trigane. — c Ipse in munitione pro caslrit eonse^
dit : eo duces producuntur. » (De belio gail., lib. VII, reddition d'Alise.)
^ Chanson de Roland^ st. cixv.
* Ogier tArdenois, vers 8517.
* U Romans de Berte aus grans piés^ chap. ix.
* Guiilaùme d'Orange^ la HataiUe d'Aleschans, vers 2568 et suiv.
' Chanson des Saxons^ chap. xxii.
^ Le lai de Laval {Poésies de Marie de France).
— 147 — [ PEunoK ]
Le perron, comme nous l'avons vu déjà ci-dessus, est quelquefois un
monument destiné à perpétuer une victoire. Tel est celui que Charlcr
magne fait élever à Trémoigne :
« An la cit de Trémoigne tist. i. perron lever
a Large et gros et qarré an haut plus d'un este;
« Sa victoire i fist mètre, escrire et seeler,
« A bêles letres d'or dou meiUor d'outre-mer :
« Ce list-il que li Saisne s'i poissent mirer ;
« Sovantes foiz avoient telant de révéler ^ »
Le perron est donc une marque de noblesse, un signe de puissance et
de juridiction. Les communes élevaient des perrons devant leurs hôtels
(le Tille, comme signe de leurs franchises ; aussi voyons-nous que lorsque
Charles, duc de Bourgogne, a soumis le territoire de la ville de Liège,
enU67, pour punir les bourgeois de leur révolte, et comme marque de
leur humiliation :
« Les turs, les murs, les portes,
« Fist le duc mettre jus
« Et toutes plaches fortes,
« Kncoire fist-il plus :
« Car pour porter en Flandres
« Fisthoster le perron,
a Adfln que de leur esclandre
a Puist estre mention ^, »
Ce passage fait comprendre toute l'importance qu'on attachait au per-
ron pendant le moyen âge, et comment ces degrés extérieurs étaient con-
sidérés comme la marque visible d'un pouvoir seigneurial. Le sire de
Joinville rapporte qu'un jour allant au palais, il rencontra une charrette
chargée de trois morts qu'on menait au roi. Un clerc avait tué ces trois
hommes, lesquels étaient sergents du Châtelet et l'avaient dépouillé de
ses vêtements. Sortant de sa chapelle, le roi « ala au perron pour veoir
« les mors, et demanda au prevost de Paris comment ce avoit esté ». Le
faitéclairci, et le clerc ayant agi bravement, dans un cas de légitime dé-
fense : « Sire clerc, fist le roy, le rapport entendu, vous avez perdu a
« estre prestre par vostre proesce, et par vostre proesce je vous restieng
« à mes gages, et en venrez avec moy outre-mer. Et ceste chose vous foiz-
«je encore, pour ce que je veil bien que ma gent voient que je ne les
«soustendrai en nulles de leurs mauvestiés '.»
* Chanson des Saxons, chap, ccxcvi.
^ Chants populaires du temps de Charles Vil et de Louis XI, publiés par M. Le Roux
àt LiDcy. Aubry, 1857.
' Mémoires du sire de Joinville, § 64.
[ PERRON ] — 148 —
Voilà donc un jugement rendu par le suzerain, en plein air, du haut
du perron de son palais.
Ces perrons, par l'importance même qu'ils prenaient dans les palais
et châteaux, étaient richement bâtis, ornés de balustrades et de figures
sculptées. Quelques seigneurs, d'après un usage qui semble fort ancien,
attachaient même parfois des animaux sauvages au bas des perrons,
comme pour en défendre l'approche. Un fabliau du xiii* siècle* rapporte
qu'un certain sénéchal de la ville de Rome, homme riche et puissant,
avait attaché un ours au perron de son palais. En haut du perron du
château de Coucy, à l'entrée de la grand'salle, était une table portant
un lion de pierre, soutenue par quatre autres lions^.
On nous pardonnera la longueur de ces citations; elles étaient néces-
saires pour expliquer l'importance des perrons pendant le moyen âge.
Nous allons examiner maintenant quelques-uns de ces monuments. L'un
des plus remarquables, bien qu'il ne fût pas d'une époque très-ancienne,
était le perron construit devant l'aile qui réunissait la sainte Chapelle du
palais à Paris à la grand'salle. Ce perron datait du règne de Philippe le
Bel, et avait été élevé par les soins d'Enguerrand de Marigny. A Tavé-
nement de Louis le Hutin, Enguerrand ayant été condamné au gibet, son
effigie fut a jettée du haut en bas des grands degrez du palais^ ». Ce ne
fut que vers la fin du dernier siècle que le grand degré du palais fut dé-
truit, pour être remplacé par le perron actuel (voy. Palais, fig. 1). C'est
devant cet emmarchement, un peu vers la gauche, qu'était planté le
may. Nous donnons (fig. 1) une vue perspective du perron élevé au com-
mencement du XIV* siècle^. Lorsqu'il fut détruit, des échoppes encom-
braient ses deux murs d'échiffre et venaient s'accoler à la belle galerie
d'Enguerrand ; mais la porte qu'on voit dans notre figure subsistait
encore presque entière, avec ses trois statues. Une voûte pratiquée sous
le grand palier supérieur permettait de communiquer d'un côté à l'autre
de la cour. Le perron du palais des comtes de Champagne, h Troyes,
présentait une disposition semblable, et datait du commencement du
xiïi' siècle. Il donnait directement entrée sur l'un des flancs delà grand'-
salle. Au bas des degrés, à quelques mètres en avant, était placé un
socle sur lequel on coupait le poing aux criminels, après qu'on leur
avait lu la sentence qui les condamnait au dernier supplice ^ Quelque-
fois ces perrons étaient couverts en tout ou partie : tel était celui du chà-
- * Le Chien et le Set^ent (voy. Legrand d'Aussy).
3 Quelques fragments de ce monument existent encore. Us ont été déposés dans le
donjon.
^ Corrozet, Antiquités de Paris.
* Restaurée ù l'aide des anciens plans du palais et des deux dessins de la collection
Lassus, qui ont été lithographies en fac-similé pour faire partie d'une monographie du
Palais.
* Voyez le Voyage archéologique dans le département de l'Aube^ par Arnaud. Troyes,
1837.
— 119 — [ rERHON
leau de Monlargis (voy. Escalier, lig. 2), qui datait du xiu' siècle, et se
divisait en trois rampes surmontées de combles de charpente.
Le château de Pierrefonds possédait un remarquable perron à la base
lie l'escalier d'honneur," avec deux montoirs powr les cavaliers et une
ïoùte en arcs ogives, avec lerrasse au-dessus. Nous donnons (lig. 2) le
pian de ce perron. L'escalier B permet d'arriver aux grandes salles du
ilonjon situées en A ; il débouche vers lacour',surun degré delrois pans.
Les deux montoirs sont en G ; trois voftles d'arête recouvrent i'emmar-
cbement. Une vue de ce perron, prise du point P (ûg, 3), nous dispensera
d'entrer dans de plus amples détails. Il est peu de dispositions adoptées
' VqjM le plan joint i lu A'odre jur le cliàkuu île Piei-refoiuli, 'i' ciiH-, ViuUet-lc-Duc.
^.
— 121 — [ PIERRE ]
dans la construction des châteaux du moyen âge qui se soient perpétuées
plus longtemps, puisque nous la voyons conservée encore de nos jours.
Le grand escalier en fer à cheval du château de Fontainebleau, dont
on attribue la construction à Philibert Delorme, est une tradition des
perrons du moyen âge. Celui du château de Chantilly formait une loge,
avec deux rampes latérales, et datait du xvi" siècle K
Le perron était un signe de juridiction, et les prévôts rendaient la
justice en plein air, du haut de leur perron'; aussi les hôtels de ville
possédaient-ils habituellement un perron, et Tenlèveraent de ce degré
avait lieu lorsqu'on voulait punir une cité de sa rébellion envers le suze-
rain, comme nous Tavons vu ci-dessus, à propos de l'insurrection des
gens de Liège.
PIERRE (a BATIR), s. f. Les Romains ont été les plus intelligents explo^
râleurs de carrières qui aient jamais existé. Les constructions de pierre
qu'ils ont laissées sont élevées toujours avec les meilleurs matériaux que
Ton pouvait se procurer dans le voisinage de leurs monuments. Il n'existe
pas d*édifice romain dont les pierres soient de médiocre qualité :
lorsque celles-ci faisaient absolument défaut dans un rayon étendu, ils
employaient le caillou ou la brique, plutôt que de mettre en œuvre de la
pierre à bâtir d'une qualité inférieure ; et si l'on veut avoir de bonnes
pierres de taille dans une contrée où les Romains ont élevé des monu-
ments, il ne s'agit que de rechercher les carrières romaines. Cette règle
nous a été souvent d'un grand secours, lorsque nous avons eu à construire
dans des localités où l'usage d'employer les pierres de taille était aban-
donné depuis longtemps. Môme sur les terrains riches en matériaux
propres à la construction, il est intéressant d'observer comment les bâ-
tisseurs romains ont su exploiter avec une sagacité rare les meilleurs
endroits, quelque difficile que fût Textraclion. Ce fait peut être observé
en Provence, en Languedoc, dans le pays des Éduens (environs d'An-
tun), dans le Bordelais et la Saintonge, et sur les côtes de la Méditer-
ranée. On voit, par exemple, sur la route romaine de Nice à Menton, au
point où se trouve le monument connu sous le nom de la Turbie, une
carrière romaine demeurée intacte depuis l'époque où fut élevé cet édi-
fice. Cette carrière, au milieu de montagnes calcaires, est située sur un
escarpement presque inaccessible au-dessus de la petite ville de Monaco ;
c'est qu'en effet il se trouve sur ce point un banc épais de roches calcaires
d'une qualité très-supérieure. Ces traditions se conservèrent pendant le
moyen âge ; on connaissait les bonnes carrières, et la pierre qu'on em-
ployait était généralement choisie avec soin. 11 n'est pas de contrée en
Europe qui fournisse une quantité de pierres à bâtir aussi variées et aussi
bonnes que la France.
* Voyez Ducerccau, l/"i plus excellens bastimens de France»
' Voyc« le conte] du ikitTiitain (Legrand d'Aussy).
VII. — 16
[ PIERRE ] — 122 —
Si Ton jette les yeux sur la carie géologique de la France, on observera
que depuis Mézières, en remontant la Meuse et en se dirigeant vers le
sud-ouest par Ghaumont, Ghâtillon-sur-Seine, Glamecy, la Charité, Ne-
vers, la Châtre, Poitiers et Niort, puis descendant vers le sud-est par
Rufl*ec,Nontron,Exideuil, Souillac,Figeac,ViIlefranche, Mende,Millaud,
puis remontant par Anduze, Alais, Largentière et Privas, on suîl une
chaîne non interrompue de calcaire Jurassique qu'on retrouve encore
après avoir traverse le Rhône, en remontant TAin depuis Belley jusqu'à
Salins, et le Doubs depuis Pontarlier jusqu'à la limite de la forêt Noire.
Vers le Nord, de Sablé jusqu'à l'embouchure de l'Orne, s'allonge une
branche de cette chaîne qui semble avoir été disposée pour répartir sur
toutes les provinces de la France les matériaux les plus favorables à la
construction. Dans les cinq grandes divisions que forme cette chaîne, on
trouve dans la première, au nord, la craie à Troyes, à Arcis, à Chàlons-
sur-Seine, et à Reims; les calcaires grossiers dans les bassins de la Seine,
de l'Oise, de l'Aisne et de la Marne; les grès vers l'ouest; de l'autre côté
de la branche jurassique se dirigeant vers la Manche, dans la seconde
division, le granit, des calcaires grossiers ; dans la troisième, sur la rive
gauche de la Garonne, les grès verts et les grès de Fontaineblau, jusques
au pied des Pyrénées ; dans la quatrième, au centre, les granits, les ter-
rains cristallisés, et enfin, dans la cinquième, qui comprend le bas bassin
du Rhône, les grès et le calcaire alpin. Ajoutons à cette collection les ter-
rains volcaniques, laves et basaltes au centre, et nous aurons un aperçu
des richesses que possède la France en matériaux propres à bâtir.
Jusqu'à la lin du xii* siècle, les constructeurs ont évidemment reculé
devant l'emploi des matériaux d'une grande dureté, comme le granit; ils
cherchaient les pierres d'une dureté moyenne, et les employaient, autant
que faire se pouvait, en petits échantillons : et telle est la répartition des
terrains sur la surface de la France, qu'il n'était jamais besoin d'aller
chercher des matériaux calcaires, ou des craies, ou des grès tendres très-
loin, si ce n'est dans quelques contrées, comme la Bretagne, la Haute -
Garonne et le Centre, vers Guéret et Aubusson. Les établissements mo-
nastiques exploitèrent les carrières avec adresse et soin : la maison mère
de Gluny, établie sur terrain jurassique, ainsi que celle de Glairvaux,
semblèrent imposer à leurs filles l'obligation de se fonder à proximité de
riches carrières. Nous voyons en effet que la plus grande partie des cou-
vents dépendants de ces deux abbayes sont bâtis, en France, sur cette
chaîne jurassique qui coupe le territoire en cinq grandes parts, et l'archi-
tecture de ces deux ordres, celle particulièrement de l'ordre de Gluny,
robuste, grande d'échelle, reçoit une influence marquée de l'emploi des
matériaux, tandis que dans les contrées où les pierres à bâtir sont fines,
basses ou tendres, comme dans les bassins de la Seine et de l'Oise, par
exemple, nous voyons que l'architecture romane s'empreint de la nature
même de la matière employée.
Lorsque l'architecture gothique fut adoptée, elle sut tirer un merveil-
— 123 — [ PIERRE ]
ieiix parti des matériaux divers fournis par le sol. A dater du xii" siècle,
on voit employer simultanément des pierres de qualités très-diverses,
suivant le besoin, ainsi qu'il est aisé de s'en apercevoir en lisant notre
article Construction. Alors on ne recule pas devant des difficultés de
transport qui devaient être considérables lorsqu'il s'agissait de se procu-
rer certaines pierres dont la qualité était propre à un objet spécial. C'est
ainsi, par exemple, que nous voyons employer, pour les colonnes mono-
lithes du chœur de Vézelay, b&ti vers 1190, des pierres dures de Coutar-
noux, dont la carrière est à 30 kilomètres de l'abbaye, bien qu'on pos-
sédât des pierres propres à la construction à une faible distance ; qu'à
Semur en Auxois, nous voyons mettre en œuvre cette admirable pierre
de Pouilienay, qui prend le poli ; qu'à Sens, on fait venir de la pierre de
Paris pour bâtir la salle synodale ; qu'à Troyes, à la fin du xin* siècle,
nous voyons les constructeurs aller chercher du liais à Tonnerre pour
bâtir l'église Saint-Urbain, qu'il eût été impossible d'élever avec d^au-
tres matériaux; que bien plus tard, à Paris, nous voyons les architectes
demander de la pierre à Yernon pour restaurer la rose de la sainte Cha-
pelle et pour élever certaines parties de l'hôtel de la Trémoille. Ces
exemples, que nous pourrions multiplier à l'infini, prouvent combien les
constructeurs de la période dite gothique portaient une attention scru-
puleuse dans le choix des pierres qu'ils mettaient en œuvre. Lorsque le
style gothique fut définitivement admis sur toute la surface de la France,
vers la fin du xiii® siècle, les constructeurs n'hésitèrent pas, pour se con-
former au goût du temps, à employer des pierres qui certes, par leur
nature, ne se prêtaient guère à recevoir ces formes. C'est ainsi que, vers
1270, on élève le chœur de la cathédrale de Limoges en granit, celui de
la cathédrale de Clermont en lave de Yolvic; que, vers le milieu du
XV* siècle, on construit le chevet de l'église abbatiale du mont Saint-
Michel en mer de même en granit, sans se préoccuper des difficultés de
taille que présente cette matière ; qu'au commencement du xiv* siècle, on
construit en grès très-dur le sanctuaire et le transsept de l'ancienne cathé-
drale de Carcassonne (Saint-Nazaire).
A l'inspection des monuments élevés pendant le moyen âge, il est aisé
de reconnaître qu'alors, plus encore que pendant la période gallo-
romaine, on exploitait une quantité considérable de carrières qui depuis
ont été abandonnées ; qu'on savait employer les pierres exploitées en
raison de leur qualité, mais avec une économie scrupuleuse ; c'est-à-
dire qu'on ne plaçait pas dans un parement, par exemple, une pierre de
qualité supérieure convenable pour faire des colonnes monolithes, des
corniches, des chéneaux ou des meneaux. Ce fait est remarquable dans
un de nos édifices bâti avec un luxe de matériaux exceptionnel : nous
voulons parler de la cathédrale de Paris. Là les constructeurs ont pro-
cédé avec autant de soin que d'économie dans l'emploi des matériaux.
Les pierres employées dans la cathédrale de Paris proviennent toutes des
riches carrières qui existaient autrefois sous la butte Saint- Jacques, et
[ PIEHRE ] — 12^1 —
qui s'étendent sous la plaine de Montrouge jusqu'à Bagneux et Arcueil.
La façade est entièrement construite en y^oche et en haut banc pour les
parements, en liais tend?*e pour les grandes sculptures (banc qui avait
jusqu'à 0°', 90 de hauteur) et en diquart pour les larmiers, chéneaux,
colonnettes (banc de 0",45 de hauteur au plus). Le liais tendre des car-
rières Saint-Jacques se comporte bien en délil, aussi est-ce avec ces
pierres qu'ont été faites les arcatures à jour de la grande galerie sous les
tours. Les cliquarts ont donné des matériaux incomparables pour la rose
ol pour les grandes colonnettes de la galerie, ainsi que pour tous les
larmiers des terrasses. Parmi ces matériaux, on rencontre aussi dans les
parements et pour les couronnements des contre-forts des tours Tancien
banc rot/al de Bagneux, qui porte O'^.TO, et le g7'os banc de Montrouge,
qui porte 0",65 : ces dernières pierres se sont admirablement conser-
vées. Dans les fondations , nous avons reconnu l'emploi des lambourdes
de la plaine, et surtout de la lambourde dite ferme, qui porte jusqu'à
1 mètre; quelquefois, mais rarement, du banc vert.
Les grosses colonnes intérieures de la nef, qui ont 1",30 de diamètre,
sont élevées par assises du banc de roche basse de Bagneux ou de Saint-
Jacques, qui porte franc 0",50 en moyenne. Mais les deux piliers à sec-
tions rectilignes qui terminent la nef sur le transsept, lesquels piliers ont
une section relativement faible, vu le poids qu'ils ont à porter, sont
entièrement élevés en belles assises de cliquart de Montrouge, lequel
porte 0",/iO franc de bousin. Les arcs-doubleaux, archivoltes et arcs
ogives des voûtes sont généralement en banc franc ou en banc bianc de
Montrouge, qui porte de 0",30 à O^jSS. Ainsi les constructeurs ont
employé la pierre, toujours en conservant la hauteur du banc de car-
rière, se contentant de la purger complètement du bousin ou des délits
marneux, mais sans faire de levées à la scie à grès *. De plus, ils posaient
ces matériaux sur leur lit de carrière, lorsqu'ils ne prenaient pas le parli
de les poser franchement en délit comme étai (voy. Construction), met-
tant en dessous le lit de dessous. Cette précaution est surtout observée
dans les assises en fondation.
Les constructeurs romans, ainsi que nous l'avons dit, cherchaient sur-
tout les pierres douces, les lambourdes, les vergelés, les bancs francs. Le
chœur de Maurice de Sully, sauf les piliers et les colonnettes, est entière-
ment construit en matériaux d'une dureté médiocre, bas et petits. Mais
dès le commencement du xiii* siècle, la nouvelle école laïque cherche
au contraire les matériaux très-fermes et grands. C'est alors que dans la
construction de la cathédrale de Chartres on emploie ce calcaire de Rer-
chère, d'un aspect si rude, mais si solide, et qui donne des bancs de
1 mètre de hauteur sur des longueurs de 3 à ^ mètres ; qu'à la cathé-
drale de Reims on pose ces assises de 1",20 de hauteur en pierre introu«>
> Alors la scie à grès n'était pas employée, et il est bon nombre tic départements, en
Fronce^ où oi) t\e l'emploie pas encore. Ce sont ceux (il faut le dire) où Ton bâtit le mieux*
— 125 — [ WERRE ]
vable aujourd'hui dans les carrières qui les ont fournies, qu'on emploie
les liais et les oliquarls les plus durs, en ayant le soin de les purger des
lits tendres; qu'on repousse, autant que faire se peut, les bancs friables,
les pierres creuses et sans nerf.
La fin du xiii* siècle apporte encore plus de soin dans le choix des
pierres. 11 suffit d'examiner les constructions de l'église Saint-Urbain
(leTroyes, du chœur de Narbonne, des pignons du transsept des cathé-
drales de Paris et de Rouen, de l'église abbatiale de Saint-OuendeRouen,
(Ju château de Vincennes, pour reconnaître que les constructeurs con-
naissaient parfaitement les qualités des matériaux calcaires, et qu'ils les
choisissaient avec une attention qui pourrait nous servir d'exemple. Au
XV* siècle, on incline à employer de préférence les pierres douces, mais
cependant celles-ci sont scrupuleusement triées. Au xvi* siècle, trop sou-
vent cette partie importante de l'art de bâtir est négligée, les matériaux
sont inégaux, pris au hasard et employés sans tenir compte de leurs pro-
priétés.
Emploi des pierres a bâtir suivant leurs qualités. — Plusieurs causes
contribuent à détruire les pierres calcaires propres à la construction, et
(les causes qui agissent sur les unes n'ont pas d'action sur les autres. De
plus l'assemblage de certaines pierres est nuisible à quelques-unes
d'entre elles. Les principes destructeurs les plus énergiques sont les sels
qui se développent, par l'efTet de l'humidité, dans l'intérieur même des
pierres, et les alternatives du chaud et du froid. Toutes les pierres, grès,
granits même et calcaires, contiennent une quantité notable d'eau, et
s'emparent de l'humidité du sol et de l'atmosphère lorsqu'elles viennent
à sécher. Cette propriété, qui est nécessaire à l'agrégation de leurs molé-
cules, est en môme temps la cause de leur destruction. Si les pierres sont
posées près du sol, en élévation, elles tendent sans cesse à pomper l'hu-
midité de la terre, et cette humidité apporte avec elle des sels qui , ten-
dant à se cristalliser par l'efi^et de la sécheresse de l'air, forment autant
de petits coins qui désagrègent les molécules du grès, du calcaire et
même du granit. Ces matériaux portent d'ailleurs, dans leurs fiancs, des
sels que l'humidité atmosphérique met sans cesse en travail. Telle pierre
qui, dans l'eau ou sous le sol, ne se décomposera jamais, s'altère après
une année de séjour à l'air. La question est donc, non pas de priver les
pierres de toute humidité, mais de faire en sorte, pour les conserver, que
cette humidité ait une action du dehors au dedans et non du dedans au
dehors; que les sels qu'elles contiennent soient toujours à l'état de disso-
lution, et qu'ils ne tendent jamais à venir se cristalliser à leur surface ou
qu'ils restent à l'état latent. Supposons une pierre calcaire, par exemple,
poséecnA(fig. 1) sur une assise delibages, et une fondation en béton
ou en moellon ; par l'effet de la capillarité, c'est-à-dire par suite de l'ac-
tion aspirante de cette pierre, l'humidité sera plus considérable en a, au
cœur même de la pierre, qu'à sa surface externe séchée par l'air; dès
lors les sels tendront à venir se cristalliser suivant la direction des flè-
[ PIEBRE ] — 126 —
ches sur ces surfaces externes, et les désagrégeront peu à peu. Supposons
qu'entre celte pierre de soubassement B et l'assise de libages G est inter-
posée une lame de plomb ou un lit imperméable, comme du bitume, l'eau
de pluie qui balayera les parements fera que ces parements seront plus
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humides au momenl même de rémission aqueuse que le cœur : d'ailleurs
cette eau sera séchée promptement par Tair; les sels qui pourraient se
développer et venir à la surface seront lavés, dissous et entraînés par
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A.
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cette abondance d'eau externe, et ne pourront se développer ea cristaux,
par conséquent faire lever les parements. Dans le cas d'un isolement
complet de la pierre soustraite à l'humidité du sol, plus elle sera poreuse^
plus ses parements seront facilement lavés et séchés et mieux ils jse cou-
serveront. Retournons la ligure : supposons (fig. 2), en A, qu'une pierre a
— 127 — [ PIERRE ]
est posée sous un chéneau. Si compacte que soil la pierre dont est fait ce
chéneau, elle tend à absorber une certaine quantité de Teau qui coule
dans sa concavité. La pierre </, séchée par Tair, tend à sou tour à deman-
der au chéneau une partie de Teau qui Ta pénétré; cette eau agira dans
le sens des flèches, c'est-à-dire qu'étant plus abondante, moins rapi-
dement séchée au cœur de la pierre a qu'à sa surfiice. elle dissoudra les
sels intérieurs qui viendront se cristalliser sur les parements et les feront
lever d'abord en fine poussière, puis par écailles. Mais si entre ce ché-
neau B et la pierre sous-posée nous interposons un corps imperméable C,
cette pierre sous-posée sera, comme dans le cas précédent, lavée à l'ex*
térieur par la pluie ou humectée par les brouillards plus abondamment
que son cœur, et les sels ne pourront se cristalliser à sa surface. La pierre
de Saint-Leu, le banc royal de Saint-Maximin^qui se conservent pendant
des siècles à l'air libre ou en parements parfaitement préservés de toute
humidité intérieure, tombent en poussière, posés sous des chéneaux ou
des tablettes de corniche de pierre dure qui reçoivent l'eau de pluie et
en absorbent une partie. Bien que dans ce cas la pierre dure reste intacte,
la pierre au-dessous est rapidement décomposée par les sels qui la tra-*
versent et viennent se cristalliser à
sa surface; souvent même la croûte
de ces pierres est restée ferme, que
la décomposition est fort avancée
à un millimètre au-dessous. Soit,
par exemple (fig. 3), une tablette de
pierre dure A posée sur une corni-
che B de pierre de Saint-Leu, on
verra bientôt la croûte de cette pierre
se lever comme des copeaux D, en
démasquant l'altération profonde de
la sous-surface. Celte croûte môme
dont se revêtent certaines pierres
contribue à hâter le travail de décom-
position produit par les sels, en protégeant la sous-surface contre le
contact de l'air. Les pores n'élant plus aussi ouverts sur la pellicule
externe de la pierre qu'à 1 ou 2 millimètres de prol*ondeur, les sels se
cristallisent sous cette pellicule qu'ils ne peuvent traverser, et produisent
des ravages dont on ne s'aperçoit que quand la croûte tombe. Les profils
employés pendant la période du moyen âge pour les corniches et ban-
deaux avaient l'avantage de ne point conserver l'humidité et de la renvoyer
au contraire rapidement. Aussi les pierres qui recouvrent ces saillies
sont-elles réellement protégées, et ne présentent pas les altérations
qu'on observe sous les tablettes des corniches de la rienaissance ou de
l'époque moderne. Les constructeurs du moyen âge avaient si bien
obî»ervé ces phénomènes de décomposition des pierres, qu'ils ont souvent
isolé les chéneaux, soit en les portant sur des corbeaux ou sur des arcs,
[ PIERRE ] — 128 —
soit en laissant sous leur lit un espace vide ou bien rempli d'une matière
imperméable, telle qu'un mastic à l'huile ou à la résine. Ils n'avaient pas
moins observé les effets que certaines pierres juxtaposées produisent les
unes sur les autres. Ainsi les grès, ayant la propriété de contenir une
grande quantité d'eau, absorbent rapidement celle du sol et de l'atmos-
phère. Lorsqu'au-dessus de ces cissises de grès on pose des pierres qui se
salpôtrent assez facilement, on voit bientôt la décomposition se produire
près de leur lit touchant au grès, et cette décomposition ne s'arrête plus,
elle monte chaque année. Ces mêmes pierres, posées sur des assises d'une
roche calcaire n'absorbant pas une aussi grande quantité d'eau que le
grès, ne se seraient peut-être jamais décomposées. Aussi, quand les con-
structeurs du moyen âge ont posé des assises de grès en soubassement sur-
montées d'assises calcaires, ils ont eu le soin de choisir celles-ci parmi les
qualités compactes n'étant pas sensibles à l'action du salpêtre, ou bien
ils ont interposé entre le grès et le calcaire un lit d'ardoises (schiste).
Cette méthode a été très-fréquemment employée pendant les xiV et
XV' siècles.
Toutes les pierres calcaires, au sortir de la carrière, contiennent une
quantité d'eau considérable ; sitôt exposées à l'air, une grande partie de
cette eau tend à s'évaporer, et arrive successivement du cœur à la sui>
face. En faisant ce trajet, cette eau entraîne avec elle une certaine
quantité de carbonate de chaux en dissolution qui se cristallise sur le
parement, et forme une croûte ferme, résistante, qui non-seulement pré-
serve la pierre des agents extérieurs, mais lui donne une patine, une
couverte que rien ne peut remplacer. Les constructeurs du moyen âge
ayant eu pour habitude de tailler définitivement la pierre sur le chan-
tier avant le montage et la pose, il en résultait que cette patine se formait
sur les moulures et sur les sculptures comme sur les parements, et que
l'édifice construit était uniformément recouvert de cette croûte produite
par ce qu'on appelle Veau de carrière. C'était un double avantage : pare-
ments résistant mieux aux agents atmosphériques, et belle couleur uni-
forme et chaude que donne cette patine naturelle. L'usage moderne de
monter les édifices épannelés seulement et de faire les ravalements très-
longtemps souvent après que la pose a été achevée, d'enlever sur ces
matériaux mis en œuvre 1 ou 2 centimètres d'épaisseur et quelquefois
plus, a pour conséquence de détruire à tout jamais cette croûte préserva-
trice, puisqu'elle ne se forme sur les parements qu'autant que la pierre
est fraîchement extraite de la carrière. Cet usage moderne est particu-
lièrement funeste à la conservation des pierres tendres, telles que le
banc royal de l'Oise, les vergelés, les calcaires de Saintonge, de Caen,
les calcaires alpins de Beaucaire, les calcaires tendres de Bourgogne,
les pierres de Molènes, de Mailly-la-Ville, de Courson, de Tonnerre; les
craies. Mais que dire de cet autre usage de gratter à vif des parements
anciens? On leur enlève ainsi l'élément conservateur qui les a préservés
pendant plusieurs siècles ; on tue la pierre, pour nous servir d'une
— 129 — [ P1£RHJS J
expression du métier. Aussi, après celte opération barbare, voit-on sou-
vent des matériaux qui ne présentaient aucun signe d'altération, se dé-
composer rapidement à la surface, s'efflorer, puis se creuser, sans que la
maladie qui les atteint puisse être arrêtée ^ Les pierres tendres ne sont
pas, d'ailleurs, les seules qui se recouvrent d'une patine résistante natu-
relle, étant fraîchement taillées. Des pierres dures, comme les liais, les
cliquarts, présentent les mêmes phénomènes, et nous avons vu des liais
ea œuvre depuis cinq ou six cents ans qui avaient pris à la surface une
couverte à peine attaquable avec le ciseau, tandis qu'à un demi-centi-
mèlre de profondeur le calcaire se rayait avec l'ongle. Les pierres dites
froides, comme celles des carrières de Ghâteau-Landon, par exemple, sont
les seules qui ne perdent rien à être taillées longtemps après leur extrac-
tioD. Quant aux grès, tout le monde sait qu'ils ne peuvent être taillés que
fraîchement sortis de la carrière. Certains grès rouges des Vosges sont
inattaquables à l'outil au bout de plusieurs années, bien qu'au sortir du
sol ils soient maniables.
11 est une précaution qu'il est toujours bon de prendre lorsqu'on élève
des édifices sans caves : c'est d'interposer sous un lit d'assise au-dessus du
sol une couche d'une matière imperméable, comme du bitume ou un
mastic gras, un papier fortement goudronné, un lit d'ardoises. Cette pré-
caution arrête l'humidité qui remonte du sol dans les murs, et elle empê-
che les pierres de se salpétrer. Tous les monuments du Poitou, beaucoup
(le ceux de la Vendée et de la Saintonge, présentent, à 2 mètres environ
au-dessus du sol, à l'extérieur, une zone profondément altérée par l'ac-
tion des sels. Ceci prouve l'exactitude de l'observation faite précédem-
ment, savoir, que les sels n'agissent sur les pierres calcaires que là où
ils ne sont plus tenus en dissolution et où ils se cristallisent. En effet,
les assises inférieures des murs, dans les monuments de ces contrées,
tous bâtis avec un calcaire tendre et qui résiste parfaitement à l'action
(le l'air, sont imprégnées d'humidité, mais ne se décomposent pas ; ce
n'est qu'à la hauteur où cesse l'action de capillarité, que la pierre, étant
plus sèche, permet aux sels de se cristalliser, que commence la décom-
position des parements extérieurs. Les maçons prétendent que celte
décomposition, qui se produit par un vermiculage d'abord peu prononcé,
puis très-profond à la longue, est produite par l'action de la lune. Le
fait est que ce genre de décomposition ne se manifeste guère qu'à l'ex-
position du midi, un peu à Test et à l'ouest, jamais au nord; on com-
prend que la chaleur des rayons solaires hâte la cristallisation des sels
au-dessus de la zone humide où ils sont tenus en dissolution. D'ailleurs^
* Dans ce cas, ta silicatisation bien faite est le seul moyen à employer pour rendre k
la pierre cette couverte âpre et résistante qui en assure la durée. La silicatisation devrait
Umjoun être employée lorsqu'on a eu l'idée malheureuse de gratter les parements des
monuments, et môme lorsque les ravalements sont faits après que la pierre a jeté son eau
Je carrière.
vu. — 17
[ PIGNON ] — 130 —
le midi esl Texposition la plus défavorable à la consen^ation des maté-
riaux propres à bâtir en France : 1** parce que dans notre climat le vent
du midi apporte la pluie, qui fouette les parements; 2° parce que les dif-
férences de température sont brusques et violentes à cette exposition en
hiver. La nuit, s'il gèle à l'exposition du nord à 8 degrés, il gèle à 7 à
l'exposition du midi par les temps clairs ; mais le jour, si la température
reste à l'exposition du nord à 6 degrés au-dessous de zéro, elle monte
souvent à 10 degrés au-dessus de zéro en plein soleil. Les matériaux
plus ou moins perméables qui subissent dans l'espace de quelques
heures ces différences de température, s'altèrent plus vite que ceux expo-
sés à une température à peu près égale, fût-elle très-froîde; mais la
lune, pensons-nous, n'a rien à voir là dedans, si ce n'est qu'elle se pré-
sente précisément, quand elle est pleine, du môme côté de l'horizon que
le soleil.
PIGNON^ s. m. {pingon). Mur terminé en triangle suivant la pente d'un
comble à deux égouts et formant clôture devant les fermes de la char-
pente. Un bâtiment simple se compose de deux murs goutterols et de
deux pignons. Suivant que le bâtiment est tourné, il présente sur sa
façade, soit un des pignons, soit un des murs goutterots. Le fronton du
temple grec est un véritable pignon. Les portails nord et sud du transsept
de la cathédrale de Paris sont terminés par deux pignons. Les maisons
élevées pendant l'époque romane en France présentaient habituellement
un des murs goutterots sur la rue, les murs pignons étaient alors
mitoyens; mais plus tard, vers le milieu du xiii* siècle, les habitations
montraient quelquefois Tun des pignons sur la rue. Cette méthode devint
habituelle pendant lesxiv* et xv* siècles, et alors cespûgnons étaient fré-
quemment élevés en pans de bois (voy. Maison, Pan de bois).
La forme et la structure qui conviennent aux pignons de maçonnerie
ont fort préoccupé les architectes du moyen âge. En effet, un pignon
qui sort des dimensions ordinaires n'acquiert et ne conserve sa stabilité
que dans certaines conditions qu'il est bon de ne pas négliger. Si un
pignon est mitoyen entre deux bâtiments ; s'il n'est, à proprement parler,
qu'un mur de refend maintenu des deux côtés par les charpentes de
deux combles égaux, il est clair que pour le rendre stable^ il n'est besoin
que de l'élever dans un plan vertical, en lui donnant une épaisseur pro-
portionnée à sa hauteur ; mais si ce pignon est isolé d'un côté, chargé de
l'autre par des cheminées, poussé ou tiré par une charpente dont la fixité
n'est jamais absolue, il est nécessaire, si l'on prétend le maintenir dans
un plan vertical, de prendre certaines précautions propres à assurer sa
stabilité. Si les pignons isolés sont très-élevés, ils donnent une large prise
au vent; leur extrémité supérieure, n'étant pas chargée, peut s'incliner
sous une faible pression, soit en dedans, soit en dehors, et ces grands
triangles, oscillant sur leur base, sortent très-facilement du plan vertical
pour peu qu'une force les sollicite.
— 131 — [ PIGNON ]
Lorsqiift, pendant la période romane, les combles avaient une inclinaison
qoi nlteignait bien rarement &5 degrés, la construrlion des pignons ne
demandait pas des précautions particulières; le pignon n'était guère
qu'un mur terminé par deux pentes. Mais quand on en vint à donner aux
charpentes de combles une inclinaison de plus de 4'> degrés, cl que ces
charpentes eurent jusqu'à 12 et l.*) mètres d'ouverture, il fallut bien
adopter des moyens extraordinaires pour maintenir dans un plan vertical
ces énormes maçonneries triangulaires, abandonnées, au sommet des
édifices, aux coups de vent cl aux mouvements inévitables des bois.
Déjà cependant, vers les derniei-s temps de la période romane, on
avait senti la nécessité de faire des pignons autre chose qu'un mur sim-
ple terminé ii son sommet par un angle obtus. On croyait devoir assurer
leur stabilité au moyen d'arcs qui reporlaient les charges sur quelques
■ points. Nous trouvons un exemple d'une de ces tentatives sur le mur de
face de l'église Saint-Honorat, dans l'Ile de Lérins'. Le pignon de cette
façade, présenté dans la figure 1, cl doni la ronstruclion remonte au
J
commencement du xii' siècle, se compose en réalilé de quatre larges
pieds-droits A avec baie centrale et arcs-boutants ; ainsi la charge de la
maçonnerie était répartie sur quatre points, de B en C. Cette construc-
tion était la conséquence d'une observation judicieuse. En effet, les ma-
çonneries acquièrent une grande partie de leur stabilité en raison du poids
plutùt qu'en raison de la surrace qu'elles occupent. Si (fig. 2) nous éle-
vons un pignon A plein, de 4 mètres de hauteur sur 8 mèlres de base, et
û",50d'épaisseur, nous aurons, en élévation, une surfacebâliedelB mè-
tres et un cube de 8 mètres. Mettant le poids du cube de pierre de taille
à 2000 kilogrammes, la charge sera de 16000 kilogr., et la surface char-
gée (section horizontale D, du pignon à la base) aura U mètres. Or, la
charge sera ainsi répartie sur cette surface deh mètres: un mètre de sur-
face horizontale ab recevra 7000 kilogr. ; un mètre ae, bd, 5000 kilogr. ;
> L'ile de Lérins, qui pOMédait nat belle et aDcirone ibbaye, est située detSDt l'ile
Saiotf- Marguerite, en Tacc de tu mile Je Cannes (Alpe»-Mari(imes),
[ PlGNOlf ] — 132 —
un mètre ccy df, 3000 kilogr. ; un mètre ej, fh, 1000 kilogr. : total égal,
16 000 kilogrammes. Mais si, sans rien changer ni aux dimensions, nia
l'épaisseur, ni par conséquent au poids du pignon, nous le construisons
avec arcs de déchaf ge noyés dans la maçonnerie, comme il est indiqué
en B, nous aurons un mètre de surface horizontale ab chargé de 3800 kilo-
grammes ; un mètre ac^ bd, chargé de 8200 kilogr. ; un mètre ccy df^ chargé
de 1900 kilogr., et un mètre eg^ fh^ chargé de 2100 kilogr. : total égal»
16 000 kilogrammes. Dans le premier cas, A, la partie la plus chargée est
la partie ad, qui ne reçoit que 7000 kilogrammes, tandis que dans le se-
cond, B, la partie oc, bd^ égale comme surface à ai, reçoit 8200 kilogr.
Dans l'exemple A, les surfaces eg^ fh, ne reçoivent ensemble que 1000
kilogrammes, tandis que dans le second ces mêmes surfaces reçoivent
2100 kilogrammes. Ainsi, dans ce second exemple, les pesanteurs, ten-
dent à s'équilibrer ou à se répartir plus également sur l'ensemble de la
base; le poids le plus fort n'est plus au milieu de la base, mais reporté
— 133 — [ PIGNON ]
sur deux points. Une forée comme le vent, ou une poussée, trouve donc
une résistance plus solidement appuyée sur sa base, opposée à son action.
Tout le système de la construction des grands pignons de l'époque
savante du moyen âge est établi sur cette observation très-simple de la
répartition des pesanteurs, non pas conformément à la gradation donnée
par la configuration du pignon, mais contrairement à cette gradation,
autant que faire se peut. La décoration de ces pignons dérive du sys-
tème de construction adopté. Lorsque le bâtiment ne contient qu'un vais-
seau, les points d'appui sont reportés aux deux extrémités; le triangle
du pignon est terminé par deux épaulements : mais lorsque ce bâti-
ment est divisé dans sa longueur par un mur ou une épine de piliers,
le pignon accuse la construction intérieure, et son milieu est maintenu
par un contre-fort qui s'élève jusqu'au sommet du triangle. Si c'est une
cheminée qui est adossée à l'intérieur dans l'axe de la salle, son tuyau,
apparent à l'extérieur, s'élève jusqu'à la pointe du triangle dans les meil-
leures conditions de tirage, et sert d'épaulement à la construction.
Ces principes dans la construction des pignons ne furent admis toutefois
qu'assez tard, vers le milieu du xii® siècle, et avant cette époque nous
voyons élever des pignons qui ne sont que des murs triangulaires pleins,
décorés de membres peu saillants, d'arcatures, d'imbrications, de com-
partiments qui ne contribuent en rien à la solidité.
L'église latine de Saint-Front, antérieure à l'église actuelle, qui date
de la fin dux' siècle, possédait à l'occident un pignon dont on voit encore
quelques traces, et qui était construit d'après ces données élémentaires,
apparentes déjà à l'extérieur du monument de Poitiers connu sous le
nom de temple de Saint-Jean*.
Les églises de la Basse-Œuvre à Beauvais et de Montmille présentent
leurs pignons occidentaux simplement ornés de croix et de quelques im-
brications^. Mais un des plus riches parmi ces pignons du Beauvaisis
est celui qui ferme le bras de croix septentrional de l'église Saint-
Etienne de Beauvais. Ce pignon, dont quelques auteurs font remonter la
construction au commencement du xV siècle, ne peut être antérieur au
commencement du xu\ Il couronne une rose entourée d'une suite de
figures représentant une roue de fortune^, La structure du parement
extérieur du pignon est entièrement composée de très-petites pierres
taillées, formant, par la manière dont elles sont posées, un treillis de
bâtons, entre les intervalles desquels sont incrustées des rosaces sculptées
sur le parement d'un moellon carré (fig. 3). Ce treillis est coupé hori-
zontalement par une ligne de bâtons rompus et par une très-petite baie
' Voyez, dans VArchitecture byzantine en France par M. F. de Verneilh, la descrip-
tion du pignon de la \ieiUe basilique de Saint-Front, et la gravure qui s'y trouve jointe,
page »3.'
* Voyez les Monuments de Vancim Beauvoisis, par M. Woillez, 1849.
* Voyez Rose. Voyez aussi Talbuni deVillard de Honnecourt, pi. XLT.
( PIGNON ] — 13A —
reclangiilairc terminée par un cintre pris flans une seule pierre. Les an-
gles lïiléraiix el du sommet de ce triangle ont été restaurés au xiv siècle,
et leurs amortissements primitiTs remplacés par trois pinacles. Nous
avons essayé de suppléer à celle lacune en nous appuyant sur des vi-
gnettes lie manuscrit^ du temps. L'imbrication de pelils moellons laillés
3
formant décoration extérieure est appareillée, ainsi que t'indique le
détail A, et n'a qu'une faible épaisseur ; ce n'est qu'un revêtement posé
devant un mur de maçonnerie ordinaire. Les tablettes de rampant cou-
vraient le tout et formaient filet sur ta tuile.
Un peu avant la construction de ce pignon, en Auvergne, à Glermont,
on élevait l'église de Notre-Dame du Port, dont les pignmis étaient riche-
ment ilécorés d'imbrications de billettes et d'incrustations de pierres de
deux couleurs (blanches et noires). Nous donnons (fig. h) un géométral
du pignon méridional de cette église. Ici la construction est plus ration-
nelle. La corniche des murs goutterots passe à la base du pignaii et est
adroitement arrêtée par les deux contre-forLs A et B. Cette corniche
accuse le couronnement de l'édilice, et le triangle du pignon n'est que
— 135 — ( ribNON ]
le masque de la couverture qu'il recouvre nu moyen île la tablette sail-
lante ronnaut le rampant supr(''me. Ces deux e.xemiilcs et ceux de Saint-
Front et de Monlmille Tont \oir que les architectes romans cherchaient à
donner une certaine richesse relative aux pignons des cdiGcei'. Ces tym-
pans triangulaires couronnant les murs, aperçus de loin, à cause de leur
4
'^
hauteur, leur paraissaient composer unedécoratîon toute spéciale, rap-
pelant la construction de bois des combles qu'ils étaient destinés ù mas-
quer. A Notre-Dame du Port, les lignes de billeltes incrustées dans la
maçonnerie, et servant d'encadrement aux mosaïques, affectent les dis-
positions d'une chai'pente. A Saint-li^tienne de Beauvais, c'est un treillis
de rondins qui semble posé devant le comble. Mais les amortissements
latéraux, composés de deux angles plus ou moins aigus, sans épaule-
ments, sans retours et souvent même sans acrotères, étaient maigres et
faisaient naître la crainte d'un glissement des tablettes. Il Tallait il ces
dem angles un arrâl, un poids, ou tout au moins un retour de prolil.
La configuration des charpentes et combles que masquaient les pignons
nécessitait d'ailleurs un arrangement particulier. En effet, les murs gout-
Icrots d'un édilice (llg. 5) étant donnés, ces murs guuttei-ols étaient cou-
[ PIGNON 1 — 13ti —
ronnés d'uae tablette de corniche A recevant les coyaux et l'égoul du
toit B (les chéneaux n'étant pas en usage au xii* siècle) ; élevant ud pignon
devant cetl« projection, il fallait,
ou que la corniche A se retournai
à la base du pignon, ou qu'elle
s'arrêtât brusquemeut au nu tlu
mur, ou qu'elle fût masquée par
une saillie ab ; il fallait encore que
la tablette couronnant le pigDon
servit de filet recouvrant la toi-
ture, afin d'empêcher les eaui
pluviales de passer entre la face
postérieure du pignon et la tuile
ou l'ardoise. C'est alors (vers le
milieu du xii' siècle) que les
architectes cheichërent diverses
combinaisons plus ou moins in-
génieuses pour satisfaire à ces
condilions. La plus simple de ces
combinaisons, adoptée dans beau-
coup d'édifices de la Bourgogne
el delà haute Champagne vers le
milieu du xii° siècle, est celle que
nous présentons (fig. 6). La cor-
niche des murs gouttcrots étant prolongée jusqu'au nu du mur pignon,
sa saillie recevait les extrémités inférieures du triangle rehau^es en
encorbellement de manière à dégager la toiture el à la couvrir au moyen
de la saillie a de la tablette. Mais cette tablette, pour ne pas glisser sur
la pente du mur triangulaire, devait nécessairement faire corps avec
l'assise b, ainsi que l'indique le détail géométral A. Alors le morceau d
était assez lourd pour arrêter le glissement des tablettes rampantes e.
En faisant tailler cette pierre dans un bloc, les maîtres étaient natu-
rellement obligés de faire tomber le triangle g. Bientôt, au lieu de le
jeter bas, ils laissèrent la pierre entière et profilèrent de ce triangle g
restant, pour y conserver un pelltgâble, comme nous l'avons tracé dans
le détail B. Oetle réserve avait l'avantage de laisser plus de poids à la
pierre, d'éviter un évidement, et de donner à l'œil plus de solidité à celle
assise d'arrêt.
Dans des constructions élevées avec économie m&me, nous voyons que
les architectes apportent une attention toute particulière à couronner les
pignons, afin d'éviter le passage des eaux pluviales entre la couvertureel
la maçonnerie, sans avoir jamais recours à ces solins de mortier ou de
plâtre qui se détachent facilement, nécessitent des réparations inces-
santes et ont un aspect misérable. Quelquefois la tuile vient recouvrir les
rampants du pignon, mais au sommet est posée une pierre d'amortisse-
— 137 — [ PIGNON ]
ment recouvrant les deux pentes de la tuile et les faîtières de terre cuite,
aiesi que le fait voir la figure 7 K En A, Tamortissenient d'extrémité su-
périeure du pignon est présenté en profil, et en 6 en perspective. Ainsi le
é
ci ["~ n —
-L J-.
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V,
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mur est parfaitement préservé par les tuiles du couvert, et la jonction
de celles-ci à la pointe du faîtage est garantie par la pierre d'amortisse-
ment formant filet sur les côtés, sur la face et par derrière.
Le système de charpente et de couverture adopté au commencement
du XIII* siècle donnant habituellement un triangle équilatéral et même
quelquefois plus aigu, les pignons prennent de l'importance; les édifices
étant élevés sur une plus grande échelle que dans les siècles précédents,
il devient nécessaire, pour donner une assiette convenable à ces ouvrages
de maçonnerie, de les combiner avec plus d'art. Présentani une très-
grande surface, il faut en même temps les décorer et les alléger, d'autant
* D'une chapelle de la petite église de Flavigiiy (Gôte-d'Or), xv« siècle. Nous avons
trouvé de^ amortissciucnts de ce genre sur des pignons bourguignons de maisons du
ïiii* siècle.
VII. — 18
[ PIGNON ] — i38 —
que souvent ils s'élèvent sur Oe grands à-jour, roses, larges Tenètres,
éclairant l'intérieur des vaisseaux. Les constructeurs chercbent alors à
roidir ces grands murs abandonnés à eux-mêmes par des combinaison
de piles et de vides habilement répartis. On éleva en Bourgogne (province
des hardis constructeurs), pendant la première moitié du xiii* siècle,
des pignons singulièrement audacieux comme âtruclure, et d'un effet
décoratif tout à fait remarquable. Nous en voyous deux, bâtis en même
temps, devant le porche de l'église abbatiale de Vézelay et devant la nef
de la petite église de Saint-Père sous Vézelay ', qui présentent à la fois
une construction hardie et une décoration d'une extrême richesse. Le
' SaiDl-Père pour Suint- PiuriT,
— 139 — [ PIGNON ]
pignon de la face occidentale de l'église de Saint-Père avait été construit
en prévision d'une surélévation de la nef qui ne fut pas effectuée^ de
sorte qu'aujourd'hui ce pignon s'élève beaucoup au-dessus des combles.
II devait être flanqué de deux hauts clochers ; celui du nord seul fut
construit (voy. Clocher, fig. 70). Un grand arc (fig. 8) était destiné à tra-
cer la pénétration de la voûte sur la face. Sous cet arc s'ouvre une rose
qui surmonte une baie à meneaux K Toute la décoration au-dessus de
l'archivolte devait masquer la charpente, et présente dans une arcature
une série de statues de grande dimension. Au sommet est assis le Christ
bénissant, couronné par deux anges agenouillés. Sous le Christ est placé,
deboutsur un piédestal, saint Etienne, puis à la droite du Christ la Vierge,
à la gauche sainte Anne. A la droite de la Vierge s'échelonnent les statues
de saint Pierre, de saint André et d'un troisième apôtre. A la gauche
de sainte Anne, saint Paul, saint Jean et un apôtre. Sous les statues de
sainte Anne et de la Vierge on voit deux têtes de démons; les autres
statues sont portées sur des pilettes et des culs-de-lampe. Des deux côtés
de la rose sont sculptés le lioii et le dragon. L'iconographie de ce pignon
est donc complète et n'a subi aucune mutilation grave. Quant à la con-
struction de cet important morceau d'architecture, elle consiste en un
mur bâti en assises basses, roidi à l'extérieur par l'arcature composée
d'assez grandes assises. Les deux clochers devaient l'épauler à ses deux
extrémités; celui du nord ayant été seul élevé , le pignon avait gauchi
du côté sud ; mais il a été facile d'arrêter ce mouvement au moyen d'un
contre-fort bâti à l'intérieur sur le mur de la nef, dont la voûte actuelle
ne dépasse pas le niveau A. Il n'est pas nécessaire de faire ressortir
la valeur de cette composition vraiment magistrale, et il faut dire que la
statuaire ainsi que la sculpture d'ornement sont traitées de main de maî-
tre. Les figures, un peu longues en géométral, prennent en perspective
leur proportion réelle, et forment un ensemble surprenant par sa richesse
et la belle entente des lignes.
Le pignon de la face occidentale de l'église abbatiale de Vézelay, dû
très-probablement au même artiste, présente une disposition difiTérente
et plus originale encore. Il sert de tympan aux voûtes du porche qui
datent du xii* siècle; l'arcature est à jour, éclaire le porche, et les figures
sont placées au droit des piles. Mais, fait unique peut-être, les rampants
de ce pignon, au lieu d'être rectilignes, sont formés par deux courbes
donnant une ogive (fig. 9) ^. Les statues qui décorent ce pignon présen-
tent, comme à l'église de Saint-Père, au sommet^ le Christ assis, tenant le
livre des Évangiles et bénissant; deux anges portent une large couronne
au-dessus de sa tête. A la droite du Christ est la Vierge, à sa gauche
sainte Anne. Deux anges thuriféraires terminent la série. Au-dessous on
voit, au droit des piliers : saint Jean-Baptiste, saint Pierre, saint Paul et
> Aujourd'hui cette rose s'ouvre sous le comble de la ncj,
* A rccbelle de 0»,04 pour mètre.
[ PIGNON 1
saint Jean, un évëque et un saiill que nous n'avons pu désigner, La
[ PIGNON ]
swLion des piles rormant claire-voie est donnée par le détail A. Les
[ PIGNOS ]
vitraux étant placés en B, il existe un passage entre l'arcature vitrée et
l'arcatiire intérieure un peu moins élevée (fig. 10). La construction de ce
— i/i3 — [ PIGNON ]
pignon est à étudier et s'expHquo par le géométral intérieur. La courbe A
est celle donnée par le formeret fait au xin* siècle sous la voûté B du xir.
Un arc de décharge C renforce le formeret et passe au-dessuâ de la ga-
lerie (voy. la coupe D, en C). Un second arc de décharge EE' supporte le
poids de l'extrémité supérieure du pignon ; la trace du comble est en ab.
Des piles F, F', maintiennent le placage GG' formant le fond de la déco-
ration extérieure. Les colonnettes H, isolées et qui sont indiquées dans la
section horizontale de Tune des piles de la figure 9, sont donc déchar-
gées par le formeret, par Tare G' et par celui E'. De plus, à partir du ni-
veau I, elles sont reliées à la portion des piles donnant à l'extérieur par
des languettes K, s'élevant jusque sous l'arc de décharge G'. Le passage L
communique par quelques marches aux salles du premier étage des deux
tours qui flanquent la façade. De l'intérieur comme de l'extérieur cette
grande claire-voie produit beaucoup d'effet, et sa double arcature est
disposée d'après une donnée perspective très-bien entendue : la balus-
trade M n'étant pas assez élevée pour masquer l'appui N des baies vitrées;
les arcaturesO laissant voir dans tout leur développement les découpures
de celle P, et le peu de diamètre des colonnettes H intérieures démas-
quant les vitraux. Tout cela est bâti en beaux matériaux; la sculpture est
traitée de main de maître et date du milieu du xiii' siècle. La statuaire
est empreinte d'un grand caractère, et appartient franchement à la belle
école bourguignonne (voy. Statuaire).
A la même époque, dans l'Ile-de-France, on élevait des pignons conçus
peut-être avec moins de hardiesse, d'une disposition moins originale,
mais dans la composition desquels on observe un goût plus châtié, plus
de délicatesse et une meilleure entente de la destination. On remarquera
que le pignon de Vézelay est un masque du comble, mais ne se com-
bine guère avec sa forme. Dans nos bons édifices gothiques du xm"" siècle,
ceux de l'Ile-de-France, ceux auxquels il faut toujours recourir comme
étant la véritable expression classique de cet art, les pignons sont bien
faits pour fermer le comble, ils l'éclairent franchement et le recouvrent.
Nous ne saurions trouver un meilleur exemple que celui fourni par l'un
des pignons du transsept de Notre-Dame de Paris (1257). Ge pignon s'élève
sur une rose de 13 mètres de diamètre, et est percé lui-môme d'un œil
en partie aveugle, qui éclaire le comble. Gette belle composition (fig. 11)
est autant décorative que sagement raisonnée. Sur le grand arc qui fait
le formeret de la voûle et l'archivolte de la rose est posé un entable-
ment portant balustrade, et qui permet de communiquer des galeries
supérieures de Test à celles de l'ouest. Le pignon proprement dit s'élève
en retraite sur l'arc de la rose et porte principalement sur le formeret ; il
est de plus supporté par un arc de décharge noyé dans la construction.
Ce pignon, qui a 70 centimètres d'épaisseur, est allégé par la rose qui
éclaire le comble, dont les parties aveugles ne sont que des dalles por-
tant sculpture, par des rosaces et écoinçons. Deux grands pyramidions le
flanquent, forment les têtes des contre-forts contre-butant la rose, etper-
[ i-iGsoN ] -m -
nieltciit ù un (■s(';ilicr pn^^lérieur de se développer el de p.isser au-dessus
ducoinblefnrilrecmivrp,etsiirlii joncliou duquel il forme ualargf^solin,
ainsi que le font voir le prolil A et la portion du pignon postérieur B, h
section A étant faite sur a6. Trois statues décorenl le sommet et It-s deux
angles inférieurs du pignon. Celle du sommel reprcst'nlc le Clirisl appa-
raissant en songe il saint Martin, rcvélu delà moitié du manteau donné au
pauvre' ; les deux autres ligurcnlle même saint Martinet saint Ktienne-.
Éclairé par le soleil, ce pignon produit un merveilleux effet. D'ailleurs il
accuse parrailemoni ieconiblc qu'il csldesti né à fermer; la sculpture en est
large, sobre, bien à l'échelle el admirablemcnllrailée. L'œil du comble est
1 Eli biis ilu purtiil e$t rcpri-aeiilée, à drnite tt à gaaeiif, la li^«iiilc d« uinl Martin.
' La léj^ciidu du iiainl Elicnni^ est repri'si^iitvi' duiii li' lyiii|)iiii du U jiorlv.
— 165 — [ PIGNON ]
d'une proportion parfailemeul en rapport avec la grande rose qui s'ouvre
sur le transsept. Cette composition ne fut pas surpassée. Le pignon méri-
dional de la cathédrale d'Amiens, élevé vers le milieu du xiV siècle, pré-
sente cependant une disposition originale qui se rapproche de la compo-
sition du pignon de Vézelay. Le grand triangle est divisé verticalement
par des piles formant comme une suite de contre-forts ornés de statues
et de pinacles, et entre lesquels s'ouvrent des jours qui éclairent le com-
ble. Mais là les détails, trop petits d'échelle, sont confus et n'offrent plus
cette simplicité de lignes que nous admirons à Paris et même à Vézelay.
Pour ne pas laisser isoler ces grands triangles, on eut quelquefois l'idée,
au XIV* et au xv* siècle, de les épauler par des galeries à jour ou aveugles
qui réunissent leurs rampants aux pyramidions ou tourelles d'épaule-
ment. Un des pignons les mieux composés en ce genre est celui de la
façade principale de l'église Saint-Martin de Laon, qui date de la un
du xiii' siècle ou du commencement du xiv*. Nous en donnons (fig. 12}
une vue perspective. Voulant donner une grande importance aux deux
tourelles flanquantes, l'architecte a senti que le pignon entre ces deux
clochetons paraîtrait maigre; aussi l'a-t-il accompagné d'une galerie
aveugle qui termine ainsi, comme masse, carrément le portail, et cepen-
dant il n'a pas voulu mentir au principe, et a fait reparaître la trace du
comble à travers cette galerie.
Un peu avant la construction de Saint-Martin de Laon, le célèbre archi-
tecte Libergier, pendant la seconde moitié du xiii* siècle, avait élevé sur
le portail de l'église Saint-Nicaise, à Reims, uu pignon relié aux deux
tours de la façade par une galerie à jour, ce qui était bien plus vrai que
le parti adopté à Saint-Martin de Laon. Cette galerie mettait d'ailleurs en
communication les étages supérieurs des clochers ^ Le pignon de. Saint-
Nicaise de Reims était percé de trois œils circulaires éclairant le comble,
et son nu était décoré d'une imbrication, dernier vestige de cette tradi-
tion romane que nous voyons acceptée franchement dans le pignon
de l'église Saint-Étienne de Beauvais, donné plus haut, et dans des
pignons des provinces du Centre et de l'Ouest. Comme à la cathédrale
de Reims, le pignon occidental de l'église Saint-Nicaise était doublé, se
répéiait au droit des faces postérieures des tours, et ce second pignon
était, comme celui antérieur, relié aux tours par une galerie à jour sem-
blable à celle de la face. On conçoit combien cette claire-voie doublée
devait produire d'elTet en perspective. Nous donnons (fig. 13) un géomé-
tral du pignon de Saint-Nicaise ^ Il faut dire que les colonnettes suppor-
tant la galerie étaient jumelles, afin de donner l'épaisseur nécessaire au
passage courant sur Tarcature (voy. le détail en coupe A).
< Voyez Glochbh, fig. 75.
2 Voyez la gravure précieuse de de Son, Rémois (1625). Cette belle et unique église
dans 9on genre a été délruite, sans raison cotnmc sans nécessité, au commencement du
siècle.
VU. — 19
Il iii" faut pa» croire quv l'iircliiU'iUiif religiciiM' seule élevait dts
— Iû7 — [ PtGNOS ]
pignons d'une grande importance et richesse. Le pignon de la salle du
pillais h Poitiers est un «les plus riches rjii'on'puiRsCjimaginer et de» plu$
sin^liers comme composition. A sa base, à l'intérieur, est établie une
cheminée qui embrasse toute sa largeur ; les tuyaux de cette cheminée
I NGNON ]
Maicisciil licil'iJinicnl les lenùlres qui s'ouvrenl dans ie pignon. On peul
prendre une idée de celle compositionenexaminanl la figure 10 à l'article
Cheminer (xV siècle). Le pignon de la grnntl'sidle du chiltenu do Coucy
élail aussi Irès-richcmenl décoré sur le dehors (voy. Salle), etsurmonlé
d'nne statue colossale. Une l>aic immense s'ouvrait sous son triangle et
— 140 — [ PILASTRE ]
éclairait largement la salle dans sa longueur. Ce pignon appartenait aux
constructions élevées par Louis d'Orléans pendant les premières années
du XV* siècle. Parmi les pignons d'architecture civile, plus simplement
traités, il faut citer ceux du logis du château de Pierrefonds. Nous en
présentons (fig. 14) deux spécimens. lisse combinent avec les crénelages
du château, ainsi qu'on peut le voir en A. Derrière le crénelage ressau-
tant, suivant le rampant du comble, est posé l'escalier de service pour les
couvreurs, et pouvant même au besoin être garni de défenseurs. En B,
est donnée la coupe de ce pignon, l'emmarchement étant profilé en a et
le faîtage du comble en b.
Le pignon G, qui appartient au même château, est muni d'un triple
tuyau de cheminée d qui interrompt le degré, lequel alors se continue
au moyen de marches de plomb sur le comble. En D, nous donnons l'un
de ces pignons de grange du xiii* siècle, avec son contre-fort d'axe des-
tiné à contre-buter la poussée des arcs portant sur une épine de colonnes
et soulageant les portées de la charpente. Les architectes du moyen âge
ne se faisaient pas faute de munir les pignons de contre*forts suivant les
distributions intérieures, soit pour accuser des murs de refend, soit pour
contre-buter des arcs. Us faisaient preuve, dans cette partie importante
de leurs édifices, de la liberté que nous aimons à trouver dans leurs
œuvres les plus modestes comme les plus riches. Le pignon accuse la
coupe transversale d'un édifice, c'est donc la partie qui indique le plus
clairement sa construction et sa destination ; les architectes ont compris
ainsi sa fonction, et ils se sont bien gardés de la cacher. A voir un pignon
du dehors, on saisit facilement les diverses divisions du bâtiment et
sa struclure, s'il est voûté ou lambrissé, s'il ne possède qu'un féz-de-
chaussée, ou s'il se compose de plusieurs étages. Habituellement, les
cheminées sont placées dans l'axe des pignons, afin d'amener facilement
leurs tuyaux jusqu'au faite du comble et d'éviter leur isolement. Ces
tuyaux forment alors de véritables contre-forts creux qui roidissent les
grands triangles de maçonnerie et leur donnent plus d'assiette. L'éta-
blissement des pignons dans les édifices civils avait encore l'avantage
d'éviter les croupes en charpente, d'une construction et d'un entretien
dispendieux, et de fournir de beaux dessous de combles bien fermés,
aérés et sains.
PILASTRE^ s. m. (ante). Pendant l'antiquité grecque, le pilastre, ou plu-
tôt Vante^ est, ainsi que le mot l'indique assez, une tête de mur ou une
chaîne saillante élevée au retour d'équerre d'un mur. Sur le murd'une
celia, l'ante est le renfort élevé en A ou en B
(fig. 1), lequel renfort porte un chapiteau et s'ap-
puie quelquefois sur une base. Dans l'architecture
romaine, ce qu'on appelle piVas/re, est la projection
d'une colonne sentie sur le nu d'un mur par une
faible saillie. A (fig. 2) étant une colonne, B est son pilastre. .Quelque-
[ PIMSTRE ] — 150 —
fois la colonne isolée ou engagée disparaît^ comme par exemple autour
de rétage supérieur du Golisée à Rome, et le pilastre reste seul. Les
Grecs n'ont jamais, pendant la belle époque,
/^; donné à Tante le même chapiteau qu'à la co-
lonne; mais, sous Tempire, le chapiteau du
pilastre n'est que la projection du chapiteau de
la colonne, comme le pilastre lui-môme n'est
que la projection du fût Si le pilastre est seul,
s'il n'est pas la projection d'une colonne, il possède le chapiteau d'un
ordre dorique, ionique, corinthien ou composite, mais ne prend pas un
chapiteau spécial.
Dans les premiers temps du moyen âge, les architectes ne prennent
pas la peine de projeter la colonne adossée sur le mur d'adossement,
mais ils placent parfois des pilastres comme décoration ou renfort d'un
mur. On voit de petits pilastres à l'extérieur du monument de Saint-Jean
à Poitiers; on en retrouve sur le pignon occidental de la basilique kitine
de Saint- Front de Pcrigueux , accompagnant deux étages d'arcatures S
et, plus tard, vers la fin du x® siècle, à l'intérieur môme de cet édifice. Ces
pilastres, couronnés par des chapiteaux pseudo-corinthiens, portent une
arcature haute (dans les tympans fermant les grandes travées des cou-
poles) qui forme un passage continu tout autour de l'édifice. Des fenê-
tres sont ouvertes dans l'arcature, au droit du chœur et du transsept. Mais
cet exemple qu'on trouve répété dans la' partie ancienne de l'église de
la cité (cathédrale) à Périgueux, n'est pas suivi généralement dans les
édifices de l'Ouest. La colonne engagée remplace le pilastre, tandis que,
dans la haute Bourgogne, le Morvan et la haute Champagne, le pilastre
romain persiste fort tard, jusqu'au commencement du xiii* siècle. Il
existe encore à Autun deux portes de ville de l'époque gallo-romaine, les
portes d'Arroux et de Saint-André, qui sont couronnées par un chemin
de ronde consistant en une suite d'arcades entre lesquelles sont disposés
des pilastres, cannelés à la porte d'Arroux, lisses à la porte Saint-
André. Cette arcature avec pilastres servit évidemment de type aux
architectes qui, au xir siècle, élevèrent les cathédrales d'Autun et de
Langres, et les églises de Saulieu et de Beaune. Mais soit qu'il existât
encore à cette époque de grands monuments romains avec pilastres,
soit que les galeries des portes romaines d'Autun aient inspiré aux archi-
tectes l'idée de se servir du pilastre, et du pilastre cannelé, dans la
composition des piles mêmes des édifices précités, nous voyons le pilastre
appliqué en grand à Langres, à Autun et dans quelques autres monu-
ments de ces contrées. A Langres , de grands pilastres pseudo-corin-
thiens forment la tête des contre- forts de l'abside à l'extérieur. A la cathé-
drale d'Autun, les piliers intérieurs sont cantonnés de pilastres cannelés
* Voyei, dans V Architecture byzantine en France^ par M. Félix de Verneilh (4851), la
desicription de Téglise latine de Saint-Front, page 93.
— 151 — [ PILIER ]
^voy. Pilier). A Vézelay même, dans la nef^ au-dessus des archivoltes des
bas côtés, des pilastres portent les formerets de la grande voûte, tandis
qu'on ne voit jamais de pilastres employés dans les édifices romans de
rUe-de-France. Le pilastre est quelquefois employé aussi dans certains
monuments romans de la Provence, et il est habituellement cannelé.
De fait, dans l'architecture française du moyen âge, le pilastre est une
exception, son emploi est dû à la présence de monuments romains
voisins.
PILE, s. f. — Voy. PiLIBB.
PILIER, S. m. Support vertical de pierre isolé, destiné à porter les
charpentes ou les voûtes des édifices. Le pilier appartient à l'architec-
lure du moyen âge. Les Grecs ni' les Romains n'élevaient, à proprement
parler, de piliers, car ce nom ne peut être donné à la colonne non plus
qu'à ces masses épaisses et compactes de blocages qui, dans les grands
édifices romains, comme les salles des Thermes, par exemple, suppor-
tent et contre-butent les voûtes. Le pilier est trop grêle à lui seul pour
résister à des poussées obliques; il faut, pour qu'il puisse conserver la
ligne verticale, qu'il soit chargé verticalement, ou que les résultantes des
poussées des voûtes agissant sur lui se neutralisent de manière à se
résoudre en une pression verticale. Lorsque les nefs d'églises, les salles,
étaient couvertes par des charpentes, il n'était pas besoin de donner aux
piliers une force extraordinaire, et de chercher, par la combinaison de
leur section horizontale, à résister aux pressions obliques des voûtes ;
mais dès que Ton prétendit substituer la voûte aux charpentes pour
fermer les vaisseaux, les constructeurs s'ingénièrent pour donner aux
piliers des formes propres à remplir cette nouvelle destination. Ils aug-
mentèrent d'abord démesurément le diamètre de la colonne cylindrique,
puis ils groupèrent plusieurs colonnes; puis ils cantonnèrent les piliers
à section carrée de colonnes engagées : ils cherchèrent ainsi des combi-
naisons résistantes jusqu'au moment où l'architecture adopta, vers le
milieu du xii* siècle, un système de structure entièrement nouveau.
Alors le pilier ne fut plus que le dérivé de la voûte ou de la pression
agissant sur lui.
Mieux que tout autre membre de l'architecture, le pilier, pendant le
moyen âge, exprime les essais, les efforts des architectes et les résultats
logiques des principes qu'ils admettent au moment où l'art vient aux
mains des écoles laïques; aussi devrons-nous entrer dans des explica-
tions assez étendues à propos des curieuses transformations que subit
le pilier du x* au xv* siècle.
Dans la basilique romaine, le pilier n'est autre que la colonne portant
un mur vertical, soit au moyen de plates-bandes, soit au moyen d'arcs.
Sur deux rangs de colonnes s'élevaient deux murs ; sur ces deux murs, de
l'un à l'autre, une charpente. Pression verticale assez faible d'ailleurs ;
[ PILIER ] — 152 —
par conséquent résistance suffisante, si lescolonnes étaient de pierre dure,
de granit ou de marbre. Des murs de brique bien faits ne pèsent guère ;
des charpentes, si larges qu'elles soient, n'exercent qu'une pression assez
faible. Mais quant à Tart de la construction pratiqué par les Romains,
on tomba dans une grossière imitation de cet art, on dut substituer à des
murs minces, bien liaisonnés, garnis de mortier excellent, revêtus d'en-
duits indestructibles ou bâtis de pierres d'appareil posées à joints vifs.
des murs de moellons smillés, mal liaisonnés, remplis de mauvais mor-
tier ; dès lors il fallait nécessairement donner à ces murs une plus forte
épaisseur, portant un poids plus considérable, aux colonnes ou piliers
une plus large section. D'ailleurs les constructeurs romans, pendant la
période carlovingienne, ne pouvaient ni extraire, ni tailler des colonnes
de marbre, de granit ou de pierre dure monolithes ; ils composaient
celles-ci par assises de pierres basses et même quelquefois de moellons.
Les piliers renforcés ne résistaient pas toujours aux charges qu'on
leur imposait, ils se gerçaient, se lézardaient ; on en vint à augmenter
démesurément leur force pour éviter ces accidents, on adopta les sec-
tions rectangulaires : leurs assises étaient ainsi plus faciles à poser et
plus résistantes; souvent on leur donna une épaisseur plus forte que
celle des murs dont ils avaient à supporter la charge.
Beaucoup de monuments des x^ et xi*' siècles ont conservé des piliers
dans la construction desquels on observe les tâtonnements, les essais des
constructeurs, rarement satisfaits du résultat obtenu ; car ces piliers
étaient non-seulement disgracieux, mal reliés aux parties supérieures,
mais encore ils prenaient une place considérable, encombraient les inté-
rieurs et gênaient la circulation. Aussi n'est-il pas rare alors de voir dans
un même édifice des piliers bâtis en même temps affectant des formes
différentes, comme si les architectes dussent les essayer toutes, dans l'im-
possibilité où ils se trouvaient d'en trouver une qui pût les contenter.
Pendant le xi® siècle nous voyons employer simultanément les piliers
à section carrée, carrée avec arêtes alaattues, circulaires, lobée^ carrée
cantonnée de demi-cercles, barlongue, circulaire^ entourée d'une série
de sections de cercle, etc. ; mais rien n'est arrêté, rien n'est définitif,
aucun système ne prévaut.
Dans la petite église de Vignory (Haute Marne) S les murs de la nef
sont supportés par une suite de piliers à section barlongue ; puis la der-
nière travée près du chœur présente des piliers à section circulaire
(fîg. 1). Au-dessus du pilier à section circulaire A est posé, pour former
le faux triforium B, un pilier à section carrée dont les angles sont arron-
dis'^. L'architecte, se défiant de la petitesse de ses matériaux, n'a pas osé
élever les piles de la nef jusqu'à la hauteur du lambris des combles
* Du x« au XI" siècle.
- Voyci la monographie de Téglise de Vignory donnée d'après les dessins de M. Bœs-
wilwald {Archiv. des monuments h istor, publiées sous les auspices du ministre d'État),
— *53 — [ PIUBA ]
des bas côtés, il les a élrésillonnées dans le sens de la longueur par des
ai-cs G (voy. la coupe) qui portent une claire-voie n'ayant d'autre des-
tination que de rendre le mur de la nef moins lourd et de décorer
cet intérieur. Dans l'église de Bonneuil en France (Seine-et-Oise) , nous
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voyons des piliers du xv siècle, dont la section est donnée en A, fig. 2,
portant des archivoltes à doubles claveaux; mais ici l'esprit méthodique
des artistes de rile*de-France apparaît : la section de ces piliers est mo-
tivée par la construction supérieure ; on sent là Tinfluence d'une école
doDt les principes sont déjà raisonnes. Ces piliers sont bien construits en
assises régulières. Les profils sous les arcs ne se retournent pas sur les
faces, ce qui est parfaitement justifié par la construction.
Dans la nef de l'église Saint^Remi de Reims, élevée vers la fin du
x* siècle (nous parlons des constructions primitives), on voit des piliers
dont la forme singulière ne parait motivée en aucune manière. Ces piliers
(fig. 3 et 3 his) se composent d'un faisceau de segments de colonuetles
dont la section horizontale donne le tracé reproduit dans la figure 3. Un
cercle ayant été tracé avec le rayon AB, ce cercle est le socle de la pile ;
VII. — 20
( piuËR ] — i5a —
ayant élé divisé en sept parties égales, on a obtenu un polygoni: qui
donne le plinthe des bases des colonnettes. Le rayon AB ayant été ■
divisé en deux parties égales, AC, BC, les points G ont donné les centre?
des sept grosses colonnettes. La l'encontre des segments de ces grosses
colonnettes a donné le centre des sept autres colonnettes dont les tores
des bases sont tangents aux côtés du polygone. Les archivoltes HH, H, le
nu du mur FG, posent assez gauchement sur cette pile, comme il est facile
de le reconnaître par le tracé. L'arc-doubleau KL du collatéral prend sa
naissance au-dessous de celle des archivoltes, ce qui Tait que le tailloir
des chapiteaux sous cet arc-doubleau vient buter contre les fûts de h
— 155 — l HllER ]
pile, et que les tailloirs des chapiteaux portant les archivoltes pénètrent
I bis
Janî i'arc-iloiiblfaii. La perspective de cette pile {(ig. 3 bit) explique
[ PIUER .] — 156 —
d'ailleurs ces bizarreries, et comment tous les chapiteaux, sauf ceux por-
tant Tarc-doubleau, sont inscrits dans un cercle qui est de même dia-
mètre que celui donnant la projection horizontale du socle. Il semblerait
que Tarchitecte a voulu obtenir ici une puissante résistance et une appa-
rence légère par ces divisions du gros fût en portions de cylindres se
pénétrant.
Dans réglise Saint-Aubin de Guérande, la nef, dont la construction
date de 1 130 environ, repose sur des piliers alternativement cylindriques
et composés. Voici (fig. 6) un de ces derniers. La section horizontale
tracée en A donne quatre grosses demi-colonnes de 60 centimètres de
diamètre^ et quatre plus menues de iiO centimètres de diamètre. Les bases
de ces colonnes sont circulaires, et reposent sur un plateau également
circulaire , enveloppant les huit bases partielles et formant socle. La
projection horizontale de ce plateau donne celle du tailloir commun
aux huit chapiteaux et portant sur la face, un pilier G dont la section est
un trapèze, des archivoltes à double rang E, D, et un arc-doubleau G
sur le bas côté. Le pilier G (voy. l'élévation F) ne portait que les entrails
de la charpente, cette nef n'ayant pas été voûtée primitivement. La
construction de ces piliers est beaucoup mieux entendue que celle des
piliers de Téglise de Saint-Remi de Reims, car ici chaque colonne en-
gagée a déjà sa fonction distincte et bien motivée. Le tracé perspectif B
fait comprendre la disposition des huit chapiteaux groupés sous le tailloir
circulaire *.
L'église de Lons-le-Saulnier nous montre une nef du xii* siècle portée
sur des piliers alternativement cyUndriques et à section polygonale, ter-
minés par des amortissements carrés formant chapiteaux et recevant en
plein les sommiers des archivoltes (fig. 5).
Le XII* siècle présente une grande variété de piliers. Les constructeurs,
cherchant les moyens d'élever des voûtes sur les nefs romanes, qui jus-
qu'alors en étaient habituellement dépourvues (dans les provinces du
Nord du moins), passaient de la forme primitive de la colonne mono-
cylindrique à la section carrée, au groupe de cylindres, aux plans carrés
cantonnés de colonnes engagées, sans trouver la forme qui convenait dé-
finitivement à ces supports ; car chaque jour amenait un nouveau mode
dans la structure des voûtes, et bien souvent, pendant qu'on élevait
les piliers, il survenait un perfectionnement dans la manière de disposer
les sommiers qui ne trouvait que difficilement son emploi sur des piles
préparées antérieurement à la connaissance de ce progrès. G'est ce qui
explique comment, dans beaucoup d'édifices de la dernière période
romane, on voit des arcs reposant gauchement sur des piliers qui évi-
demment n'avaient pas été tracés en prévision de la forme de ces
voûtes.
Il est une école cependant qui tâtonne peu , c'est l'école bourgui-
1 Ces dessins nous ont été Tournis par M. Gaucherel.
[ paiBi j
gnoQQe, on plnUtt l'école de Cluny. Aussi est-ce dans les édifices dus
[ PILIER ] — tri8 —
à cel ordre qu'on voit liéjà, dès ic commencement du xii' siMe, appa-
raître des piles très Cianclieincnt disposées pour recevoir les voùles telles
qu'on les concevait à celle époque. Les piles de la nef de l'église abba-
tiale de Vézelay, élevée à la fin du xi' siècle el pendant les premières
années du xii*, sont déjà tracées sur un plan coïncidant parfaitement
avec la construction des voûtes. Elles sont formées par la pénétration
de deux parallélogrammes rectangles cantonnés de quatre colonnes
cylindriques engagées.
La figure 6 donne en A la section horizontale de ces piles au niveau
ab, et en B leur section au niveau cd, C donne la face de la pile du côté
de la nef, et D la coupe de la travée sur le milieu des archivoltes. On voit
qu'au-dessus du bandeau G, le mur de la nef se retraite pour dégager
des pilastres H qui sont destinés à porter déjà des formerels I, sur les-
quels s'appuient les voûtes d'arête san^ arcs ogives. Des contre-forts K
étaient seuls destinés primitivement à contre-buter les grandes voûtes, et
reposaient sur les sommiers L des arcs-doubleaux des bas cAtés. Ici les
chapiteaux sont placés aux naissances des archivoltes et des arcs-dou-
bleaux, de sorlf qu'ayanl les mêmes diainètres, les colonnes engagées
[ PILIER ] — 160 —
antérieures X sont beaucoup plus longues que les colonnes M et N.
Ainsi, dès cette époque, le principe de soumettre les bauteucs des co-
lonnes aux naissances des arcs est admis. Ce sont les voûtes qui tom-
mandent l'ordonnance. Les colonnes ne sont engagées que d'un tiers,
afin de laisser à leur diamètre toute sa pureté, ce qui est un point im-
portant, car toute colonne engagée de la moitié de son diamètre, par
l'efTet de la perspective ne parait jamais posséder son épaisseur réelle.
Il est évident que dans la nef de Yézelay, Tarcbitecte a su, dès la base
de l'édifice, comment il le pourrait voûter; les arcs-doubleaux reposent
en plein sur les saillies des chapiteaux et sur les dosserets auxquels les
colonnes sont adossées ; les formerets de la grande voûte trouvent leurs
points d'appui, et les arêtes des voûtes leur place dans des angles ren-
trants, comme dans la structure romaine.
Les piliers de la cathédrale d'Autun, d'une époque plus récente (11^0
environ), mais appartenant à cette belle école de la haute Bourgogne, mé-
ritent également de fixer notre attention. Ils se composent, suivant la
section horizontale, de deux parallélogrammes se pénétrant, cantonnés,
non de colonnes engagées, mais de pilastres cannelés. Il faut observer
que la nef principale de cette église est voûtée en berceaux, et non point
par des voûtes d'arôte , comme à Vézelay. Ses piliers sont, d'ailleurs,
parfaitement disposés pour ce genre de construction. La section A est
faite sur (ib (flg. 7), la section B sur cd, la section C sur ef. Les arcs-
doubleaux D reposent sur la tête du pilastre montant de fond, et le nerf
qui les cerne à l'extrados, sur les colonnettes E. Les pilastres latéraux i
s'arrêtent à la naissance des archivoltes des collatéraux, et celui posté-
rieur reçoit, au même niveau, l'arc-doubleau de la voûte du bas côté.
C'est donCj comme à Vézelay, la naissance des arcs des voûtes qui dé-
termine la hauteur des colonnes ou pilastres engagés ; mais pour ne pas
donner au pilastre antérieur une proportion démesurément allongée,
l'architecte a eu le soin de le couper par les bandeaux n et m. Il n'est pas
nécessaire de faire ressortir l'étude des proportions et des détaUs qui
perce dans cet exemple d'architecture. On croirait voir là un fragment de
ces monuments gréco-romains si délicats que M. le comte Melchior de
Vogue a découverts dans les environs d'Antioche et d'Alep. 11 n'est pas
jusqu'à la sculpture qui ne rappelle cette école orientale si brillante au
V* siècle; et bien que les portes gallo-romaines d'Autun aient pu inspirer
aux architectes de la cathédrale du xii* siècle le motif de l'arcature du
triforium, ceux-ci ont été certainement prendre ailleurs leurs profils et
leur ornementation, ces profils et ornements étant d'un tout autre style
que ceux des édifices gallo-romains et d'une exécution bien supérieure.
Ce motif de piliers a été suivi dans la construction des églises Notre-
Dame de Beaune, Saint- Andocbe de Saulieu et de la cathédrale de
Langres, car la cathédrale d'Autun a fait école.
L'école de l'Ite-de-Prance, au moment où l'architecture passait aux
mains des architectes laïques^ devait rompre avec ces traditions qui sem-
[ piLun ]'
liaient si bien établies dans les contrées de la Bourgogne et de la hante
vir. — 21
[ PILIER ] — 162 — .
Champagne. Vers 1160, ces architectes de l'Ile-de-France tentaient d'as-
socier les anciennes données romanes au nouveau système de structure
qu'ils inauguraient; ils conservaient encore la colonne monocylindrique
et ne commençaient l'ordonnance imposée par les voûtes d'arête en arcs
ogives qu'au-dessus de ces colonnes.
Ce principe est franchement accusé dans l'intérieur de la cathédrale de
Paris. Les piliers du chœur de cette église, élevés vers 1162, et ceux de la
nef, vers 1200, présentent à peu près les mêmes dispositions. Les piliers
du chœur, dont nous donnons la section horizontale (fig. 8), se compo-
sent d'un gros cylindre de 1",30 de diamètre {d pieds), portant un large
K
chapiteau à tailloir carré, sur lequel reposent les archivoltes portant les
murs aé, cd, les arcs-doubleaux du collatéral e et les arcs ogives/*. Les trois
colonnettes ^, A, A, s'élancent jusqu'aux naissances des grandes voûtes
pour porter les arcs-doubleaux et les arcs ogives ou les formerets. A la
hauteur du triforium, la section monocylindrique du pilier se divise,
comme l'indique la figure, en autant de membres qu'il y a de nerfs de
voûtes à porter. Dans la nef (fig. 9), la section de la pile du triforium
se simplifie ; la pile, construite par assises, ne présente que des retours
d'équerre, des pilastres, et les colonnettes sont détachées en monolithes.
Plus tard^ aux piles avoisinant les tours, vers 1210, les constructeurs ont
même accolé après coup, à la grosse colonne monocylindrique du rez-
de-chaussée, une colonne engagée A pour supporter l'apparence de
porte à faux des colonnettes antérieures assises sur le tailloir, ou plutôt
pour épauler le gros cylindre et arrêter son déversement. C'était une
transition.
Voici (fig. 10) quelle est la construction des piles de la nef de Notre-
Dame de Paris en élévation ^ Il est clair que l'ordonnance propre au
nouveau système de structure adopté alors ne commence qu'à partir
du niveau A, c'est-à-dire au-dessus du tailloir des chapiteaux des ce-
1 Voyez Gathéoealb, flg. 2 et 4.
— 168 — [ PILIER ]
lonnes du rez-de-chaussée. Ceiles-ei coosiiluent une ordonnance séparée,
uQquillage inférieur. Ce principe persiste plus longtemps dans Tlle-de-
France que partout ailleurs, ce n'est qu'avec peine que les architectes
l'abandonnent. Déjà cependant, à Paris, dans la construction de la cathé-
drale même, ils avaient élevé, dans les collatéraux de la nef, des colonnes
monocylindriques cantonnées de colonnes monostyles (voy. Construc-
tion, fig. 92 et 93) ; mais ce parti leur avait été imposé par la nécessité de
3
donner à ces points d'appui une résistance exceptionnelle. Nous voyons
qu'à la cathédrale de Laon, sans aucune raison apparente, vers la même
époque, c'estrà-dire vers 1200, les architecles ajoutent aux gros cylin-
dres du rez-de-chaussée de la nef des colonnes monostyles détachées,
comme un essai, une tentative, un acheminement vers un nouveau sys-
tème de structure des piles. Sur vingt piles qui portent le iriforium et
les voûtes de la nef de Notre-Dame de Laon, quatre seulement présen-
tent cette particularité de colonnettes posées aux angles du tailloir et
sur la partie antérieure, ainsi que l'indique la section horizontale (fig. 11).
Les trois colonnettes a, h^ b, soulagent le tailloir du gros chapiteau, et re-
çoivent les cinq colonnettes qui portent l'arc-doubleau, les arcs ogives
et les formerets des grandes voûtes. Quant aux colonnettes c, elles re-
çoivent les sommiers des arcs ogives des voûtes des bas côtés. En per-
spective, ces piliers présentent donc l'aspect reproduit dans la figure 12.
Ces quatre piliers sont, il est vrai, posés sous les retombées des voûtes,
qui, à Laon comme à Notre-Dame de Paris, embrassent deux travées,
mais on ne s'explique pas pourquoi ce système, qui est très- bon, n'a pas
été suivi tout le long de la nef. Les bagues A forment une assise qui
relie les fûts supérieurs B aux fûts inférieurs C. Les constructeurs de la
cathédrale de Laon n'avaient pas le beau liais cliquart de Paris, et ils
ne pouvaient tailler de colonnettes monostyles d'une grande longueur.
{ PILIER ]
Aussi reliaient-ils les fûts par ces assises de bagues qui se répétaient
— 165 — [ PIUER 1
plusieurs fois* dans la hauteur des piliers, comme on le voit en D. On
observera que le chapiteau de la grosse colonne comprend deux assises,
tandis que les chapiteaux des colonnettes en délit sont pris dans une
1-
\
seule assise faisant corps avec la deuxième assise du gros chapiteau. Ce
principe est suivi assez rigoureusement pendant les premières années
du XIII* siècle (voy. Chapiteau).
Quelques années avant la construction de la cathédrale de Laon, c'est-
à-dire vers 1170, on élevait dans la même ville la nef et le chœur de
l'église Saint-Martin, et l'architecte conservait le corps de la pile romane,
formée, en section horizontale, de parallélogrammes se pénétrant avec
colonne engagée du côté de la grande nef pour recevoir l'arc-doubleau ;
mais dans les quatre angles rentrants laissés par les parallélogrammes,
cet architecte posait déjà des colonnettes en délit pour recevoir les arcs
ogives des hautes et basses voûtes (fig. 13). Ces colonnettes, composées
de plusieurs morceaux, étaient retenues par des bagues, ainsi que le fait
voir la vue perspective. Mais ces piles avaient l'inconvénient de donner
une section considérable prenant beaucoup de place, gênant la circula-
lion et masquant la vue du sanctuaire ; cependant ces quatre colonnette- ,
disposées pour recevoir les arcs ogives, avaient probablement fait naître
aux architectes de la cathédrale de Laon l'idée de cantonner leur
pilier cylindrique de cinq colonnettes, l'une destinée à porter l'arc-dou-
bleau de la grande nef, et les quatre autres à porter les arcs ogives.
Bientôt on prit un parti plus radical, on cantonna la grosse colonne
cylindrique de quatre colonnes engagées, recevant les deux arcs-dou-
bleaux et les deux archivoltes ; les arcs ogives des collatéraux retombè-
rent alors sur le gros chapiteau du cylindre principal, et ceux des voûtes
de la grande nef sur des colonnettes en délit portant sur la saillie du
tailloir. C'est suivant ce système que furent élevés les piliers de la cathé-
drale de Reims (tig. iU). En A, nous donnons la section de ces piliers au
niveau du rez-de-chaussée, la grande nef étant du côté N. Les gros cylin-
dres ont 1"^60 de diamètre (5 pieds) ; dans le sens de la coqpe en tra-
[ PIUBB ] — 166 —
vers, les piliers, compris les colonnes engagées, ont 2",ûR, et dans le
sens de la nef 2", 40 seulement. C'était une précaution prise pour donner
■(^'Piti«i8 yn peuplas d'assiette dans le sens de.la poussée des voûtes.
[ PlUBB ]
i^B''
|i
! ■--- V-- Ut : i''-
k-
. L'appareil de ces piliefs est donné par Villard de Hpnnecourt et estrepro-
— 169 — [ PILIEB ]
duit dans notre figure. Villard de Honnecourt a bien le soin de nous
dire que cet appareil avait été combiné afin de cacher les joints des
tambours; il n'est pas besoin d'ajouter que l'appareil se chevauche de
deux en deux assises. Au niveau du triforium, en ab (voy. l'élévation B),
le pilier adopte la section C. La colonne engagée d fait corps avec la
bâtisse, c'est-à-dire qu'elle est élevée par assises, tandis que les colon-
nettes e recevant les arcs ogives des grandes voûtes, et les colonnettes f
recevant les formerets, sont rapportées en délit, maintenues par des ban-
deaux g^ hy qui font bagues, et les chapiteaux t et /. L'architecte de Notre-
Dame de Reims n'avait pas encore une théorie bien arrêtée sur l'équi-
libre des voûtes dans les grands édifices gothiques, et il avait cru devoir
donner à ses piliers une très-forte section ; il avait, au niveau du trifo-
rium, crut devoir élever encore un gros contre-fort en porle à faux pour
asseoir les piles lecevant les arcs-boutants (voy. Cathédrale, figure iU).
L'architecte de la cathédrale d'Amiens fut plus hardi : il donna une sec-
tion beaucoup plus faible à ses piliers, et ne songea à les maintenir dans
leur plan vertical que par le secours des arcs-boutants (voy. Cathédrale,
fig.20).
D'autres constructeurs avaient essayé des colonnes jumelles dans les
cathédrales de Sens et d'Arras(voy. la section D) (1160), ou plus tard des
colonnes avec une seule colonnette adossée (voy. section. E), ou encore
des colonnes à section ovale, comme dans le chœur de la cathédrale de
Séez(fin du xiii* siècle) (voy. section F), doininés qu'ils étaient par cette
idée de résister aux poussées et de prendre le moins de place possible,
de ne pas obstruer la vue des nefs et des sanctuaires.
Les exemples de piliers empruntés aux cathédrales de Reims et
d'Amiens nous font voir seulement une grosse colonne centrale can-
tonnée de quatre colonnes engagées ; les colonnettes destinées à porter
les arcs ogives et les formerets ne prennent naissance qu'au-dessus du
chapiteau inrérieur. Vers le milieu du xiii* siècle déjà on faisait descen-
dre les colonnettes des arcs ogives des grandes voûtes jusqu'à la base
même du pilier ; puis bientôt on voulut porter les arcs ogives des voûtes
des collatéraux sur des colonnettes spéciales ; les piliers prirent donc la
section donnée par la figure 15 : A étant le côté faisant face à la grande
nef et B la partie du pilier en regard du collatéral. Dès Tinstant qu'on
admettait que les arcs ogives, comme les archivoltes et les arcs-dou-
bleaux, devaient posséder leur colonnette montant de fond, il était logique
d'admettre que les formerets eux-mêmes possédassent leurs supports ver-
ticaux, et même que les membres de ces nerfs de voûtes eussent chacun
un point d'appui spécial. On multiplia donc les colonnettes autour du
cylindre central, et les moulures elles-mêmes des arcs vinrent mourir sur
la base du pilier.. Ce parti tendait à faire supprimer les chapiteaux, car
à quoi bon un chapiteau dès quela moulure formant l'arc se continue le
long du pilier? Vers 1230 déjà^ les colonnettes cantonnant les piliers ne
sont plus détachées, monostyles, mais tiennent aux assises mêmes de la
VIL — 22
j PILIER J — 170 —
pile. Des colonnelLcs, en se mullipliant. devenaient trop grêles pour
qu'il fût possible de les tailler dans une pierre posée en délit, el même
alors comme il devenait très-dilTicile, sans risquer de faire casser les
pierres, de Touiller au ciseau les angles i-entrants, jonctions des colon-
n
nettes avec le noyau, on adoucissaii ces angles, ainsi que le fait vuir la
section (fig. 16). 11 résultait de cette nécessité pratique une succession
de surfaces courbes, molles, qui ne donnaient que des ombres indécises;
il fallait trouver sur ces surfaces désarrois de lumière qui pussent accuser
Ui
V
les nerfs principaux. Les architectes eurent alors l'idée de réserver sur le
devant de chaque colonnette une arMe qui accrochât la lumière et Itt
ressortir la saillie du nerf cylindrique (voy. en A, fig. 16). 11 résultait de
l'adoption de ce principe, que la colonnette, mariée au noyau principal
par une gorge et armée d'un nerf saillant, passait de la forme cylindrique
à la forme prismatique. ^
— 171 — f PILIER j
Dès la fin du xin* siècle^ Técole champenoise, qui, à partir de 1250,
avait pris les devants sur les autres écoles gothiques, cherchait des sec*
lions de piliers qui fussent rigoureusement logiques, c'est-à-dire qui ne
fussent que la section, réunie en faisceau, des arcs que portaient ces
piliers. Alors les profils des arcs commandaient impérieusement les sec-
lions des piles, et, pour tracer un pilier, il fallait commencer par con-
naître et tracer les divers membres des voûtes.
Les gens qui élevèrent l'église Saint-Urbain de Troyes, vers 1290, pri-
rent^ dès cette époque, le parti radical que nous venons d'indiquer ; mais
on comprendra facilement que la forme consacrée du gros pilier cylin-
drique central ne devait plus s'accorder avec ce système nouveau, la
réunion en faisceau de tous ces nerfs d'arcs ne pouvant se résoudre en
un cylindre, même en y joignant des appendices, comme on l'avait fait
précédemment et comme l'indiquent les figures 15 et 15. Il fallait aban-
donner absolument la tradition de la grosse colonne centrale, qui per-
sistait encore vers le milieu du xiii* siècle. Entraînés par la marche
logique de leur art, les constructeurs de Saint-Urbain n'hésitèrent pas,
et nous voyons que dans le même édif?ce et pendant un espace de temps
lrè&-court (dix ans au plus), ils abordent franchement le pilier prisma-
tique, en supprimant les chapiteaux.
La figure 17 présente en A une des quatre piles du transsept. Cette
pile porte deux arcs-doubleaux B des grandes voûtes, deux archivoltes C
de bas côtés, la branche d'arc ogive D de la voûte de la croisée, deux
branches d'arcs ogives E des voûtes hautes, et la branche d'arc ogive F
de la voûte du collatéral. Son plan affecte la forme donnée par les pro-
fils de ces huit arcs, et place les points d'appui verticalement sous la
trace des sommiers de ces arcs. La première pile de la nef, dont la sec«
tion est donnée en G, indique de même la projection horizontale des
sommiers des archivoltes B', des arcs ogives E' des grandes voûtes, et
des arcs ogives E" des voûtes des bas côtés, ainsi que celle des £urcs-
doubleaux H des grandes voûtes et I des basses voûtes. Ces piles portent
encore des chapiteaux très-bas d'assise, parce que le protil des arcs des
voûtes n'est pas identique avec la section de ces piliers. Mais la seconde
pile de la nef donne la section K, et est tracée de telle façon, que les
archivoltes L, les arcs-doubleaux H et I, les arcs ogives M, viennent
pénétrer exactement cette section, les membres a tombant en a!, les
membres b en V^ les membres c en c', les membres d en d\ etc. Mais,
pour ne pas affaiblir la pile par des évidements, les cavets, gorges et
profils e viennent rencontrer les surfaces pleines e', les arêtes vives /"des
boudins s'accusant sur la pile par les arêtes f*. Dès lors les chapiteaux
sont supprimés. Une semblable tentative, datant des dernières années
du XIII* siècle, ne laisse pas d'être d'un grand intérêt, quand on voit que
pendant le xiv* encore, dans la province de l'Ile-de-France et en Nor-
mandie, on s'en tenait à des sections de piles n'accusant pas entièrement
la section des arcs des voûtes^ et nécessitant par conséquent l'emploi
[ PILIER ]
— 172 —
du chapiteau pour séparer les sommiers de faisceaux des colonnelles
des piliers,
— 173 — [ PILIER ]
L'église de Saint-Ouen de Rouen, dont le chœur date du xiy' siècle,
présente des piliers qui sont tracés conformément à la section G, c'est-à-
dire qui projettent avec quelques modifications les arcs-doubleaux et les
arcs ogives des voûtes, et qui possèdent encore des chapiteaux; ce n*est
qu'à la fin du xiv* siècle et au commencement du xv* que la donnée
déjà adoptée à la fin du xiii" siècle par Tarchitecle de Saint-Urbain de
Troyes est définitivement acceptée, et que les piles ne sont que la pro-
jection réunie en faisceau des différents profils des arcs. Mais comme
cette méthode, toute rationnelle qu'elle était, exigeait une main-d'œuvre
et par conséquent des dépenses considérables, souvent à cette épo-
que on en revint au pilier monocylindrique, dans lequel alors péné-
traient les profils des divers arcs des voûtes. C'est ainsi que sont con-
struits les piliers de l'église basse du mont Saint-Michel en mer, et d'un
grand nombre d'édifices construits de HOO à 1500, particulièrement
dans les constructions civiles, où l'on prétendait ne pas faire de dépenses
inutiles. Toutefois il ne faut pas perdre de vue ce fait, savoir, qu'à dater
de 1220, les architectes français, renonçant à la colonne monocylin-
drique pour porter les voûtes, cherchèrent sans interruption à trans-
former cette colonne en un support des membres saillants constituant la
voûte, et par suite en un faisceau vertical de ces membres. Le pilier
tendait ainsi chaque jour à n'être que la continuation des arcs des voûtes,
et nous voyons que dès la fin du xiii' siècle on était déjà arrivé à ce
résultat. Le pilier n'étant que le faisceau vertical des arcs des voûtes, ce
n'est plus, à proprement parler, un pilier, mais un groupe de moulures
d'arcs descendant verticalement jusqu'au sol, c'est le tracé du lit infé-
rieur des sommiers qui constitue la section horizontale de la pile; et
en efl'et ce tracé est si important dans les édifices voûtés, si impérieux,
dirons-nous, qu'il devait nécessairement conduire à ce résultat. Dès
1220, les architectes gothiques ne pouvaient élever un monument voûté
sans, au préalable, tracer le plan des voûtes et de leurs sommiers; il était
assez naturel de considérer ce tracé comme le tracé du plan par terre, et
de planter ces sommiers dès la base de sa construction : c'était un moyen
de faire une économie d'épurés, et surtout d'éviter des erreurs de plan-
t*ition.
Les piliers, dans l'architecture civile, afl'ectenl des formes qui ne sont
pas moins l'expression des nécessités de la construction, soit qu'ils por-
tent des voûtes, soit qu'ils soutiennent des planchers. Ainsi, dans les
étages inférieurs de l'évôché de Meaux, étages qui datent de la fin du
xn* siècle, nous voyons des piliers posés en épine qui portent des voûtes
doubles, et dont la structure est assez remarquable. Voici (fig. 18) leur
section horizontale en A, et en B leur élévation. Les voûtes sont privées
d'arcs-doubleaux. Ce sont des voûtes d'arête construites comme les
voûtes romaines, avec un simple boudin en relief sur les arêtes et un
angte obtus à la place occupée ordinairement par l'arc-doubleau (voy. là
section G faite sur ab). Le pilier se compose d'un corps principal cylin-
[ PILIER ] — 17/| —
driqQB, cantonné (le quatre boudins également cylindriques (voy. la se
iîon A); les piles sont monolithes du dessus de la base à l'astragale du
chapiteau.
— 175 — [ PUIER ]
Des maisons de 1» ville de Dol possèdent encore des piliers mono-
lithes de granit et qui datent du xiii* siècle. Ils portent des poitraux de
bois et formaient portiques ou pieds-droits de boutiques. Voici (Gg. 19)
\
deux de ces piliers. En A est la section du pilier A', en B celle du pilier
B'. Les arcAitectes cherchaient toujours, avec raison, à éviter, dans la
taille de ces piliers isolés ou adossés, les arêtes \ives, qui s'épaufreut
[ PINACLE ] — 176 —
facilement et sont fort gônants. Il suffit de s'être promené un jour de
foule dans la ruo de Rivoli, à Paris, pour reconnaître les inconvénients
des arêtes vives laissées sur les piliers isolés : ce sont autant de lames bles-
santes placées au-devant des passants. Admettant que cela soit monu-
mental, ce n'en est pas moins très-incommode.
Les architectes de la fin du xv* siècle ont non-seulement fait descendre
le long des piles les profils prismatiques des arêtes des voûtes, mais en-
core ils se sont plu parfois à tordre ces profils en spirale, et à décorer
d'ornements sculptés les intervalles laissés entre les côtes. On voit un
curieux pilier ainsi taillé au fond du chevet de l'église Saint-Séverin,
à Paris. On en voit un composé de gros boudins en spirale dans l'église
de Sainte-Croix de Provins. Ce sont là des fantaisies qui ne sauraient
servir d'exemples et que rien ne justifie. La province de Normandie
fournit plus qu'aucune autre ces étrangetés dues au caprice de l'artiste
qui, à bout de ressources, cherche dans son imagination des combinai-
sons propres à surprendre le public. Les maîtres du moyen âge n'ont
jamais eu recours à ces bizarreries. Ce n'est qu'en Angleterre que dès le
XIII* siècle naît ce désir de produire des effets surprenants. Déjà, dans la
cathédrale de Lincoln, on voit des piliers de cette époque, composés avec
une recherche des petits effets qu'on ne trouve dans notre école que beau-
coup plus tard. Des exemples de piliers sont présentés dans les articles
Architecture religieuse, Cathédrale, Construction et Travée.
PINACLE, s. m. Couronnement, finoisoUy comme on disait au xiv' siècle,
d'un contre-fort, d'un point d'appui vertical, plus ou moins orné et se
terminant en cône ou en pyramide. Dans les monuments d'une haute
antiquité, on signale déjà certains amortissements d'angles de frontons et
de cornichos qui sont de véritables pinacles ^ La plupart des monuments
de notre période romane ont perdu presque tous ces couronnements
supérieurs, qui rappelaient cette tradition antique. Toutefois les orne-
ments, en forme de pomme de pin, qui terminent les lanternons de l'é-
glise de Saint-Front de Périgueux, peuvent bien passer pour de véritables
pinacles. Ce n'est guère qu'au xii* siècle que Ton commence à signaler
des restes nombreux de ces sortes d'amortissements. Alors ils surmon-
tent les angles des clochers carrés à la base des cônes ou des pyramides
formant la flèche; ils apparaissent au-dessus des contre-forts aux angles
des pignons. D'abord peu développés, ou en forme d'édicules, ils pren-
nent, dès la fin du xii* siècle, une assez grande importance; puis, au
commencement du xiii" siècle, ils deviennent souvent de véritables mo-
numents. Comme tous les membres de l'architecture de ce temps, les
1 Voyes la médaille frappée sous le règne de Garacalla, donnant au revers le temple
de Vénus à Paphos (bronze); celle donnant au revers les propylées du temple du Soleil,
à Baalbec. Consulter VArchitectura numismatica, recueillie par Donaldsou, architecte
(Londres, 1859).
— 177 — [ PÎKACIE ]
pinacles remplissent une fonctiOD : ils sont destinés k assurer la stabilité
des points d'appui verticaux par leur poids ; ils maintiennent la bascule
des gargouilles et corniches supérieures; ils arrêtent le glissement des
tablettes des pignons; ils servent d'attache aux balustrades; mais aussi
leur silhouette, toujours composée avec un art inQni, contribue k donner
aui éditées une élégance particulière. Quelquefois, pendant la période
romane, ce sont des amortissements très-simples. Les contre-forts des
ïi* et xir siècles, dans le Beauvoisis, par exemple, sont souvent ter-
minés, à leur extrémité supérieure, par un cône recourbé k la pointe.
Ces coDtre-forts cylindriques présentent donc les amortissements repro-
duits dans les figures 1 et2'.
L'église collégiale de Poissy conserve encore, sur l'un des angles de
l'escalier de l'abside terminé par une pyramide octogone, un pinacle
do commencement du xn* siècle, dont nous donnons (fig. 3) un dessin
perspectif. Ce pinacle se compose de quatre colonnettes portant un
groupe de chapiteaux taillés dans une même assise ; un cône terminé par
un fleoron couronne les chapiteaux. Ce pinacle est fort petit, 1",30 de
haut environ ; il se trouve fréquemment adopté dans les édifices de cette
époque à la base des pyramides des flèches. Le clocher vieux de Chartres
possède aux angles de la tour, â la naissance de la flëcbe, des pinacles
d'une belle composition, qui servent en même temps de lucarnes (voy,
Plëghe, fig. A) ; ceux-ci datent du milieu du zil* siècle.
Les donjons des châteaux possédaient aussi presque toujours leurs
I Le pinarlc de la figure 1 provient des conIre-forU de la grande ég\iie de Saint'
<îermer (iii* siècle]. Celui de la figure 2 se retrouve dam quctquei édillce* du Beauvoiiia
it l« Hn du II* sièck. Lea pinacle» couronnant lea contre-torti cjliudriquei de l'églite
Sainl-Remi de Reima étaient Icrmliiés par des pinacles nnalogue» (xi° siècle).
VII. — 23
[ PINACLE ] — 178 —
pinacles, probablement dès une époque reculée, si l'on s'en rapporte aux
vignettes des manuscrits et aux représentations gravées qui nous restent
de ces édifices. Au xui' siècle, nous en trouvons encore quelques-uns
en place ou en fragments. Quelquefois même, comme ô la tour de
. n " '■ ' '
Monlbard, ils sont directement posés sur les raeilons des créneaux. Au
donjon de Coucy, ils étaient au nombre de quatre, élevés sur l'épaislalus
qui couvrait la corniche de la défense supérieure (voy. Donjon, flg. 39).
Mais l'époque brillante des pinacles est celle oîi les architectes commen-
cèrent à élever des arcs-boutants, afin de contre-buter les grandes voûtes
des nefs de leurs églises. Il fallait nécessairement, sur les contre-forts
recevant ces arcs-houtants, ajouter un poids, une pression verticale des-
tinée à neutraliser la poussée oblique de ces arcs et permettant de dimi-
nuer d'autant la section horizontale des piliers butants (voy. Construc-
tioh). Si puissant que fussent d'ailleurs ces piliers, les arcs-boutants
exerçaient leur action de poussée près de leur sommet, et pouvaient, si
ces sommets n'étaient pas chargés, faire glisser les dernières assises. Il
fallait donc au dessus du départ de l'arc un poids vertical, une pression.
Les architectes de l'école laïque comprirent bien vite le parti qu'ils pour-
— 179 — [ PINACLB ]
raient tirer de cette nécessité, au point de vue de la décoration des édi-
fices, et ils ne tardèrent pas à imaginer les plus belles et les plus gracieuses
combinaisons pour satisfaire à cette partie du programme imposé aux
constructeurs. Ils surent donc composer des pinacles tantôt très-simples
pour les édifices élevés à peu de frais, tantôttrès-riches, mais toujours en-
tendus, comme silbouetto et comme structure, d'une façon remarquable.
Parmi les plus beaux pinacles que nous possédons dans nos édiflces
français du xiii*' siècle, il faut citer, en première ligne, ceux qui termi-
nent les contre-forts de la cathédrale de Reims. Ce sont là de véritables
chefs-d'œuvre de composition et d'exécution. On conçoit combien il est
difficile de poser des édicules au sommet d'un monument, et de les
soumettre à Y échelle adoptée pour l'ensemble, de ne point tomber dans la
recherche et le mesquin. Tout en donnant à ces couronnements une
extrême élégance, Tarchilecte de Notre-Dame de Reims a su les mettre
en harmonie parfaite avec les masses énormes qui les avoisinent, et cela
en les accompagnant de statues colossales qui présentent, tout le long de
la nef et du chœur, une série non interrompue de grands motifs occupant
le regard et faisant disparaître ce qu'il pourrait y avoir de grêle dans ces
pyramides à jour et dentelées.
Voici (fig. U) un dessin perspectif de ces pinacles. Le calme et la sim-
plicité de la composition n'ont pas besoin de commentaires pour être
appréciés; le croquis que nous donnons, si loin qu'il soit de l'original,
fait ressortir les qualités essentielles de l'œuvre. Observons comme, dans
ce détail purement décoratif, l'architecte a su éviter les banalités. Dans
les parties décoratives de l'architecture, depuis l'époque de la renais-
sance, et plus particulièrement de nos jours, on a su si bien familiariser
nos yeux avec ce que nous nommerons les chevilles de notice art, que
nous avons perdu le sentiment de ce qui est vrai, de ce qui est à sa place,
de ce qui est orné, en raison du lieu et de l'objet. Que voyons-nous ici
dans cet immense appendice décoratif qui n'a pas moins de 2/i mètres
depuis la gargouille jusqu'au fleuron supérieur? 1<* Une pile ou culée
puissante, pleine de A en B, destinée à contre-buter la poussée de l'arc-
boutant inférieur, dont la pression oblique agit avec plus d'énergie que
celle du second ; 2® de B en C, une pile évidée, suffisante pour contre-
buter la poussée du second arc-boutant, à la condition que celte pile évi-
dée sera chargée d'un poids considérable, celui de la pyramide CD ; 3"* en
avant de la partie du contre-fort évidé, deux colonnes monolithes qui
roidissent tout le système de la structure, et sous cet évidement destiné
à donner de la légèreté à cette pile énorme, une statue abritée, composée
de telle façon que les lignes des ailes viennent rompre l'uniformité des
lignes verticales ; U^ le poids de la pyramide, accusé aux yeux par les
quatre pyramidions d'angle en encorbellement. En tout ceci, rien de su-
perflu, rien qui ne soit justifié ou calculé. Dans toutes les parties, la con-
struction parfaitement d'accord avec la décoration et l'objet; construction
savante d'ailleurs et n'étant nulle part en contradiction avec la forme.
[ PINACLE ]
Les architectes ne pouvaient pas toujours disposer de ressources aui
— 181 — [ PINACLE 1
coQsidérabies, ai se permettre d'élever devant les conlre-forts, ou sur leur
sommet, des édicules de cette importance relative. Souvent, au con-
traire, nous voyons qu'ils sont privés des moyens de compléter leur
«puvre. A la cathédrale de Ch&lons-sur-Marne, dont la construction est
contemporaine de celle de Reims, l'architecte procédait avec une éco-
nomie évidente. Aussi les pinacles qui terminent les contre-forts de la
net (flg, 5) sont-ils bien loin de présenter la richesse et l'abondance de
[ PINACLE ] — 182 —
composition de ceux de Notre-Dame de Reims. Ils .consistent en un pyra-
midion à section octogonale, surmontant la tète du contre-fort terminé
par trois gables au-dessus de la gargouille recevant les eaux des combles
coulant dans le caniveau A formant chaperon sur Tarc-boutant. Ici les
piliers butanls s'élèvent d'une venue jusqu'au niveau B; ce pinacle n'est
plus qu'un simple couronnement destiné à couvrir ce pilier et à alléger
son sommet. Un programme aussi restreint étant donné, ces pinacles
sont encore habilement agencés, et il est difficile de passer d'une base
massive à un couronnement grêle avec plus d'adresse.
Les contre-forts de la cathédrale de Rouen, au-dessus des chapelles
de la nef, du côté septentrional, montrent de beaux pinacles datant de
1260 environ. Ils se composent (fig. 6) d'un édicule ayant en épaisseur
le double de sa largeur ; la partie postérieure est pleine et sert de culée
à Tarc-boutant; la partie antérieure est ajourée et repose sur deux
colon nettes. Sous le dais que forment les gables antérieurs est placée
une statue de roi ; les murs de clôture dès chapelles sont en A. Sûrs de
la qualité des matériaux qu'ils choisissaient , et sachant les employer
en raison même de cette qualité, les architectes de cette époque ne
reculaient pas devant ces hardiesses. Ces pinacles, qui ont ajourd'hui
600 ans, et qui n'ont certes pas été entretenus avec beaucoup de soin,
sont encore debout, et leurs fines colonnettes supportent leurs couron-
nements sans avoir subi d'altération. On voit un pinacle analogue à ceux-
ci, à la tête du premier contre-fort septentrional du chœur de la cathé-
drale de Paris, reconstruit exceptionnellement vers 1260, et contenant
les statues des trois rois mages groupés. Ceux de l'église abbatiale de
Saint-Denis, élevés à la tête des arcs-boutants sous le règne de saint
Louis, rappelaient primitivement cette donnée; mais ils ont été tellement
défigurés, lors des restaurations entreprises, il y a vingt-cinq ans, qu'on
ne saurait les reconnaître. Un clocheton octogone surmontait la double
travée des gables.
Le xw"* siècle alla plus loin encore en fait de légèreté dans la compo-
sition des pinacles. Ceux de la chapelle de la Vierge de la cathédrale de
Rouen sont d'une ténuité qui les fait ressembler à des objets d'orfè-
vrerie, et semblent plutôt être exécutés en métal qu'en pierre ; il est vrai
que la pierre choisie, celle de Vernon, se prête merveilleusement à ces
délicatesses.
Gomme dans tous les autres membres de l'architecture gothique, les
pinacles adoptent les lignes verticales de préférence aux lignes horizon-
tales, à mesure qu'ils s'éloignent du commencement du xiii* siècle. Ainsi
(fig. 7), les pinacles qui terminent les contre-forts de la sainte Chapelle
du Palais à Paris, tracés en A, reposent sur la corniche qui fait tout le
tour du bâtiment, et leurs gables prennent naissance sur une tablette
horizontale a placée sur un dé cubique orné de refoui Uement s. Ceux de
la salle synodale de Sens, élevés à la môme époque, c'est-à-dire vers
1250, et tous variés, accusent encore des lignes horizontales qui coupent
I nHiCLE ]
^^ verticales. En B, nous donnons celui qui accompagne la stalue du
[ PINACLE ]
/■"
'oi saint Louis, el qui représealo un donjon avec porle feroiée d'une
— 185 — ( PINACLE ]
herse, fenêtres grillées et tourelles. La section horizontale de ce pinacle,
prise au niveau cd^ est figurée en B'. Les pinacles qui couronnent les
contre-forts du chœur de Téglise Saint-Urbain de Troyes, figurés en C, et
dont la section horizontale, faite au niveau ab, est tracée en C, n'ont,
en fait de membre horizontal, qu'une bague dissimulée dernière les
pyramidions inférieurs. Ces pinacles datent de 1290. Enfin, les grands
pinacles qui s'appuient sur les culées des arcs-boutants du chœur de la
cathédrale de Paris, reproduits en D, qui datent de 1300, n'accusent qu'à
peine la ligne horizontale. Là même l'architecte a évidemment voulu
donner à ce membre important de l'architecture une apparence élancée.
Les clochetons /" accolés au corps principal du pinacle, et qui l'épaulent,
conduisent l'œil du point e au sommet, par une ligne inclinée à peine
interrompue. Ces pinacles sont très-habilement composés et produisent
un grand effet. Le caniveau qui sert de chaperon à l'arc-boutant conduit
les eaux, à travers les deux jouées du clocheton supérieur, dans une grande
gargouille placée à sa base. Ces quatre pinacles sont figurés à la môme
échelle.
Au XV' siècle, la ligne horizontale^ non-seulement n'entre plus dans la
composition des pinacles, mais encore ceux-ci forment habituellement
des faisceaux de prismes qui se. terminent en pyramides, se pénètrent et
s'élancent les uns au-dessus des autres. Parmi les pinacles de cette épo-
que, dont l'exécution est bonne, nous citerons ceux des contre-forts du
chœur de l'église d'Eu (fig. 8). En A, nous en donnons la section faite
sur ab, et en B, quelques détails assez remarquables par leur exécution.
La silhouette a évidemment préoccupé les architectes auteurs de ces
conceptions, et il est certain que, sauf de rares exceptions, elle est heu-
reuse. Ces membres d'architecture se découpent presque toujours sur le
ciel, et nous avons signalé dans d'autres articles (voy. Clocber, Flèche)
es difficultés que présente la composition de couronnement ayant l'at-
mosphère pour fond. En voulant éviter la maigreur, facilement on tombe
dans l'excès opposé ; le moindre défaut de proportion ou d'harmonie
entre les détails et l'ensemble choque les yeux les moins exercés, détruit
l'échelle, fait tache ; car le ciel est, pour les œuvres d'architecture, un
fond redoutable : aussi faut-il voir avec quel soin les architectes du
moyen âge ont étudié les parties de leurs édifices dont la silhouette est
libre de tout voisinage, et comme les architectes de notre temps craignent
d'exposer leurs œuvres en découpure sur l'atmosphère. Plusieurs ont été
jusqu'à déclarer que ces hardiesses étaient de mauvais goût : c'était un
moyen aisé de tourner la difficulté, et cependant neuf fois sur dix les mo*
Quments se détachent en silhouette sur ie ciel, car ils s'élèvent au-dessus
des constructions privées, et sont rarement en pleine lumière, surtout
dans notre climat. Il faut<;onsidérer, enefl*et, que c'est particulièrement
dans les régions situées au nord de la Loire que les pinacles prennent
une grande importance et sont étudiés avec une recherche minutieuse.
Le XVI' siècle composa encore d'assez beaux pinacles, mais qu'on ne
vu. — 24
[ PINACLE 1
i. du XV' comme hardiesse, ni comme entenle àe
— 187 — [ PISCINE j
l'harmonie des détails avec l'ensemble et des proportions. Les pinacles
du XVI* siècle sont habituellement mal soudés à la partie qu'ils couron-
nent, ils ne s'y lient pas avec cette merveilleuse adresse que nous admi-
rons, par exemple, dans la composition de ceux du tour du chœur de
Notre-Dame de Paris. Ce sont des hors-d'œuvre qui ne tiennent plus à
l'architecture, des édicules plantés sur des contre-forts, sans liaison avec
la bâtisse. lis ne remplissent plus d'ailleurs leur fonction essentielle, qui
est d'assurer la stabilité d'un point d'appui par un poids agissant verti-
calement ; ce sont des appendices décoratifs, les restes d'une tradition
dont on ne saisit plus le motif.
PISCINE, s. f. Cuvettes pratiquées ordinairement à la gauche de l'autel
(côté de l'épitre), dans lesquelles le célébrant faisait ses ablutions après
la communion. Le docteur Grancolas ' s'exprime ainsi au sujet des pis-
cines : a II y a deux sortes d'ablutions après la communion, la première
a est du calice et la seconde est des mains ou des doigts du célébrant.
«C'étoit le diacre* qui faisoit celle du calice, comme il paroist par plu-
«sieurs anciens missels; et le prestre lavoit ses mains, et c'étoit pour
«la troisième fois qu'il le faisoit, avant que de venir à l'autel, après l'of-
afrande, et en suite de la communion, comme le dit Ratolde, htis ma-
cfiiiitf tertià Dans l'Ordre romain de Gaïet, il y a que le prestre
«n'avaloit pas le vin avec lequel il lavoit ses doigts, mais on le jetoit
«dans la piscine. — Yves de Chartres rapporte que le prestre lavoit ses
cmains après la communion Jean d'Avranches ordonne qu'il y ait un
«vase particulier dans lequel le prestre lave ses doigts après la commu-
«nion.... Dans les usages de Citeaux, on mettoit du vin dans le calice
«pour le purifier, et le prestre alloit laver ses doigts dans la piscine,
«puis il avaloit le vin qui étoit dans le calice et en prenoit une seconde
«fois pour purifier encore le calice
«J'ajouteray que Léon IV, dans une oraison synodale aux curez,
«ordonne qu'il y ait deux piscines dans chaque église, ou dans les
« sacristies, ou proche des autels : a Locm in secretario aut juxta altare
«iiV prcBparatuSy ubi aqua effundi possù guandô vasa sacra abluuntttr, et
«{'il linteum nitidum cum aqua dependeat, ut ibi sacerdos manus lavet
ftpost communianem. » C'étoit pour laver les mains après la commu-
«nion. Ratherius, évèque de Ravenne, dans ses instructions, ordonne la
«même chose. Saint Ùldaric (ou Udalric)> dans les anciennes coutumes
« de Gluny, parle de deux piscines : dans l'une on purifioit le calice,
«et dans l'autre on lavoit les mains après le sacrifice....; le diacre et
«le soudiacre lavoient aussi leurs mains » Lebrun-Desmarettes,
dans ses Voyages liturgiques ', à propos de ce qui se pratiquait à la
cathédrale de Rouen après la communion, dit : a Le prêtre, après la
' Us anciennes liturgies. Paris^ 1697^ t. I^ p. 692.
' Voyages iiiurgiques, par le sieur de Mauléoii (Lebrun-Desmarettes). Paris, 4718.
[ PISCINE ] — 188 —
« communion, ne prenoit aucune ablution ; mais seulement pendant que
« les ministres de Tautel coramunioient du calice, un acolyte apporloit
«un autre vase pour laver les mains du prêtre, comme on fait encore
« aujourd'hui à Lyon, à Chartres et chez les Chartreux, et comme on
a faisoit encore à Rouen avant le dernier siècle, afin qu'il ne fût pas
«obligé de prendre la rinçure de ses doigts ^ » Et plus loin- : «La
« dernière ablution avec Teau et le vin ne s'y faisoit point alors (au
« XVII" siècle), et on n'obligeoit point le prêtre de boire la rinçure de ses
« doigts. Il alloit laver ses mains à la piscine ou lavoir qui étoit proche
« de l'autel, sacerdos vadat ad lavatorium, La môme chose est marquée
«dans le missel des Carmes de l'an 157ù. Et le rituel de Rouen veut
«qu'il y en ait proche de tous les autels » Guillaume Durand > dit
qu'auprès des autels on doit placer une piscine ou un bassin dans lequel
on se lave les mains. M. l'abbé Crosnier, dans une notice publiée dans
le Bulletin monumental^ ^ pose ces diverses questions qu'il cherche à
résoudre : « 1^ Le prêtre a-t-il toujours pris les ablutions à la fin de la
«messe? 2* La disciplihe de l'Église sur ce point a-t-tUe été unifornae
«jusqu'au xiTi* siècle? 3" A-t-elle été modifiée à cette époque, et qui est
«l'auteur de cette modification ? 4" Quelle est l'origine de la double pis-
«cine qu'on remarque dans presque toutes les églises du xiii*" siècle?
« S*" L'usage de prendre les ablutions a-t-il été universel et sans excep-
« tions depuis le xiu^ siècle ? » Jusqu'au xii* siècle le prêtre lavait ses
mains, à la fin des saints mystères, dans la piscine. Nous venons de voir
que, d'après un ancien ordinaire de Rouen, le prêtre ne prenait aucune
ablution ; celle-ci était versée dans la piscine pendant que les ministres
communiaient sous l'espèce du vin.
Yves de Chartres s'exprime ainsi au sujet des ablutions : « Après avoir
« touché et pris les espèces sacramentelles, le prêtre, avant de se
« retourner vers le peuple, doit se laver les mains et l'eau est jetée dans
« un lieu sacré destiné à cet usage. » « Cependant, dit M. l'abbé Cros-
« nier ^, par respect pour les Saintes Espèces, déjà avant le xiii" siècle,
« on trouve dans les ordres religieux l'usage de prendre les ablutions ; il
« paraissait inconvenant de verser dans la même piscine l'eau qui avait
« servi à laver les mains avant la préface, et le liquide employé pour la
« purification du calice et des doigts après les Saints Mystères ; aussi ou
tt trouve dans les anciennes coutumes de Cluny trois ablutions prises par
« le prêtre après la communion, une pour le calice et .deux pour les
a mains »
Le pape Innocent III ayant décidé que les ablutions devaient être prises
' Cette rinçure était probablement jetée dans la piscine.
* Page 315.
' Rational des divins offices, liv. I, chap. xxxix.
< 1849, tome V de la ?• série, p. 55,
• Loc, cit^
— 189 — [ PISCINE ]
par ie prêtre, « on a voulu, ajoute M. l'abbé Grosnier, tout à la fois con-
« server les anciens usages et tenir compte^ sinon de la décision du pape,
«du moins des motifs qui l'avaient suscitée. On établit deux piscines,
«l'une réservée aux ablutions proprement dites, et l'autre destinée
«à recevoir les eaux ordinaires »
C'est en effet à dater de la fin du xii*" siècle , qu'on voit les piscines
géminées adoptées dans les chapelles des églises cathédrales et conven-
tuelles, plus rarement dans les églises paroissiales. Les piscines géminées
ou simples disparaissent vers le xv* siècle, alors que l'usage de prendre
les ablutions est admis dans toutes les églises.
Peut-être avant le xii* siècle avait-on des piscines transportables, des
bassins de métal qu'on plaçait auprès de l'autel, car ce n'est qu'à dater
de cette époque qu'on voit la piscine faire partie de l'édifice, qu'elle
est prévue dans la construction ; encore les premières piscines paraissent-
elles être des hors-d'œuvre, des appendices qui ne s'accordent pas avec
l'architecture, tandis qu'au xiii' siècle la piscine est étudiée en vue de
concourir à l'ensemble de la structure.
Les chapelles absidales de l'église abbatiale de Saint-Denis, qui datent
de Suger, possèdent des piscines simples en forme de cuvette accolée
à l'un des piliers. A la fin du xii'' siècle, dans les chapelles de l'église
abbatiale de Vézelay, nous voyons des piscines conçues d'après ce même
principe et qui font un hors-d'œuvre. Voici (fig. 1) rinre-d'elles, qui se
compose d'une cuvette lobée avec un orifice au centre. La cuvette porte
sur un faisceau de colonnettes percé verticalement , de manière à
perdre les eaux dans les fondations. C'était un usage établi générale-
ment, lors de l'établissement des premières piscines, de perdre les eaux
sous le sol même de l'église. Plus tard, les piscines furent munies de
gargouilles rejetant les eaux à l'extérieur, sur la terre sacrée qui envi-
ronnait les églises. Cette piscine de Vézelay pose sur le banc qui fait
le tour de la chapelle et reçoit l'arcature ; sa cuvette est alternative-
ment ornée à l'extérieur de cannelures creuses et godronnées ; la base,
le faisceau des quatre colonnettes et la cuvette sont taillés dans un
seul morceau de pierre. Dans l'église de Montréal (Yonne), qui date
de la même époque, derrière le maître autel et dans le banc môme qui
reçoit l'arcature, est creusée une cuvette de piscine (fig. 2) de forme
carrée. Le banc servait ainsi de crédence pour déposer les vases néces-
saires aux ablutions. Plus tard, les piscines prirent une certaine impor-
tance et furent faites en forme de niches pratiquées dans les parois des
chœurs ou des chapelles. L'usage de la piscine était désormais consacré,
de plus la cuvette simple était remplacée par deux cuvettes jumelles.
On retrouve beaucoup de piscines de ce genre dès la fin du xii* siècle.
Elles affectent la forme de niches doubles séparées par un petit pilier, et
dans la tablette desquelles sont creusées deux cuvettes de forme carrée,
ou plus habituellement circulaires, avec un orifice au centre pénétrant
dans la fondation.
[ PISCINE ] — 190 —
Beaucoup d'églises abbatiales de cette époque, des ordres de Cluny et
de CHeaux, conservent dans leurs chapelles des piscines ainsi disposées.
\
Celle que nous donnons (flg. 3) provient de l'abbaye de Saint-Jean les
Bons-Hommes. Une pilette isolée reçoit un sommier portant deux arcs
plein cintre. Oo voit en A une entaille pratiquée pour poser une tablette
de bois ; eu C, est une entaille terminée à son extrémité droite par un
— i91 — [ PISCINE ]
orifice. Peut^dtre cette entaille était-elle destinée à recevoir le chalameaa.
En elTet, Lebron-Desmarettes, dans ses Voyages liturgique»^, rapporte
que de son temps encore il j avait, dans l'église abbatiale de Cluny, un
petit autel au cÂté gaache du grand autel ; que le petit autel serrait à la
communion sous les deux espèces, qui s'y pratiquait les fêles et dimau-
cbes à l'égard de quelques ministres de l'autel. «Après que le célébrant,
0 ajoute-t-il, a pris la sainte hostie et une partie du sang, et qu'il a com-
imunié de l'hostie les ministres del'autel, ils vontau petitautel àcôté;
« et le diacre ayant porté le calice, accompagné de deux chandeliers, tient
tle chalumeau d'argent par le milieu, l'extrémité étant au fond du
"cahce; et les ministres de l'autel, ayant un genou sur un petit banc
<! tapissé, tirent et boivent le précieux sang par ce chalumeau. La même
n chose se pratique à Saint-Denys en France, les jours solennels et les
• dimanches. Ce petit autel s'appelle la protfièse. »
Après la communion, dit Boquillot, on renfermait le chalumeau dans
l'annofVe avec le calice : or, des traces de scellements, visibles dans notre
figure 3, en B, indiqueraient qu'une fermeture était disposée de façon à
clore cette piscine, qui devenait ainsi une véritable armoire; le calice eût
pu être déposé sur la tablette dont l'entaille se voit en A. Un peu plus
lard, près delà piscine, on pratiqua souvent une armoire (voyez ce mot).
Dès lors il ne fut plus nécessaire de fermer les piscines; aussi voyons-
nous que dès le commencement du xiii* siècle, celles-ci sont disposées
pour Être ouvertes, bien qu'elles soient le plus souvent ménagées dans
des niches jumelles.
La jolie église de Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne) conserve dans
la chapelle méridionale une piscine de ce genre très-délicatement com-
' Va^if/ei litvrgiques, pur le eieur de Mauléuu (171S), p. H9.
1^ PISCINE ] — 192 —
posée. Elle consiste en une niche séparée en deux par uae pilette taillée,
ainsi que chacun des deux jambages, dans un seul morceau de pierre
(ftg. U). L'arcature jumelle est évidée dans deui dalles de pierre, la con-,
struction venant se bloquera l'entour. Les cuvettes sont circulaires (voj.
le plan}, et nulle trace n'indique que cette piscine ait jamais été close.
Les colonnette^ évidées n ont pis plus de h centimëtie^ de diamètre. On
voit par cet exemple déjà, que les architectes du \in° siècle, une fois le
programme de la piscine admis, en faisaient un motif de décoration ;
c'est qu'en effet ils n'admettaient pas qu'une nécessité, qu'un besoin ne
devint l'objet d'une étude spéciale, et par suite un moyen d'orner l'édi-
fice. Nous chercherions aujourd'hui, pour ne pas contrarier les lignes de
la belle architecture, à dissimuler cet appendice; nos devanciers, au con-
traire, le faisaient franchement paraître, bien qu'il ne fût jnmais dans
un axe, et le décoraient avec recherche. Les chapelles de la cathédrale
d'Amiens, élevées vers 1240, possèdent de belles piscines prises entre
l'arcature formant le soubassement; traitées avec un soin particulier,
ces piscines sont placées à la gauche de l'autel (c6té de l'épltre), suivant
l'usage. De l'autre côté, en regard, est pratiquée une armoire.
— 193 — ( PISCINE ]
Nous donnons (fig. A] un ensemble perspectir de l'une de ces pis-
cines, avec l'arcature qui l'accompagne et lui sert d'entourage. La
figure 5&i>en donne le plan. Les colonnettes de l'arcaturc sont, comme
on le voit par ce plan, indépendautes de la piscine, qui est prise aux
• - - !, « ■>
\ *'-
dépens de l'épaisseur du mur du soubassement. Les orifices des deux
cuvettes se perdent dans les fondations, ces piscines n'ayant pas de gar-
gouilles extérieures.
La sainte Cbapelle du Palais, à Paris, préscnic Également & la gauche
du maître autel une fort belle piscine à double cuvette, avec crédence
au-dessus divisée en quatre compartiments. Celle pisrinc e^i gravée
dans la monogrupliie de la sainte Chapelle, publiée par M. Caillât'; elle
[ MSCINB ]
se combine, comme celle que nous venons de donner, avec l'arcature
— i95 — [ pisciNi J
qui forme la décoration du soubassement de la chapelle. En regard, à la
droite de l'autel, est une armoire double.
C lit
■•{■j^ »•■ V \v>.
-?<
1— +— H
'j:
Quelquefois, mais fort rarement, dans les églises du xiii' siècle, les pis-
cines sont faites en forme de cuvettes posées sur un socle, comme celles
de VézelayJ Nous citerons celles des chapelles du chœur de la cathédrale
de Séez (iln du xiii* siècle), dont nous donnons (fîg. 6) un croquis. Ici les
deux cuvettes n'ont pas la même forme, l'une est à pans, l'autre circu-
laire; elles reposent sur un faisceau de branchages fjf^uillus, et sont pla-
cées dans les travées de l'arcature. Les faisceaux de branchages prennent
naissance sur le banc continu servant de soubassement à cette arcature '.
Les piscines des chapelles des xiii'^ et xiv' siècles de la cathédrale de
Paris sont d'une grande simplicité, et ne consistent guère qu'en une
petite niche lobée portée sur deux colonnettes engagées, ou tombant par
un chanfrein sur la tablette. Toutes ces piscines possèdent des gargouilles
à l'extérieur. Les piscines des chapelles du chœur de la cathédrale de
Reims étaient fermées par des volets de bois et servaient en môme temps
d'armoires.
Le XIV* siècle fit des piscines très-délicates et riches de sculpture.
Nous citerons parmi les plus remarquables celle du chœur de l'église
Saint-Urbain de Troyes^. Elle contient deux cuvettes partagées par une
pilette centrale et terminées par deux gables décorés d'un couronnement
de la sainte Yierge et de deux figurines des deux donateurs, le pape
Urbain lY et le cardinal Aucher. Quatre dais refouillés avec art couron-
nent ces figurines et sont surmontés de merlons entre lesquels appa-
' n y a toujours un banc devant les piscines.
' Cette piscine dftte des dernières années du im* siècle, mais appartient, par son
ornementation, an xiy^ siècle. Nous avons eu plusieurs fois l'occasion d'observer que
l'église Saint-Urbain de Troyes est en avance de vingt-cinq ans au moins sur rarcbitec-
tare de me-de-Prance.
[ riscisB ] — 190 —
missent des archers paraissant dérendre l'édiculc. Cette piscine est lri«i-
bien gravée dans les Annales archéologiques', d'après un dessin ilc
M. BœbwiKvald, et nous croyons n'avoir mieux à faire que de renvojer
nos lecteurs à celle reproduclion elà la notice do M. Didron qui l'accom-
pagne. La piscine de Saint-Urbain n'est pas la seule qui soit couronnée
par un crénelage ; nous citerons aussi celles des cliapelles absidales de
l'église de Seraup en Auxois, qui, bien qu'antérieures de soixante ans
à celle de Saint-Urbain, sont de même crénelées à leur sommet*. Les
piscines deviennent rares au xv° siÈcle, probablement parce que l'usage
de prendre les ablutions était généralement admis. Cependant nous en
trouvons quelques exemples, mais les cuvettes doubles ne sont plus pra-
tiquées. Dans l'une des chapelles latérales de l'église de Semnreo Auxois
il existe une jolie piscine du xv* siècle, que nous donnons ici (fig. 7). La
' Tome VII, p. 36,
* L'une de ces piscineiaëlé i^avée àuitUn Annales archéulogiqua, t. IV, p. S7. Os
piiciues snnt A une seule cuvelle. On voit mai, dam lo rhnpelle loténlc de l'église de
Saint-Thibaul (Câlc-d'Or), une piicinc du iiv* siècle, à euTette aai
un daii créndi'.
— 197 — 1 mciNB ]
cuvolte est portée sur une colonnelle, ei dans la niche pratiquée nu-
"^
\î
dessus est une petite crédence pour poser les vases. Un dais très-riche
[ PLAFOND ] — 198 —
surmonte le tout. En A, nous donnons la section de cette piscine sur ab;
en B, sur cd. On voit d'ailleurs dans les églises françaises des xiii* et
XIV* siècles un nombre prodigieux de piscines toutes variées de forme
et d'une composition charmante. C'est dans ces accessoires qu'on peut
observer la fertilité singulière des architectes de cette époque. Bien
rarement ils reproduisent un exemple môme remarquable ; avec la col-
lection des piscines, on ferait un ouvrage entier fournissant des compo-
sitions variées à l'infini d'un même objet.
PLAFOND, s. m. (lambris). Ce que nous appelons plafond aujourd'hui
dans nos constructions, c'est-à-dire ce solivage de niveau latte et enduit
par-dessous, de manière à présenter une surface plane, n'existait pas,
par la raison que le plafond n'était que l'apparence de la construction
vraie du plancher, qui se composait de poutres et de solives apparentes,
plus ou moins richement moulurées et même sculptées. Ces plafonds
figuraient ainsi des parties saillantes et d'autres renfoncées, formant
quelquefois des caissons ou augets qu'on décorait de profils et de pein-
tures. Il ne nous reste pas en France de plafonds antérieurs au xiv* siècle,
bien que nous sachions parfaitement qu'il en existait avant cette époque,
puisqu'on faisait des planchers qu'on se gardait d'enduire par-dessous.
Les enduits posés sur lattis sous les planchers ont, en effet, l'inconvé-
nient grave de priver les bois de l'air qui est nécessaire à leur conserva-
tion, de les échauffer et de provoquer leur pourriture. Des bois laissés à
l'air sec peuvent se conserver pendant des siècles; enfermés dans une
couche de plâtre, surtout s'ils ne sont pas d'une entière sécheresse, ils
travaillent, fermentent et se réduisent en poussière. Nous ne croyons pas
nécessaire d'insister sur ce fait bien connu des praticiens *.
Le plafond n'était donc, pendant le moyen âge, que le plancher.
C'était la construction du plancher qui donnait la forme et l'apparence
du plafond ; il ne venait jamais à l'idée des maîtres de cette époque de
revêtir le dessous d'un plancher de voussures, de compartiments et
caissons de bois ou de plâtre, n'ayant aucun rapport avec la combinaison
donnée par la construction vraie. Il serait donc difficile de traiter des
plafonds du moyen âge sans traiter également des planchers, puisque
les uns ne sont qu'une conséquence des autres; aussi nous confondrons
ces deux articles en un seul.
Si les pièces étaient étroites, si entre les murs il n'existait qu'un espace
de deux ou trois mètres, on se contentait d'un simple solivage dont les
extrémités portaient sur une saillie de pierre, ou dans des trous, ou sur
des lambourdes ; mais si la pièce était large, on posait d'abord des poutres
d'une force capable de résister au poids du plancher, puis sur ces poutres
un solivage. Cette méthode était admise dans l'antiquité romaine et elle
1 L'usage des planchers de fer justifie au coutraire Tadoption des sous^surfaces planes
et eoduitef,
— 199 — [ PLAFOND ]
Tut suivie jusqu'au xvi* siècle. Lorsque les poutres avaienLde très-graodes
portées, les constructeurs ne se faisaient pas faute de les armer pour leur
donner du roide et les empêcher de fléchir sous le poids des solivages. Il
est clair que ces sortes de planchers prenaient beaucoup de hauteur;
mais nos devanciers ne craignaient pas les saillies produites par tes pou-
tres, et les considéraient même comme un mojren décoratif.
Les poutres (fig. 1] avaient en général peu de portée dans les murs,
mais étaient soulagées par des corbeaux de pierre plusoumoinssaillants.
Si ces poutres étaient ornées de profils sur leurs arêtes, ceuz<ci n'apparais-
saient qu'au delà de la portée sur les corbeaux. Dans les planchers les
plus anciens, les solives posent d'un bout seulement sur ces poutres,
ainsi qu'il est figuré en B ; de l'autre, dans une rainure pratiquée dans la
muraille, dans des trous ou sur une lambourde C, comme on le voit
en D, laquelle lambourde est posée elle-même sur des corbelets ou un
[ PLAFOND ] — 200 —
profil continu. Comme il arrivait fréquemment que ces solives se con-
tournaient, n'étant maintenues ni par des tenons, ni par des chevilles,
on posait alors entre leurs portées, sur les poutres et les lambourdes,
des entreloises E formant clefs et chevillées obliquement. Ce moyen roi-
dissait beaucoup les solivages et les poutres. Les enlrevous des solives
posées anciennement tant pleins que vides, ou étaient enduits sur bar-
deaux, ou bien garnis de merrains G posés transversalement. Les joints de
ces merrains étaient masqués par des couvre-joints H, qui formaient entre
les solives comme autant de petits caissons. Sur ces merrains on étendait
une aire de plâtre ou de mortier I, puis le carrelage K. Les bois de ces
plafonds restaient rarement apparents ; ils étaient habituellement cou-
verts de peinture en détrempe qu'on pouvait renouveler facilement. On
voit encore bon nombre de ces plafonds des xiu* et xiv* siècles sous des
lattis plus modernes, dans d'anciennes maisons. Quelquefois les poutres
et les solives elles-mêmes sont très-délicatement moulurées.
Ce système de planchers employait une grande quantité de bois et
exigeait des solives d'un assez fort équarrissage : car, nous l'avons dit
déjà, on posait ces solivages tant pleins que vides. Il se prêtait parfaite-
ment à couvrir des pièces longues, de grandes salles, des galeries; mais
pour des chambres, des pièces à peu près carrées, il n'offrait pas la
rigidité que l'on cherche dans des pièces très-habitées et garnies de
meubles lourds. On essaya donc au xiv' siècle de remplacer ce système
si simple par un. autre d'un effet plus agréable et présentant plus de
rigidité. Ainsi (fig. 2], une salle étant donnée, dont le quart est tracé
en ABCDj'^deux poutres principales E étaient posées. Quatre cours de
poutrelles F, formant entreloises, venaient s'assembler à repos dans ces
poutres et des cours de solives G s'assemblaient de môme dans les pou-
trelles. En H, nous donnons la coupe de ce plancher faite sur ab. Les
poutrelles reposaient le long des murs sur des corbeaux I, et des lam-
bourdes K engagées dans une rainure remplissaient les intervalles entre
les poutrelles et recevaient les abouts des solives. Les assemblages des
pièces de ce plafond sont tracés en L. La poutre est profilée en P, avec les
repos des poutrelles en M. Celles-ci, N, possèdent un tenon à queue-d'aronde
quis'embrève dans le repos M, et des repos R qui reçoivent les tenons S
des solives également taillées à queue-d'aronde. Des planches d'un pouce
et demi étaient posées en long sur les solives et maintenues par les lan-
guettes T. Ce système d'embrévements à queue-d'aronde donnait beau-
coup de rigidité au plancher, empêchait l'écartement et le chantour-
nementdes bois. Les pièces moulurées formaient une suite de caissons
d'une apparence très-riche et très-agréable. Nous avons vu des plafonds
ainsi construits dans des maisons des petites villes de Saint-Antonin et de
Cordes, qui n'avaient souffert aucune altération. Ces plafonds, de beau
chêne ou môme de sapin, n'avaient jamais été décorés de peintures et
présentaient un lambris d'une belle couleur. Non contents de les décorer
de moulures, les architectes les enrichirent encore de sculptures.il existe
dans une
2
_ 201 — [ PLAPOMD 1
de lu rue du Marr, n" 1, à Reims, un magniQque pla-
fODd de bois sculpté du XV siècle, conçu suivaiU ce principe, tl qui esl
vu. — 26
[ PLAFOND ] — 202 —
aillant une œuvre de menuiserie que de charpenlerie ^ Il recouvre une
salle de 15 mètres de longueur sur 6"*, 50 de largeur, et se divise en cinq
travées séparées par six poutres, les deux d'extrémités formant lambour-
des. La figure 3 donne une partie d'une de ces travées, Tensemble du
plafond étant tracé en A. Entre les poutres Psont posées les solives S avec
tenons à leurs extrémités. Les solives sont roidies par des entretoises E.
Des panneaux B remplissent les intervalles. Ces panneaux sont décorés
de parchemins plies. Les poutres sont sculptées latéralement et sous
leur parement; des culs-de-lampe sont rapportés sous les abouts des
solives.
Des détails sont nécessaires pour expliquer l'assemblage et la décora-
tion de ce plafond ; nous les donnons dans la figure U. En A, est tracée la
moitié du profil des poutres; la ligne ponctuée a indique la portée de la
solive B. Les culs-de-lampe C ont leur tailloir pincé en b sous cette
portée. Les entretoises D sont arrêtées sur les solives, ainsi que l'indique
le tracé perspectif D' ; un épaulement E, légèrement incliné, reçoit leur
about. En G, nous donnons une coupe sur les solives, avec Tabout de
la poutre près de sa portée. En supposant le solivage enlevé, la poutre
présente le tracé H. On voit ainsi que les culs-de-lampe sont indépen-
dants et laissent passer derrière leur extrémité inférieure les moulures
sculptées sur les poutres. Ce détail explique assez combien ce plafond,
partie charpenterie, partie menuiserie, présente de roideur; son aspect
est agréable sans trop préoccuper le regard, ce qui est important, car les
architectes du moyen âge et môme ceux de la renaissance ne pensaient
pas encore à ces compositions, majestueuses aux yeux des uns, grotesques
aux yeux de beaucoup d'autres, dont on a couvert les plafonds depuis
le xvii' siècle, compositions qui, h tout prendre, ne sont que des plâ-
trages peints et dores sur des lattis, accrochés avec des crampons de fer,
des apparences masquant une grande pauvreté de moyens sous une cou-
verte de moulages rapportés, simulant des marbres et des bronzes, voire
quelquefois des tentures !
Dans la construction de leurs planchers, et par conséquent de leurs
plafonds, les maîtres du moyen âge étaient toujours vrais ; ils montraient
et paraient la structure. Il y avait plus de mérite à cela, pensons-nous,
qu'à mentir sans vergogne aux principes élémentaires de la construction.
On se préoccupait d'abord des combinaisons des pièces de charpente,
puis on cherchait à les décorer en raison même de cette combinaison.
Dans les provinces méridionales de la France, on employait aussi les
plafonds rapportés et cloués sur les solives; c'est-à-dire que sous le soli-
vage on clouait des planches, et sur ces planches des moulures formant
tics compartiments décorés de peintures. Ces sortes de plafonds étaient
d'une grande richesse, et en môme temps présentaient la légèreté que
* M. Tliicrol, architecte à KciiiiS; a bien voulu relever pour nous ce plarond avec le
plus ^^rand soin.
l'œil aime à trouver dans les parties supérieures d'une pièce. Ce procédé
[ PLAFOND J — 20Û —
a été encore employé pendant la renaissance, et le plafond de la galerie
de François I", à Fontainebleau, en donne un charmant exemple '.
< Ce plofond a été milhearfugcnieDt remanié. Nou! parlons de celui qni eiistail
■Tinl ISaS. A VenlM, on Tojt encore de beiux plafonds eiécutée d'aiirèi ce lystème. On
es trouve >uui en Eapigne, et notaninient à Tolède. Lei hdieli do TouIoum an préxa-
tainit encore qoelquei-nnt il ; a peu d'année».
— 205 — [ ruFOND ]
Notre siècle, qui est un peu trop pénétré de la conviction qu'il invente
chaque jour, ne doute pas que les plafonds composés de voûtaîns de
briques posés sur des solivages de bois ou fer sont une innovation ; or, voici
(Bg. 5, en A) un plafond posé dans une maison de la fin du xv* siècle, à
Chartres, rue Sainl-Père, qui nous donne une combinaison de ce genre.
Les solives B sont posées sur l'angle et scellées dans les murs ; sur leurs
plats b sont bourdes des voûtains de briques posés en épi. Ces briques ont
1 centimètres d'épaisseur sur 10 centimètres de câté. Les reins C sont
remplis de maçonnerie sur laquelle pose le carrelage D. Les solives
ont 33 centimètres de c6té (un pied) et placées sur la diagonale; elles of-
frent une grande raideur. Ce plafond, d'une portée assez faible, produit
QD très-bon effet, et peut facilement 6tre décoré et maintenu propre. A
Troyes, dans l'hôtel de l'Aigle, dit de Mauroy, rue de la Trinité, il existe
un plafond du x V siècle, entièrement de bois (voyez le tracé G), qui pré-
[ PLAFOND ] — 206 —
sente des solives refendues E suivant leur diagonale, et posées comme le
fait voir la figiire 5. Dans l'angle rentrant formé par la juxtaposition de
ces solives sont clouées des chanlattes I, puis sur le tout des madriers K.
en travers. Ces solives s'assemblent dans des poutres, dont nous donnons
la demi -section en L. Quelquefois les angles saillants de ces solives refen-
dues sont chanfreinés, ce qui donne au plafond une apparence de légè-
reté peu commune. La mode du majestueux (car le majestueux est une
des modes les plus durables en ce pays, qui en change si volontiers) a
délruit ou recouvert de lattis beaucoup de ces plafonds du moyen âge
ou de la renaissance. Il faut être à la piste des démolitions de nos plus
vieux hôtels pour découvrir sous des plâtrages des combinaisons souvent
très-ingénieuses. C'est ainsi, par exemple, que lors de la démolition de
l'hôtel de la Trémoille, à Paris, nous avons vu sous des lattis recouverts
de moulures de plâtre, des solivages très-délicatement travaillés, posés
sur des poutres et formant une suite de gracieux caissons carrés. C'était
une combinaison analogue à celle donnée dans la figure 3, si ce n'est
que les entretoises étaient assemblées à tiers de bois avec les solives et
laissaient des intervalles parfaitement carrés. Chacun de ces intervalles
élait rempli par un panneau sculpté d'arabesques; le tout avait été peint
et doré. L'Angleterre, plus conservatrice que nous de ses vieux édifices
{ce qui ne l'empêche pas d'être à la tête des idées de progrès), pos-
sède encore de beaux plafonds des xv* et xvi* siècles, en bois mouluré et
sculpté. Si les portées des poutres étaient très-longues, celles-ci étaient
souvent armées, c'est-à-dire composées de deux moises pinçant deux
pièces inclinées formant arbalétriers ou surmontées de deux véritables
arbalétriei's noyés dans l'épaisseur du solivage et du carrelage. Des
étriers de fer forgé et orné suspendaient la poutre aux deux arbalétriers;
ces étriers contribuaient à la décoration de la poutre, et les moulures
entaillées sur ses arêtes vues s'arrêtaient au droit des ferrures. On voit
fréquemment des plafonds figurés ainsi dans des vignettes de manuscrits
du XV* siècle.
Comme on se fatigue de tout, même des choses qui ne sont justifiées
ni par la raison ni par le goût, nous pouvons espérer voir abandonner
un jour les lourds plafonds à voussures et à gros caissons, à figures
ronde bosse et à draperies entremêlées de guirlandes et de pots, si fort
en vogue depuis le règne de Louis XIV, et revenir aux plafonds dont
la forme serait indiquée par la structure, qu'elle soit de bois ou
de fer.
Il faut observer ici que dès le xv* siècle, entre les solives des planchers,
on faisait souvent des entrevous en plâtre enduits sur bardeaux, posés
sur tasseaux cloués aux deux tiers de l'épaisseur de la solive, tant
pour empêcher la poussière de tamiser entre les languettes des planches
de recouvrement que pour éviter la sonorité des planchers entièrement
dé bois. Ces entrevous étaient peints et même quelquefois décorés de
reliefs en plâtre. On voit quelques plafonds de ce genre dans de vieilles
- 207 — [ PLATRE ]
maisons d'Orléans. Au-dessus des entrevous, on laissait un isolement,
puis on posait des bardeaux sur les solives, et Ton formait des augets, éga-
lement en plâtre, dans lesquels on tassait le cran, la marne ou môme
la terre destinés à recevoir le carrelage.
PLATE-BANDE, s. f. On appelle ainsi un linteau appareillé en claveaux.
La plate-bande, ou réunion de pierres horizontalement posées sur deux
pieds-droits, étant en principe de construction un appareil vicieux, les
architectes du moyen âge ne Tout guère plus employée que les Grecs.
Les Grecs n'admettaient pas lare, et s'ils avaient à franchir un espace
entre deux piliers, deux pieds-droits ou deux colonnes, ils posaient
sur les points d'appui verticaux un monolithe horizontal. Les Ro-
mains procédèrent de même dans la plupart des cas, bien qu'ils eussent
déjà appareillé des linteaux et qu'ils en aient fait ainsi de véritables
plates-bandes. Les architectes du moyen âge, sauf de très-rares excep-
tions mentionnées dans l'article Construction et Fenêtre, ont toujours
repoussé le linteau composé de claveaux. S'ils craignaient une rupture,
ils bandaient au-dessus un arc de décharge. Nous sommes moins scru-
puleux, et nous posons dans nos édifices publics ou privés autant de
plates-bandes qu'il y a de baies ou de travées fermées horizontalement;
seulement nous avons le soin de soutenir cet appareil vicieux au moyen
de fortes barres de fer.
Alors pourquoi ne pas employer des monolithes? N'omettons pas de
mentionner ici, encore une fois, les plates-bandes de nos grands monu-
ments, comme la colonnade du Louvre, le Garde-Meuble, la Madeleine,
le Panthéon, dont les claveaux sont enfilés dans des barres de fer sus-
pendues par des tirants à des arcs supérieurs. Les architectes du moyen
âge, on le comprend, ne pouvaient s'astreindre à mentir de cette
sorte aux principes les plus vrnis et les plus naturels de la construc-
tion, et c'est pour cela que plusieurs les considérèrent comme des gens
naïfs.
PLATRE, s. m. Gypse cuit au four, broyé, et se combinant rapidement
avec l'eau de manière à former un corps solide, léger, assez dur, et très-
mauvais conducteur du calorique.
C'est un préjugé de croire que les constructeurs du moyen âge n'ont
pas employé le plâtre. Cette matière, au contraire, était admise non-seu-
lement dans les constructions privées, mais aussi dans les édifices pu-
blics. C'est qu'en efTet le plâtre est une excellente matière, la question
est de remployer â propos.
Le plâtre pur, mélangé avec la quantité d'eau convenable, dès qu'il
commence à durcir (ce qui a lieu presque immédiatement après le mé-
lange), gonfle et prend un volume plus considérable que celui qu'il avait
à l'état liquide. A mesure que l'eau s'évapore et lorsqu'il se dessèche, il
perd au contraire de son volume. Ce retrait, on le comprend, peut être
( PLATRE ] — 208 —
dangereux dans nombre de cas; il produit des tassements. Aussi les
constructeurs du moyen âge n*ont-iIs jamais employé le plâtre dans la
grosse maçonnerie, dans ce que nous appelons la Itmousinerie^ ni (sauf
des cas très-rares) pour remplir les lits ou joints des pierres. Ils posaient
toujours leurs assises de pierre à bain de mortier^ et pour leurs blo-
cages entre les parements, ils n'employaient jamais que le mortier
avec du gros sable. Il arrivait cependant parfois qu'il n'était pas pos^
sible de poser des claveaux, par exemple, à bain de mortier, lorsque les
cintres avaient une très-grande portée et que les arcs étaient très-épais;
alors on coulait, dans les joints, du bon plâtre. C'est ainsi qu'avaient été
bandés primitivement les claveaux des arcs de la rose occidentale de la
cathédrale de Paris; et il faut dire que le plâtre employé était excellent,
car les lames de coulis s'enlevaient comme de minces tablettes d'un
centimètre d'épaisseur, sans se briser.
C'était principalement dans les intérieurs que les architectes du moyen
âge employaient le plâtre, pour faire des entrevous et des aires sur les
planchers, pour hourder des pans de bois, des cloisons, pour faire des
enduits. La plupart des pans de bois de refend des maisons des xiv et
xv^ siècles sont hourdés en plâtre. Nous avons vu même parfois des baies,
donnant d'une pièce dans l'autre, découpées dans du plâtre. Dans l'ar-
ehevôché de Narbonne, sous le passage de la porte d'entrée, il existe une
petite rose du xiv*^ siècle, en plâtre, moulurée sur des fentons de fer et
donnant dans la grande salle voisine. On faisait aussi à cette époque des
manteaux de cheminée en plâtre mouluré et sculpté (voy. CuEMiNéB),des
corniches d'appartements, des cloiets^y des doubles baies qu'on fermait
d'étoffes. Très-anciennement, pendant l'époque mérovingienne et carlo-
vingienne primitive, on avait fait des cercueils de plâtre, et dans les
fouilles de vieux cimetières on en retrouve de nombreux débris. On em-
ployait aussi le plâtre tamisé très-fin pour faire des enduits sur la pierre
et môme sur le bois, afin de pouvoir y appliquer des peintures. Le moine
Théophile parle de nombreux ouvrages de bois dans lesquels le plâtre
joue un rôle important. Le plâtre pur non falsifié acquiert une grande
dureté, il est brillant dans la cassure, très-blanc et résistant. Or, les
gens du moyen âge, naïfs comme chacun sait, n'avaient pas découvert
tous les procédés modernes à l'aide desquels on falsifie cette excellente
matière, et leurs enduits de plâtre sont d'une beauté remarquable.
Toutefois le plâtre, même bon, ne résiste pas aux agents atmosphé-
riques, et il ne peut et ne doit être employé qu'à l'intérieur ou dans des
lieux bien abrités.
^ Le clotet était une séparation établie à demeure ou provisoirement dans une gr&ode
salle. Beaucoup de grandes salles de châteaux avaient ainsi des clotets qui formaient
autant de cabinets où l'on pouvait se retirer. Ces clotets n'avaient ^uèrc que 2 mètres
de bauteur, sans plafond. Ou les rempla(;a plus tard par des paravents, empruntés aot
divisions que les Chinois établissent instantanément dans leurs logis.
— 209 — [ PLOMBBRIJB ]
PLOMBERIE, S. f. Ouvrages en plomb battu ou fondu, destinés à cou-
vrir les édifices, à conduire les eaux, à revêtir des charpentes exposées
à Tair. La plomberie remplit un rôle important dans Tarchitecture du
moyenâge; c'était d'ailleurs une tradition antique, et l'on ne peut fouiller
un édifice gallo-romain sans découvrir, dans les décombres, quelques
débris des lames de plomb employées pour le revêtement des chéneaux
et même des combles. Sous les rois mérovingiens, on couvrait de plomb
des édifices entiers, églises on palais. Saint Éloi passe pour avoir fait
couvrir l'église Saint-Paul des Champs de lames de plomb artistement
Iravaillées. Eginhard ' écrit, dans une de ses lettres, qu'il s'occupe de
la couverture de la basilique des martyrs Marcellin et Pierre : a Un achat
d de plomb, dit-il, moyennant une somme de cinquante livres, fut alors
« convenu entre nous. Quoique les travaux de l'édifice, ajoute-t-il, ne
« soient pas encore assez avancés pour que je doive m'occuper de la cou-
« veriure, cependant la durée incertaine de cette vie semble nous faire
« un devoir de toujours nous hâter, afin de terminer, avec l'aide de
« Dieu, ce que nous avons pu entreprendre d'utile. Je m'adresse donc à
« votre bienveillance dans l'espoir que vous voudrez bien me donner des
« renseignements sur cet achat de plomb m Frodoard, dans son his-
toire de l'église de Reims ^, rapporte que l'archevêque Hincmar fit cou*
vrir de plomb le toit de l'église Notre-Dame. Plus tard, à la fin du
xu* siècle, l'évéque de Paris, Maurice de Sully, laisse par testament
cinq mille livres pour couvrir de plomb le comble du chœur de l'église
cathédrale actuelle. L'industrie du plombier remonte donc aux premiers
siècles du moyen Age, et se perpétua jusques à l'époque de la renais-
sance,- sans déchoir. Cette industrie cependant présente dans l'exécu*
tion certaines difficultés sérieuses dont nous devons entretenir nos lec«
leurs avant de faire connaître les divers moyens qui ont été employés
pour les résoudre. Le plomb^ comme chacun sait, est un métal très*
lourd, très^malléable, doux, se prêtant parfaitement au martelage ; mais
par cela même qu'il est malléable et lourd, il est disposé toujours à
s'affaisser ou à déchirer les attaches qui le retiennent à la forme de bois
qu'il est destiné à couvrir. Le travail du plombier doit donc tendre à
maintenir les lames de plomb qu'il emploie d'une façon assez complète
pour résister à l'affaissement causé par la pesanteur. A ce point de vue,
les anciennes couvertures sont très-judicieusement combinées. Déplus, la
chaleur fait singulièrement dilater ce métal, de même que l'action du
froid le rétrécit. S'il n'est pas laissé libre, s'il est attaché d'une manière
fixe, il se boursoufle au soleil et arrache les attaches pendant les grands
froids. Il faut donc : 1^ qu'en raison de son poids, il soit maintenu éner-
giquement pour ne pas s'affaisser ; 2^ qu'il soit libre de se dilater ou de
se resserrer, suivant les changements de température. D'autres difficultés
1 Ë^imhardi epùiola, xlvi, ad abbatem,
' Chap. v.
vu. — 27
[ PLOMBBRIK ] — 210 —
se présentent lors de l'emploi du plomb dans les couvertures. Autrefois
on n'employait que le plomb coulé sur sable en tables plus ou moins
épaisses; ce procédé a l'avantagé de laisser au métal toute sa pureté et
de ne point dissimuler les défauts qui peuvent se manifester, mais il a
l'inconvénient de donner aux tables des épaisseurs qui ne sont pas par-
faitement égales, de sorte que la dilatation agit inégalement où que les
pesanteurs ne sont pas partout les mêmes. Le plomb laminé qu'on
emploie assez généralement aujourd'hui est d'une épaisseur uniforme,
mais le laminage dissimule des brisures ou des défauts qui se mani-
festent bientôt sous l'action de l'air, et qui occasionnent des infiltrations.
De plus, le plomb laminé est sujet à se piquer y ce qui n'arrive pas habi-
tuellement au plomb coulé. Ces piqûres sont faites par des insectes qui
perforent le plomb de part en part, et forment ainsi autant de^trous d'un
millimètre environ de diamètre, à travers lesquels l'eau de pluie se fait
jour. Nous n'avons jamais eu à signaler de ces sortes de perforations dans
des vieux plombs coulés, tandis qu'elles sont très -fréquentés dans les
plombs laminés. Nous laissons aux savants le soin de découvrir la cause
de ce phénomène singulier. Un autre phénomène se produit avec l'em-
ploi du plomb pour revêtir du bois. Autrefois les bois employés dans la
charpente et le voligeage avaient longtemps séjourné dans l'eau et étaient
parfaitement purgés de leur sève; aujourd'hui, ces bois (de chêne) sont
souvent mal purgés ou ne le sont pas du tout' : il en résulte qu'ils con-
tiennent une quantité considérable d'acide pyroligneux (particulièrement
le bois de Bourgogne), qui forme avec le plomb un oxyde, de la céruse,
dès que le métal est en contact avec lui. L'oxydation du plomb est si ra-
pide dans ce cas, que^ quelques semaines après que le métal a été posé
sur le bois, il est réduit à l'état de blanc de céruse, et est bientôt percé.
Nous avons vu des couvertures, faites dans ces conditions, qu'il a fallu
refaire plusieurs fois en peu de temps, jusqu'à ce que le plomb eût
absorbé tout l'acide contenu dans les fibres du bois. Des couches de
peinture ou de brai interposées entre le bois et le métal ne suffisent
même pas pour empêcher cette oxydation, tant le plomb est avide de
l'acide contenu dans le chêne. Les constructeurs du moyen Âge n'avaient
pas été à même de signaler ce phénomène chimique, puisque leurs bois
n'étaient jamais ihis en œuvre que purgés compietement.de leur sève, et
leurs couvertures ne présentent point trace de blanc de céruse lorsqu'on
en soulève les tables.
Il en est de la couverture de plomb comme de beaucoup d'autres
parties de la construction des bâtiments ; nous sommes un peu trop
portés à croire à la perfection de nos procédés modernes, et trop peu
' Autrefois tous les bois, outre leur séjour dans Teau, n'arrivaient sur les chantiers
qu'après avoir flotté; aujourd'hui, les transports parchemins de fer nous amènent des
bois qui n'ont pas séjourné du tout dans l'eau et qui contiennent toute leur sève. De là
des inconvénients très-graves.
— 211 — [ PLOMBERIE ]
smwieux de nous enquérir de Texpérience acquise par nos devanciers.
La plomberie est d'ailleurs si intimement liée à l'art de la charpenterie,
que si Ton veut couvrir en planches, il est nécessaire, avant tout, de
s'enquérir de la qualité et de la provenance du bois à employer. Les gens
du moyen âge, peut-être par suite des traditions de l'antiquité, appor-
taient un soin minutieux dans l'approvisionnement et la mise en œuvre
du bois; ils n'éprouvaient pas, par conséquent, les désappointements que
nous éprouvons aujourd'hui en mettant au levage des bois verts et qui
n'ont jamais été baignés dans l'eau courante. On reconnaîtra du moins
que cette expérience, raisonnée ou non, est bonne et qu'il faut en tenir
compte.
Les plombs employés pendant le moyen âge contiennent une assez
notable quantité d'argent et d'arsenic; les nôtres, parfaitement épurés,
n'ont pas la qualité que leur donnait cet alliage naturel, et sont peut-être
ainsi plus sujets à se piquer et à s'oxyder. Nous avons encore vu en
place, en 1835, avant l'incendie des combles de la cathédrale de Chartres,
les plombs qui en formaient la couverture datant du xiii* siècle. Ces
plombs étaient parfaitement sains, coulés en tables d'une épaisseur de
0',00/i environ, revêtus extérieurement par le temps d'une patine
brune, dure, rugueuse, brillante au soleil. Ces plombs étaient posés sur
volige de chêne, et les tables n'avaient pas plus de 0'",60 de largeur.
Elles étaient d'une longueur de S'^ySO environ, clouées à leur tête sur
la volige avec des clous de fer étamé à très-larges têtes ; les bords laté-
raux de chacune de ces tables s'enroulaient avec ceux des tables voi-
sines, de façon à former des bourrelets de plus de 0",0/i de diamètre;
leur bord inférieur était maintenu par deux agrafes de fer, afin d'empê-
cher le vent de le retrousser. Voici (fig. 1) un tracé de cette plomberie.
Ainsi les tables étaient fixées invariablement à la tête en A ; leurs
bords, relevés perpendiculairement au plan, ainsi qu'on le voit en B,
étaient enroulés Tun avec l'autre et très-solidement maintenus latérale-
ment par les bourrelets C. Ces bourrelets enroulés n'étaient pas telle-
ment serrés^ qu'ils empêchassent la dilatation ou le retrait de chaque
feuille. Le bord inférieur des tables était arrêté par les agrafes G, dont
la queue était clouée sur la volige. Au droit de chaque recouvrement de
feuilles, l'ourlet était doublé, bien entendu, et formait un renflement L
EqD, nous donnons, au quart de l'exécution, la section d'un bourrelet.
C'est suivant ce principe que le comble de l'église Notre-Dame de Châ-
lons-sur-Marne est couvert, et cette couverture date^ dans, ses parties
anciennes, de la fin du xiii* siècle. Ici les feuilles de plomb étaient
gravées de traits remplis d'une matière noire formant des dessins de
figures et d'ornements ; on voit encore quelques traces de cette décora-
tion. Des peintures et des dorures rehaussaient les parties plates entre
ces traits noirs; car il faut observer que presque toutes les plomberies
du moyen âge étaient décorées de peintures appliquées sur le métal au
moyen d'un mordant très-énergique.
[ PIOMBEHIH ] — 212 —
Les chéneaux de plomb du moyen âge sont également posés il dilata-
tion libre, sans soudures et il ressauts. Leur bord extérieur n'est pas tou-
jours maintenu, comme cela se pratique de nos jours, par des madriers
de chêne, mais il s'appuie sur des tringles horizontales de fer rond,
portées à dislanee assez rapprochées par des équerres à tiges foi^ées.
Voici (fig. 3], en A, le profit d'une de ces armatures, et, en B, sa face
vue sur la corniche de couronnement. Les équerres C sont scellées dans
la tablette de corniche, sous la sablière S du comble; les tigettes sont
rivées sur la tringle. La feuille de plomb du chéneau fixée en a suit le
contour a' a", et vient s'enrouler en 6, laissant voir extérieurement les
équerres qui lui servent de soutien.
— 21 s — [ FLOHBBRIB ]
Ces feuilles de plomb de ebéneau sont d'une forte épaisseur, d'une
longueur qui n'excède guère 1",30 (fi pieds], et sont réunies par des
ouriets, ainsi que le fait voir le tracé perspectif G. A chaque ourlet, au
fond du chéneau, est un ressaut, afin d'empocher les eaux de passer
entre les joints des feuilles, on d'être arrêtées par les saillies des ourlets.
D'ailleurs les gargouilles d'écoulement sont toujours trës-rapprochées;
de deux en deux feuilles, par exemple. Les constructeurs du moyen Age
avaient probablement observé que le bois entièrement enfermé dans des
lames de plomb, sans air, ne tarde pas à s'échauffer et à se réduire en
poussière. S'ils faisaient, dans des habitations, des chéneaux de bois, ils
laissaient apparente la face extérieure du ebéneau en la recouvrant seule-
ment d'un fort relief, ainsi que l'indique la figure 9, pour la préserver
de l'action directe de la pluie. Les faces des chéneaux de bois étaient
habituellement moulurées, quelquefois même sculptées et couvertes de
peinture '.
' Mont MOH Tn des reilet d« cbënMUi de c
d'Oriéu), de Bour^f.
genre du» dei mtiioi» de Souen,
[ PLOMBERIE ] — 214 —
Si les plombiers du moyen âge apportaient une attention scrupuleuse
dans la façon des couvertures, ils excellaient à revêtir les bois d'ouvrages
de plomberie, à repousser les plombs au marteau, et faisaient de cette
industrie une des décorations principales des couronnements d'édifices.
Les articles Épi et Crête donnent quelques exemples de ces ouvrages de
plomberie repoussée, qui rappellent les meilleurs modèles d'orfèvrerie de
l'époque. Il est facile de voir, par l'irrégularité môme de ces sortes d'ou-
vrages^ qu'ils étaient exécutés sans modèles; on les composait en décou-
pant les ornements dans des tables de plomb d'une bonne épaisseur, et
en donnant un modelé à ces découpures plates, au moyen de petits mar-
teaux de bois de différentes formes. Des ornements anciens, que nous
avons examinés avec le plus grand soin, nous ont mis sur les traces de
celte fabrication très-simple, mais qui exige le goût d'un artiste et la
connaissance des développements de surfaces.
Voulant, par exemple, exécuter en plomb repoussé un ornement de fleu-
ron ou d'épi, tel que celui qui est présenté achevé, en A, dans la figurée, il
fallait se rendre compte du développement de ces surfaces sur plan droit,
tracer leur contour sur une feuille de plomb, le découper, ainsi que le
montre la figure k bis, et donner peu à peu à cette surface découpée,
plane, le modelé convenable. Ces feuilles (voy. la fig. 6) se rapportaient
agrafées et soudées sur une âme de plomb, indiquée dans la section 6
faite sur ab. Des boxicles de plomb, soudées à l'intérieur de la tige (voy.
le détail C), entraient dans dés goujons doubles D soudés à l'âme et placés
en d. Des tigetteà de fer rond e, soudées en dehors dans lé canal formé
par le modelé des tiges des feuilles, donnaient à celles-ci de la solidité
et se terminaient en fleurette de plomb, comme on le voit en E. L'épi pré-
senté ici ayant une section triangulaire, le développement de chacune
des trois feuilles devait se renfermer dans l'angle BGH. Dès lorss les
trois feuilles étant présentées agrafées et soudées à la base de leur tige
de g en A, on écartait les feuilles K, de manière qu'elles se touchassent
par le bout, et on les réunissait par un point de soudure, ce qui
donnait de la solidité et du roide à la partie supérieure. Il fallait une
— 215 — [ PLOHBERIE ]
^nde habitude des développements de surFaces et des effets qu'on
pouvait obtenir par le modelé d'un objet pian, pour découper ces
feuilles à coup sûr et sans g&cber du plomb. Mais jamais gens de b&ti-
ment ne se sont mieux rendu compte des développements que les arti-
sans du moyen Age. Ces travaux, qui nous semblent si diraciles à nous
qui n'avons acquis à aucune école l'habitude de ces efTets, étaient un
jeu pour eux et un jeu attrayant, car ils cherchaient sans cesse de
nouvelles difOcultés à Taincre *. Épargnant les soudures dans ces sortes
■ Stnt trop de fanité, noos poufoiu dire ((lie noul atoni âU del premlen, ikt lSt7,
i exajer de faire reviire cette induitrie, complètement abandoDDiïe depuUle xvi'tiècle,
car let plomberiei de Venaitles, p«r exemple, Boat tooduei. Nous stoiu été Kcoiiilé par
un homme inlelUgent et, choie plus rue, dl)po>é k \aiuer de cûU le* ronlinet, H. Du-
rand, mort depuit, «prèi atoir le premier rendu à celte belle indiulrienne partie de h
[ PLOMBERIE ] — 216 -~
de travaux, ils modelaieot la Teuille de métal avec un goût charmaDt,
comme on modèlei'ait de l'argile, et lui laissaient l'apparence qui con-
vient à cette matière, sans prétendre simuler de la pierre ou du bois
sculpté. Avaient-ils, par exemple, un chapiteau à faire, ils formaient
la corbeille A (fig. 5], puis la revàlaieut de crocbeU, de feuillages
modelés à part, soudés et agrafés au corps principal^ ainsi qu'on le voit
dans 1» section B, Mais tout cela léger, vif, détaché, comme il convient
(t du métal. La corbeille était alors déprimée à sa partie moyenne, et pré-
sentait un diamètre moindre que celui de la colonne, afin que les tiges
rapportées, par leur épaisseur sur l'àme, n'excédassent pas le diamètre du
— M7 — [ PLOiunn )
m. Souvent ces ornemenU n'étaient qu'agrafés, ce qui évitait toute
brisure et facilitait les réparations. De petites tiges de fer soudées à l'in -
teneur des^feuilles, ou crochets, leur donnaient du roide et les empê-
chaient de's'alTaîsser.
Dans tous les ouvragés de plomberie, il est nécessaire de prévoir les
cas de réparation, et de disposer les attaches, les agrafes, les ourlets,
de telle façon qu'il soit toujours possible d'enlever facilement une partie
détériorée et de la remplacer. La dilatation du plomb, un défaut dans
une feuille, les coups de bec des corneilles, qui parfois s'acharnent à
percer une table, peuvent nécessiler le remplacement d'un morceau de
plomb. Les plombiers du moyen âge avaient prévu ces accidents, car
tous leurs plombs sont disposés de telle façon qu'on les peut enlever
par lanieB ou par fragments, comme on enlève des tuiles, des faîtières ou
vu. — 28
[ PLOMBERIE ] — 218 —
des arêtiers d'une couverture de terre cuite, sans attaquer les portions
en bon état. Si les plombs revêtent immédiatement des bois façonnés^
comme ceux d'une lucarne, d'une flèche, les lames ne sont jamais
réunies par des soudures, mais par des ourlets adroitement placés, par
des recouvrements et des agrafes. Une colonne, par exemple, sera revê-
tue ainsi que l'indique, en A, la figure 6; des profils seront garnis ainsi
qu'on le voit en B B'. Le plomb, suivant les contours, prendra du roide
par suite de ces retours fréquents; il sera attaché à la tête seulement
en 6, recouvert par les feuilles supérieures, avec agrafures, et recou-
vrant de la même façon les feuilles inférieures. Si des ornements doivent
être adaptés à ces moulures, ils seront attachés par-dessus la feuille,
comme on le voit en B', c'est-à-dire par des agrafes c et par des points
de soudure d.
S'il s'agit de poser des feuilles sur des plans verticaux, comme des
jouées de lucarnes, des souches de flèches, etc., afin que leur poids
n'arrache pas les clous de tête, ces feuilles s'agraferont obliquement les
unes avec les autres, ainsi qu'on le voit en D. Des agrafes de fer ou de
cuivre G maintiendront la table à sa partie inférieure et l'empêcheront
de se soulever. Des agrafures de plomb, clouées sur le bois, seront
prises par les ourlets et empêcheront les tables de flotter. De grands
poinçons décorés se composeront d'une suite de cylindres ou de prismes,
qui se recouvriront les uns les autres sans soudures. Ainsi ces poinçons
pourront être démontés et remontés sans difficulté. Une barre de fer
emmanchée à fourchette sur le poinçon de charpente maintiendra verti-
calement les divers membres. Dans les plombs repoussés formant déco-
ration, la soudure ne sera employée que pour réunir des ornements
formés de deux coquilles, comme des bagues, des fleurs ronde bosse,
ou pour attacher des feuilles, des tigettes, des fleurons.
Vers la fin du xv** siècle, on remplaça quelquefois les ornements d«
plomb repoussé par des ornements de plomb coulé dans des moules de
pierre ou de plâtre ^ Mais ces ornements coulés sont très-petits d'échelle
et sont loin d'avoir l'aspect décoratif des plombs repoussés. Les repous-
seurs de plomb faisaient des statues de toutes dimensions : on en voit
encore sur les combles des cathédrales d'Amiens et de Rouen, qui datent
du commencement du xvi'' siècle. Ces figures étaient presque toujoui's em*
bouties, c'est*à-dire frappées sur un modèle de bois ou de métal par
parties, puis soudées. On avait le soin alors de tenir le modèle ti*ès-maigre
et sec, pour que l'épaisseur de la feuille de plomb lui rendit le gras qui
lui manquait.
Ce qui donne à la plomberie du moyen âge un charme particulier,
c'est que les moyens de fabrication qu'elle emploie, les formes qu'elle
adopte, sont exactement appropriés à la matière. Gomme la charpente,
' Il existe encore plusieurs de ces moules ; on en voyait quelques-uns dans THôlei*
Dieu de Beaune, qui avaient servi à couler les ornements des épis des combles.
— M9 — [ FLOHBBBIE ]
comme la menuiserie, la plomberie est un art à part, qui n'emprunte
i & la pierre, ni au bois, les apparences qu'il rerfit. La plomberie du
[ PONT 1 — 220 —
moyen âge est traitée comme une orfèvrerie colossale, et nous avons
trouvé des rapports frappants entre ces deux arts, sinon quant aux
moyens d'attache, du moins quant aux formes admises. L'or et les cou-
leurs appliquées remplaçaient les émaux. On a fait encore de belle plom<
berie pendant le xvi® siècle, bien que les moyens d'attache, de recou-
vrement, fussent alors moins étudiés et soignés que pendant les siècles
précédents. La flèche de la cathédrale d'Amiens, en partie recouverte
de plomb au commencement du xvi* siècle, en partie réparée au xvii',
permet d'apprécier la décadence de cet art pendant l'espace d'un siècle.
Les plomberies du château de Versailles et du dôme des Invalides se
recommandent plutôt par le poids que par le soin apporté dans l'exécu-
tion ; tandis que les plomberies, malheureusement rares, qui nous restant
des xiii% XIV* et xv* siècles, sont remarquables par leur légèreté relative
et par une exécution très-soignée. Il suffit, pour s'en convaincre, devoir
les anciennes plomberies de l'église de Notre-Dame de Châlons-sur-
Marne, de la cathédrale de Reims, de celle d'Amiens, de l'hôtel de
Jacques Cœur, de l'Hôlel-Dieu de Beaune, de la cathédrale de Rouen,
de celle d'Évreux', les nombreux fragments épars sur plusieurs monu*
ments ou hôtels. Il existait encore avant la fin du dernier siècle beau-
coup d'édifices du moyen âge qui avaient conservé leurs couvertures de
plomb. Ces plomberies ont été enlevées par mesure générale. Il ne faut
donc pas s'étonner si nous n'en trouvons aujourd'hui qu'un petit nombre
d'exemples. Constatons toutefois que c'est grâce aux études, si fort atta-
quées, des arts du moyen âge, qu'on a pu de nos jours faire revivre
une des plus belles industries du bâtiment.
POINÇON, s. m. Pièce de charpente verticale qui reçoit les extrémités
supérieures des arbalétriers d'une ferme ou les arêtiers d'un pavillon et
d'une flèche. (Voy. Charpente, FLÈcnB.)
POITRAIL, s. m. Pièce de bois d'un fort équarrissage posée horizonta-
lement sur des piles ou des poteaux, et portant une façade de maison.
(Voy. Boutique, Maison, Pan de bois.)
PONT, s. m. {punz, ponz). Nous diviserons cet article en plusieurs par-
ties : il y a les ponts de pierre ou de bois fixes, les ponts tomei$ (mobiles),
les ponts-levis et les ponts de bateaux, flottants, de charrettes.
Les Romains ont été grands constructeurs de ponts, soit de pierre,
soit de charpenterie, et dans les Gaule; on se servit longtemps des ponts
qu'ils avaient établis sur les rivières.
Grégoire de Tours rapporte que le roi Gontran « envoya une ambassade
1 Les plomberies de la flèche de la cathédrale d'Évreux ont été très-maladroitement
restaurées à diverses époques ; on ne découvre au milieu de ces reprises que des frag-
ments, eiéculés d'ailleurs avec finesse. . i^
— 221 — [ PONT ]
( à Ghiideberi^ son neveu, pour lui demander la paix, et le prier de venir
(( le voir. Childebert vint le trouver avec ses grands, et tous deux, s'étant
c réunis prèsdapont appelé le pont de pierre, se saluèrent et s'embras-
a sèrent ^ k> Ce pont était un pont Mti par les Romains. Toutefois ceux-
ci, en raison de l'abondance des bois dans les Gaules, durent établir un
graldd nombre de ponts de charpente qui subsistaient encore pendant les
premiers siècles du moyen âge, car les ponts de pierre bâtis par. les
Romains, encore apparents, sont rares; s'ils eussent été nombreux, on en
trouverait les traces sur nos rivières.
Les Romains établissaient presque toujours des arcs ou portes monu-
mentales, soit aux extrémités des ponts, soit au milieu de leur longueur.
Ces arcs étaient devenus, pendant les siècles de paix qui suivirent la
conquête définitive du sol des Gaules, plutôt des motifs de décoration
que des défenses. Mais dès les premières invasions, ces portes furent
munies de crénelages, et peuvent être considérées comme le point de
départ de ces châtelets où forteresses qui garnissaient toujours les ponts
du moyen âge, qu'ils fussent de pierre ou de bois.
. Il ne nous reste pas de ponts de pierre du moyen âge antérieurs au
xn* siècle^; mais à cetteépoque on en construisit un assez grand nombre
et dans des conditions extrêmement difficiles. Un des plus beaux et des
plus considérables est le pont de Sainl-Bénezet, à Avignon. La légende
prétend qu'un jeune berger, nommé Petit Benoit, né en 4161 dans le
Yivarais, inspiré d'en haut^ s'en vint à Avignon en 1178, et fut l'instiga-
teur et l'architecte du pont qui traversait le Rhône à la hauteur du
rocher des Doms. De ce pont, il reste encore quatre arches et quelques
piles d'une très-remarquable structure. Commencé en 1178, il était
achevé en 1188; sa longueur est de 900 mètres, et la largeur de son ta-
blier de U mètres 90 centimètres, compris l'épaisseur des parapets. Pour
résister au courant du Rhône et aux débâcles des glaces, les piles ont
30 mètres d'une extrémité à l'autre, et se terminent en amont comme en
aval par un éperon très-aigu. Il faut observer que sur ce point le Rhône
est très-rapide et se divise en deux bras : l'un beaucoup plus large que
lautre; le plus étroit, qui côtoie le rocher des Doms, est d'une assez
grande profondeur. Les difficultés d'établissement de ce pont étaient
donc considérables, d'autant qu'au moins une fois l'an, les crues du
Rhône atteignent en moyenne 5 mètres au-dessus de l'étiage. Sans dis-
cuter sur le plus ou moins de réalité de la légende relative au berger
* Ub. V, cap. xviii. Pont^pierre, ai^ourd'bni Pompierre, est nn -vUlage lur le Mouion,
près de la Meuse (Vosges).
* Dana son oorrage sur les Droits et usages^ M. A. Cbampollion-Figeac cite uii pont
gothique du xi* iièele, dépendant du château des comtes de Champagne, à Troyes ; mais
ce pont/ comme le château dont il dépendait, est démoli depuis biender années, et la
reproduction qui en est dotonée dans le Voyage archéologique de M. Arnaud est due à
riiBtgisation de cet auteur.
[ PONT ] — 222 —
Petit Benoît, il parait certain que ce personnage fut le chef de la confré*
rie des Hospitaliers pontifes qui entreprit la construction du pont d'Avi-
gnon. Cette confrérie, au xii"* siècle, était instituée pour bâtir des ponts,
établir des bacs, et donner assistance aux voyageurs sur les bords des
rivières ^ Quoi qu'il en soit, le pont de Saint-Bénezet, savamment
construit, existerait encore, n'étaient les guerres et l'incurie des gens
d'Avignon.
Clément YI en fit reconstruire quatre arches. Les Catalans et lés Ara^
gonais le coupèrent en 1395, pendant le siège du palais des Papes.
En 4418, les Avignonais firent rétablir l'arche coupée; niais, soit que
l'ouvrage ait été mal fait, soit que les autres parties du pont ne fussent
pas entretenues, une arche s'affaissa et entraîna la chute de trois autres
en 1602. En 1633, il en tomba deux autres, et pendant l'hiver de 1670,
sur le grand bras, on constate encore la chute de deux arches^. Ces arches
furent tant bien que mal réparées par des ouvrages de oharpenterie, mais
depuis plus d'un siècle ce beau monument est réduit aux quatre arches
qui tiennent au chÂtelet du côté de la ville. Ce pont était la seule voie
permanente de communication qui existât entre le territoire papal d'Avi-
gnon et le territoire français du Languedoc. Dans des temps reculés, la
ville avait étendu sa juridiction dans les lies du Rhône et en face de son
territoire, sur tout le littoral de la rive droite du fleuve. Ses justiciers
avaient fait dresser leurs fourches patibulaires, les unes devant la fon-
taine de Montaud, les autres sur le rocher au nord du lieu des Angles,
qu'on appelle encore la Justice. Tant que les rois de France possédèrent
la ville d'Avignon indivisément avec les comtes de Provence, ils n'appor-
tèrent aucun obstacle à cette extension de la juridiction de la cité ; mais
lorsqu'au mois de septembre 1290, Philippe le Bel, par suite du mariage
de Charles, son cousin, avec Marguerite, fille du roi de Sicile, comte de
Provence, lui eut cédé les droits de suzeraineté qu'il avait sur Avignon,
il prétendit faire respecter dans l'avenir ses limites territoriales; en con-
séquence, ses officiers firent jeter, en 1S07, les fondations de la tour de
Villeneuve, qui ferme le pont du côté de la rive droite. Charles II, roi
de Sicile, ise plaignit de cet acte qu'il considérait comme un empiétement
sur des droits consacrés par Tusage, en alléguant que le territoire d'Avi-
gnon s'étendait au littoral de la rive droite du Rhône. Le roi de France
commit son sénéchal de Beaucaire pour faire une enquête au sujet de
cette réclamation ; celui-ci se transporta sur les lieux, et se disposait
^ La confrérie religieuse des Frères hospitaliers pontifes prit naissance et 8*étAbUt
d*abord à Manpas, an diocèse de GaTaillon, dès Tannée 1164, d'après les Recherches
historiques de l'abbé Grégoire. Petit Benoît, ou saint Béneiet, fut le chef de cette insti*
^Uon, et aurait commencé ses travaux à Maupas; ce serait après cette première œatre
qu'il aurait entrepris la construction du pont d'Avignon.
. ' Dans le recueil des Pkms et profils des principales villes et lieux considérables de
France^ pu ie àieur Tassin (1652), est donnée une vue d'Avignon avec le pont Saint-
Bénezet. Deux arches manquent dans l'île et trois sur le grand bras.
— 223 — [ PONT ]
à entendre des témoins, lorsque les magistrals d'Avignon intervinrent,
disant : Que le sénéchal ne pouvait agir au nom du roi de France dans
an lieu qui était du domaine de la juridiction du roi de Sicile, comte de
Provence. Rodolphe de Meruel, architecte de la tour de Villeneuve, n'en
poussa qu'avec plus d'activité la construction de cette défense, et il ne
parait pas que le roi de France, une fois bien assis sur ce point, ait
toléré sur la rive droite du fleuve l'exercice de la juridiction avignonaise.
Cette juridiction fut exercée néanmoins pendant quelque temps dans les
lies; mais après avoir si bien établi ce qu'ils considéraient comme un
droit, les officiers du roi de France n'eurent garde de s'arrêter en si beau
chemin, et s'opposèrent à tout acte de juridiction dans les îles '. Si nous
avons rapporté tout au long cette histoire du pont d'Avignon et des bâti-
ments qui le fermaient du côté de la France, c'est afin de faire con-^
naître que les difficultés opposées par la nature n'étaient pas les seules
qu'il y avait à surmonter dans les temps féodaux, s'il s'agissait de bâtir
un pont. £n effet, les fleuves, et souvent môme de minces rivières, for*
maient la limite entre des territoires appartenant à divers seigneurs, et
l'établissement d'un pont détruisait cette limite; chacun alors cher-
chait à fermer cette communication d'un territoire à l'autre par un châ^
telet, ou bien s'opposait simplement à son établissement. La division
féodale, bien plus encore que l'impuissance des constructeurs, devenait
un obstacle à l'établissement des ponts.
On lie pouvait établir des forteresses sur les ponts que sur l'autorisa-
tion des fondateurs ; mais il fiiut croire que la nécessité fit souvent en-
freindre cette condition, car nous ne connaissons pas de pont important
du moyen âge qui ne soit défendu. On ne pouvait non plus y établir des
péages que du consentement des fondateurs ^ Guillaume le Grand, duc
d'Aquitaine, par une charte de 998, défend pour toujours de percevoir
des péages au passage du pont royal, a Eudes, comte de Chartres, de
a Tours et dC'Blois, fit une défense analogue en 1036.11 déclara qu'ayant
«fait bâtir un pont à Tours dans le seul but de faire une action méri-
« toirc pour le salut de son âme, il ne voulait pas qu'il y fût perçu des
«droits d'aucune espèce^. ») Il n'entrait vraisemblablement pas dans la'
pensée des fondateurs du pont d'Avignon d'y établir des défenses, au
moins du côté de la rive droite, et cependant nous voyons qu'un siècle
1 Archives municipales cT Avignon; procès du Rhône ^ t. I, p. 65. Nous devons ces ren*
seignements au savant archiviste de la préfecture de Vaucluse, U. Achard, qui possède
lur Avignon et le comtat Yenaissin des notes précieuses dont il a bien voulu nous per-
mettre de faire usage.
^ « Une charte », dit M. A. Ghampoilion-Figeac, dans son recueil intitulé : Droits et
usages (Paris, 1860), « une charte de l'empereur Frédéric, de l'année 1158, et un acte
• relatif à l'abbaye de Saint-Florent (coU. de Camps), de l'année ^1162, pour un pont
« bâti sur la Loire, constatent encore ces deux faits » (la défense d'élever des f<Mrteresses
sur les ponts ou d'y percevoir un péage quelconque sans autorisation des fondateurs)...
> Ibid., p. 125.
[ PONT ] — 224 —
après sa construction, le roi de France plante sur cette rive une forte-
resse qui en défend.i'etitrée ou la sortie, et que les papes, cinquante ans
après, bâtissent un châteiet sur la rive gauche. Ainsi ce pont, d'uUlilé
publique s'il en fut, vit ses deux issues fermées par les deux seigneurs
qui occupaient chacune des rives.
Les péages perçus au passage des ponts étaient ordinairement aCTectés
à leur entretien; mais on comprend que ces ressources étaient souvent
détournées de leur emploi, aussi la plupart de ces ponts étaient mal
entretenus. La plupart de ceux qui nous restent accusent des dégrada-
tions profondes, et qui datent de plusieurs siècles. <c En temps de guerre,
a le seigneur d'épée avait, dans bien des provinces de France, le droit
« de faire démolir les ponts, même ceux à la construction desquels il
«n'avait pas contribué; mais il fallait un cas de salut commun. Cepen-
a dant il était nécessaire d'obtenir une permission spéciale du seigneur
« d'épée pour pouvoir réédilier ce pont démoli dans un but d'utilité
<i momentanée'.» C'est ainsi que beaucoup de ponts du moyen âge furent
coupés, et ne furent réparés que provisoirement, ce qui contribua encore
à leur ruine. Le pont de Saint-Bénezet se trouvait précisément dans ce
cas. Ce qu'il en reste nous permet d'en étudier et d'en décrire la con-
struction. Les arches avaient de 20 à 25 mètres d'ouverture, et étaient au
nombre de dix-huit. Dans l'île qui sépare les deux bras duRhône, la chaussée
était percée d'arches, aussi bien que sur les deux cours d'eau. Sur le grand
bras, le pont, du côté de Villeneuve, formait un angle bbtûs, comme pour
mieux résister à l'effort du courant. Mais nous reviendront tout à l'heure
sur cette disposition générale. Voici (flg. 1), en A, le géométral d'unedes
arches, avec deux des piles. Il est à remarquer que sur quatre piles qui
existent encore entières, il en est deux qui sont construites suivant le
tracé B et deux suivant celui C. Sur l'une de celles conformes au profil C,
la plus rapprochée de la ville, est bâtie la petite chapelle dédiée à saint
Nicolas, dans laquelle étaient déposées les reliques de saint Bénezet. Le
soi de cette chapelle est placé à 4", 50 au-dessous du tablier du pont, et
l'on y descend par un escalier pratiqué partie en.encotbeilement, partie
aux dépens de l'épaisseur du pont, ainsi que le fait:voir le pian D K Pour
passer devant la chapelle, il n'était laissé au tabUer en £ qu'une largeur
de 2 mètres, compris l'épaisseur du bahut. Par une arcade on pouvait
voir du tablier l'intérieur de la chapelle, et une autre arcade en contre-
bas ouvrait celle-ci vers l'aval, sur l'éperon. L'autre pile, construite de
même avec des trompes, ne semble pas avoir été destinée à recevoir un
autre édicule ^ ; peut-être ne formait-elle qu'une gare bien nécessaire
sur un point aussi étroit et aussi long. Ces piles avec trompes alter-
1 M. A. ChampoUion-Figeac, Droits et usages, p. 13i.
^ Ce plan est fait à la fois, et sur le tablier, et sur la chapelle en contre-bos.
3 II n'est fait mentioa que d'une chapelle sur le pont d'Avignon dans tous les docu-
ments que nous avons pu consulter.
( POHT ]
naient iii-obableineut avec celles qui c'en possédaient pas, et qui sont
VII. — 29
[ PONT ] — 226 —
conformes au profil B. Les arches ne sont pas tracées suivant un arc de
cercle, mais forment une ellipse, ainsi que le montre la figure, obtenue
au moyen de trois centres. C'était un moyen de donner plus de puis-
sance aux reins des arcs, et de permettre rétablissement des trompes
avec escaliers. Les piles qui possèdent des trompes étaient percées de
trois arcades, au lieu d'une seule, au-dessus des éperons (la chapelle bou-
chant l'arcade centrale dans la pile C). Cette précaution était bien néces-
saire pour donner une issue aux crues du fleuve, car les eaux s'élèvent
parfois jusqu'au niveau G *.
En H, nous donnons la section d'une arche, avec le profil en travers
de la pile B. Ces arches sont construites au moyen de quatre rangées de
claveaux de 70 centimètres de hauteur juxtaposés. Ce sont de véritables
arcs-doubleaux parfaitement appareillés, dont les lits se suivent, mais
qui ne se liaisonnent point entre eux. Ils ne sont rendus solidaires que
par le massif de maçonnerie qui les surmonte et les charge. Il est à croire
que les maîtres pontifes avaient voulu en cela copier un monument
romain assez voisin, l'aqueduc du Gard, dont les arches maltresses sont
construites suivant ce système. En K, nous présentons un tracé perspectif
des trompes posées en a à deux des quatre piles existantes, avec l'arran-
gement de l'escalier en encorbellement qui permet de descendre dans
la chapelle.
Nous ne savons aujourd'hui comment le pont d'Avignon se terminait
du côté de la ville, lorsqu'il fut construit à la fin du xii* siècle. Très-élevé
au-dessus du sol des rues, il aboutissait déjà probablement à une défense
d'où l'on descendait dans la cité. Au xiv* siècle, les papes le terminèrent
par un nouveau châtelet très-fort qui défendait l'entrée de la ville; mais
si l'on ne voulait pas entrer dans la cité, ou si les portes du châtelet se
trouvaient fermées, on pouvait, du tablier du pont, descendre sur le quai
qui longe le rempart, par un large emmarchement placé en amont.
Du côté du Languedoc on se heurtait, en traversant le pont, contre la
tour formidable de Villeneuve et ses défenses accessoires; on entraitdans
l'enceinte de la forteresse, ou bien, tournant à droite et passant par une
porte, on entrait dans l'enceinte extérieure de Villeneuve. La figure 2
présente un aspect général du pont d'Avignon, avec le coude qu'il for-
mait vers le milieu du grand bras. Au bas de la figure est le châtelet
actuel bâti par les papes. En A, est l'île traversée par le pont, et souvent
inondée; à l'extrémité supérieure, la tour de Villeneuve. Toute la con-
struction du pont, sauf les revêtements des éperons et les arches, est
faite en très-petit appareil assez semblable à celui qui revêt les tympans
de l'étage supérieur de l'aqueduc du Gard. Les massifs sont bien pleins
et maçonnés avec soin, le mortier excellent. La pierre provient des car-
rières de Villeneuve et n'est pas d'une très-bonne qualité. Il est à croii*e
que si ce pont eût été entretenu comme le pont Saint-Esprit, bâti peu
1 Notamment en 1856*
t POBT ]
après, il se fâtconservé jusqu'à dos jours, car il était établi dans d'excel-
[ PONT ] — 228 —
lentes conditions, et presque toutes ses piles posaient sur le roc vif; mais,
ainsi qu'on Ta vu plus haut, les hommes contribuèrent autant que les
eaux terribles du Rhône à le détruire. Depuis Tépoque où Ton dut renon-
cer à se servir de ce moyen de traverser le fleuve, on a établi en aval un
pont de bois souvent endommagé par les crues du Rhône, et sur le petit
bras, depuis trente ans, un pont suspendu dont la durée est fort com-
promise. En jetant les yeux sur notre figure 2, on observera que le pont
d'Avignon ressemble assez à une passerelle de planches posée sur des
bateaux. Les frères pontifes^ pour résister à l'action puissante du courant
du Rhône sur ce point, surtout pendant les crues, n'avaient rien imaginé
de mieux que d'établir en pierre et à demeure ce que le sens vulgaire
indique de faire lorsqu'on établit un pont de bateaux, et ce n'était pas
trop mal imaginé.
Dans le pays de Saint-Savourin du Port, sur le Rhône, appartenant à
l'abbaye de Cluny, un abbé de cet ordre, Jean de Tensanges, fit com-
mencer en 1265 le pont Saint-Esprit, sur lequel on passe encore au-
jourd'hui. Trente années furent employées à sa construction. La largeur
de son tablier est de 5 mètres, et sa longueur de 1000 mètres environ;
le nombre de ses arches est de vingt-deux. Celles-ci sont plein cintre, et
n'offrent pas la particularité dans leur tracé qu'on observe au pont de
Saint-Bénezet. Elles sont cependant construites au moyen de rangs de
claveaux juxtaposés. Dans les tympans, des arcades permettent aux crues
du fleuve de trouver passage. Le pont Saint-Esprit fut la dernière œuvre
des frères hospitaliers pontifes. Dès lors le relâchement de cet ordre
contribua à sa complète décadence. Il faut dire qu'à dater du xiii* siècle,
dans les constructions civiles et religieuses, les écoles des maîtres des
œuvres laïques avaient remplacé partout les corporations religieuses, les
villes comme les seigneurs n'avaient plus besoin de recourir aux frères
constructeurs de ponts et autres. Le pont Saint-Esprit forme un coude
à Topposite du courant sur le grand bras du Rhône, comme le pont
d'Avignon. Il était encore fermé à ses deux extrémités par des portes
au xviL® siècle, et aboutissait du côté du bourg à une défense assez impor-
tante du xiv*' siècle, qui, plus tard, fit corps avec la citadelle qui com-
mandait le cours du fleuve en amont. On peut prendre une idée de ces
défenses en jetant les yeux sur la gravure donnée dans la Topographie
de la Gaule ^.
Parmi les ponts du xii' siècle que nous possédons encore en France,
il faut citer le vieux pont de Carcassonne, bâti par les soins de la ville
en 1184. Le péage de ce pont était destiné à son entretien. Ses arches
sont plein cintre, bâties par claveaux reliés, mais non juxtaposés comme
I Edit. de Francrort, grafures de Mcrian. — Deux arches du pont Saint-Esprit ont été
détruites depuis peu pour être remplacées par une arche de fonte de fer^ afin de faciliter
le passage des bateaux. Il a fallu arracher à grand'peine la plie supprimée, dont U ma-
çonnerie était excellente.
— 229 -r l PONT ]
ceux du poul d'A vignon. Ses éperons, aigus en aval comme en amont, s'é-
lèvent jusqu'au Uiblier^ et forment des gift^es fort utiles, ee tablier n'ayant
pas plus de 5 mètres de largeur. Il était autrefois défendu du côté opposé
ù la cilé(rive gauche) par une tôto de pont formidlible qm enveloppait à
pea près tout le faubourg actuel. Une chapelle du Sv^ siècle estaoBolée
à sa première culée, en amont de ce côté. Sur 1^ rive de la cité, H se re-
liait aux défenses de cette forteresse par une ligne de courtines flan-
quées. Ce pont sert encore aujourd'hui, bien qu'il ^<rtt depui»* longtemps
fort mal entretenu.
Le pont vieux de Béziers date- à peu près de la nênie époque. Les
arches sont plein cintre, celle du milieu plus élevée que les autres, de
sorte que le tablier forme deux pentes peu prononcées. Les tympans de
re pont sont évidés par des arcades en prévision des crues de l'Hérault,
et ses piles, plates du côté d'aval, sont en éperon du côté d'amont.
Nous donnons (ilg. 3) l'arche centrale de ce pont, avec son plan en A,
et un détail B^ indiquant la construction des avant-becs et des arches
du côté d'amont. Son tablier a 5", 60 de largeur. Les tabliers des ponts
d'Avignon et de Saint-Esprit sont de niveau, ce qu^explique d'ailleurs
l'énorme longueur de ces ponts; mais les ponts du moyen âge, d'une lon-
gueur ordinaire, présentent ordinairement deux pentes, l'arche centrale
étant plus élevée et plus large que les arches latérales, afln de faciliter la
navigation, et de laisser au milieu des rivières un débouché plus large
et plus élevé aux crues. Cependant il est clair que les architectes cher-
chaient, autant que faire se pouvait, à éviter ces pentes, et beaucoup de
leurs tabliers sont presque de niveau du moment que la situation des
lieux leur permettait d'établir des quais et des culées élevés. Toutefois,
alors qu'ils n'étaient pas forcés d'évider les tympans en prévision de fortes
crues, ils se servaient des éperons des piles pour former des gares d'évi-
tement, et ce programme leur a fourni de bons motifs d'architecture. Les
exèdres du Pont-Neuf à Paris sont une tradition de cette disposition^
qui, du reste, date de l'antiquité.
Il était pourvu à l'entretien des ponts^ dit M. le baron de Girardot ^
« au moyen des péages appelés poniage, pontonage^ ponlenage, pontonatge,
« enOn ùilleiie ou branchiette^ à cause du billot ou de la branche d'arbre
« où l'on attachait la pancarte indicative des droits à payer. Le péage se
tt percevait pour le passage en dessus, ou pour le passage en dessous.
« Un droit sur le sel transporté par bateaux fournissait à l'entretien coû-
« teux du pont Saint-Esprit et des enrochements, sans cesse renouvelés,
« qui préservaient les piles des affouillements à redouter, à cause de la
« rapidité du fleuve. Les péages sur les ponts très-anciens avaient été éta-
« blis de l'autorité des seigneurs ; mais, lorsque le pouvoir royal eut
a avancé son (Buvra^ de centralisation^ le roi seul put en établir à son
'• Voyes l'article substantiel sur* les pontSj publié par oe savant arcbéologue, dans les
Annales archéologiques^ t. Vil, p. 17 et sniv.
[ PONT ) — 230 —
a proni ou à celui des engagistes du domaine, soit des cessionnaires â
a litre d'inféodation ou d'octroi. Les seigneurs hauts justiciers ne furent
a maintenus dans leur droit, à cet égard, qu'en justifiant d'une très-
« ancienne possession. »
A-
"C^r
T^'
%
Le seigneur était tenu, moyennant le péage, d'entretenir les ponts;
mais souvent le pont détruit, on continuait à percevoir le droit, sinon
sur le pont, du moins sur la navigation ; de sorte que des ponts en ruine
qui devenaient déjà un obstacle pour les mariniers, étaient encore pour
eux une occasion de payer un droit de passage, a Dans l'origine, ajoute
a M. le baron de Girardol, le droit de péage emportait l'obligation d'assu-
a rer aux voyageurs la sûreté de leurs personnes et de leurs effets; en
« cas de vol ou de meurtre, le seigneur était tenu d'indemniser la vic-
« time ou ses ayants droit. On cite les arrêts rendus dans ce sens contre
— 231 — [ PONT ]
«le sire de Crèvecœur en 1254, le seigneur de Vicilon en 1269, et
tt d'autres de cette même époque ; quelques-uns môme contre le roi,
« pour des vols commis sur sa justice (1295). Toutefois cette responsa-
« bilité n'avait lieu que pour le jour et non pour la nuit. » Ceci explique
comment tous les ponts du moyen âge sont munis de postes qui per-
mettaient d'abord de percevoir le péage, puis de maintenir la police sur
leur parcours et dans les environs. Beaucoup de ces tours et châtelets
qui munissent les issues des ponts, et quelquefois leur milieu, sont donc
de véritables corps de garde et bureaux de péage. Cependant, le plus
habituellement, il faut voir dans ces logis de véritables défenses, si, par
exemple, les ponts donnent accès dans des bourgs ou villes défendus.
C'est ainsi que le vieux pont de Saintes, démoli aujourd'hui, mais que
nous avons vu à peu près entier il y a vingt-cinq ans, formait, sur la
Charente, un obstacle formidable, soit contre les bateaux arrivant avec
une intention hostile , soit contre des partis se présentant par la rive
droite. Ce pont était bâti sur des piles romaines, et présentait même en*
core sur l'une d'elles, vers la rive droite, une porte antique formant arc
triomphal à deux ouvertures'. La vue, figure &, donne une idée de la
disposition générale de ce pont défendu par une suite d'ouvrages impor-
tants. D'abord, du côté du faubourg des Dames, situé sur la rive droite
de la Charente, se présentait une première porte ; puis venait l'arc
romain, crénelé dans sa partie supérieure pendant le moyen âge ; puis,
du côté de la ville, une tour à section ovale à travers laquelle il fallait
passer^; puis, enfin, la porte de la ville, flanquée de tourelles. De la porte
sur le faubourg des Dames à l'arc antique, le pont était construit en
bois, ainsi que de la grosse tour à la porte de la ville, de sorte que le
tablier de ces fragments de pont pouvant être facilement enlevé^ toute
communication entre la ville et le faubourg, ou la ville et la grosse tour,
était interrompue. Les arches du pont reconstruit au moyen âge sur des
piles romaines étaient en tiers-point, et le tablier du pont peu relevé au
centre. La grosse tour, non-seulement défendait le pont, mais comman-
dait la porte de la ville en cas qu'elle fût tombée au pouvoir d'un ennemi
débarquant sur la rive gauche, et dominait le cours du fleuve. Le para*
pet du pont était autrefois crénelé, afin de permettre à la garnison de la
tour de barrer absolument la navigation. Ces défenses ne remontaient
pas au delà de la fin du xiv' siècle. Quant au pont lui-même, il datait
de plusieurs époques, autant que les reprises successives faites dans
les arches permettaient de le reconnaître ^. Le pont de Saintes, bien
1 Gel arc de triomphe, déposé pièce à pièce, lorsque la démolition du pont fut dcflni'
tiTemcnt résolue, a été remonté sur les bords mêmes du fleuve, par les soins de lu com-
mtssioa des monuments historiques et sous la direction de M. Clerget, architecte.
' Cette tour, ù la fin tlu xvi^ siècle, servait de prison municipale.
> 1^ grosse tour et la poi;tc de la ville furent démolies après les guerres de religion ;
elles sont parfaitement indiquées dans une vue cavalière du recueil de 157A : Civitates
orbvt ierr.
( PUHT ]
j—i;' ^*i;y f^/j
que privé de sa grosse tour et de ses défenses vers la ville, ne laissait pas,
— 233 — [ PONT ]
il y a vingt aos. de présenter un véritable intérêt; il a été démoli sans
raison sérieuse et remplacé par un pont suspendu qui, bien entendu,
devra bientôt ôtre refait, la durée de ces sortes de ponts ne dépassant
guère un demi- siècle.
Nos vieilles villes françaises, qui la plupart présentaient, il y a peu de
temps, un caractère particulier^ et qu'on aimait à visiter ainsi parées
encore de leurs monuments, ont laissé détruire, sous l'influence d'un
engouement passager, bien de précieux débris. Espérons que leurs con-
seils municipaux, mieux instruits de leurs véritables intérêts, conserve-
ront religieusement les restes de leur ancienne splendeur, respectés par
le temps, quand ces restes d'ailleurs ne peuvent en aucune façon entra-
ver les développements de l'activité moderne, et sont un attrait pour les
voyageurs. L'arc romain de Saintes, si précieux sur le pont, fait aujour-
d'hui sur la rive la plus étrange ligure, et semble être un édifice échoué
là par hasard.
La ville de Cahors n'a heureusement pas encore détruit son merveil-
leux pont de la Calendre, l'un des plus beaux et des plus complets que
nous ait légués le xiii^ siècle. La construction du pont de la Calendre
remonte à l'année 1251, et mérite une étude spéciale. Ce pont se reliait
aux murailles de la ville, commandait le cours du Lot, et battait les col-
lines qui sont situées sur la rive opposée. La ville de Cahors possédait
trois ponts à peu près bâtis sur le même modèle ; le pont de la Calendre
est celui des trois qui est le mieux conservé. Il se compose de six arches
principales en tiers-point, fort élevées au-dessus de l'étiage. Sur la pile
centrale et les deux piles extrêmes (fig. 5), s'élèvent trois tours : celle
du centre carrée et les deux extrêmes sur plan barlong. Du tablier du
pont, des escaliers crénelés permettent de monter au premier étage de
ces tours. La ville est située en A. Sur la rive opposée en B se dressent,
abruptes, des collines calcaires assez hautes. On arrivait au pont latéra-
lement, en suivant le cours du Lot, soit en amont, soit en aval, ainsi
qu'on le voit en C. II fallait alors franchir une porte défendue par un
cbâtelet D, qui commandait la route et les escarpements inférieurs de la
colline B. Cette porte double donnait entrée à angle droit sur le tablier
du pont, en avant de la première tour Ë. Les parapets de cette première
travée étaient, crénelés, et communiquaient, d'un côté, par un escalier
également crénelé F, avec les défenses supérieures du cbâtelet. Il fallait
alors franchir la teur E, bien défendue dans sa partie supérieure par des
mâchicoulis, et par une porte avec mâchicoulis intérieur. La porte E
franchie, on entrait sur la première moitié du pont commandée par la
tour centrale G, à laquelle on montait par un escalier contenu dans un
ouvrage construit sur l'un des avant-becs. Cette tour centrale était de
même fermée par une porte. Celle-ci franchie, on entrait sur la seconde
moitié du tablier, commandée parla troisième tour H, munie à son som-
met de mâchicoulis. Du côté de la ville^ une dernière porte I défendait les
approches de cette troisième tour, à laquelle on montait par un escalier
VII. — 30
[ TOUT 1 — 2S4 —
créaelé posé sur un arc-boutant. Les avant-becs servaient de gares d'6vi-
tement, et étaient crénelés de manière ù flanquer le pont et à battre U
— 235 — [ PONT ]
rivière. Tous ces ouvrages, sauf le châlelct D » et les crêtes crénelées des
parapets des avant-becs, sont encore intacts, et présentent, comme on
le voit, un fort bel ensemble. La conslruclion est faile en bons matériaux;
les claveaux des arches sont extradossés, ce qui est une condition de soli-
dité et d'élasticité. Nous observons, à ce propos, que les ponts romairs,
aussi bien que ceux du moyen âge, présentent toujours des arcs extra-
dossés, et ce n*est pas sans raison. En effet, lorsque de lourds fardeaux
passent sur les arches, pour peu qu'elles aient une assez grande portée,
il se produit dans les reins un mouvement sensible de trépidation : si les
claveaux sont indépendants de la construction des tympans, ils conser-
vent leur élasticité et ne peuvent répercuter au loin Tébranlement ; mais
si au contraire ces claveaux sont à crossettesou inégaux, c'est-à-dire s'ils
sont plus épais dans les reins qu'à la clef, le mouvement oscillatoire se pro-
duit sur toute la longueur du pont, et fatigue singulièrement les piles. On
peut observer ce fait sur le pont Louis XVI, à Paris, bâti par le célèbre
ingénieur Perronet.- Lorsqu'un chariot lourdement chargé passe sur
Tarche centrale, on en ressent un ébranlement sensible sur toute la Ion-,
gueur du pont. Pour obvier au danger de cette oscillation, l'ingénieur
Perronet avait pour habitude de cramponoér en fer les queues des cla-
veaux; mais s'il assurait ainsi la solidarité de toutes les parties du pont,
il plaçait un agent destructeur très-actif dans la maçonnerie, agent qui
\ài ou tard causera des désordres notables. Les arcs extradossés, suivant
la méthode romaine et du moyen âge, ont au contraire l'avantage de
rendre chaque arche indépendante, d'en faire un cerceau élastique qui
peut se mouvoir et osciller entre deux piles sans répercuter cette oscilla-
tion plus loin. Nos ingénieurs modernes, mieux avisés, en sont revenus
à cette méthode; mais cela prouve que les constructeurs du moyen âge
avaient acquis l'expérience de ces sortes de bâtisses. On pourra leur re-
procher d'avoir multiplié les piles et resserré d'autant les voies de navi-
gation ; mais il faut considérer que si les ponts du moyéti âge étaient faits
pour établir des communications d'une rive d'un fleuve à l'autre, ils
étaient aussi des moyens de défense, soit sUr la voie de terre, soit sur la
voie fluviale, et que la multiplicité de ces piles facilitait singulièrement
cette défense. D'ailleurs ces ponts ne s'élevaient pas, comme les nôtres,
dans l'espace de deux ou trois ans. La pénurie des ressources faisait qu'on
mettait dix et vingt ans à les construire; dès lors il ne fallait pas que la
fermeture d'une arche pût renverser les piles voisines, et celles-ci de-
vaient être assez fortes relativement et assez rapprochées, pour résister
aux poussées. C'est la nécessité où l'on se trouvait de bâtir ces ponts par
parties qui faisait adopter dans quelques cas la courbe en tiers-point
pour les arches, cette courbe poussant moins que la courbe plein cintre.
Le pont de la Galendre, h Cahors, possède des avant-becs en aval
comme en amont, et par conséquent des gares flanquantes et d'évitemeht
1 De ce chàtelet il ne reste que les parties bas
[ POKT ] — 23C —
sur les deux côlés du tablier. C'est encore une raison de défense qui a
motivé cette disposition, car partout où les ponts n'ont pas cette impor-
tance au point de vue militaire, s'il est pratiqué des avanl-becs aigus en
amont, tes piles sont plates du cùté d'aval, comme par exemple au pont
de Sdint-Éticnne, à Limoges, décrit par M. Félix de Vemeilh dans les
Atmain archéologique» '. Ce savant archéologue, auquel nous devons des
travaux si précieux sur les monuments français du moyen Age, a obsené
aussi que dans plusieurs de ces ponts du Limousin , dont les piles sont
très-épaisses relativement aux travées des arches, ces piles ne sont sou-
vent composées que d'un parement de granit, au milieu duijuri est pi-
lonné un massif de terre. C'était là un moyen économique dont nom
avons pu constater l'emploi, et qui remonte, pensons-oons, h. une assez
haute antiquité, car des restes de piles romaines nous ont présenté la
même particularité. Les avant-becs de plusieurs ponts' du Limousin
donnent en section horizontale, non poiat a* angle aigu ou droit, mais
une courbe en tiers-point, ce qui avait l'aTanlage de permettre le gbsse-
ment de l'eau courante et de donaer plus de force à ces éperons; car il
est clair (flg. 6), que la seclion A présente une plus grande surface que
la section B, par conséquent plus de poids et de résistance.
in
flevenons au pont de Cahors. On remarquera (fig 5) que les escaliers
extérieurs conduisant aux tours sont ouverts du côté de la ville, le long
du parapet, de telle sorte que si le chAtelet D était pris, fermant la porte
de la tour E, les défenseurs pouvaient accabler les assaillants et recevoir
des rçnforts de la ville. Seul l'escalier de la tour centrale G est pratiqué
dans un exhaussement de l'avant-bec ; son entrée étant placée sous le
passage, mais masquée, bien entendu, par la porte qui fermait ce pas-
sage. L'escalier de la dernière tour H est en cooimunication avec le cré-
nelage du poste I, et le poste, fermé du côté de U ville, était d^tiné k
présenter un premier obstacle aux assaillants qui auraient pu faire une
descente sur la rive de ce cûlé. Nous donntins (flg. 7) une vue perspec-
tive à vol d'oiseau de la tour E sur la rive opposée à la ville et de ses dé-
pendances. Outre le cbAtelet extérieur A, une défense basse formait télé
de pont sur cette rive, empêchait de débarquer près de la tour, et pré-
— 237 — [ pour 1
seotait un premier obstacle sur la route B. On remarquera dans cette
figure la disposition des mAcbicoulis avec petits arcs plein cintre. Cha-
cun de ces arcs est porté par une console composée de quatre assises en
encorbellement qui reçoivent une languetle de maçonnerie dans la hau-
teur du coffre, de sorte que chaque arc fait un assommoir séparé s'ou-
[ PONT ] — 238 —
vrant par une baie dans l'étage supérieur. Au-dessus des mâchicoulis,
couverts par de grandes dalles, sont percés quatre créneaux très-rappro-
chcs, permettant le tir de l'arbalète suivcint un angle plus ou moins
ouvert. Le premier et le second étage sont chucun percés d'une seule
archère sur chaque face. L'avanl-bec qu'on voit dans notre figure in-
dique le système adopté par le maître de l'œuvre pour élever la construc-
tion. Ces avant-becs sont percés parallèlement au tablier, à la hauteur de
la naissance des arches , de passages au-dessous desquels on voit trois
trous destinés à poser des sapines en travers, et un petit plancher for-
mant passerçUe. Les cintres des arches étaient eux-mêmes posés dans
des trous de scellement restés apparents. Ainsi le service des maçons
se faisait par cette passerelle à travers les avant- becs. Sur cette passerelle
les matériaux étaient bardés, enlevés par des grues mobiles et posés sans
nécessiter aucun autre échafaudage. Comme le fait observer M. Félix de
Verneilh, dans la notice citée plus haut, les ponts du moyen âge étaient
sujets à être coupés pendant les guerres continuelles de ces temps;
c'était là encore une raison qui obligeait les constructeurs de donner
aux piles une forte épaisseur, car il ne fallait pas, si l'on était dans la
nécessité de couper une arche, que les autres vinssent à fléchir. Mais
aussi en prévision de cette éventualité, beaucoup de ponts de pierre
avaient des travées mobiles en bois. Nous avons vu tout à l'heure que le
pont de Saintes possédait deux portions de tabliers de charpente : Tun
du côté du faubourg, l'autre du côté de la ville. Certains ponts de pierre
étaient munis de véritables ponts-levis : tels étaient ceux de Poissy,
d'Orléans, deCharenton, de laGuillotièreàLyon, de Montereau, etc. Par-
fois aussi les ponts ne se composaient que de piles de maçonnerie avec
tabliers de charpente couverts ou découverts.
Les exemples que nous venons de donner démontrent assez Tim-
portance des ponts pendant le moyen âge comme moyen de communi-
cation et comme défense. Certains ponts plantés au confluent de deux
rivières se reliaient à de véritables forteresses : tel était, par exemple, le
pont de Montereau. Vers l'an 1026, un comte de Sens avait fait construire
sur l'extrémité de la langue de terre qui se trouve au confluent de l'Yonne
et de la Seine un donjon carré très-fort qui servit de point d'appui à un
vaste châtelet, auquel aboutissait le pont traversant les deux rivières.
Ce pont était en outre fermé à ses deux extrémités par des portes forti-
flées. Cet ensemble de défenses existait encore au xvii*' siècle^ ainsi que
le démontre la gravure de Mérian ^
Le pont d'Orléans, sur la disposition duquel il reste de curieux docu-
ments, est, au point de vue de la défense-, un exemple à consulter. Tout
le monde sait de combien de faits d'armes il fut le témoin lors du siège
entrepris en 1^28 par les Anglais. Or voici, au moment de ce siège,
quels étaient les ouvrages qui faisaient de ce pont une défense impor-
.' Topogr, GalHœj ' ■
— 289 — [ PONT ]
tante. Placé sur la route qui reliait le nord au midi de la France il la
i OKL.EAfi-S
distance la plus rapprochée de Paris, il était essentiel de le bien munir.
[ PONT ] — 2^0 —
A l'époque donc où les Anglais vinrent assiéger Orléans, ceux-ci, suL
vant la rive gauche, se présentèrent, le 12 octobre 1428, par la Sologne,
devant le boulevard des Tourelles (fig. 8 , situé en A). Ce boulevard
n'était alors qu*un ouvrage de terre et de bois. Le22,ils s'en emparèrent,
et les habitants d'Orléans abandonnèrent le fort des Tourelles B, pour se
retirer dans la bastille Saint-Antoine F, située dans Tile, après avoir eu la
précaution de couper l'arche I de cette partie du pont. Les Anglais, de
leur côté, coupèrent Tarche K. Les gens d'Orléans établirent à la hâte un
boulevard de bois à la Belle-Croix, en C. Ce fut dans cet espace étroit
qu'eurent lieu quelques-uns des faits d'armes de ce siège mémorable.
La bastille Saint-Antoine F était précédée d'une chapelle D placée sous le
vocable de ce saint, et d'une aumônerie E destinée à recevoir les pèlerins
et voyageurs attardés. En H était la porte de la ville, et en G le châtelet.
Après la levée du siège, l'ouvrage des Tourelles fut réparé, ainsi que le
boulevard A. Cette fois, ce boulevard fut revêtu de pierre, ainsi que le
fait connaître un plan sur parchemin dressé par un sieur Fleury, arpen-
teur, en 1543, et reproduit en fac-similé par M. Jollois, dans son Histoire
du siège d'Orléans *.
Un second pont-levis était pratiqué en avant de la porte H de la ville.
Une vue perspective à vol d'oiseau (fig. 9) présente l'entrée du pont
d'Orléans, avec son boulevard sur la rive gauche, du côté de la Sologne,
après les réparations faites depuis le siège de U28. Plus tard, en 1591
et 1592'^, on reconstruisit ce boulevard A avec casemates en forme de
ravelin à doubles tenailles, ainsi que des fouilles récentes l'ont fait re-
connaître. Mais alors la porte des Tourelles existait encore. Le boulevard
reproduit dans notre figure 9 était entouré d'un fossé rempli par les
eaux de la Loire, et muni d'un pont-levis s'abattant parallèlement à la
rivière.
Un second pont-levis séparait (comme au temps du siège) le boulevard
du fort des Tourelles. Ce fut en effet en voulant défendre ce pont-levis,
attaqué par les gens d'Orléans, après la prise du boulevard, que périt le
capitaine anglais et quelques hommes d'armes avec lui. Jeanne Darc y
lit mettre le feu au moyen d'un bateau chargé de matières combustibles.
L'existence de ce pont-levis en 1428 ne saurait donc être douteuse. Ce
qu'on appelait la Belle-Croix, située en C sur l'avant-bec d'une des piles
du pont, était un monument de bronze, consistant en un crucifix érigé
sur un piédestal orné de bas-relief représentant la sainte Vierge, saint
Pierre, saint Paul, saint Jacques, saint Etienne, et les évêques saint
Aignan et saint Ëuvertc. Il était en effet d'un usage général de placer
une croix sur le milieu des ponts, pendant le moyen âge. En avant du
1 Histoire du siège iV Orléans ^ par M. Jollois, ingénieur en chef des ponts et chaussées,
1833, petit in-folio, avec la Lettre à MM, tes membres de la Société des antiquaires de
France, 1834.
-^ Comptes de la ville.
— 241 — [ POKT ]
boulevard desToarellesétaîtsitué le couvent des Augustins, quelesbabi*
Unis (l'Orlémis jetèrent bas à l'arrivée des Anglais, pour débarrasser
les abord-i du chitelet. Ccpeniiant ce monastère était lui-même entouré
[ PONT ] — 2(l2 —
d'une clôture et d'un fossé, et pouvait servir de défense avancée. On n'ar-
rivait donc devant l'entrée du pont d'Orléans, comme devant l'entrée du
pont de la Calendre à Gahors, que latéralement.
On conçoit quelles difûcultés le régime féodal devait apporter dans la
construction des ponts. Ce n'était ni la science pratique, ni la hardiesse,
ni même les ressources qui manquaient lorsqu'il était question d'établir
un pont sur un large cours d'eau, mais bien plutôt le bon vouloir d'au-
torités intéressées souvent à rendre les communications d'un pays à
l'autre difficiles. On reconnaît, par les exemples déjà donnés, que si les
ponts réunissaient deux rives d'un fleuve, on cherchait à accumuler sur
leur parcours le plus d'obstacles possible. On possède sur la construc-
tion du pont de Montauban des documents complets et étendus qui
démontrent assez quels étaient les obstacles de toute nature opposés à
ces sortes d'entreprises. Dès 114^, le comte de Toulouse, Alphonse Jour-
dain, en donnant aux bourgeois de Montauriol l'autorisation de fonder
la ville de Montauban sur les bords du Tarn, insère dans la charte de
fondation cette clause : « Les habitants dudit lieu construiront un pont
a sur la rivière du Tarn, et, quand le pont sera bâti, le seigneur comte
a s'entendra avec six prudhommes, des meilleurs conseillers^ habitants
(( dudit lieu, sur les droits qu'ils devront y établir, afin que ledit pont
a puisse être entretenu et réparé ^ » Mais la ville naissante était trop
pauvre pour pouvoir mettre à exécution une pareille entreprise. Puis
vinrent les guerres des Albigeois, qui réduisirent ce pays à la plus aiTreuse
détresse. Ce n'est qu'en 126/!i que les consuls de Montauban prennent des
mesures financières propres à assurer la construction du pont sur le Tarn.
En 1291, la ville achète l'île des Gastillons ou de la Pissolte, pour y as-
seoir plusieurs des piles de l'édifice. C'était à l'un des rois qui ont le plus
fait pour établir l'unité du pouvoir en France, qu'il était réservé de com-
mencer définitivement cette entreprise ^. Philippe le Bel, étant venu à
Toulouse pour terminer les différends qui existaient entre le comte de
Foix et les comtes d'Armagnac et de Comminges, chargea de la construc-
tion du pont de Montauban deux maîtres, Etienne de Ferrières, châtelain
royal de la ville, et Mathieu de Verdun, bourgeois, en soumettant tous
les étrangers passant à Montauban à un péage dont le produit devait être
exclusivement, réservé au payement des frais de construction, et en ac-
cordant aux consuls, aux mêmes fins, une subvention (130/i). Le roi toute-
fois imposa comme condition de bâtir sur le pont trois bonnes et fortes
tours «dont il se réservait la propriété et la garde ». Deux de ces tours
devaient s'élever à chaque extrémité, la troisième au milieu ^. Ce ne fut
1 Art. 26 de la charte de fondation de Montauban, Archives de Montauban^ liTrc Rouge,
fol. verso 105.
^ Voyez rexcellente notice sur le pont de Montauban, donnée par M. Devais aîné dans
les Annales archéologiques^ t. XVI, p. 39.
9 Archives de Montauban f liasse D, n<* 16, liv. des Serments, folio 102.
— 2/43 — [ rONT ]
cependant qu'après des vicissitudes de tontes sortes que Tenlreprise put
être achevée ; les sommes destinées à la construction ayant été, à diverses
reprises, détournées par les consuls. Les travaux furent terminés seule-
ment vers 1335. Ce pont est entièrement bâti de brique; sa longueur
est de 250", 50 entre les deux culées. Son tablier est parfaitement hori-
zontal et s'élève de 18 mètres au-dessus des eaux moyennes du Tarn. Il
se compose de sept arches en tiers-point de 22 mètres d'ouverture en
moyenne, et de six piles dont l'épaisseur est de 8", 55, munies d'avant-
becs en amont comme en aval, et percées au-dessus de ces éperons de
longues baies en tiers-point pour faciliter le passage des eaux pendant les
crues. Les briques qui ont servi à la construction de ce pont sont d'une
qualité excellente, et portent 5 centimètres d'épaisseur sur UQ centi-
mètres de longueur et 28 centimètres de largeur K
La tour la plus forte était située du côté opposé à la ville ; ces tours
extrêmes étaient carrées et couronnées de plates-formes avec mâchicou-
lis et créneaux. La tour centrale, bâtie sur l'arrière-bec d'aval, était trian-
gulaire, et possédait un escalier à vis descendant jusqu'à une poterne
percée au niveau de la rivière du côté de la ville. Cet escalier donnait en
outre accès sur l'avant-bec de la même pile, au niveau du seuil des baies
ogivales posées à travers les autres piles. Là était disposée une bascule
qui portait une cage de fer destinée à plonger les blasphémateurs dans
le Tarn. Suivant l'usage, une chapelle avait été disposée au niveau du
tablier dans la tour centrale, et était placée sous le vocable de sainte
Catherine.
Nous ne ferons que citer ici un certain nombre de ponts de pierre du
moyen âge qui méritent de fixer l'attention. Ce sont les ponts : de Rouen,
rebâti à plusieurs reprises, et démoli pendant le dernier siècle; de
l'Arche, démoli depuis peu, et qui datait de la fin du xiii" siècle, bien
qu'il eût été coupé et réparé plusieurs fois pendant les xiv* et xv* siècles ;
de Poitiers, avec deux portes fort belles à chacune de ses extrémités, et
dont on possède de bonnes gravures; deNevers, démoli il y a peu d'an-
nées; de Tours; d'Auxcrre, qui possédait une belle tour à l'une de ses
extrémités, et que l'abbé Lebeuf a encore vue; de Blois, de Tonnerre;
de Sens, terminé du côté* de la ville par une tour considérable ; de
Mâcon, etc. Il est certain que le système féodal était le plus grand obstacle
à l'établissement des ponts, au moins sur les larges cours d'eau ; mais que
le cas échéant, les maîtres du moyen âge savaient parfaitement se tirer
d'aflaire lorsqu'une volonté souveraine et que des ressources suffisantes
les mettaient à môme de construire ces édifices d'utilité publique. L'éta-
blissement des grands ponts était habituellement dû à l'intervention
directe du suzerain, et c'était en efi'et un des moyens matériels propres
à rendre efiective l'autorité royale dans les provinces. Ainsi voyons-nous
qu'à Montauban, le roi Philippe le Bel, en accordant des subsides pour
' Nous devons ces détails à M. Olivier, architecte du dépurtement.
[ PONT ] — 24& —
la construction du pont, met pour condition que les trois tours demeu-
reront en la possession de ses gens.
Bien entendu, entre toutes les villes du royaume, Paris possédait plu-
sieurs ponts dès une époque très-reculée. Dubreul * nous a laissé This-
toire de ces ponts modifiés, détruits, refaits bien des fois, soit en bois,
soit en pierre. Une des causes de la ruine des ponts de Paris, était ces
maisons et ces moulins dont on permettait l'établissement sur les piles
et les arches. Les plus anciens de ces ponts étaient le pont au Change
et le Petit-Pont, le premier ayant une bastille vers la rue Saint-Denis,
appelée le grand Ghâtelet, l'autre Vers la rue Saint-Jacques, appelée le
petit Ghâtelet. Bien que les deux châtelets existassent déjà du temps de
Philippe-Auguste, puisque les comtes de Flandre et de Boulogne y furent
tenus prisonniers après la bataille de Bouvines, cependant ces deux dé-
fenses avaient été rebâties en grande partie, sinon en totalité, à la fin du
xiii* siècle et au commencement du xiv* siècle, après les crues terribles
de 1280 et de 1296, qui ruinèrent les deux ponts.
A la suite de ce désastre, le Petit-Pont fut refait en pierre, en 131ft,
au moyen d'amendes prélevées sur des juifs. Quant au pont au Change,
on se contenta de le réédifier en bois. Le pont Notre-Dame, dont quel-
ques historiens font remonter la construction vers le milieu du xiv* siècle,
fut refait aux frais de la ville, en 1/^13. Cette reconstruction, probable-
ment en bois, menaçait ruine en IWO, puisque, le 13 février de cette
année, le parlement, par un arrêt, décida que ce pont serait entièrement
rétabli. Ce projet ne fut point suivi d'exécution, et en 1M8 le pont
Notre-Dame s'écroula avec toutes les maisons qui le bordaient. «Ce pont
<(de bois, dit un chroniqueur^, contenoit dix-huit pas en largeur et
0 estoit soutenu sur dix-sept rangées de pilotis, chacune rangée ayant
«trente pllliers; Tespoisseur de chacun de ces pilliers estoit un peu plus
«d'un pied, et avoient en hauteur quarante-deux pieds. Ceux qui pas-
« soient pardessus ce pont, pour ne point voir d'un costé ny de l'autre la
((rivière, croyoient marcher sur terre ferme, et sembloient estre au mi-
« lieu d'une rue de marchands, car il y avoit si grand nombre de toutes
(( sortes de marchandises, de marchands et d'ouvriers sur ce pont, et
« au reste la proportion de maisons estoit tellement juste et égale en
(( beauté, et excellence des ouvrages d'icelle, qu'on pouvoit dire avec vé-
«rité que ce pont méritoit avoir le premier lieu entre les plus rares
«ouvrages de France. »
A la suite du sinistre du 15 octobre 1&98, le peuple de Paris accusa
ses magistrats d'incurie et de malversation , et ceux-ci furent menés en
prison ; après quoi la plupart furent condamnés à des amendes plus ou
moins fortes. Il fallut songer à reconstruire le pont Notre-Dame. Les
1 Le Théâtre des antiquités de Paris, 1612, p. 235 et suiv.
' Gaguin, De gesiis Francorum, Paris, 1522, in-8, folio 303, verso. — C. Malingre,
p. 219 des Annales générales de la ville de Paris ^ 1640, in-folio.
— 245 — [ FONT ]
deux maîtres des œuvres de l'hôtel de ville, Colin de la Chesnaye pour
la maçonnerie, et Gautier Hubert pour la charpente, furent chargés de
l'entreprise, et on leur adjoignit Jean de Doyac, Didier de Félin, Colin
Biart, André de Saint-Martin, ainsi que deux religieux, Jean d'EscuUaint
et Jean Joconde. Ces deux derniers étaient chargés du contrôle de la
pierre de taille. Toutefois et contrairement à l'opinion de Sauvai, Colin
de la Chesnaye et Jean de Doyac avaient été commis à la superinteridance
de l'œuvre. « Seize hommes, pris dans les différents quartiers de la ville,
«travaillaient sous leurs ordres, et comme marque du pouvoir souverain
«qu'ils exerçaient, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac portaient un
«bâton blanc'. »
Le 28 mars 1&99, les premières pierres du pont Notre-Dame furent
posées par le gouverneur de Paris et les magistrats municipaux. Les tra-
vaux furent terminés au mois de septembre 1512. Deux rangs de maisons
régulières d'aspect garnissaient les deux côtés de ce pont, et celles-ci ne
furent démolies qu'en 1786.
Beaucoup trop de gens avaient été appelés à participer à la construc-
tion du pont Notre-Dame ; il en résulta des changements dans la direc-
tion de l'œuvre et des avis différents qui retardèrent l'entreprise. Il faut
lire à ce sujet la curieuse notice publiée par M. Le Roux de Lincy, la-
quelle donne tout au long les avis demandés par les magistrats munici-
paux à diverses personnes considérées comme compétentes : les unes
sont pour les pilotis, les autres les considèrent comme inutiles ; naturel-
lement les charpentiers penchent pour les pilotis, les maçons pour les
blocages. Cependant ce pont était fort bon et fort beau, il y a encore
quelques années, et il ne semble pas qu'il fût très-nécessaire de le
reconstruire *.
; Au moment de la reconstruction du pont Notre-Dame, c'est-à-dire au
commencement du xvi* siècle, on prenait cette habitude, si fort en hon-
neur aujourd'hui, de consulter quantité de gens de métier ou d'amateurs
officieux en matières de travaux publics ; on accumulait ainsi des avis,
des procès-verbaux qui ont certes un grand intérêt pour nous aujour-
d'hui, mais qui, au total, n'étaient guère profitables à l'œuvre et entraî-
naient souvent en des dépenses inutiles. En cela l'histoire de la construc-
tion du pont Notre-Dame rappelle passablement celle de beaucoup de
nos édifices modernes. On faisait évidemment moins de bruit et l'on
noircissait moins de papier autour de nos vieux ponts du moyen âge,
commencés presque tous avec des ressources infimes et continués sans
» Registres de Vhâtei de viiie. H, 1778, fol. 28, r«. (Voyez les Recherches historiques
sur la chute et la reconstruction du pont Notre-Dame à Paris, par M. Le Roux de Lincy»
Biblioth, de Vécole des chartes, 2« série, 1. II, p. 32.)
^ S'il faut s'en rapporter à une note écrite sur la couverture du livre Roug^c du Ghà-
teletde Paris, la dépense du pont Notre-Dame à Paris se serait élevée à 205 380 livres
& sous h deniers tournois. Sauvai^ contestant ce chiffre, sans d'ailleurs donner ses preuves,
prétend que la dépense s'éleva à 1 160 684 livres.
[ PONT ] — 2û6 —
hruit, avec persistance, jusqu'à leur aclièvement. Cependanl ces ponts
étaient solides et parfois trës-bardîs , puisque plusieurs d'entre eux,
comme celui de Saint-Esprit par exemple, excitent notre admiration.
Les piles des ponts du moyea Age étaient élevées au moyea de bâUr-
deauxet rarement sur pilotis. On cherchait au fond du Oeuve un lit solide,
cl l'on bâiissnit dessus. Si l'on enfonçait des pilotis, c'était en amont des
avant-becs, lorsque les fonds étaient sablonneux et pour éviter les alTouil-
lements. C'est ainsi que sont construites les piles du pont de la Guillo-
tière à Lyon, qu'élaienl fondées celles du Petit-Pont à Paris, du pont de
l'Arche et du pont de Rouen. Quant aux arches, nous avons vu que celles
des ponts Saint-Rénezet et Saint-Esprit sont composées de rangs de cla-
veaux juxtaposés, non liaisonnés. Quelques arches de pont, d'une ouver-
iO
lure médiocre, notamment dans le Poilon, sont construites au moyen
d'arcs -doubleaux séparés par un intervalle rempli par un épais dallage
au-dessous du tablier, ainsi que l'indique la figure 10. Ces arcs- doubleaux
sont alors posés en rainure dans les piles et conservent une parfaite
élasticité. Les eaux pluviales qui s'inflllrent toujours à travers le pavage
- 2tll — [ PONT ]
passent facilement entre les joints des dalles, el ne salpétrent pas les
reins des arches, comme cela n'a que trop souvent lieu lorsque celles-ci
sont pleines'. Ce système d'arches a encore l'avantage d'être léger, de
moins charger les piles, et d'être économique, puisqu'il emploie un tiers
de moins de matériaux clavés. Les tympans au-dessus de ces arcs-dou-
bleaas sont élevés en moellon ou en pierre tendre, et peuvent être trës-
racilement remplacés, sans qu'il soit nécessaire d'interrompre la circu-
lation. Les exemples de ponts construits d'après ce système paraissent
appartenir au commencement du xm' siècle, ou peut-être même à la
fin du xir.
Pourdiminuer la dépense considérable que nécessite un pont construit
avec des arches de pierre, on prenait quelquefois le parti de n'élever
que des piles en maçonnerie sur lesquelles on posait un tablier de bois.
Tel avait été construit le pont traversant la Loire il Nantes (fig. 11). Sur
les avant-becs de ce pont s'élevaient de petites maisons louées b. des
marchands *■ Entre quelques-unes des piles avaient été établis des mou-
lins ; car il est à observer que presque tous les ponts bâtis très-proches
des cités populeuses, ou compris dans leur enceinte, étaient garnis de
maisons, de boutiques el de moulins. La place était rare dans les villes
du moyen âge, presque toutes encloses de murs et de tours, et les ponts
' Oa rsmtrquera que la plupart des lieui pont* préienlent d» altérationt très-pro<
loatitt dan) Ici clavBaui intermédiaires, tanilis que ceux do tâte fontiatacti, pnrce qu'ils
wnl plus ficilement séché) par l'nir.
* Ce pont cxisldit encore dans cet état vers le milieu du ivii* siècle; noiu ne savons
precisémert h quelle époque il a\ait été élevé. {Voyci la Topographie de la Gmie, Kfav.
<l-j Uénan.)
{ PONT ] — 2il8 —
élanl naturellement des passages Irès-fréquenlés, c'était à qui cherchait
à se placer sur ces parcours. Les ponts de Paris étaient garnis de mai-
sons, et formaient de véritables nies traversant le fleuve. Ce fut même
l'établissement de ces maisons, dont la voirie ne se préoccupait pas assez,
qui contribua à la ruine de ces ponts. S'il fallait se maintenir sur l'ali-
gnement des deux côtés de la voie, sur la rivière on posait des bâtisses
en encorbellement, on creusait des caves et des réduits dans les piles,
et les parois de ces ponts devaient bientôt se déverser. Lorsque la démo-
lition des maisons qui garnissaient les ponts Notre-Dame et Saint-Michel
à Paris fut eiïectuée, il fallut réparer l,es parements extérieurs et les tym-
pans des arches jusqu'au droit des piles, chaque habitant ayant peu à
peu creusé ces tympans ou altéré ces parements.
Les ponts de boisjouent un rôle important dans l'architecture du moyen
âge, leur établissement étant facile el peu dispendieux. Nous trouvons
encore la tradition des ponts rie bois gaulois en Savoie. Dans cette con-
trée, pour traverser un torrent, sur les pentes escarpées qui forment
son encaissement, on amasse quelques blocs do grosses pierres en ma-
nière de culées, puis (lig. 12) sur cet enrochement on pose des troncs
— 249 — [ PONT ]
d'arbres, alternativement perpendiculaires et parallèles à la direction du
ravin, en encorbellement. On garnit les intervalles laissés vides entre ces
troncs d'arbres, de pierres, de façon à former une pile lourde, homo-
gène, présentant une résistance suffisante. D*une de ces piles à Tautre on
jette deux, trois, quatre sapines, ou plus, suivant la largeur qu'on veut
donner au tablier, et sur ces sapines on cloue des traverses de bois. Cette
construction primitive, dont'chaquejour on fait encore usage en Savoie,
rappelle singulièrement ces ouvrages gaulois dont parle César, et qui se
composaient de troncs d'arbres posés à angle droit par rangées, entre les-
quelles on bloquait des quartiers de roches. Ce procédé, qui n'est qu'un
empilage, et ne peut être considéré comme une œuvre de charpenterie,
doit remonter à la plus haute antiquité ; nous le signalons ici pour faire
connaître comment certaines traditions se perpétuent à travers les siècles,
malgré les perfectionnements apportés par la civilisation, et combien
elles doivent toujours fixer l'attention de l'archéologue.
Ces sortes d'ouvrages devaient sembler barbares aux yeux des Ro-
mains, si excellents charpentiers, et nous les voyons encore exécuter de
nos jours au milieu de populations en contact avec notre civilisation.
C'est que les travaux des hommes conservent toujours quelque chose de
leur point de départ, et que dans l'âge mûr des peuples on peut encore
retrouver la trace des premiers essais de leur enfance. C'est ainsi, par
exemple, que, dans un ordre beaucoup plus élevé, nous voyons les char-
pentiers à Rome exécuter des charpentes considérables à l'aide de bois
très-courts. C'était là une méthode adoptée par les armées romaines. Ne
pouvant en campagne se procurer des engins propres à mettre au le-
vage de très-grandes pièces de bois, ils avaient adopté des combinaisons
de charpenterie qui leur permettaient de construire en peu de temps des
ouvrages d'une grande hauteur ou d'un grand développement. Ces tra-
ditions romaines s'étaient encore conservées chez nous pendant les pre-
miers siècles du moyen âge, où les difficultés de transport et de levage
faisaient qu'on employait des bois courts pour exécuter des travaux de
charpente, surtout en campagne. Villard de Honnecourt donne le croquis
d'un pont fait avec des bois de vingt pieds '. « Ar chu », écrit-il au bas de
son croquis, a fait om ou pont desor one aive de fus de xx pies d lonc *. »
Le moyen indiqué par Villard de Honnecourt est très-simple, et rappelle
les T)uvrages de charpenterie que nous voyons exprimés dans les bas-
reliefs de la colonne Trajane et de l'arc de Septime-Sévère. Villard élève
deux culées en maçonnerie (fig. 13), auxquelles il scelle d'abord les cha-
peaux B des deux potences Â. Les contre-fiches de ces potences assem-
blées dans les poteaux D sont roidies par les moises E. Sur les chapeaux
* Album de Villard de Honnecourt, manuscrit publié en fac-similé, J.-B. Lassus et
A. Dareel, 1858, pi. XXXVIII.
' « Par ce moyen rait-on un pont par-dessus une eau avec des bois de vingt pieds de
« long. »
vu. — 32
( PONT ] — 2rto —
de CCS potences, il élève les poleaux G, H, mainlonus dans tous les sens
par (les croix de Saint-André. Des seconds chapeaux K réunissent la tèlc
de ces poleaux et sont soulagés par des contre-ilches L moisées comme
celles du dessous; puis, sur ces derniers chapeaux, il pose des pièces
Iiorizoutalcs qui réunissent les deux encorbellements et les emp&chenl
de douner du nez. 11 suffisait de clouer des madriers sur les longrines. En
ne prenant, pour exécuter cet ouvrage, comme le dit Villard, que des
bois de 20 pieds, on peut avoir facilement un tablier de 50 pieds de long,
parfaitement rigide. Cela parait être pour notre auteur un ouvrage de
campagne, qu'il surmonte d'une porte à chaque bout.
Quant aux ponts de bois plantés en travers de grands cours d'eau,
ils se composaient de rangées de pieux, ordinairement simples, moisés
et armés de fortes contre-Cches eu aval et en amout. Sur ces pieux, on
— 251 — [ PONT ]
posait des chapeaux qui réunissaient leur tête, puis le tablier soulagé par
(les liens. Les piles, composées de rangs simples de pieux, avaient cet
avantage de n'opposer aucun obstacle au courant. Des gardes triangu-
laires fichées en amont faisaient dévier les glaçons ou les corps flottants
qui auraient pu entamer les piles.
Gomme les armées romaines, celles du moyen âge ne se faisaient pas
faute d'établir des ponts fixés sur les rivières pour passer leurs gens et
leurarroi. Dans la Chanson des Saxons, Charlemagne fait faire un pont
sur le Rhône : a Barons, dit-il, aux chefs assemblés :
(( Trop est Ru ne parfonde por mener tel hustin :
« N'i porroient passer palefroi ne roucin;
« Mes .1. chose es^art an mon cuer et destin,
« Par coi de nostre p^uerre trarrons ançms à fin :
a .1. pont ferons sor Rune par fon e et par ang^in,
« Les cstaches de chasncs, les planches de sapin ;
tt .XXX, toises aura an travers de chemin.
« Puis passerons outre tuit ansamble à . i . brin,
« Et ferons la bataille c'on le verra dou Rin,
« Et conquerrons Soissoifrne sor la gent Guiteclin ^ »
C'est un poète qui parle, et nous ne citons ses vers que comme Tex-
pression d'un fait général, admis dans les armées du moyen âge.
Les ponts de bois n'ayant jamais qu'une durée assez limitée, il ne nous
reste aucun ouvrage de ce genre qui soit antérieur au xvi* siècle, et nous
ue pouvons en prendre une idée que par des vignettes de manuscrits ou
des gravures des xvi' et xvii' siècles. Si l'on veut établir des ponts de bois,
ou il faut rapprocher beaucoup les piles, afin de ne donner aux portées
des travées du tablier qu'une longueur très-réduite, et éviter ainsi leur
fléchissement ; ou il faut armer ces tabliers de contre-fiches assez incli-
nées pour résister à la flexion, et alors élever beaucoup les têtes des piles
au-dessus du niveau de l'eau ; ou il faut suspendre les tabliers à un sys-
tème de fermes. Ce dernier parti semble avoir été adopté ft'équemment
pendant le moyen âge. Soient (fig. AU) des piles de trois rangs de pieux
espacés de 12'°,00 d'axe en axe; la tète de ces pieux, ne s'élevant pas à
plus de 2°", 00 au-dessus du niveau de l'eau, on posait sur ces têtes de
pieux des longrines, soulagées en A par les fermes B. Ces fermes, légè-
rement inclinées l'une vers l'autre, étaient rendues solidaires au moyen
des traverses supérieures C et des croix de SaintrAndré D. Sur ces lon-
grines E on posait de fortes solives F, puis les madriers formant le tablier.
Ces ouvrages présentaient une grande rigidité, mais ne pouvaient sub-
sister fort longtemps sans se détériorer, et n'étaient guère jetés que sur
des cours d'eau dont les crues n'étaient pas considérables.
* Chanson des Seucons, chap. cxvni.
[ PONT ] — 252 —
Dubreul S parlant du pont Saint-Michel à Paris, dit qu'il était de bois
et avait été construit en 1384 par Hugues Aubriot, lors prévôt de Paris.
Ce ponlétait garni de plusieurs maisons. Le pont Notre-Dame, bâti en U14,
JU
-<=r
suivant le même auteur 2, d'après le rapport de Robert Gaguin « n*étoil
« que de bois, ayant en longueur 70 pas û pieds, et en largeur 18 pas ; de
a deux costezetsur lequel estoient basties 60 maisons esgalesen structure
« et hai|lteur, lequel après avoir subsisté 92 ans seulement, tumba en la
«rivière Tan 1499, le vendredi 25 octobre... »
Ainsi que nous Tavons vu précédemment, certains ponts de pierre
possédaient des travées de bois mobiles, soit pour intercepter la commu-
nication d'une rive à l'autre, soit pour laisser passer les bateaux. Ces
* Le Théâtre des antiquités de Paris ^ p. 241,
' Page 243.
— 253 — [ POKT J
portions de tabliers en charpente étaient relevées au moyen de châssis
à contre-poids, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui, ou bien
roulaient sur des iongrines : on appelait les premiers des ponts tomeis,
et les seconds des postis '. Les premiers étaient de véritables ponts-levis.
Il est à remarquer que le pont-levis, tel qu'on l'entend aujourd'hui,
adapté à une porte de ville ou de château^ n'a été mis en pratique que
vers le commencement du xiv* siècle, jusqu'alors les ponts torneis
étaient disposés en manière de bascule ^.
Si, vers la fin du xiii* siècle, on établissait déjà des ponts-Ievis, ceux-ci
étaient isolés et ne tenaient pas aux portes mêmes, ainsi que cela s'est
pratiqué depuis. Ils faisaient partie des ouvrages avancés en bois, tenaient
à la barrière, mais n'étaient point disposés dans la maçonnerie des
portes. Cependant, dès une époque reculée, on employait souvent les
ponts ou passerelles roulant sur des Iongrines, particulièrement dans
les provinces méridionales. Ces sortes de ponts, dont nous donnons un
géométral latéral en  (fig. 15), se composaient de deux pièces de bois
parallèles B, au-dessous desquelles étaient adaptés des rouleaux. Un ta-
blier de madriers était cloué sur ces pièces de charpente. Quatre poulies
1 Du mot latin positus,
^ Moult s'esforce li forsencz
De faire fossez et trancliiées.
Tôt entor lui à sis arcliiécs
Fait un fossé d'evc parfont,
Riens n'i piict entrer qui n'afont.
Dcsor fu li ponz tornciz
Moult bien tornez toz coleiz.
{Homan du Renart, vers 18474 et suiv.)
Clos fu de murs et de fossez
Dont Tevc coroit tôt entor.
Un pont torneiz par desor.
(A6iV/., vers 21994 et suiv.)
Chevauchant lei une riviorc
S'an vindrent jusqu'au herberjage,
Et an lor ot par le passage
Un pont torneiz avale.
{Li Romans de la charrette.)
En la chaucie fu grans li fereis,
Li queos Guillanmes moult durement le fist,
Il s'aresta sor le pont tomeis
Et vit Begon, moult fièrement li dist...
{Li Romans de Garin le Lo/œratn, t. ÎI, p. 175, édit. Techener, 1833.)
[ PONT ] _ 25Ù —
C, dont les essieux étaient fortement scellés à deux murs latéraux, rece-
vaient deux chaînes fixées à des anneaux D tenant aux poutres. Ces
chaînes s'enroulaient sur un treuil E dont le pivot tournait dans des
douilles fixées de même à ces murs latéraux. Sous les pièces de bois B
mobiles étaient scellées deux poutres G fixes, sur lesquelles roulaient les
1S
\
petits rouleaux. Ku tournant le treuil de a en c, on faisait avancer le ta-
blier mobile, qui franchissait le fossé F, et venait s'appuyer sur la pile
en H; en le tournant de a en b, on faisait rentrer ce tablier sous le pas-
sage de la porte. La queue I du tablier servait de contre-poids, et permet-
tait toujoure de passer sur la chambre du treuil lorsque la passerelle était
avancée. Un tracé perspectif P fera mieux saisir ce mécanisme très-
simple. Pour ie rendre plus intelligible, nous avons supposé que le mur
latéral M, dans lequel sont scellées les poulies et les douilles du treuil,
est démoli; nous avons enlevé de même la maçonnerie supérieure de
l'une des tours flanquantes N, entre lesquelles s'avance la passerelle.
Dans la figure perspective, le tablier est supposé rentré. On établissait
beaucoup de ces sortes de ponts dans les ouvrages italiens du xv* siècle,
ainsi que le constate l'ouvrage si curieux de Francesco di Giorgio
— 255 — [ PONT ]
Martini \ et dans nos fortiûcations faites au moment de l'application
de Tartillerie à feu.
On reconnaît l'emploi de divers systèmes de ponts à bascule devant
les portes du moyen âge. Quelquefois ces ponts sont disposés de manière
à s'abaisser, d'autres fois ils se relèvent. Dans les provinces de TEst, et
16
sur les bords du Rhin, on adoptait fréquemment les ponts à bascule
présentant la disposition indiquée dans la figure 16. Ces ponts se com-
posaient de deux poutres principales A, reliées par des traverses et des
croix de Saint-André. La partie antérieure B du tablier était garnie de
madriers. Deux rainures R ménagées dans la maçonnerie, ainsi que l'in-
dique la figure 16 bis, permettaient à la partie postérieure des poutres A
de s'abaisser au niveau du tablier de maçonnerie C pratiqué sous le pas-
sage de la porte. Alors le tablier B était horizontal, et pour le maint^ir
•
* Traitato di archit, civ, e milit, di Fmncisco di Giorgio Martini, archit, senese del
leco/o XV, publié pour la première fois par le chevalier Cesare Saluzzo. Turin, 18ili.
[ PONT 1 — 25e —
dans celte position, sous chacune des poutres étaient disposées deux so-
lives D, glissant sur deux rouleaux E. Lorsqu'on voulait arrêter le tablier
et l'empêcher de basculer, il suffisait de pousser le levier de fer F, pivo-
tant sur un bouton en G, et dont la fourchette était engagée entre deux
chevilles. Le levier amené à ta ligne verticale, aiasi que notre figure l'in-
dique, les solives Dallaient s'engager. dans deux entailles I pratiquées à
la léte de la dernière pile. Le tracé K indique la disposition de la four-
chette du levier en coupe. Si l'on voulait faire basculer le pont, en tirant
sur la vingtaine h, on amenait le levier F en f. Alors la solive D quittait
son entaille 1, et en lâchant sur le treuil M, la pesanteur de la partie an-
térieure du tablier mobile faisait incliner celui-ci suivant la hgne NO ;
l'extrémité P des poutres s'élevait en p, et le passage était coupé. Pour
ramener le pont à la ligne horizontale, on appuyait sur le treuil M, et
avec la main, en montant sur le gradin H, et en repoussant les leviers,
on calait le pont. Les rainures R (voy, la figure 16 bis) étaient assez
larges pour permettre aux poutres de pivoter, et pour faciliter la ma-
nœuvre des leviers. On voit encore à Bâle une porte disposée pour rece-
voir un pont combiné suivant ce système. Une herse S (voy. fig. 16) des-
cendait jusqu'au tablier, soit placé horizontalement, soit incliné.
D'autres ponts basculaient en se relevant, ainsi que le fait voir la
figure 17. L'extrémité A du tablier antérieur, si l'on voulait donner
passage, tombait sur la dernière pile, et, pour cak'r le pont dans cette
position, une solive B, roulant sur une poutrelle scellée C, se manœu-
vrait au moyen du levier D. En attirant à sui le levier en d, on déca-
lait le tablier, et en lâchiml sur le treuil T, les contre-poids G faisaient
basculer le pont, amenant l'extrémité B en b. Un tablier incliné fixe E
conduisait au tablier mobile, lorsque celui-ci était abaissé au moyen
du treuil T. .
— 257 — [ pour ]
Ces ponts avaient été adoptés au monoient de l'emploi de l'artillerie
à feu, afin d'éviter les bras et chaînes des ponts-ievis que l'assiégeant
pouvait détruire avec le canon. Us remplissaient le même office, et ne
laissaient rien voir de leur mécanisme à l'extérieur. Le pont h bascule
(fig. 17) se composait de deux poutres avec traverses et madriers, cha-
cune des extrémités postérieures des deux poutres étant munie d'une
chaîne s'enroulant sur un treuil. Nous avons l'occasion, dans l'article
Porte, de revenir sur ces ponts mobiles, et particulièrement sur les
ponls-levis adaptés à la maçonnerie.
^un
L'usage des ponts de bateaux remonte aux premiers temps du moyen
âge; c'était là une tradition antique qui ne s'était jamais effacée. Égin-
hard, dans la Vie de Charles et de Karl oman, raconte que le premier de
ces princes avait fait établir un pont de bateaux sur le Danube pour s'en
servir pendant la guerre contre les Huns '.
* « Rei aulcin, proptor bclluiii cuin H unis susceptuin in Bajodria sodens, pontcm navQ.
«lem quoinDaoubio ad id bcUum Uleretur, «diticavit.... n (Xaro/i», dccicii.)
VU. — 33
[ PONT ] — 258 —
Au siège de Château-Gaillard, Philippe-Auguste fit faire un pont sur la
Seine, composé de pieux inclinés contre le courant, et sur lesquels on
posa un tablier de charpente. Trois grands bateaux, surmontés de hautes
tours, défendaient ce pont^ Dans sa chronique, Guillaume Guiurt parle
d'un pont de bateaux jeté sur la Lys et retenu par des cordages :
« A main, ne sai, droite ou esclenche,
CI Au plus vistement qu'il puet trenche
« Les cordes à quoi l'on le haie;
« Li ponz comme foudre dévale ;
« Bas descent ce qui iert deseure ^. »
Au siège de Tarascon, le duc d'Anjou et du Guesclin firent faire un
pont de bateaux sur le Rhône.
Froissart raconte comment les Flamands avaient établi un ponl de
nefs et de clayes sur l'Escaut, devant Audeuarde ^.
Philippe de Commines dit comment le comte de Charolais et ses alliés
jetèrent un pont de bateaux. et de tonneaux sur la Seine, près deMoret.
(( Ilfaisoit(le comte de Charolais) mener sept ou huit petits bateaux
cr sur charrois, et plusieurs pippes, par pièces, en intention de faire un
a pont sur la rivière de Seine, pour ce que ces seigneurs n'y avoient
« point de passage ^ » Plus loin le même auteur décrit ainsi la façon
d'un large pont jeté par le comte de Charolais sur la Seine, près de Cha-
renton. « Il fut conclu en un conseil, que l'on feroit un fort grand pont
a sus grands bateaux: et couperoit-on l'eslroit du bateau, et ne s'asser-
(( roit le bois que sur le large : et au dernier couplet y auroit de grandes
c( ancres pour jeter en terre , et fut le pont achevé, amené et
ce dressé, sauf le dernier couplet, qui tournoit de costé, prest à dresser,
a et tous les bateaux arrivés ^ d C'était là un pont de bateaux avec
partie mobile, que le courant faisait dévaler au besoin sur la rive occu-
pée par l'ennemi.
Quand le duc de Bourgogne attaqua les Gantois, en l/!i52, il fit établir
un pont flottant sur l'Escaut, devant Termonde ; il fit mander « ouvriers
« de toutes pars pour faire un pont sur tonneaux, à cordes et à planches;
« et, pour defl^endre ledict pont, fit, outre l'eaue, faire un gros bolovart
« de bois et de terre • »
Dans son Histoire du roy Charles VII ^ Alain Chartier rapporte qu'un
parti de Français et d'Écossais, près de la Flèche, fit sur la Loire un pont
1 Guillaume le Breton, la Philippide, chant VII«.
' Branche des royaux lignages, yen A883 et suiv.
3 Chronique de Froissart, livre II, chap. lviii et clix.
* Mém. de Pbil. de Commines, liv. I, chap. vi.
^ Ibid,, liv. I, chap. x.
^ Mém, d'Olivier de la Marche, liv. I, chap. xxv.
— 259 — [ POBCHB ]
de charrettes attachées les unes aux autres, et garnies de madriers par*
dessus ^
Ces exemples suffisent pour démontrer que les ponts de bateaux ont été
usités pendant le moyen âge >, soit pour servir à poste fixe, soit pour
faciliter le passage des armées. Ces sortes de ponts préoccupèrent fort les
ingénieurs militaires pendant le xvi' siècle ; les ouvrages qu'ils nous ont
laissés présentent quantité de moyens plus ou moin» pratiques employés
poQr rendre rétablissement de ces ponts facile, et pour les jeter rapide-
ment sur une rivière ennemie; On dierchait^ûloisà rendre les pontons
transportables, et, à cet effet, on les composait de plusieurs caisses
étanches qui s'accrochaient les unes aux autres.
PORCHE, s. m. Les plus anciennes églises chrétiennes possédaient,
devant la nef réservée aux fidèles, un porche ouvert ou fermé, destiné
à contenir les catéchumènes et les pénitents. Cette disposition avait été
empruntée aux basiliques antiques, qui étaient généralement précédées
d'un portique ouvert. Lorsqu'il n'y eut plus de catéchumènes en Occi-
dent, c'est-à-dire lorsque le baptême étant donné aux enfants, il ne fut
plus nécessaire de préparer les nouveaux convertis avant de les intro-
duire dans l'église, l'usage des porches n'en resta pas moins établi, et
ceux-ci devinrent même, dans certains cas, des annexes très-importantes,
de vastes vestibules souvent fermés, pouvant contenir un grand nombre
de personnes et destinés à divers usages. Il faut reconnaître même que
rhsîbitttrie de construire des porches devant les églises allas'afTaiblissant
à dater du xiri* siècle; beaucoup de monuments religieux en sont dé-
pourvus depuis cette, époque, notamment la plupart de nos grandes
cathédrales, tandis que jusque vers le milieu du xii* siècle, on ne conce-
vait pas une église cathédrale, conventuelle ou paroissiale, sans un porche
au moins, devant l'entrée majeure.
Les porches paraissent avoir été adoptés dans nos plus anciennes églises
du moyen âge. C'était, dans l'Église primitive, sous les porches ou ves-
tibules des basiliques, qu'on enterrait les personnages marquants, les
empereurs*, les évéques. Aussi l'usage d'encenser ces lieux et d'y chanter
des litanies s'était-il conservé dans quelques diocèses, car il faut obser-
ver qu'avant le xii' siècle, les lois ecclésiastiques interdisaient d'enterrer
les morts dans l'intérieur même des églises. Sous les porches étaient alors
placés les fonts baptismaux, des fontaines dans lesquelles les fidèles fai-
saient leurs ablutions avant d'entrer dans la nef; les exorcismes se pra-
tiquaient aussi sous les porches. Il était défendu d'y tenir des plaids et de
s'y rassembler pour affaires temporelles. On y exposait, à certaines occa-
* Alain GbarUer, Hist. de Charles VU, 1421.
^ Voyei quelques-uns de ces ponts de bateaux et de barriques reproduits dans le traité
De re miiitari, de Robertus Valturius (Paris, 1534).
^ Voyez Eusèbe, lib. IV, cap. li, De vita Constmtinù
[ PORCHE ] — 26f0 —
stons, des reliques et de saintes images, a Les porches des églises^ dit
a Thiers, sont des lieux saints : 1^ à cause des reliques ou des images
(( qui y sont; 2* à cause qu'ils sont le lieu de la sépulture des fidèles ;
(( 3"* à cause qu'ils sont destinés à de saints usages; k^ à cause qu'ils font
(( partie des églises ; 5^ à cause qu'ils sont ainsi appelés par les conciles
« et par les auteurs ecclésiastiques K n
; Guillaume Durand observe « que le porche de l'église signifie le Christ
a par qui s'ouvre pour nous l'entrée de la Jérusalem céleste; il est appelé
(S, aussi portique {poi^tieus), delà porte (ei;>oWa), ou de de qu'il est ouvert
tf à tous comme un port {à poriu) '. o
Toutefois les porches des églises ne conservèrent pas toiyours, peu*
dant le moyen âge, ce caractère sacré ; nous en avons la preuve dans les
réclamations des chapitres ou des religieux au sujet des usages profanes
auxquels on les faisait servir. Dans le recueil des arrôts du parlement de
i.292, nous trouvons une plainte du doyen et du chapitre de Baye contre
le châtelain, lequel tenait depuis longleaips ses plaids sous le porche de
réglise. Il est enjoint au bailly de Vermandois de défendre audit châte-
lain de tenir â l'avenir ses assemblées dans ce lieu, nonobstant qu'il les y
eût tenues depuis longtemps, s'il est bien constaté que ce porche fait
partie de l'église et sert de cimetière ^.
C'est probablement pour prévenir ces abus que les grands établisse-
ments de Cluny et de Citeaux élevèrent devant leurs églises des porches
absolument fermés dès le commencement du xii' siècle ; d'ailleurs ces
porches devaient servir h des cérémonies ou à des usages qui uécessi*
talent une clôture, comme nous le verrons bientôt. Quantité de porches
d'églises cathédrales et paroissiales servaient même de marchés, et les
auteurs ecclésiastiques s'élèvent trop souvent contre cet abus pour qu'il
n'ait pas été fréquent. Encore aujourd'hui voyons-nous qu'on y établit
des boutiques volantes, en certains lieux, les jours de foire, et que des
chapitres y tolèrent la vente d'objets de piété.
Les porches primitifs du moyen âge, en Occident, c'est-à-dire ceux
bâtis du VIII* au XI* siècle, se présentent généralement sous la forme d'un
portique tenant toute la largeur de l'église et ayant peu de profondeur.
Cependant certains porches d'églises dépendant de monastères ou même
de collégiales sont disposés sous une tour plantée devant la nef. Tel était
le porche de l'église abbatiale de Saint-Germain des Prés à Paris, doht il
ne reste que bien peu de traces, et qui datait de l'époque carlovingienne;
tels sont encore ceux de l'église abbatiale de Saint-Savin près Poitiers,
de la cathédrale de Limoges et de la collégia4e de Poissy, qui tous trois
appartiennent aux i\* ctx* siècles. Alors ces porches formaient une entrée
défendue, et étaient quelquefois précédés d'un fossé, comme celui de
*
* Ùifsert, iur les porches deségfise\„tChnp. vu, p. 67, sommaire.
' Rationai, lib. I, cap. i, § xx.
3 Les Oiim, ann. mccxcii, arr. 2. • * / • '
— 261 — [ PORcnE ]
Sainl-Savin^ par exemple. Les perches des églises Notre-Dame du Port
à CiermoQl, de Chamaillières (Puy-de-Dôme), Sainl-Étienne de Nevers,
de la cathédrale de Glermont, sont bâtis sur plan barlong et sont fermés;
ils devaient être couronnés par deux tours. Quelques églises carlovin-
giennes, comme la Basse-Œuvre de Beauvais, étaient précédées de por-
ches non voûtés, de portiques couverts de charpentes apparentes, et
sur lesquels la nef et ses bas côtés s'ouvraient largement. Vers la fin du
Ml* siècle, la plupart de ces dispositions primitives furent profondément
modifiées, et la tendance générale était de supprimer les porches plantés
devant la façade principale «pour les réunir aux nefs, ce qui ferait croire
qu'alors les cérémonies auxquelles les porches étaient réservés tombèrent
en désuétude. Un peu plus tard, vers le milieu du xiii* siècle, on bâtit
au contraire beaucoup de porches devant les entrées latérales des églises,
et notamment des cathédrales, comme à Chartres, à Bourges, à Châlons-
sur-Marne^ puis on se mit, vers la fin de ce siècle et pendant le xiv*, à en
élever devant les entrées majeures; mais tous ces porches sont alors
ouverts et ne sont que des abris destinés aux fidèles à l'entrée ou à la
sortie de Téglise. Ils n'ont plus le caractère sacré qu'on observe dans les
porches primitifs et ne servent que rarement de lieux de sépulture.
Pour suivre un ordre méthodique, nous diviserons cet article en por-
ches d^éylises fermés, ant-églises ou northex, porches ouverts sous des clo-
chers, porches annexes ouverts, pofches de constructions civiles.
Porches fermés. — Nous ne pensons pas qu'il y ait en France de
porches antérieurs à celui de l'église latine de Saint-Front de Péri-
gueux, dont on reconnaît encore les traces. Ce porche, de forme carrée,
avait 10", 30 de longueur sur 9",65 de largeur. Il était couvert par une
charpente à deux égouts, avec pignon de maçonnerie sur la face anté-
rieure. Une large arcade plein cintre en formait l'entrée. De sa décoration
extérieure, très-simple d'ailleurs, il ne reste que des fragments. Ce por-
che, antérieur au x* siècle, est décrit et gravé dans l'ouvrage de M. Félix
de Verneilh sur Y architecture byzantine en France '. Cette disposition de
salle précédée d'un pignon sur la face, contraire à la forme adoptée pour
les portiques des premières basiliques latines, indique une modifica-
tioi> déjà fort ancienne dans le plan des porches sur le sol de la France,
modification dont malheureusement nous ne pouvons connaître le point
de départ, faute de monuments existants; elle n'en est pas moins très-
importante à constater, puisque nous voyons qu'à partir du x* siècle,
la plupart des églises abbatiales sont précédées de vastes porches fer-
més, présentant une véritable 0fi/-é^/i5e souvent à deux étages et devant
répondre à des besoins nouveaux.
L'ordre de Cluny s'empara de cette disposition et en fit le motif de
monuments remarquables à tous égards. Un des porches fermés les
plus anciens appartenant à cet ordre, est celui de l'église de Tournus;ii
» Paris, 1851.
[ poRCflE ] — 262 —
se compose (flg. 1) à rez-de-chaussée d'une nef centrale à trois travées avec
bas côtés. Cette nef centrale est fermée par des voûtes d'arête avec arcs-
doubleaux ; les nefs latérales sont couvertes par des berceaux perpendi-
culaires aux murs latéraux, reposant sur les arcs-doubleaux A. On entrait
dans ce narthex par une porte B, donnant sur une cour précédée d'une
enceinte fortifiée. La façade elle-même du porche était défendue. Deux
tours s'élèvent sur les deux premières travées C. Du narthex, on pénètre
dans l'église par la porte D et les deux arcades E; De gros piliers cylin-
driques isolés et engagés reçoivent les sommiers des voûtes. Au premier
étage, ce vaste narthex forme une église avec nef élevée, voûtée en ber-
ceau et collatéraux voûtés en demi-berceaux (flg. 2). Des meurtrières
s'ouvrent à la partie inférieure de cette salle, éclairée par des fenêtres
percées dans les murs de la haute nef et dans le pignon antérieur. La
coupe transversale que nous donnons ici est prise en regardant vers l'en-
trée. En A, sont .les souches des deux tours ^ Toute la construction est
élevée en moellon smillé ou enduit. Du côté de l'église, une arcade
est percée dans le mur pignon, au niveau du sol du premier étage, et
permet de voir ce qui se passe dansla nef. La même disposition se retrouve
1 Voyex, pour de plus amples détails, les gravures faites d'après les relevés de'
M. Questel, dans les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices
de Son Exe. le Ministre d'État
— 263 — f JPORCHE ]
à Vézelày. Dans les églises abbatiales de Tordre de Cluny, ces narthex
supérieurs^ ces chapelles placéesau-dessus du grand porche fermé, étaient
habituellement placés sous le vocable de Tarchange saint Michel. Mais
quelle était la destination de cette salle ou chapelle placée au-dessus des
2
narthex? Dans l'ancien pontifical de Chalon-sur-Saône, on lisait: alnqùi-
busdam ecclesiis sacerdos in aliquo altari foribus proximiori célébrât mis-
samy JU88U epmopiy pœniicntibuè ante fores ecdesiœ comiitutis. n Cette cha-
pelle supérieure était-elle destinée aux pénitents? A Vézelay, le premier
étage du porche ne règne qu'au fond et sur les collatéraux; il était pos-
sible alors aux pénitents ou aux pèlerins placés sur Taire du rez-de-
chaussée d'entendre, sinon de voir l'office divin qui se disait sur la
tribune; à Tournus^ il eût fallu que les pénitents montassent dans le
narthex haut pour ouïr la messe. A Cluny, le porche ou Tant-église, qui
[ PORCHE ] — 264 —
n'avait pas moins de 35 mètres de longueur sur 27 mètres de largeur,
mais dont la construction ne remontait pas au delà du commencement
du XIII* siècle, ne possédait pas de premier étage ni de tribune, mais un
autel et une chaire à prêcher se trouvaient placés près de la porte d'en-
trée de la basilique. De cette chaire, comme de la tribune du narthex
de Vézelay, ne préparait-on point les nombreux pèlerins qui remplissaient
le porche, ou même les pénitents, à se pénétrer de la sainteté du lieu,
avant de leur permettre d'entrer dans l'église? L'affluence était telle
au xii*" siècle dans les églises de l'ordre de Gluny, à certaines occasions,
que l'on comprend assez comment les religieux n'ouvraient pas tout
d'abord les portes du temple à la foule qui s'y rendait, afin d'éviter le
désordre qui n'eût pas manqué de s'élever au milieu de pareilles cohues.
Ces grands narthex nous paraissent être un lieu de préparation; peut-
être aussi servaient-ils à abriter les pèlerins qui, venus de loin, arrivaient
avant l'ouverture des portes, et n'avaient ni les moyens ni la possibilité
de se procurer un asile dans la ville. Ne voit-on pas, la nuit qui précède
certaines grandes fêtes à Rome, les gens venus de la campagne passer la
nuit sous les portiques de Saint-Pierre ?
Le porche de l'église abbatiale de Tournus date du xv siècle; c'est le
plus ancien parmi ceux appartenante Tordre de Cluny.
La nef de l'église clunisienne de Vézelay actuelle, bâtie vraisemblable-
ment par l'abbé Artaud et consacréeen 1104, ne possédait primitivement
qu'un porche bas, peu profond, dont on voit encore les traces du côté du
nord. Cette nef fut restaurée et reconstruite même en grande partie par
l'abbé Renaud de Semur, vers 1120 ^ Le porche dut être construit peu
après la mort de cet abbé, soit par Tabbé Albéric, soit parTabbé Ponce,
de 1130 à ll&O ^ car, à dater de cette époque, le monastère de Vézelay
eut, jusqu'en 1160 environ, des luttes si cruelles à soutenir, soit contre
les comtes de Nevers, soit contre ses propres vassaux, qu'il n'est pas
possible d'admettre que, pendant ces temps calamiteux, les religieux
aient eu le loisir d'entreprendre une aussi vaste construction. D'ailleurs
les caractères archéologiques de l'architecture de ce porche lui assignent
la date de 1130 à lUO.
La construction du porche de Vézelay est certainement une des œuvres
les plus remarquables du moyen Age. Ce porche est fermé, et présente,
comme celui de Tournus, une ant-église de 25 mètres de largeur sur
21 mètres de longueur dans œuvre. Nous en donnons le plan (fig. 3) en
A au niveau du rez-de-chaussée, en B au niveau des tribunes, car l'espace
* Cet abbé éUil neveu de saint Hugues, abbc de Cluny; il fut fait archevêque de Lyon
vers il26, et fut inhume à Cluny. Sa tombe, placée près de la colonne la plus proche du
maître autel, portait cette inscription : « Hic : requiescit : Renaid : II: quondam : abbas :
et: reparaior Vezeliacensù : et : postca : archieplK.,»* »
- Voyef la notice de M. Chcresl, Congrès scientif, d'Auxerre, 186Ô, t. U p. 1»3.
D'après ccltt: noiitîe^ lu porche do Véielay aurait été consacré en 1132.
— 2(i5 — [ runcuE J
CD monte de Tond ; scuU, les collatéraux E, E, E forment galeries, et
l'espace F, large tribune au-dessus de l'ancienne porte de la nef. On ne
pouvait monter aux galeries el à la tribune que par deux escaliers G,
partie de bois, partie pratiqués dans l'épaisseur du mur de face. Deux
tours s'élèvent sur les deux premières travées des collatéraux H. A partir
du niveau des galeries, vers 12(iO, on refit la grande claire-voië K
[voy. PiGNOiT, flg. 9], pour mieux éclairer probablement celte grande
salle. Au niveau de la tribune, trois baies L s'ouvrent sur lu nef de
l'église (voy. AncuiTEcruns religieuse, Qg. 21). Un autel était autrefois
placé en 0 sur cette tribune. Les instructions aux pèlerins ou pénitents
rassemblés à rez-de-chaussée pouvaient se faire du baut de la balustrade
qui dot la tribune en M '. Avantta construction du porche, les trois baies
I Vojei les coupc« tmiisTeranlc cl langllutlinolc <lc ce porche dans les Archivei (/»
mmumenli hù(orviuei>, publiées sous tes auspicc»(tcSon Exe. le MInirtrc il'b'Iat. Vojci
««Ml la ooupc Iransvcrsule réduite du purcbc du Vùielu}, ilan> l'urlick Akcuitecti're
HELICISL'SE, Wf. 23.
VU. — 34
( POUCiiE ] — 266 —
ouvertes sur la tribune élaient des fenêtres sans vitraux comme toutes
les autres fenêtres de Téglise ; celle du milieu se terminait en cul-de-
liiMir, et peut-être recevait-elle une statue. La porte principale G de ce
porche est surmontée d'un grand bas-relief représentant : le Christ entouré
des vingt-quatre vieillards et des élus dans le tympan, la Madeleine par-
fumant les pieds de Jésus, et la résurrection de Lazare dans le linteau.
Les chapiteaux intérieurs sont très-richement sculptés et d'une finesse
d'exécution remarquable. Autrefois les grandes voûtes, ainsi que celles
des tribunes, étaient entièrement peintes. Nous présentons (fig. h) une
vue perspective de l'intérieur de ce porche, prise de la galerie qui tra-
verse la façade. On observera que la voûte sur la tribune possède des arc:;
ogives. C'est peut-être le premier exemple qu'il y ait en France de ce
genre dcslruclure, les autres voûtes du narthex étant d'arêtes très-sur-
haussées (voy. Ogive, fig. 3, U et 5), L'ensemble de cet intérieur est d'une
proportion admirable; et les travées étudiées par un maître consommé
(voy. Travée). Il ne parait pas qu'on ait jamais enseveli personne sous ce
porche, et les fouilles que nous avons été à même d'y pratiquer n'ont
laissé voir nulle trace de sépulture.
Le vestibule, narthex ou porche fermé de l'église abbatiale mère de
Cluny était plus vaste encore que celui de Vézelay, mais ne possédait ni
tribune ni galeries voûtées supérieures. C'était une grande salle avec bas
côtés, à laquelle on arrivait par deux degrés de 13 mètres de largeur.
Deux tours s'élevaient en avant des cinq travées que contenait le narthex,
et laissaient entre elles un porche ouvert. Le porche fermé de Cluny avait
35 mètres de longueur sur 27 mètres de largeur dans œuvre; des piliers
cannelés^ suivant la méthode de la haute Bourgogne, du Lyonnais et de
la haute Marne, portaient les voûtes des collatéraux. Au-dessus s'élevait
un triforium également à pilastres, puis les hautes voûtes en arcs ogives,
avec fenêtres plein cintre dans les tympans. Les clefs de la haute voûle
étarent à 33 mètres au-dessus du pavé. Ce fut le vingtième abbé de
Cluny, Roland I", qui éleva en 1220 * ce magnifique narthex, dont notre
vue perspective (fig. 5) ne peut donner qu'une faible idée. Tous les arcs
de cette construction sont en tiers-point^ seules les fenêtres sont fermées
par des pleins cintres. Au fond, on voyait apparaître Tancienne façade
de l'église, avec sa porte principale et sa petite galerie aveugle supé-
rieure, au milieu de laquelle étaient percées les baies qui éclairaient la
chapelle de Saint-Michel, prise aux dépens de l'épaisseur du mur et
portée sur un cul-de-lampe du côté de la nef. Quatre figures d'apôtres
en bas-relief décoraient le tympan sous le formeret de la grande voûte
du porche.
Pourquoi ce vaste porche ne fut-il élevé qu'en 1220? Doit-on voir ici
l'exécution d'un nouveau programme, ou bien un ajournement d'un
programme primitif? Près d'un siècle auparavant, l'église abbatiale de
' Voyez Mubilloii, Annaki onlin, S. bene'fidi, t. V, p. 252.
- 267 — I PoncnE ]
Vézelay étèvo un rinrlhex fermé dans des ditnensjons à pen près sem^
[ PoacuE 1 _ 268 —
blables à la place d'un porche bas et élroil. Ces grands porches fermé»
n'étaient donc pas prévus dans les dispositions premières des églises
cJunisiennes, et cependant, k. Tournus, le narthex est de construction
primitive ou peu s'en Taut. Ce n'est que pendant la seconde moitié
du su* siècle que les clunisiens de ta Chanté -sur-Loire élèvent de même
un porche fermé sur des dimensions aussi vastes au moins que celui de
l'église mère de Cluny. Il jr a donc lieu de croire que ce programme ne
— 269 — [ PORCHE ]
fat adopAé chez ces religieux que pendant le xn* siècle, et qu'il était des-
tiné à pourvoir à TafOuence extraordinaire des fidèles dans les églises de
cet ordre; ce qui n'a pas lieu de surprendre, lorsqu'on songe qu'à cette
époque, les églises clunisiennes étaient les lieux les plus vénérés de toute
la chrétienté, et, comme le dit le roi Louis VII, dans une charte donnée
au monastère de Cluny, les membre» les plus nobles de son royaume. L'éten-
due, la richesse des porches fermés des grandes églises clunisiennes,
ne furent dépassées ni môme atteintes dans les autres églises cathédrales
ou monastiques. •
Les cisterciens établirent aussi des porches fermés devant leurs églises,
mais ceux-ci sont peu étendus, bas, et affectent autant la simplicité que
ceux de l'ordre de Cluny manifestent les goûts luxueux de leurs fonda-
teurs. D'ailleurs les porches des églises cisterciennes ne sont pas absolu-
ment clos comme ceux des églises clunisiennes ; ils présentent généra-
lement des ouvertures à l'air libre comme des arcades d'une galerie de
cloître, et ressemblent plutôt à un portique profond qu'à une salle. Il pa-
raîtrait ainsi que saint Bernard voulait revenir aux dispositions des églises
primitives et retrouver le narthex des basiliques de l'antiquité chrétienne.
Ces porches cisterciens sont écrasés, couverts en appentis et ne sont
jamais flanqués de tours comme les porches des églises bénédictines
(voy. Architecture religieuse). Percés d'une seule porte en face de celle
de la nef, ils sont ajourés ^ur la face antérieure par des arcades non
vitrées et non fermées, s'ouvrant au-dessus d'un bahut assez élevé. Tel
est encore le porche parfaitement conservé de l'église cistercienne de
Pontigny (Yonne), dont nous donnons le plan flg. 6. Ce porche, bâti pen-
dant la seconde moitié du xii* siècle ', se compose de trois travées en
largeur et de deux en profondeur; il n'occupe que la largeur de la grande
nef. Des deux côtés, en A, sont deux salles fermées qui étaient destinées
aux besoins de l'abbaye. Des voûtes d'arête sans nervures couvrent ce
porche et viennent reposer sur deux colonnes. Une porte extérieufe B
correspond à la porte principale C de la nef, et des deux côtés, en D, s'ou-
vrent, sur un large et haut bahut, deux arcades divisées par des colon-
nettes accouplées. Tout cet ensemble, y compris les deux salles , est
couvert par un comble en appentis avec demi-croupes aux deux extré-
mités. Au-dessus du comble du porche est percée une énorme fenêtre
dans le grand pignon ; elle éclaire la nef. A l'extérieur, la construction
de ce porche est d!un aspect froid et triste. A l'intérieur, les chapiteaux
des colonnes sont ornés de sculptures d'une simplicité toute puritaine,
et le tympan de la porte de l'église n'est décoré que d'une croix en relief.
La figure 7 présente la coupe longitudinale du porche de l'église de Pon-
tigny, et fait assez voir combien les moines de l'ordre de Citeaux s'étaient,
en plein xii' siècle, éloignés des programmes splendides adoptés par les
• . •
I L'église de Pontigoy fut en grande partie élevée aux dépens de ThibauH fe Grand
comte de Champagne, de 1150 à 1190.'
[ pjnciie ] — 270 —
olunisiens. Dans le déparlement de l'Aube, l'église du village de Mousser
possédc un porche complet établi sur les données rislerricnnes. Il Tormc
un appentis bas, non voûté, au milieu duquel s'ouvre la porte ; deux
arcades à droite et h gauche, posées sur un babut, éclairent cet appentis.
Ces arcades sont plein cintre, jumelles, reposant sur une piletie ou une
colonne. Une cinquième baie pareille s'ouvre du cAlé sud. La construc-
tioQ est d'une estrâme simplicité, et paratl remonter à l'origine de l'ordre
— 271 — [ FORCUB ]
de CIteaux'. Cependant la sécheresse et la froideur de ces exemples ne
furent pas longtemps imitées, et dès le commencement du xiii* siècle^ les
porches des églises élevées sous l'inspiration des moines de Citeaux étaient
déjà empreints d'un goût plus élégant. Il existe encore à Moutier (Yonne)
un de ces porches fermés en manière de portique, élevé sur les données
des porches cisterciens. Comme à Pontigny, le porche de l'église de Mou«
tier, qui date du commencement du xiii' siècle, s'ouvre extérieurement
par une porte centrale accompagnée de quatre arcades, deux à droite,
deux à gauche, posées sur un bahut. Ces arcades ont été fermées au
XV' siècle par des claires-voies de pierre. Un joli porche offrant une
disposition analogue précède encore aujourd'hui la façade de l'église
de Toury (Loiret). Il date de 1230 environ. Ce porche (Gg. 8) n'e^^t qu'un
8
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l"^i
portique étroit, rappelant assez une'galerie de cloître; il est percé de trois
portes entre lesquelles s'ouvre une arcature posée sur un bahut. En A^
nous donnons le plan de détail de cette arcature. Trois archivoltes en
tiers-point reposent sur les piles B et les colonnettes jumelles C. Des petits
arcs plein cintre avec tympans forment la claire-voie et sont portés sur
les colonnettes D simples. La figure 9 donne la moitié de l'élévation de
ce porche, ainsi que sa coupe E faite sur la claire-voie '. Beaucoup de ces
porches en forme de portiques et en appenlis ont été établis pendant
les xiii% XIV* et xv« siècles, devant des façades de petites églises parois-
siales plus anciennes ; mais habituellement ils sont d'une extrême sim-
plicité, ne se composent que de pilettes de pierre ou de poteaux posés
< Le plan de cette église est donne dans Touvrage de M. Arnaud, Voyage archéoio^
gique dans le département de VAube^ 1^37.
^ Ces dessins nous ont été Touruis par M. Siiu\ageol, l'un de nos plus habiles graveurs
d'architecture. Ils ont été rclc\és avec une exactitude minutieuse .
[ puitcliE I — 'i^i —
sur un bahul et porlanl un comble à une seule penle. Ces églises étaient
toujours entourées de cimetières, et les porches servaient alors à donner
l'absoute et à mettre à l'abri les personnes qui assistnient aux enterre-
ments. Us ne formaient d'ailleurs, comme le montre le dernier exemple,
qu'une clôture facile à franchir, d'autant que les portes ne paraissent
pas, dans beaucoup de cas, avoir été jamais munies de vantaux. Un des
plus vastes parmi ces sortes de porches clos, est certainement celui qui
précède la façade de la petite église conventuelle de Sairtt-Pére-sous-
Vézelay, et qui fut élevé vers la fln du xiil' siècle, remanié pendant les
XIV* et XV*. Ce porche s'ouvre sur la face antérieure par trois baies qui ne
paraissent pas disposées pour recevoir des grilles ou des vantaux de bois;
latéralement il était ajouré par des baies vitrées posées sur un bahut, de
manière à garantir tes fidèles contre le vent et la pluie.
Cette construction est couverte par six voûtes en arcs ogives reposant
sur des piles engagées et sur deux piliers isolés. Un tombeau, qui date
de l'époque la plus ancienne de sa construction, est placé à la gauche
de la porte centrale de l'église. D'autres sépultures étaient disposées sous
son dallage. Les figures en bas-reliçf des donateurs sont sculptées en
dedans de l'entrée : c'est un noble personnage de la localité et sa femme.
Malheureusement cette construction, qui, dans l'origine, devait être trè»-
riche et très-gracieuse, a été fort mutilée et ne présente que des débris
remaniés. Le porche de Saint-Père est comme une transition entre les
porches absolument clos des clunisiens et les porches ouverts. Il parti-
cipe plutôt de l'église que de l'extérieur : c'est évidemment encore un
lieu sacré. Il nous amène à parler des porches franchement ouverts, bien
qu'ayant encore une importance considérable par rapport aux édiUces
religieux qu'ils précèdent. Mais, avant de nous occuper des porches
— 273 — [ PORCHE ]
ouverts, nous ne devons pas omettre ici un monument d'un grand intérêt,
quoique d'une date assez récente. H s'agit du porche de l'église de Ry «.
Cette église est totalement dépourvue de style, c'est un vaisseau bar-
long du XV" siècle, sans caractère. Latéralement à la nef, est bâti du côté
sud un porche de bois, clos, richement sculpté et d'une conservation
/«•
i
parfaite. Nous en donnons le plan (fig. 10) et une vue perspective
(fig. 11) 2. Ce joli porche date de la première moitié du xvi* siècle ; il est
entièrement construit en bois de chêne eWrepose sur un bahut de pierre.
La charpente du comble est lambrissée en tiers-point avec entraits appa-
rents seulement au droit de la croupe, ainsi que le -fait voir le plan. La
baie d'entrée ne parait pas avoir jamais été munie de vantaux, ni les
claires-voies de grilles. C'est donc un abri donnant sur le cimetière, et
qui semble avoir été élevé par un seigneur du lieu, peut-être pour servir
de sépulture. La sculpture en est très-délicate et des meilleures de
l'époque de la renaissance normande. Ce petit monument, qui compte
aujourd'hui plus de trois cents ans d'existence, et qui, bien entretenu,
pourrait encore durer plus d'un siècle, fait assez voir combien les ouvrages
de charpenterie établis avec soin et dans de bonnes conditions se con-
servent à l'air libre.
En examinant les vignettes des manuscrits du xv* siècle, il est facile
> Ry est un village situé à 20 kilomètres de Rouen.
- C'est encore à robligeance de M. Sauvageot que nous devons les dessins de ce
porche.
VIL — 35
[ PORCHE ] — 27^1 —
de constater qu'il existait benucoiip de ces porches en charpente, priaci-
palenienl dans ies villes du Nord. Ces porches de bois étaient toujours
peints et rehaussés de dorures. Habituellement ils ne se composent que de
deux bahuts latéraux portant des poteaux et une couverture lambrissée.
Quelquerois aussi paraissent-ils suspendus au-dessus des portes comme
des dais et soutenus seulement par des consoles.
POBGHEs OUVERTS. — On sait les querelles qui, pendant le xii° siècle,
s'élevèrent entre les abbés de Vézelay et les évoques d'Aulun. Ces der-
niers construisaient alors la belle cathédrale que nous admirons encore
aujourd'hui, et qui, par son caractère, son style particuliers, résume celte
architecture religieuse de la haute Bourgogne, de la Haute-Marne et
d'une partie du Lyonnais.
— 275 — [ PORCBE ]
La cathédrale d'Autun était à peine achevée, vers il W, qu'on élevait
un porche vaste devant sa façade principale. Ce porche couvre un em-
marchement comprenant la largeur de la nef et des collatéraux. Il est sur-
monté de deux tours et d*une salle au premier étage, couverte jadis par
une charpente apparente. Clos latéralement, le porche de Saint-Lazare
d*Autun s'ouvre devant l'entrée centrale de l'église par un énorme ber-
ceau qui enveloppe l'archivolte de la porte. Celte disposition est d'un
effet grandiose, d'autant que les linteaux et le tympan de cette porte sont
couverts de flgures sculptées d'un style étrange, énergique et d'une exé-
cution remarquable. La figure 12 donne le plan de ce porche à rez-de-
chaussée, en A, tel qu'il avait été conçu et très-probablement exécuté pri-
32
tt-
\
Aw>ur
io
H — t—t — 1 f*l ) — ♦— *-
mitivement, et en B, tel qu'il fut reconstruit vers 1160. Actuellement le
mur de clôture latéral faisant pendant au mur C est percé d'arcs en tiers-
point avec arcature portée sur des colonnettes, surmontés de fenêtres
non vitrées. Deux tours s'élèvent sur les deux premières travées des col-
latéraux. Dans l'origine (voy. le plan A), le porche ne devait pas s'étendre
devant les portes latérales D, et le berceau qui le couvrait portaitsur deux
murs épais, ouverts latéralement par deux baies E. Aujourd'hui les tra-
vées des collatéraux sont couvertes par des voûtes d'arête.
Deux escaliers à vis, s'ouvrant sur la nef des deux côtés de la porte
centrale, montent à la salle supérieure. La coupe transversale faite sur
ab, cd (fig. 13), indique, en A, la disposition primitive du porche, et en
B, la disposition actuelle. On remarquera la grande niche voûtée en cul-
de-four réservée dans le pignon, au premier étage, et flanquée de deux
portes.
Cette salle du premier étage mérite un examen attentif, car elle indique
un programme particulier aux églises de celte partie de la France. Nous
avons vu qu'à Vézelay il existe de même, au-dessus de la grande porte.
[ POHfllE ] — 276 —
une niche assez profonde pour recevoir une statue colossale assise, ou
même un petit aulel. A Cluny, il j avait au-dessus de la porte centrale
une niche s'ouvrant à l'intérieur, avec cul-de-lampe en façon de balcon
saillant, dans laquelle était un petit uut«l placé sous le vocable de saint
Michel archange. A l'intérieur de la façade de l'église Saint-Andochede
Saulieu, on voit encore une disposition analogue, et cette église est con-
temporaine de la cathédrale d'Autun. Le soubassement de la grande
niche de la façade de la cathédrale d'Autun est engagé aujourd'hui dans
l'épaisseur de la voûte du porche, et les deux portes qui l'accompagnent
à droite et à gauche, donnant la sortie des deux petits escaliers à vis, ont
leurs seuils en contre-bas du sol de la salle. Évidemment ces deux portes
ne pouvaient s'ouvrir dans le vide, elles devaient donner sur un sol ; donc,
lors de ta construction de la nef, on avait déjà projeté un porche plus ou
moins profond avec premier étage. Cette hypothèse est d'autant plus
— 277 — [ PORCHE ]
admissible, qu'il existe encore au-dessus delà niche les rampants d'un
comble bas qui devait couvrir la salle de ce porche projeté, non achevé,
ou bientôt remplacé par le porche actuel. Le porche primitif, d'après la
disposition durampantdu comble ancien, ne devaitcouvrir que la grande
porte et ne s'étendait pas devant les collatéraux. Lorsqu'on se décida à
construire le grand porche actuel, qui comprend la largeur totale de la
façade, il fallut élever les rampants du comble et boucher la partie infé-
rieure des trois fenêtres qui éclairent la voûte de la nef et qui sont percées
dans le grand pignon. Notre coupe transversale (iig. 13) indique donc,
en A, la disposition présumée du porche primitif, et en B, celle du por-
che actuel. Après cette modification, la grande niche, en partie engagée
dans la voûte, perdant une partie de sa hauteur, ne paraît plus avoir été
utilisée, car la partie supérieure du porche ne fut jamais achevée ; mais
celte niche, décorée de jolis pilastres cannelés, percée d'une seule ou-
verture très-petite donnant sur la nef, accompagnée de ces deux portes
communiquant aux deux escaliers à vis, avait certainement une destina-
tion. Devait-elle contenir un autel, comme la niche intérieure de la façade
de Cluny, ou comme celle extérieure du porche de Vézelay? Cela parait
probable. Mais à quelles cérémonies étaient réservés ces autels placés au
premier étage au-dessus des porches, ou sur une tribune intérieure ?
Voilà ce qu'aucun texte ne nous apprend jusqu'à ce jour.
Dans notre coupe, la ligne ponctuée G indique le niveau du sol exté-
rieur en avant du porche; on se rendra compte de l'effet grandiose que
produit ce vaste emmarchement couvert, terminé par ce portail si large-
ment composé. Le porche actuel est évidemment une œuvre d'imitation,
inspirée peut-être du porche de Vézelay, mais qui altère le caractère
primitif du monument, rappelant ces charmantes constructions romano-
grecques du v* siècle, découvertes par M. le comte Melchior de Vogué
entre Antioche et Alep. Il n'est pas douteux que les maîtres du xii* siècle,
de certaines provinces de France, avaient vu ces monuments et qu'ils
les imitaient non-seulement dans les profds et l'ornementation, mais
aussi dans certaines dispositions générales. Quelques-unes de ces églises
romano-grecques possèdent d'ailleurs des porches avec tribune au-dessus
et clochers latéraux.
Nous croyons devoir donner (fig. \U) le plan de la salle supérieure du
porche d'Autun, avec ses deux escaliers et portes. L'arcature aveugle
portée sur des pilastres à l'intérieur, derrière la niche, et qui règne avec
le Iriforium de la nef, est percée de deux baies A au droit des escaliers.
Pourquoi ces baies? Quant aux portes B, elles s'ouvrent sous les combles
des bas côtés de la nef. Ces singularités nous prouvent que nous igno-
rons sous quelles données religieuses ont été érigés les porches de nos
églises du xii^ siècle, qui subissaient plus ou moins l'influence de l'ordre
de Cluny; il y a là un sujet d'études que nous recommandons à nos
archéologues et qui nous paraît digne de fixer leur attention. Évidem-
ment, à cette époque, les porches ont eu une importance considérable,
[ PORCHE ] — 278 —
et Ton n'aurait pas construit devant un grand nombre d'églises conven-
tuelles, cathédrales ou paroissiales, des appendices aussi importants, s'ils
^'avaient pas dû répondre à un besoin sérieux. Observons d'ailleurs que
ces porches s'élèvent, sauf de rares exceptions, dans un espace de temps
assez limité, de 1130 à 1200.
En F, est tracé le plan de la salle supérieure du porche primitif d'Au-
tun, et en G, le plan de cette salle après la reconstruction du porche
actuel ; construction qui, comme nous l'avons dit, ne fut point terminée.
\
1-^-
J ! L
f€SA»t
' ' ' ■ I /o
La cathédrale d'Autun n'est pas la seule qui ait été précédée de porches
importants avec premier étage. Ce n'est qu'au xiii' siècle, lors de la
reconstruction de ces grands monuments de nos cités, qu'on a renoncé
complètement à ces dépendances. La cathédrale du Puy en Velay pos-
sède un porche ouvert, du xii* siècle, avec grand emmarchement, ou plutôt
l'église elle-même n'était qu'un immense porche, dont le degré arrivait
au pied de l'autel. La partie antérieure de la cathédrale de Chartres laisse
voir encore le plan et la disposition d'un porche profond, avec salle supé-
rieure, qui ne fut supprimé qu'au xni' siècle.
L'église abbatiale de Saint-Denis possédait un vaste narthex très-
ouvert du côté de la nef, et fermé du côté extérieur, mais surmonté d'une
salle voûtée. La petite église de Saint-Leu d'Esserent conserve encore
son porche fermé du xii' siècle, avec salle supérieure; or, ces construc-
tions datent de 11^0. Mais voici (fîg. 15) un porche plus ancien que le
porche actuel de la cathédrale d'Autun, et qui présente une disposition
plus franche encore et non moins monumentale. C'est le porche de
l'église de Châtel-Montagne (Allier). La construction de ce porche est
— 279 — f POBCHE ]
très-peu postérieure à celle de l'église; elle date de 1130 environ *, et
conserve une apparence entièrement romane. Plante sur le sommet d'un
escarpement, le porche de l'église de ChAtel-Montagne est précédé d'un
degré de 5 mètres de largeur, avec parvis ; il présente, au droit de la nef,
une grande arcade, et an droit des collatéraux, deux arcades étroites
ouvertes de cûté pour donner plus de force, en a, à sa maçonuerie qui
15
reçoit la charge du pignon. Latéralement sont ouvertes deux autres
arcades larges laissant entiers les contre-forts qui butent les construc-
tions de la nef. Un escalier b, pris aux dépens du collatéral méridional de
la nef, permet de monter à une salle élevée sur te porche, et qui s'ouvre
■ Le »tj\e ronuD s'est conscriv dans cctle partie de In France beaucoup plui Ijrd que
data Ici proTÏuces du Nord «t de l'Esl. Aniié rapidcincut, dès lu fin du il* sîi-clc, i une
très-grande perfectioD, il n'tsl pas mélange d'influence! i;olliii]iies vers le milieu du
iir siècle, coDifliu le roman ilc Bourgogne, île la Daule-Marne, de la Champagne el <lu
Berrj. Peudaat la seconde moiltc du m' siècle. Ici monuments de l'Auvei^ne retardent
■te cinquante aui.
[ PORCUE ] — 280 —
sur l'intérieur en Riaaiùre de tribune. La ligure 16 présente l'élévaUon
extérieure de ce porche, qui, avec ses constructions supérieures, forme
la façade de l'édiOce. Le caractère de celte architecture est tout em-
preint d'un bon style dont nous retrouvons les éléments dans l'architec-
ture roinano-grecque des environs d'Anlioche. Mais ici les matériaus
((,'ranitj sont petits, tandis que ceux qui ont servi à élever les monuments
byzantins de Syrie sont grands et largement appareillés. Les fenêtres
ouvertes dans les arcs supérieurs de cette façade éclairent la tribune;
10
l'arc milieu forme le tracé du berceau intérieur. Nous donnons (flg. 17}
la coupe longitudinale de ce porche, avec l'amorce de la nef, et (lig. 18)
sa face latérale '. Si la construction est simple et bien ordonnée, on
remarquera que les proportions sont des plus heureusement trouvées.
On reconnaît, daus ce joli édifice, la trace d'un art très-avancé, délicat,
étudié; et cependant l'église de Châlel-Montagne est située au milieu
d'une des contrées les plus sauvages de la France. Aujourd'hui, dans ces
< ijei ilvesiDi de ce porche doub ont élé founiU |Hir M, Millel, charg-c de 1« re«tiDrl
liuii du l'ëglisc de Cliàlcl-Moulagnc.
— 281 — [ PORCMB J
montagnes, on a peine à réunir quelques ouvriers capables d'exécuter
la bâtisse la plus vulgaire. Mais tes provinces du Centre, au xii' siècle,
étaient un foyer d'art, actif, développé, possédaient une école d'archi-
tectes qui nous ont bissé de cbarmanles compositions, des construc-
tions bien entendues, solides et d'un excellent style.
Ces arcbitecles étaient certainement alors des religieux, et leur école
suivit la décadence à laquelle ne purent se soustraire les anciens ordres
monastiques vers la fln du xii' siècle.
n
V
La salle du premier étage du porche de Cbâtel -Montagne forme une
tribune de laquelle on peut voir ce qui se passe dans la nef, tandis que
dans les exemples précédemment donnés, ces salles supérieures sont
presque entièrement closes du côté de la nef. A quel usage était destinée
cette tribune? Nous pensons qu'elle donnait, comme les salles fermées,
une chapelle spéciale, et qu'un autel était disposé contre labalustradc,
car nous voyons encore, sur la tribune de l'église de Montréal, en Bour-
gogne, un autel de la fmdu xi[' siècle ainsi disposé (voy. Tribuiib}. Mais
(au xii° siècle) les orgues n'étaient pas des instruments d'une assez
grande dimension pour occuper ces espaces; les chantres se tenaient
dans le chœur ou sur les jubés, oiaia non sur des tribunes élevées près
vil. — 36
[ FORCBE ] — 282 —
de l'enlrée. Uaelques auteurs ont prétendu que ces tribunes étaient ré-
servées au.'ï femmes; mais les Temmes, en nombre relativement considé-
rable à l'église, n'auraient pas trouvé là une place suffisante; d'ailleiirs
tous les testes sont d'accord pour dire qu'elles occupaient un des c6lés
de la nef depuis les premiers temps du moyen ûge. La tradition, dans
quelques lociditcs, affecle ces tribunes aux pénitents, et nous croyons
que la tradition s'approche de la vérité. Nous admettons qu'un autel
était habituellement placé dans ces salles ouvertes sur la nef ou sur le
dehors, ou complètement fermées; que ces autels étaient orientés comme
l'est celui de la tribune de Montréal, et qu'il était réservé à des céré-
monies spéciales auxquelles assistaient des pénitents ou des fidèles rece-
vant une instruction préparatoire. Mais nous devons avouer que ce sont
là des hypothèses, et que nous n'avons point de preuves positives à four-
nir pour les appuyer.
Non loin d'.\utun est une église conventuelle du xii' siècle, Paray-le-
Monial, possédant un porche qui paraît être antérieur à la construction
de l'église actuelle. Le plan de ce porche (tlg. 19) est régulier; il présente
sur sa face, à rcz-de-chausséc, trois arcades ouvertes, et sur ses côtés,
deux arcades. Deux piliers composés chacun de quati-e colonnes portent
les six voûtes d'arCtc qui forment ce rez-de-chaussée. Deux tours,
comme à Aulun, surmontent les deux premières travées B, et portent
— 283 — [ PORcnE ]
ctsset imprudemment sur ces deux faisceaux de colonnes '. On voit que
ce porche n'est pjis placé dans l'axe de la nef A, rebâtie sur un autre plan.
Il est surmonté, au premier étage, d'une salle voûtée en berceaux repo-
sant sur des archivoltes, ainsi que le fait voir la coupe (fig. 20). Cette salle
ne fait pas tribune sur la nef, elle est fermée cl ne s'ouvre de ce cûté
que par une feuôtre G dont l'appui est posé à 2 mètres au-dessus du sol.
Les porches établis sur ce plan ont donc été adoptés assez fré-
quemment dans cette partie de la Francej c'est-à-dire dans le voisinage
de l'abbaye de Cluny; nous voyons (|ue ces plans persistent pendant le
xiii* siècle. Le beau porche de l'église Notre-Dame de Dijon fut élevé
vers 1230, sur ces données, c'est-à-dire avec trois arcades ouvertes sur
la façade, deux piles isolées intérieures portant six voûtes d'arôle, une
salle supérieure, et deux tours qui n'ont point été achevées,
La disposition de ce porche est remarquable. Bâti de bons matériaux,
bien qu'avec économie, il est peut-être l'expression la plus franche de
l'architecture bourguignonne de la première moitié du xiii' siècle, si
originale, si aiidacieusemenl combinée. Il n'a manqué aux architectes de
celte école que de pouvoir mettre en œuvre des matériaux d'une rigidité
absolue, comme le granit ou même la fonte de fer. Telle était la har-
diesse de ces artistes, qu'ils osaient, avec des pierres calcaires, d'une
grande résistance il est vrai, mais cependant susceptibles d'écraseraeni,
■ M. Millel, cliargé de la reslaurntion du cliirmaiit édifice, a ilù remplacer tes colonnes
qni l'ctaicnt écraséca; il a placé au milieu <!«■ leur groupe une colonne île granit, el a pu
ainti cnnscrrer à ce narthei toute son élance, (Vojci Ici Archives de* n
toriques, publiécH mus le* auspices tir .'^n Eic, le Miiiiulre d'ÉlaL)
[ PORCnB ] — 28Ù —
parce qu'elles étaient basses entre lits, élever des maçonneries d'un poids
considérable sur des piles très-gréles; suppléant à l'insuffisance de ces
matériaux par la combinaison savante des pressions et des résistances.
L'architecte du porche de Nr>tre>Dame dé Dijon s'était posé un pro-
blème nouveau. Ayant été à même, par les exemples précédents, d'ob-
server le mauvais efTet que produisaient les deux contre-forts séparant les
— 285 — f PORCHE ]
trois arcades des façades de porches, il supprima ces contre-forts et les
remplaça par un système de cheyalement en pierre. L'idée était ingé-
nieuse, hardie et sans précédents. De cette manière aucun obstacle ne
séparait les trois arcades, la poussée des arcs-doubleaux intermédiaires
était butée par le chevalement, et le poids des angles internes des deux
tours reposait sur deux piles jumelles comme sur un chevalet. Quelques
défauts dans l'exécution firent rondir ces piles vers les deux arcs laté-
raux; et soit que ce mouvement se fût produit pendant la construction,
Boit que les ressources aient fait dé^iut, on n\icheva point les deux
tours. Elles ne s'élèvent aujourd'hui que jusqu'à la hauteur de la nef.
Quoi qu'il en soit, et laissant de côté les imperfections de détail qui
produisirent ces mouvements, en théorie l'idée était neuve et féconde
en résultats. Aussi ce porche est-il un des plus beaux qu'on ait élevés à
cette époque et bien supérieur comme conception aux porches romans
que nous avons donnés dans les exemples précédents. Telle se montre
souvent cette architecture du xiii' siècle à son origine, pleine de res-
sources, abondante en idées, mais parfois incomplète dans l'exécution.
Aussi n'est-ce pas par une imitation irréfléchie qu'on doit en faire l'ap-
plication de nos jours, mais par une recherche attentive des idées qui
ont produit son développement si rapide et de ses théories fertiles en
déductions. Du porche de Notre-Dame de Dijon il serait aisé, avec quel-
ques modifleations de détail et en employant des matériaux plus rigides
que ceux mis en œuvre, de faire un édifice aussi gracieux d'aspect, aussi
léger, mais irréprochable sous le rapport de la structure. Pour cela, il
suffirait de baisser la naissance des archivoltes latérales, et d'élever les
piliers en hauts blocs de pierre très-résistante. Atteindre un résultat avec
des moyens imparfaits, mais laisser deviner Tidée nouvelle, l'invention,
c'est déjà beaucoup pour ceux qui observent et veulent mettre leurs
observations à profit : car il est plus facile de perfectionner des moyens
d'exécution en architecture que de trouver un principe neuf et fournis-
sant des conséquences étendues.
La salle supérieure du porche de Notre-Dame de Dijon forme tribune
sur la nef.
Le plan de ce porche, dont la figure 21 donne la moitié, montre com-
ment l'architecte a su éviter, en A, les contre-forts extérieurs. Les deux
piles D forment le chevalement qui reçoit le mur de face de la tour
plantée sur la travée B au droit du contre-fort C, et qui contrebute les
voûtes du porche. En G, sont ouvertes de grandes fenêtres dont l'appui
est très-relevé au-dessus du sol. Dans la hauteur du premier étage, une
galerie (voy. Galerie, fig. 6) se dresse au devant du mur delà tour, de E
en F, et vient aboutir à des tourelles H disposées en encorbellement sur
les contre-forts Cet contenant les escaliers qui permettent de monter aux
étages supérieurs de ces tours. La disposition des voûtes de ce porche
est très-savamment combinée. Nous en avons indiqué le système à l'ar-
ticle Construction (voy. fig. 52 et 53). Sur lés extrados des archivoltes
I pouciiK j — 286 —
L clj portées par les piles isolées Tormant chevalement, sont bandés des
berceaux M et N qui viennent retomber sur un linteau-sommier K. On
remarquera que l'arcbitecte a posé fe mur de la tour, non pas à l'aplomb
(le ces berceaux, mais un peu vn retraite, ainsi que l'indique la planta-
tion du conlrc-fort C, alln de Taire des piles A et I* de véritables éperons.
En effel, ces piles ne sont pas sorties de leur aplomb sur le nu de la
façade; les piles A et P se sont légèrement inclinées vers les travées
latérales par suite de la poussée des grands arcs L, D, et parce que les nais-
sances des arcs J n'étaient pas placées assez bas, 0"''<nt aux piles R, bien
que chargées par les angles des tours, elles ont conservé leur aplomb,
grâce à la disposition ingénieuse des arcs des voûtes.
L'cfTet extérieur et intérieur de ce porche est des plus heureux; les pro-
fils, la sculpture, sont du meilleur slyle,
Il faut citer aussi parmi les grands porches ouverts, bâtis en Bour-
gogne pendant le xtii° siècle, celui de l'église Notre-Dame de Beaune.
— 287 — [ PORCHE ]
Ce porche est ouvert sur la face par trois arcades, et latéralement, de
chaque côté, par deux autres. Deux colonnes isolées portent , comme
à Notre-Dame de Dijon, les six voûtes. Le porche de Notre-Dame de
Beaune n'a pas élé achevé dans sa partie supérieure et ne devait pas être
surmonté de tours. Sur la façade occidentale de l'église Notre-Dame de
Semur en Auxois est planté un porche ouvert par trois arcades, mais
ne possédant que trois voûtes en arcs ogives, et étant par conséquent
dépourvu de colonnes isolées. Ce porche, fermé latéralement, date du
commencement du xiv* siècle et n'a été achevé qu'au xv* siècle.
Le porche de la sainte Chapelle du Palais à Paris doit être classé parmi
les grands porches ouverts. Comme le bâtiment auquel il est accolé, ce
porche est à deux étages, et forme une sorte de vaste loge ouverte sur
l'une des cours du Palais K
Porches ouverts sous clochers. — Il était assez naturel, lorsqu'on pré-
tendait élever un clocher sur la façade principale d'une église, de prati-
quer un porche à rez-de-chaussée. Dans les provinces de l'Ouest, du
Centre et du Midi, dès le xi* siècle, on avait pour habitude de construire
de grosses tours carrées devant l'entrée occidentale des églises; la partie
inférieure de ces tours servait de porche*. A l'article Clocher (fig.dl etW),
nous donnons le grand porche élevé sur la façade occidentale de l'église
abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire. Ce porche, qui date du xi* siècle, se
compose d'un quinconce de piles épaisses., portant des voûtes d'arête
romaines ^. Il occupe une surface considérable et est surmonté d'une
grande salle ouverte, comme le rez-de-chaussée, sur trois de ces faces
et présentant de même un quinconce de piles. Le clocher devait s'élever
sur les quatre piles centrales. Dans le même article (fig. 7], on voit aussi
le plan du porche de la cathédrale de Limoges, qui date du xi"* siècle,
ouvert primitivement sur les faces et supportant un clocher. La partie
inférieure du clocher de l'église de Lesterps (Charente) présente un
porche dont la disposition rappelle le porche de Saint-Benoît-sur-Loire
(voy. Clocher, fig. ^3 et ixU)y mais qui date du xii* siècle.
Ces programmes ne se retrouvent pas dans l'Ile-de-France, danslaNor-
mandie,dans la Bourgogne et la Champagne. Les porches sous clochers de
rile-dc- France sont généralement fermés latéralement, comme le porche
occidental de l'église abbatiale de Saint-Germain des Prés, etcomme celui
de l'église de Créteil près Paris ^. Le porche de l'église de Créteil était,
il y a peu de temps, parfaitement conservé ; son aspect était monu-
> Voyez Chapelle, fig. 1 et 2; Palais, fig. 2 et 3.
* Voyez, à l'arliclc Clocher, la carte des diverses écoles de clocliers (fig. 61), dans la-
qucUe il est démontré que deux prototypes de ces clochers, à Périgueux, à Brantôme, en-
voient des rameaux jusqu'à Caliors, Toulouse, le Puy, Loches, Saint-Benoît-sur-Loire, etc.
3 Voyelles ensembles et les détoils de ce porche dans YAixhUecture du v« au xvi"
siècip^ par Gailhabaud.
* Cet édilke u été fort altéré il y a peu d'années.
[ PoRCHi; ] — 288 —
mental. Il élait ouvert par une arcade sar saface antérieure et voAtéen
lierceau . Ce n'est qu'un abri devant l'entrée de l'église ; long, élroil, fermé
latéralement, U tient, lieu d'un de ces tambours qu'on érige de uolre
temps derrière les portes. Sa construction remonte à la seconde moitié
du XI' siècle. Nous en donnons le plan (fig. 22) et la coupe longitudinale
(fig. 2S).
Les arcades uniques de ces porches, ouvertes sur le dehors, étaient
fermées par des voiles, si l'on s'en rapporte i d'anciennes peintures et à
des bas-reliefs antérieurs au xut* siècle; et l'on voit encore les corbelets
— 2ê9 — [ PoncuE J
saillants ou les trous qui servaient à poser la tringle de bois à laquelle
étaient suspeodues ces sortes de/ portières d'étoffe.
Sous le clocher de Téglise de Saint- Savin, près de Poitiers, il existe un
porche de la même époque, entièrement revêtu à l'intérieur de peintures
remarquables, de porche, plus simple comme architecture que celui de
Créteil, présente d'ailleurs une disposition analogue ^ Le clocher occi-
dental de l'église collégiale de Poissy s'éJève sur un porche d'une date
ancienne (commencement du xi' siècle); il s'ouvre de môme sur la voie
publique par une seule arcade et est voûté en berceau plein cintre'.
Si l'on pénètre dans les provinces du centre, à Tulle, à la Châtre, on
voit des porches sous clochers avec trois arcades ouvertes, l'une en face
de l'entrée, deux latéralement. Ces porches datent de la fin du xii* siècle
et participent des dispositions admises pour les porches sous clochers
du Limousin et du Périgord.
Parmi les porches les plus remarquables élevés sous l'influence de ces
deux écoles, mais qui ne possèdent pas cependant les piles intérieures
que nous voyons dans les porches de Limoges, de Lesterps et de Saint-
Benoit-sur-Loire, il faut citer celui de l'église abbatiale de Moissac
(Tarn-et-Garonne).
La structure de ce porche est d'un grand intérêt pour l'histoire de
l'art. Elle date de deux époques assez rapprochées l'une de l'autre,
du commencement et du milieu du xii' siècle.
La ligure 2U en retrace le plan à rez-de-chaussée. Primitivement, ce
porche s'ouvrait du côté du midi, en C, par une large arcade en tiers-point.
Du côté de l'ouest, en D, et du côté du nord , en E, il s'ouvrait sur des
dépendances de l'abbaye, sur des cloîtres, et était fermé par des vantaux.
Une troisième porte F, avec trumeau central, donnait accès dans
la nef de l'église. Peu après sa construction, c'est-à-dire vers 1150, on
ajouta, au grand porche p'ortant un gros clocher, un second porche ou
abri extérieur G, richement décoré de bas-reliefs et de sculptures d'un
très-grand style (voy. Statuaire). On éleva les piliers H et les contre-
forts L Ces constructions accolées servirent à porter un chemin de ronde
crénelé qui défendait l'entrée de l'église. La figure 25 donne le plan de
la salle bâtie au-dessus du porche, et sur les piles de laquelle devait
s'élever un clocher qui ne fut pas terminé. La différence des teintes du
plan indique la construction première et les adjonctions faites au milieu
du xii* siècle pour recevoir les crénelages à deux étages sur le porche
extérieur en K, et à un seul chemin de' ronde sur les côtés L et M.
C'était une tentative assez hardie, au commencement du xii* siècle, que
de couvrir une salle de 10 mètres de côté par une seule voûte qui ne
1 Voyet Monographie de t église de Saint-Savin, publiée par les soins du Mioislre de
rinstnictioii publique.
s II fmit citer aussi un de ces porches conservé sous le clocher occidental de l'église
Saint-Sévelrin de Bordeaui, et qui date du commencement du xn® siècle.
vu. — 37
[ POBCHB ] — 290 —
fùl pas une coupole, et l'architecte du porche de Moissac résolut ce pro-
blème en constructeur habile. La voûte du pez-de-chaussëe est en arcs
d'ogive, c'est-à-dire composée de formerets et de deux arcs diagonaux
24
(
\, I ./■■■:-.■ I" '"'■
larges, A section rectangulaire, sur lesquels reposent les quatre triangles
de la voûte maçonnés en moellons smillés. La voûte de la salle baute est
composée de douze arcs tendant à un œil central réservé pour le pu-
sage des cloches. Notre coupe (fig. 26), faite sur la ligne AB du plan du
rez-de-chaussée, explique cette structure. Le détail N indique l'appareil
— SftI — [ rOKCHE ]
des pierres coinposant la clef de la voûte du rez-de-chaussée^car les ares
diagonaux sont maçonnés en pierres d'un faible échantillon). Quant aux
arcs de la voûte du premier étage, qui peut bien passer déjà pour une
^â
voûte dans le mode gothique, les diagonaux sont plein cintre, et les huit
autres, partant des piles intermédiaires, sont des portions de cercle. On
observera que ces huit arcs intermédiaires sont posés obliquement sur les
chapiteaux des piles, tandis que les tailloirs de ces chapiteaux ont leurs
faces parallèles aux côtés du carré. Déjà cependant les tailloirs des arcs
[ PORCHE ] — 293 —
diagonaux sont posés suivant )a direction de ces arcs (voyez le plan,
tlg. 25). Ces deux salles basse et haute sont d'un effet monumental qui
produit une vive impression. La construction, quoique rude, en est biea
exécutée et n'a subi aucun mouvement. Les adjonctions faites au mi-
lieu du XII' siècle, si intéressantes qu'elles soient, ont alléré la physio-
nomie grandiose de l'extérieur de ce porche et ont assombri celte
belle salle supérieure, dont nous ne connaissons pas la destination, et
— 29S — [ FOECHB ]
qui s'ouvrait si largement sur les dehors. La nef de TégUse ayant été
rebâtie au commencement du xv* siècle sur un plan analogue à celui
de la cathédrale d'Alby, il est difficile aujourd'hui de savoir comment
cette salle supérieure s'arrangeait avec la nef primitive. Toutefois les
trois arcades Py bouchées en brique lors de la reconstruction du xv' siècle,
s'ouvraient nécessairement sur la nef ancienne, et mettaient la salle haute
en communication directe avec celle-ci sans interposition de vitraux.
Mais nous avons déjà vu, par quelques-uns des exemples de porches sur-
montés de salles, donnés dans cet article, que les nefs n'étaient guère
fermées par des vitraux, surtout dans les provinces du Centre et du Midi,
avant la fin du xii* siècle.
Les porches sous clochers sont rares à dater du commencement du
XIII* siècle dans l'architecture française. Cependant nous citerons celui
de l'église de Larchant (Seine-et-Marne) K La Normandie en présente
quelques-uns qui datent des xiv* et xv' siècles; nous mentionnerons
comme un des plus remarquables celui de la tour de l'église Saint-
Pierre, àCaen^
Sur les bords dii Rhin et dans les contrées environnantes, cette dispo-
sition se continue assez tard. Le porche de la cathédrale de Fribourg
ouvert sous le clocher occidental est fort beau. Intérieurement il est orné
de bonnes figures représentant les Arts libéraux, de grandeur naturelle,
le Christ, les vierges sages, les vierges folles, le sacrifice d'Abraham,
saint Jean-Baptiste, sainte Marie l'Égyptienne, etc. Ce porche n'est ou-
vert que par une arcade sur la face, les côtés sont clos et décorés' par ces
statues dont nous venons dé citer les principales.
Parlant des porches sous clochers, on ne saurait passer sous silence
les porches si bien disposés sous les tours projetées de la façade de
l'église Saint- Ouen, à Rouen.
Ces tours, qui devaient être d'une dimension colossale, ne furent éle-
vées que jusqu'à la hauteur de 20 mètres environ au-dessus du sol. Lors-
qu'il fut question d'achever la façade de l'église Saint-Ouen en 1840,
on n'osa continuer l'œuvre commencée sur des dimensions aussi consi-
dérables; on rasa donc les souches des deux clochers, et l'on perdit ainsi
une des dispositions des plus originales et des plus ingépieuses. parmi
toutes celles qu'avait conçues le moyen ftge à son déclin, car ces tours
dataient du xv' siècle.
Elles s'élevaient. sur deux porches posés diagonalement et donnant
entrée de biais dans les deux collatéraux. Le plan de ces porches est
gravé dans l'ouviage de Pugin sur les monuments de la Normandie,
auquel nous renvoyons nos lecteurs^. La position oblique des porches
de l'église Saint-Ouen avait permis de les ouvrir sur l'extérieur par
> Voyei les Monumenh de Seine-et-Marne, par MM. Aufuuf re et Ficbot.
* Voyei Pugin, Spécimens of ihe arthiteetural Ant, of Normandy^
3 Voyez, à l'article ABcnmcnTRE aiLiciErsB, la flgnre 62.
[ PORCHE ] — 294 —
deux baies abritées , tendant au centre d'un large parvis formé parla
saillie xles tours. On évitait ainsi les courants d'air dans l'église, les portes
extérieures des porches et celles donnant dans les collatéraux n'étant
pas placées en face Tune de l'autre. La foule des fidèles, en sortant par
les deux portes latérales et la porte centrale, "se trouvait naturellement
réunie sur l'aire de ce parvis, sans qu'il pût en résulter de l'encoYiibre-
ment. Il y a lieu de s'étonner que cette disposition si bien trouvée et d'un
si heureux effet n'ait pas été suivie dans la construction de quelques--
unes de nos églises modernes, d'autant qu'elle peut s'accommoder à tous
les styles d'architecture.
Porches d'églises annexes. — C'est à dater de lafinduxii' siècle que les
porches accolés aux façades principales ou latérales des églises deviennent
très-fréquents. Pourquoi ? Avant cette époque, les églises les plus impor^
tantes étaient celles qui dépendaient d'établissements monastiques. • Ces
églises, comme nous l'avons vu, possédaient des porches très-vastes si
elles relevaient de l'ordre de Cluny, en forme de portiques si elles rele*
vaient de l'ordre de Glteaux, plus ou moins étendus si elles ne dépen-
daient ni de l'un ni de l'autre de ces deux ordres, mais faisant partie du
plan primitif ou complété de l'édifice religieux. Lorsque ces porches
avaient été annexés, ils achevaient, pour ainsi dire, un ensemble de con-
structions conçues d'après une idée dominante. Les églises paroissiales
antérieures à 1150 étaient petites, pauvres, et copiaient plus ou moins
les grandes églises monastiques. Avant cette époque, les cathédrales
elles-mêmes avaient peu d'étendue, et s'élevaient également sous l'in*
fluence prédominante des édifices dus aux ordres religieux. Mais lorsque,
vers 1160, les évoques surent recueillir ces immenses ressources qui leur
permirent d'élever des églises qui pussent rivaliser avec celles des ordres
religieux, et même les dépasser en étendue et en richesse, ils adoptèrent
des plans qui différaient sur bien des points de ceux admis par les moines.
Plus de chapelles, plus de porches ou de narthex. Les cathédrales prirent
généralement pour type un plan de basilique, avec nef centrale et bas
côtés ; des portes largement ouvertes se présentaient sur la façade, sans
vestibule. Il semblait que le monument de la cité, la cathédrale, voulût
être surtout accessible à la foule, qu'elle évit&t tout ce qui pouvait faire
obstacle à son introduction. C'était un forum couvert, dans lequd chacun
était appelé sans préparation, sans initiations. Mais bientôt, ainsi que
nous l'expliquons ailleurs ', l'espoir que les évèques avaient conçu de
devenir les chefs politiques et religieux de la cité s'évanouit en face de
l'attitude nouvelle prise par le pouvoir royal. Les cathédrales durent se
renfermer dans leur rôle purement religieux : elles élevèrent des cha-
pelles, des clôtures autour des chœurs ; elles crevèrent leurs longues nefs
pour y installer des transsepts, et enfin elles ajoutèrent des porches de-
1 Voyez rarticle Gathédaâlk, t. H, p. 280 et suiv. t- Voyes. aussi tes Entretwu sur
Varchitecture^ t. I, p. 263 et suiv.
— 295 — [ PORGHB )
vant les entrées. Mais cependant^ comme si Tidée première qui les avail
fait élever dût laisser une trace perpétuelle, ces porches se dressèrent
principalement devant les entrées secondaires ou latérales; et les façades
principales, les portails, ouvrirent, comme dans les conceptions primi-*
tfves de ces monuments, leurs larges portes sur un parvis sans porches
ou vestibules extérieurs. Nous voyons même que certaines cathédrales
dont le plan, au xii* siècle, avait été conçu avec un porche antérieur,
comme à Chartres par exemple, suppriment ce porche au commence-
ment du XIII' siècle, pour ouvrir les portes directement sur la place
publique. Si quelques cathédrales, ce qui est rare d'ailleurs, possèdent
des porches devant leur façade principale, comme celle de Noyon par
exemple, ces porches datent de la fin du xiii' siècle ou même du com-
mencement du XIV' ; car nous ne pouvons considérer comme des porches
les larges ébrasements qui précèdent les portes occidentales des cathé*"
drales d'Amiens et même de Laon '. Ce sont là des portaihy c'est-à'^dire
des portes abritées.
Vers le milieu du xiii' siècle, nous voyons au contraire élever des
porches bien caractérisés devant les portes secondaires des cathédrales.
C'est à cette époque, vers 12&5, que Ton bAtit les porches latéraux des
cathédrales de Chartres, de Bourges, de Châlons-sur^Marne, du Mans,
de Bayeux, et qu'on élève souvent ces porches devant des portes qui
n'avaient pas été destinées à être abritées. Bientôt cet exemple est suivi
dans les églises conventuelles. Pendant les xiv* et xv* siècles, on élève
quantité de porches sur les flancs de ces édifices. Quant aux églises pa-
roissiales, dès le xin" siècle, leurs portes principales comme leurs portes
latérales s'ouvrent fréquemment sous des porches.
A la fin du xii' siècle et au commencement du xiii® siècle, deux por-
ches, l'un du côté du nord et l'autre du côté méridional, s'implantent
devant les portes secondaires de la cathédrale romane du Puy en Yelay^
et ces deux porches sont surmontés de salles ; mais ce sont des hors-
d'œuvre, ne se raccordant en aucune façon avec l'édifice auquel ils se
soudent, tandis qu'il faut voir dans les porches latéraux de la cathédrale
de Chartres des conceptions mises en harmonie avec le monument déjà
construit. Les porches nord et sud plantés devant les portes du trans-
sept de la cathédrale de Chartres passent, à juste titre, pour des chefs-
d'œuvre. Ils sont composés évidemment par des artistes du- premier ordre
et offrent un des plus beaux spécimens de l'architecture française du
milieu du xiii* siècle. Leur plan, leur structure, leur ornementation, la
statuaire qui les couvre, sont des sujets d'étude inépuisables, et leur
< Il faut noter ici (voy. GATâéDRALE, fig. 19) que le portail ëe la cathédrale d* Amiens
n'a pas été élevé conformément à son tracé primitif. Mais en admettant même ce plan
primitif, nous ne pouvons voir, non plus qu*à la cathédrale de Laon, dans ces ébrase-
ments prononcés des portes, ce qui constitue un porche, c'est-à-dire un vestibule ouvert
ou fermé.
[ PORCHE ] — 296 —
ensemble présente cette harmonie complète si rare dans les œuvres d'ar-
chitecture. Celui du nord, plus riche de détails, plus complet comme
entente de la sculpture, plus original peut-être comme composition, pro-
duirait plus d'effet, s'il était, ainsi que celui du sud, élevé sur un grand
emmarchement et exposé tout le jour aux rayons du soleil. Dans l'ori-
gine, ces deux porches étaient peints et dorés; leur aspect, alors, devait
être merveilleux. C'est lorsqu'on examine dans leur ensemble et leurs
détails ces compositions claires, profondément étudiées, d'une exécution
irréprochable, qu'on peut se demander si depuis lors nous n'avons pas
désappris au lieu d'apprendre ; si nous sommes les descendants de ces
maîtres dont l'imagination féconde était soumise cependant à des règles
aussi rigoureuses que sages ; et s'il n'y a pas plus d'art et de goût dans un
de ces chefs-d'œuvre que dans la plupart des pâles et froids monuments
élevés de nos jours.
La somme d'intelligence, de savoir, de connaissance des effets, d'ex-
périence pratique, dépensée par ces deux porches de Notre-Dame de
Chartres, suffirait pour établir la gloire de toute une génération d'artistes ;
et ce qu'on ne saurait trop admirer dans ces œuvres, c'est combien alors
les arts de l'architecture et de la sculpture avaient su faire une alliance
intime, combien ils se tenaient étroitement unis.
Nous ne croyons pas nécessaire de donner ici des figures de ces por-
ches publiés dans maints ouvrages *, gravés, lithographies et photogra-
phiés bien des fois. Nous passerons à l'étude d'exenaples non moins
remarquables, mais peu connus. L'église Saint-Nicaise de Reims avait
été bâtie par l'architecte Libergier, mort en 4263 ^; c'était un des plus
beaux monuments religieux de la Champagne. D'une construction sa-
vante, l'église Saint-Nicaise montrait ce qu'était devenue cette archi-
tecture champenoise au milieu du xiu' siècle, un art mûr. Sur la façade
de cette église s'ouvraient trois portes : l'une centrale, dans l'axe de la
grande nef, les deux autres dans l'axe de chacun des bas côtés. Nous
reviendrons tout à l'heure sur ces portes secondaires. La porte cen-
trale était précédée d'un porche peu profond, élevé entre les deux
contre-forts butant les archivoltes de la nef, et recevant le poids des
angles des deux clochers. Là figure 27 nous montre en A le tracé du
plan de ce porche, avec l'échelle en pieds. D'un axe d'un contre-fort à
l'autre on comptait hO pieds. Les contre-forts avaient 8 pieds de face ;
on comptait également 8 pieds pour l'ouverture des arcades B, et
16 pieds pour l'ouverture de l'arcade centrale; pour la profondeur du
1 Voyes la Mtmopiiphie de la caihédraie de Chartres, par M. Latsus. — L*onYrage de
M. Gailbabaud, sur rarehiiecture du v* au xyi' sièck, — Les exemples de décoratûm
de M. Gaucherel.
* La tombe de Tarchitecte Libergier est aujourd'hui placée dans la cathédrale de
Reims ; elle était, avaat la démolition de l'église Saint-Nicaise^ placée dans ce monu-
ment.
— 297 — [ PoaCBB ]
ptecbe, qui n'était qu'un abri, A pieds. Ainsi les quatre colonnes isolées
XI •;
et engagées a, b, c, d, divisaient l'espace ad en trois parties égales, et ces
Yii. — 38
[ POAGHS ] — 296 —
quatre colonnes portaient trois archivoltes surmontées de gAbles (voy.
l'élévation G). Chacune de ces archivoltes inscrivait un triangle équila-
téral, et les gables eux-mêmes étaient tracés suivant les deux c6tés d'un
triangle équilatéral. Si l'arcade centrale, était entièrement à jour, celles
des deux côtés étaient à moitié occupées pas l'épaisseur des contre-fortSi
ainsi que le n^ontre notre plan en E et en E'. Quant à l'ébrasement de la
porte, il était disposé de telle façon, qu'en K il existait une boiserie for-
mant tambour ou double porte. En G, est tracée la coupe du porche
sur Im. La figure 28 donne la vue perspective du porche central de
l'église Saint-Nicaise de Reims. Si simple par son plan, cette composi-
tion était, en élévation, d'une grande richesse, mais sans que les détails
nuisissent en rien à l'ensemble des lignes. D'abord Tarchitecte avait eu
l'idée nouvelle de donner à ses porches l'aspect d'une de ces décorations
qu'on dispose devant les façades d'églises les jours de grandes céré-
monies. Sans contrarier la structure principale de l'architecture, ces
arcades surmontées de gables forment une sorte de soubassement déco-
ratif occupant toute la largeur de l'église et percé de baies au droit des
portes. C'était comme un large échafaudage tout garni de tapisseries ;
car on remarquera que les nus de ce soubassement sont ornés de fins
reliefs fleurdelisés qui leur donnent l'aspect d'une tenture. Derrière
cette architecture légère, et qui semble élevée pour une fête, se voyaient
les portes richement décorées de l)as-reliefs. Celle centrale , dont nous
donnons la vue perspective (fig. 28), portait sur son trumeau la statue de
saint Nicaise; dans son tympan, le Christ assis sur le monde au jour du
jugement, avec la Vierge et saint Jean à ses côtés et des anges adorateurs ;
au-dessous, d'un côté, les élus; de l'autre, les damnés, dont quelques-
uns sont emmenés en enfer dans un chariot. Dans les écoinçons, deux
anges sonnent de la trompette. Les douze apôtres étaient placés, non
comme des statues dans des niches, mais comme des groupes de per-
sonnages dans les deux enfoncements pratiqués des deux côtés des pieds-
droits de la porte. On voit comme, d'une disposition extrêmement simple
comme plan, l'architecte Libergier avait su faire un ensemble très-déco-
ratif et facile à suivre d'un coup d'œil ^ Les deux porches donnant dans
l'axe des collatéraux ne se composaient chacun que d'une seule arcade
percée entre les deux gros contre-forts des clochers. Cette arcade, sur-
montée d'un gable, comme celles du porche central, avait 12 pieds d'ou-
verture (2 toises). Mais comme ces portes latérales étaient celles qui
servaient habituellement (la porte centrale n'étant ouverte que pour les
> L'église Saint-Nicaise a été démolie depuis la (in du dernier siècle. En ordonnant
cette démolition, les gens de Reims ont privé lenr ville et la France d'un des pins beaux
monuments de l'art an xiii* siècle. Heureusement les documents sur cet édifice ne font
pu trop défaut; on en possède des plans et quelques gravures, entre autres celle de la
façade, qui est un véritable chef-d'œuvre et qui est due au graveur rémois de Son. Cette
pièce mte date de 1626.
— 299 — [ MAC» ]
procesMons ou pour laisser écouler U foule), lenrs porches avaient plus
de profondeur (une UHse), et k l'intérieur étaieot disposés des Umbours
à demeure, Irès-ingénieusement combinés. Le plan (Ug. 39) fait Toir la
disposition de ces tambours en A, et l'entrée des escaliers des clochers,
entrée qui se trouvait aussi en dehors de l'église, quoique ^rantie par
la porte extérieure. Les espaces A, B, étaient couverts par des berceaux
en tiers-point comme les archivoltes, et les tympans des portes décorés
[ poRcuï 1 —sou-
de bas-reliefs dans des quatre-feuilles et des lobes, corame celui de la
parle centrale. Les nus D étaient couverts des mêmes semis fleurdelisée
en petit relief. Libergier paraît fitre le premier qui ail eu l'idée défaire
ainsi des porches, des hors-d'œuvre rappelant ces ouvrages provisoires
qu'on élève devant les portails des églises h l'occasion de cerlaines so-
lennités. Cette idée fut développée plus tard avec plus ou moins de bon-
heur, mais sans qu'on ait, nous semble-t-il, dépassé ce premier essai.
Cependant' à Troyes, dans la même provinlee, il existe encore deux
porches d'une disposition très-remarquable (levant les portes du Irans-
septde l'église Saint-Urbain ■. Ces porches sont de véritables dais sou-
tenus par des arcs-boutants reportant la ppussée et la charge de leurs
voûtes sur des contre-forts extérieurs isolés. Le plan de l'un de ces por-
ches, en tout semblables entre eux [flg; 30], indique celte disposition.
L'espace ABCD est voûté. Ces deux voûtes reposent sur le mur du
transsept et sur les trois piles B, Ë, C. Tt-ois arcs-boutants G, E, H repor*
lent la poussée extérieure de ces voûtes sur les trois contre-forts 1, K, L.
La légèreté de cette construction, éltvée en liais de Tonnerre d'une
excellente qualité, est surprenante. Ces deux voûtes ont réellement
l'apparence d'un dais suspendu, car leur saillie laisse à peine voir les
frêles colonnes qui les reçoivent. Quant aux contre-forts I, K, L, malgré
leur importance relative. Ils sont tellement hors d'œuvre (les deux con-
tre-forts I, L, étant d'ailleurs au droit de ceux de l'égliseO, M), qu'ils ne
paraissent pas appartenir au porche et que l'œil ne s'y arrête pas. En P,
< Nai]« aians très-iouTent locca%\oa de parler de celte jolie jgVie, qui préwnle \t
développement le ptiu complet et le plui extnardinure de cette architecture cbampe-
noise du nn* «iècte Ifoj. ARcniTEcrvitE uuontin, GomrBrcnoH, ttg. <03, 103, 101,
105, 106 ; FntTM, Pam). .
— 301 — [ K)ACaB ]
nous avops tracé à l'échelle de 0",05pour mètre l'une descoloones d'an-
gle J^^Ç, ét'e'h R le détail k la même échelle du pilier S avec sa niche T.
Une coupe faite sur XV [Hg. 31) rend compte de cette singulière struc-
ture dont le géométrai ne peut donner qu'une idée très-incomplète. En
perspective, les contre-forts et les arcs-boutants ne se projettent pas
comme dans le géométrai, ils se séparent du porche, le laissent indé-
pendant. L'arc-boutant A, par exemple, à un plan éloigné et butant le
premier contre-fort du chœur, ne participe pas de la construction du
porche < ; les contre-forts marqués 1 et L dans le plan paraissent se rat-
tadier eus-mémes à l'église et non au porche. Il y a dans cette compo-
> C'Mt riK-bouUnt in>n)iij Y nir le pUin (Apr. 30).
[ PoncHE ) — 303 —
sition une entente de l'effet que ne peut rendre un géométnl et qu'ex-
prime difflcilemenl mAme une vue perspective. Hais ce qui doit attirer
l'attention des architectes dans les porches de l'église Saînt-iJrbatii,
c'est la grandeur du parti. Malgré leur excessive légèreté et la téniùlé
des divers membres de l'architecture réduits ft leur plus fiiiblé dimen-
— 303 — [ FORCHK ]
sioD, ces porches sont grands d'écbelle et n'ont pas la maigreur qu'on
reproche à beaucoup d'édifices élevés à la fin du xiii* siècle et au com-
meoGement du xiv. L'élévation faite sur la ligne ai du plan (fig. 32) fait
asseï voir combien cette composition est lai^e, claire , et comme les
détails sont soumis aux masses. Sur les deux archivoltes latérales
sOBt..é)#vés des gables, comme sur la face ; et les combles en ardoises
[ PORCHE ] — 304 —
suivent les pentes .de cesgAbles, de sorte que les eaux s'écoulent par des
caniveaux posés sur les arcs-boutants et par les gargouilles posées au
devant des contre-forts (voy. la coupe). Par derrière, ces combles for-
ment croupe avec chéneau, afin de dégager les grandes fenêtres du trans-
sept. Les gables indiquent donc la forme des combles, ce qui est ration-
nel. Au-dessus des deux portes percées sous le porche s'ouvrent deux
fenêtres, ainsi que le fait voir la figure 32, fenêtres dont les meneaux
se combinent adroitement avec les gables à jour qui surmontent ces
deux portes.
La construction des porches de SaintrUrbain est conçue comme celle
de toutes les autres parties de cette jolie église; c'est-à-dire qu'elle se
compose de grands morceaux de pierre de Tonnerre formant une véri-
table devanture pour les archivoltes, gables, balustrades, claires-voies et
clochetons, et d'assises basses pour les contre-forts. Quant aux remplis-
sages des voûtes, ils sont faits en petits matériaux K Ces porches, comme
toute la construction de l'église Saint-Urbain, élevée d'un seul jet,
datent des dernières années du xin** siècle, et sont une des œuvres les
plus hardies et les plus savantes du moyen âge. Le xiv* siècle n'atteignit
pas cette légèreté, et surtout cette largeur de composition, dans les
œuvres du même genre qu'il eut à élever. Ainsi le porche méridional
de l'église Saint-Ouen de Rouen, bâti vers la fin du xiv* siècle, est loin
d'avoir cet aspect ample et léger; il est plus lourd et surchargé de dé-
tails qui nuisent à l'ensemble. Le porche occidental de l'église Saint-
Maclou, à Rouen, est certainement un des plus riches qu'ait élevés le
XV' siècle, mais il prend toute l'importance d'une façade, et ne semble
pas avoir cette destination spéciale si bien indiquée à Saint-Urbain de
Troyes \ La disposition du porche de Saint-Maclou a cela d'intéressant
cependant^ qu'elle se prête à la configuration des voies environnantes, et
que les arcs latéraux forment en plan deux pans coupés très-obtus avec
l'arc central, pour donner à la foule des fidèles un accès plus facile.
L'église Saint-Germain TAuxerrois, à Paris, possède un porche du
commencement du xv* siècle, qui est parfaitement conçu. 11 s'ouvre sur
' la face par trois arcades principales qui comprennent la largeur de la
nef, et par deux arcades plus étroites et plus basses, au droit des colla-
téraux; une arcade semblable de chaque côté, en retour, donne des
issues latérales. Les voûtes, fermées sur les deux travées extrêmes plus
basses, sont surmontées de deux chambres couvertes par deux coudries
aigus et éclairées par de petites fenêtres percées dans les tympans rache-
tant la différence de hauteur entre les grands et les petits arcs. Une
balustrade couronne cette construction couverte en terrasse, sous la rose,
dans la partie centrale.
'1 Pour le système de construcUon ado|ité à Saint- tlfbaia de Troyes, toyet, à Tartlck
GoNstaucTioif, les fleures it)3, lOA, 105 et 106.
^ Voyei les belles photographies que MM. Bissoa f^éi^s ont faites de ce poiWhei
— 505 — [ PORGHB ]
La sculpture et les détails de ce porche, bien des fois retouchés et
depuis peu grattés à vif, mauquent de caractère, sont mous et pauvres.
Le porche de l'église Saint-Germain l'Auxerrois n'est bon à étudier
qu'au point de vue de l'ensemble et de ses heureuses proportions. La
porte centrale qui s'ouvre sur la nef date en partie du siii* siècle, c'est
le seul fragment de cette époque qu'on retrouve dans tuut l'édiQce,
rebâti pendant les xiV, xy' et xvi' siècles. Le parti adopté dans la con-
struction de ce porche nous parait remplir assen bien les conditions
imposées par les besoins d'une grande église paroissiale, pour que nous
en présentions ici (fig. 33} l'aspect général.
01
Oo observera que les arcades d'exlréoiités, étant plus basses que celles
centrales, les fidèles réunis sous ce vestibule extérieur, profond d'ail-
leurs, sont parfaitement abrités du vent et de la pluie, bien que la circu-
lation soit facile. On n'en saurait dire autant des portiques, péristyles
ou porches, prétendus classiques, établis au de>'ant des églises b&ties
depuis deux siècles. I^es péristyles de Saint-Sulpice, de la Madeleine, de
Saint-Vincent de Paul, de Notre-Dame de Loretle, présentent peut-être
une décoration majestueuse, mais ils sont, contre le vent, la pluie ou le
soleil, un obstacle insuflisant.
Sur la face méridionale de l'église collégiale de Poissy, on remarque
encore les restes d'un joli porche du xvi' siècle ; mais cet appendice,
reconstruit vers 1821, a perdu son caractère. Un des plus beaux porches
élevés à cette époque est sans contredit celui qui abrite la porte méri-
Tii. — 59
[ PORCHE ] — 306 —
(lionale de la cathédrale d'Alby ^ Ce porche est un véritable dais porté
sur des piliers en avant de l'entrée de Téglise. Il s'élève au sommet d'un
grand emmarchement autrefois défendu, à sa partie inférieure, par un
ouvrage fortifié dont on voit des restes assez importants. Nous donnons
(fig. 3^) le plan du porche de la cathédrale d'Alby avec Temmarchement
qui le précède et la défense antérieure. Les arcades A et B s'ouvraient sur
une vaste plate-forme entourée de murs crénelés. La figure 85 présente
une vue perspective de ce porche prise du côté de l'emmarchement.
Le porche de la cathédrale d'Alby est une des compositions des der-
nières écoles du moyen âge, et produit un merveilleux effet : bâti de
pierre blanche, il se détache sur le ton de brique de l'église et sur le ciel
de la manière la plus pittoresque; sa position, si bien choisie au sommet
d'un long degré, en fait l'enlrée la plus imposante qu'on puisse ima-
giner. Autrefois une longue et haute claire-voie vitrée s'ouvrait au-des-
sus de la porte^ sous la voûte du porche, et donnait une grande lumière
dans l'église, d'ailleurs très-sombre ^.
Nous n'avons pu, dans cet article, donner tous les exemples de por-
ches d'églises qui méritent d'être mentionnés; nous nous sommes borné
à reproduire ceux qui présentent un caractère bien franc, qui accusent
clairement leur destination, et dont la composition offre cette originalité
due à des artistes de talent. Les églises de France sont certainement
celles qui présentent les exemples les plus variés, les mieux entendus
et les plus grandioses de porches du moyen âge. En Allemagne, ils sont
rares; en Angleterre, habituellement bas et petits. Mais certainement,
nulle part en Europe, ni en Italie^ ni en Espagne, ni en Allemagne, ni en
Angleterre, on ne voit des porches qui puissent être comparés, même de
loin, à ceux de Chartres, de Saint-Urbain, de Saint-Maclou, de la cathé-
drale d'Alby, de Saint-Ouen de Rouen, et de Saint-Germain l'Auxerrois.
Porches annexes a des constructions civiles. —Les articles Escalier,
Perron, donnent quelques exemples de porches combinés avec les degrés
principaux des palais et châteaux. Sur la voie publique, il n'était pas
possible d'établir des porches en avant des maisons. Celles-ci possé-
daient parfois des portiques continus ou des saillies en encorbellement
formant abri, ou encore de véritables auvents à demeure (vôy. Auvent,
Maison). Les porches proprement dits eussent gêné la circulation, surtout
dans les villes du moyen âge, dont les rues sont généralement étroites.
Quelquefois, dans les cours, un pavillon portant son angle saillant sur
un seul pilier formait un petit porche devant une entrée ou à l'issue
d'une allée, ainsi que le fait voir la figure 36 ^. A l'angle d'une place
> Voyez Cathédrale, fig. 50.
'^ M. Daiy, architecte diocésain d'Alby, a été depuis peu chargé de restaurer ce porche,
et s'est acquitté de cette tache dilficile avec un talent remarquable.
^ Voyei, à l'article Maison, le plan et rélêvation de l'hôlel de la Trémoille (fig. 36
et 37), la tourelle formant porche à rez-de-chaussée, à rentrée de l'allée conduisant au
jal^in. Voyez aussi Tarticle Tourelle.
[ FOHCBE ]
publique OU (l'un carrefour, on Inissait aussi, d»DS certains cas, sous une
maison, un espace couvert et ajouré sur la voie publique; mais ces abnt
— M9 — [ PORCHE ]
étaient des loges plutôt que des porches, on en étAblissait près des mar-
chés : c'étaient des parloirs, ce qu'on appelle aujourd'hui des boarset,
sur une petite échelle '.
Cependant les vignettes des manuscrits du xv* siècle présentent fré-
quemment des porches assez importants devant des hàteU, sur la voie
publique ; et ces porches sont toujours figurés comme étant relativement
très-ornes. Un beau manuscrit de cette époque, appartenant & la biblio-
thèque de Troyee (n° 178), donne un poi-che d'b6tel dont voici en plan la
disposition (fig. 37). Le porche A est placé à l'angle du bâtiment et forme
tambour dans l'intérieur. L'élévation perspective fournie par le manu-
■ VojM Lo».
[ PORCHE 1 — 310 —
scril esl reproduite par noire figure 38, Ce porche est très-petit d'échelle,
ce n'est qu'un abri pouvant contenir quatre personnes. C'était ce qui
convenait à l'entrée d'une habitation. Au-dessus de la console portant la
retombée du gable de face, est placée une de ces statues de la sainte
— 311 — [ POHGHB ]
Vierge, si fréquentes dans les carrefours des villes du moyeo ftgc et aux
angles des rues.
Mais la forme des porches la plus habituellement adoptée deranl les
construclions civiles, telles que hospices, maladreries, maisons de réu-
nion de bourgeois, habilulions rurales, est celle que retrace notre
Ugure 39. Ces annexes se composaient d'un bahut avec pileltes de pierre
sur lesquelles des sablières de bois portaient une charpente lambrissée
dont l'écartement n'était maintenu que par des entraits retroussés. Lu
légèreté de ces sortes de constructions n'a pas permis qu'elles arrivassent
jusqu'à nous, et s'il en reste encore quelques débris, c'est qu'ils ont été
engagés au milieu de bâtisses plus récentes. Dans les contrées du Nord,
en Suède, en Angleterre même, on a continué fort tard à élever des
porches suivant ce système; aussi en trouve-t-on encore quelques-uns
debout, d'autant que les charpentes mises en ipuvre étaient, dans ces
pays, beaucoup plus épaisses que celles adoptées en France. H était
d'usage aussi, dans la Flandre, d'élever des porches en bois en avant
[ PORT ] — 312 —
des ponts-levis des châteaux et manoirs, afin de mettre à couvert les gens
qui attendaient qu'on leur permit d'entrer ; mais, chez nous, ces sortes
d'ouvrages ont toujours l'apparence d'un châtelet, ou tout au moins d'un
corps de garde défendu (voy. Porte).
Nous n'avons donné qu'un petit nombre des exemples que fournissenlles
porches du moyen âge, relativement à leur abondance, car, ces annexes
devant être élevées sur des programmes non uniformes, il était naturel
de varier leur aspect, autant que leur structure et leur disposition géné-
rale. Il est beaucoup de porches importants que nous avons mentionnés,
et qui demanderaient une étude toute spéciale : tels sont les porches
de Notre-Dame de Chartres, ceux de la cathédrale de Bourges, ceux
de Saint-Maclou de Rouen, de l'église de Louviers, et, parmi les porches
beaucoup plus anciens, ceux de Saint-Front de Périgueux, des églises de
l'Auvergne, celui de Notre-Dame des Doms à Avignon, etc. Quant aux
annexes en dehors des portes, qui, pour nous, à cause de leur peu de
saillie, ou plutôt à cause de leur liaison intime avec l'édifice auquel elles
appartiennent, ne sauraient être considérées comme des porches, nous
les classons dans les portails.
PORT, s. m. 11 ne nous reste que peu de traces des ports maritimes
établis pendant le moyen âge. Les dispositions des ports changeant sans
cesse par suite des développements du commerce, on ne doit point être
surpris de ne plus trouver des ports datant de plusieurs siècles, con-
servés entier. Cependant, dès le xi* siècle, les côtes de France possé-
daient des ports assez importants. Sans parler des ports de la Méditer-
ranée, qui, comme celui de Marseille, dataient d'une époque très-reculée,
on comptait encore à cette époque ceux de Fréjus, d'Agde, de Narbonne,
d'Antibes, qui pouvaient réunir un grand nombre de navires. Tout porte
à croire que le port antique de Marseille, pratiqué encore pendant le
moyen Âge, occupait la place du vieux port de cette ville. Sur les côtes
de rOcéan, il y avait, au xii' siècle, des ports à Bordeaux, à la Rochelle,
à l'embouchure de la Loire, à Brest, et dans la Manche, à Saint-Maio, à
Granville, à Cherbourg, à Caen, à Dieppe, à Boulogne, à Wissant
Ces ports furent, la plupart, étendus et protégés par des travaux im*
portants pendant les xiii'' et xiv° siècles. On voit encore à l'entrée des
ports de Marseille une des tours qui défendaient le goulet du port, et qui
date du xiV siècle. A l'entrée du port de la Rochelle, il existe aussi une
belle tour, dont les soubassements sont fort anciens et dont le couronne-
ment date du xiv'' siècle, qui défendait le chenal. Elle se reliait à un
ouvrage élevé de l'autre côté du goulet fermé par une sorte de herse.
M. Lisch, architecte, a découvert des traces très-intéressantes de ces
défenses, et doit en faire le sujet d'un travail qui sera rendu public. La
même ville possède un beau phare datant des xiv« et xv*" siècles, lequel
est encore entier, bien qu il ne soit plus employé à cet usage. A Aigues-
Mortes, le roi Louis IX fit tout d'abord établir à l'entrée du port qui lui
— 313 — [ PORTAIL ]
servit de base d'opérations pour ses expéditions d'outre-mer, une toiir
très importante qui était couronnée par un feu, et qui est connue aujour-
d'hui sous le nom de tour de Constance.
Les ports étaient fermés, pendant le moyeu âge, par des chaînes et
môme quelquefois par des herses qui étaient suspendues entre deux
tours séparées par le chenal. Il faut dire qu'à cette époque, les navires
du plus fort tonnage n'avaient que 6 à 7 mètres de largeur entre bor-
dages.
L'emploi des jetées était dès lors habituel, comme il l'est de nos
jours, soit pour abriter les passes pendant les gros temps, soit pour
maintenir la profondeur d'un chenal et empêcher son ensablement.
Les soubassements de la jetée occidentale de Dieppe sont fort anciens
et existaient avant le xvi* siècle, puisque à cette époque cette jetée
fut reconstruite en partie. Mais le peu de ressources dont on pou-
vait disposer alors pour entreprendre les travaux dispendieux, devenus
si fréquents aujourd'hui, faisait, toutes les fois que la disposition des
côtes le permettait, qu'on profitait d'une embouchure de cours d'eau
ou d'un étang pour faire un port; et alors, au besoin, on établissait des
canaux de communication avec la mer lorsque, comme cela est fré-
quent pour les étangs salés, les goulets naturels étaient ensablés ou
même bouchés totalement. C'est ainsi que les étangs qui formaient le
port d'Aigues-Mortes avaient été mis en communication avec la haute
mer. C'est ainsi que saint Louis avait fait creuser le canal de Bouc, qui
permettait de faire entrer des navires dans l'étang de Berre, près de
Marseille.
PORTAIL, s. m. Avant-porte. Ébrasements ménagés extérieurement en
avant des portes principales des églises pour former un abri. Ce qui dis-
tingue le portail du porche, c'est que le portail ne présente pas, comme
le porche, une avancée en hors-d'œuvre, mais dépend des portes elles-
mêmes. Bien que les portes des cathédrales de Paris, de Bourges,
d'Amiens, de Reims^ de Rouen, c^ Sens, de Senlis, soient abritées par
des voussures profondes surmontées même de gables^ comme à Amiens
et à Reims, cependant on ne saurait donner à ces saillies le nom de
porches.
Les portails de nos grandes églises ont fourni aux architectes du
moyen âge des motifs splendides de décoration. Ils sont ornés habituel-
lement de nombreuses statues, de figures et de bas-reliefs, sur les pieds-
droits en ébrasement, sur les voussures et dans les tympans au-dessus
des portes. Cette disposition des portails d'églises appartient à notre pays,
à l'architecture issue de TIle-de-France au xii* siècle, et certainement on
y reconnaît la marque d'un sentiment vrai et grand de l'art décoratif.
Entourer ainsi les portes principales des églises d'un monde de statues
et de bas-reliefs formant parfois une suite de scènes dramatiques, c'est
une idée hardie, neuve, et qui produit un grand effet, car on ne saurait
vn. — liO
[ PORTE ] — 316 —
fournir une place plus favorable au statuaire. Les ébrasements obliques,
éclairés par le soleil de la manière la plus variée, donnent aux sculptures
un relief qui semble leur prêter la vie. Aussi la plupart de ces grands
portails, tels que ceux de Notre-Dame de Paris, de Reims, d'Amiens,
forment de véritables poèmes de pierre qui attirent toujours l'attention
de la foule. (Voy. Cathédrale, Porte.)
PORTE, s. f. Baie servant d'issue, au niveau d'un sol. Toute porte se
compose de deux jambages^ d'un linteau ou d'un cintre. Les jambages
possèdent un tableau et une feuillure destinée à recevoir les vantaux.
Nous diviserons cet article en portes fortifiées de villes et châteaux ; en
portes de donjons et tours ; en poternes ; en portes d'abbayes ; en portes
d'églises extérieures et intérieures; en portes de palais et maisons, exté-
rieures et intérieures.
Portes fortifiées tenant aux enceintes de villes, châteaux, manoirs.
-^11 existe encore en France quelques portes romaines et gallo-romaines
qui présentent les caractères d'une issue percée dans une enceinte et
protégée par des défenses. Telles sont les portes de Nimes, d'Arles, de Lan-
gres, d'Autun : les premières antérieures à l'établissement du christia-
nisme, celles d'Autun datant du iv« ou v" siècle. Ces portes sont toutes
dressées à peu près sur un même plan. Elles consistent en deux issues,
l'une pour l'entrée, l'autre pour la sortie des chariots, et en deux pas-
sages pour les piétons ; elles sont flanquées extérieurement de deux tours
semi-circulaires formant une saillie prononcée. Les portes d'Arroux et
de Saint-André, à Autun, sont surmontées, au-dessus des deux arcs
donnant passage à travers l'enceinte, d'un chemin de ronde à claire-voie,
qui pouvait servir au besoin de défense. Les baies, s'ouvrant sur la voie
publique, n'étaient fermées que par des vantaux de menuiserie, sans
herses ni ponts mobiles ^
La porte de Saint-André, à Autun, est l'une des plus complètes
de toutes celles que nous possédons en France , et se rapproche de
l'époque du moyen âge '. Elle est d'ailleurs entièrement tracée sur le
modèle antique, et possède deux voles A (fig. 1), deux issues pour les
piétons B, deux tours C, servant de postes militaires , avec leurs deux
escaliers D montant aux étages supérieurs '. On retrouve encore sur
la voie^ en A, des fragments nombreux de ce pavé romain en gros blocs
irréguliers. Au droit des deux poternes B étaient établis des trottoirs, et
en E était creusé un large fossé dont on aperçoit encore le profil. La voie
^ Les traces de herses .ipporontes dans les pieds-droits de ces portes datent dti
moyen âge.
^ Ainsi que nous l'avons dit plus haut, cette porte paraît ne pas remonter au delà
du V* siècle 4
3 La tour de droite seule existe jusqu'au niveau du sommet de la porte, mai» son
escalier, dont on ne voit plus que ks traces, a été détruit.
— MS — [ FORTS J
formait une chaussée qui s'élendait extérieurement assez loin dans la
vallée, comme pour mettre en évidence les arrivants. L'ouvrage princi-
pal (flg. 2) est coDStruit en gros blocs de grés posés jointifs, sans mor-
tier, suivant la méthode romaine. On voit, dans notre flgure2, le chemin
de ronde supérieur percé d'arcades d'outre en outre et communiquant
avec le premier étage des tours et le chemin de ronde des courtines.
Ces tours possédaient encore au-dessus deux autres étages , réser-
vés & la dérense, l'un couvert par une voûte, et le dernier à ciel
ouvert. On y arrivait par les escaliers à double rampe indiqués sur le
plan.
[ PORTE ] — 316 —
Nous nous sommes souvent demandé, en voyant les portes des villes
de Pompéi, de Nîmes, d'Aulun, de Trêves, toutes si bien disposées pour
l'entrée des chariots et des piétons, pourquoi, depuis qu'on a prétendu
revenir aux formes de l'antiquité grecque et romaine, on n'avait jamais
adopté ce parti si naturel des issues jumelles? La réponse à cette ques-
tion, c'est que Ton s'est fait une sorte d'antiquité de convention, lors-
qu'on a prétendu en prescrire l'imitation. Placer un pilier dans le milieu
d'une voie paraîtrait, aux yeux des personnes qui ont ainsi faussé l'esprit
de l'antiquité, se permettre une énormité. Beaucoup d'honnêtes gens
considèrent les portes Saint-Denis et Saint-Martin à Paris, si peu faites
pour le passage des charrois, comme étant ce qu'on est convenu d'ap-
peler une heureuse inspiration d'après les données de l'antiquité. Mais
pour l'honneur de l'art antique, jamais les Romains, ni les Grecs byzan-
tins, ni les Gallo-Romains, n'ont élevé des portes de ville aussi mal dis-
posées. Leurs portes sont larges, doubles, et n'ont jamais, sous clef, une
hauteur supérieure à celle d*un chariot très-chargé. Elles sont accom-
pagnées de poternes, ou portes plus petites pour les piétons, profondes;
c'est-à-dire formant un passage assez long, plus long que celui des baies
charretières, afin de permettre au besoin un stationnement nécessaire.
Quelquefois même ces poternes sont accompagnées de bancs et d'arcades
donnant sur le passage des chariots. Telle est, par exemple, la disposi-
tion de la porte dite d'Auguste, à Nîmes.
Les tours et remparts touchant à la porte de Saint-André d'Autun
sont construits en blocages revêtus extérieurement et intérieurement
d'un parement de petits moellons cubiques, suivant la méthode gallo-
romaine. Bien que les détails de cette porte soient médiocrement tracés
et exécutés, l'ensemble de cette construction, ses proportions, produi-
sent l'elFet le plus heureux.
Mais on conçoit que ces portes n'étaient pas suffisamment couvertes,
fermées et défendues pour résister à une attaque régulière. Il est vrai,
qu'en temps de siège, on établissait, en avant de ces entrées, des ouvrages
de terre et bois, sortes de barbacanes qui protégeaient ces larges issues.
Ces ouvrages de terre, avec fossés et palissades, s'étendaient même par-
fois très-loin dans la campagne, formaient un vaste triangle dont le
rempart de la ville était la base et dont le sommet était protégé par une
tour ou poste de maçonnerie. A Autun même, on voit encore, de l'autre
côté de la rivière d'Arroux, un de ces grands ouvrages triangulaires de
terre, dont les deux côtés aboutissaient à deux ponts, et dont le sommet
était protégé par un gros ouvrage carré de maçonnerie, connu aujour-
d'hui sous le nom de temple deJanns, et qui n'était en réalité qu'un poste
important tenant l'angle saillant d'une tête de pont Ce qui reste de
cette tour carrée fait assez voir qu'elle était dépourvue de portes au
niveau du rez-de-chaussée, et qu'on ne pouvait y entrer que par une
ouverture pratiquée au premier étage et au moyen d'une échelle ou d'un
escalier de bois mobile.
— 317 — [ PORTE ]
Quand le sol gallo-romain fut envahi par les hordes venues du nord-
esl, beaucoup de villes ouvertes furent fortifiées à la hâte. On détruisit
les grands monuments, les temples, les arènes, les théâtres, pour faire
des remparts percés de portes flanquées de tours. On voit encore à
Vésone (Périgueux), près de l'ancienne cathédrale du x* siècle, une de ces
portes. Il n'y a pas longtemps qu'il en existait encore à Sens, à Bourges,
et dans la plupart des villes de l'est et du sud-est du sol gaulois. Beau-
coup de ces ouvrages furent môme construits en bois, comme à Paris,
par exemple.
Quand plus tard les Normands se jetèrent sur les pays placés sous
la domination des Garlovingiens, les villes durent de nouveau établir
à la bâte des défenses extérieures, afin de résister aux envahisseurs. Ces
ouvrages ne devaient pas avoir une grande importance, car il ne paraît
pas qu'ils aient opposé des obstacles bien sérieux aux assaillants; les
récits contemporains les présentent aussi généralement comme ayant été
élevés en bois; et d'ailleurs l'art de la défense des places n'avait pas eu
l'occasion de se développer sous les premiers Garlovingiens.
Ce n'est qu'avec l'établissement régulier du régime féodal que cet art
s'élève assez rapidement au point où nous le voyons arrivé pendant le
XII' siècle. Les restes des portes d'enceintes de villes ou de châteaux
antérieures à cette époque, toujours modifiées postérieurement, indi-
quent cependant déjà des dispositions défensives bien entendues. Ces
portes consistent alors en des ouvertures cintrées permettant exactement
à un char de passer : c'est dire qu'elles ont à peine 3 mètres d'ouverture
sur Z k U mètres de hauteur sous clef. Il n'était plus alors question,
comme dans les cités élevées pendant l'époque gallo-romaine, d'ouvrir
de larges ouvertures au commerce, aux allants et venants, mais au con-
traire de rendre les issues aussi étroites que possible, afin d'éviter les
surprises et de pouvoir se garder facilement. De grosses tours très-sail-
lantes protégeaient ces portes.
Nous ne trouvons pas d'exemple complet de portes de villes ou châ-
teaux avant le commencement du xii' siècle. Un de ces exemples, par-
venu jusqu'à nous sans altération aucune, se vott au château de Garcas-
sonne, et il remonte à 1120 environ. Nous donnons (fig. 3] le plan de
cette porte à rez-de-chaussée. On arrive à l'entrée par un pont défendu
lui-même par une large barbacane bâtie au xiii' siècle '. Le tablier de ce
pont Â, dont les parapets sont crénelés ^, est interrompu en B, et laisse
en avant de l'entrée une fosse de 3 mètres environ de longueur sur
3 mètres de largeur. Un plancher mobile, qu'on enlevait en cas de siège,
couvrait ce vide. La porte, qui n'a pas 2 mètres de largeur sur 2"',30 de
hauteur, est surmontée d'un large mâchicoulis, fermée par une herse G,
un vantail D et une seconde herse Ë. Un poste placé dans la salle F de la
* Nous donnons plus loin la porte de cette barbacane.
^ Ce pont date du xiii* siècle.
[ POKTE ) — 318 —
lourde ^uche nvaîtson entrée en G, sons le passage. Un second poste H,
placé dans la tour de droite, avait son entrée sous un portique donnant
sur la cour intérieure du château. En K, est un très-large fossé. Des
meurtrières disposées dans les deux salles F et H commandent l'entrée
et les dehors. On ne pouvait monter aux étages supérieurs de celte porte
que par des escaliers de boîs posés le long du parement intérieur de
l'ouvrage en I. Le plan (fig. 4) est pris au niveau de la chambre 0 de la
seconde bcrsc tombant dans la coulisse P, formant aussi mâchicoulis.
On arrive k cette chambre par la salle L et par l'escalier M. Deux trous
carrés II, percés dans le sol des deux salles des tours, traversent la voûte
des salles ilu rez-de-chaussée et correspondent à deux autres trous
percés dans les voûtes du premier étage, de manière à mettre en com-
— 319 — [ PORTE ]
muaication les défenseurs postés à l'étage supérieur avec les servants de
la seconde herse et avec les gens des postes inférieurs. Ces trous^ qui
ont 0*" ,63 de largeur sur 0'^,5d de long, permettaient même au besoin de
placer des échelles. Mais ils étaient surtout percés pour faciliter le com-
mandement, qui partait toujours de la partie supérieure des défenses.
La tigure 5 présente la coupe longitudinale de la porte faite sur Taxe.
On voit, en B, Tintcrruption du tablier du pont; en G, la coulisse de la
première herse, et en D, la coulisse de la seconde. La première herse
est manœnvrée de l'étage supérieur, en E, placé immédiatement sous le
plancher réservé aux défenseurs. La seconde herse est manœuvrée de la
chambre dont nous avons donné le plan (fig. U). Les trous des hourds
de la défense supérieure sont apparents en G *. Devant la première herse
est disposé un grand mâchicoulis ; un second mâchicoulis est percé
devant la seconde herse. En H, nous donnons la coupe de la chambre
de la herse faite sur la ligne abcd du plan (flg. U), avec les salles voûtées
du rez-de-chaussée et du premier étage. La coupe (fig. 5) montre égale-
ment les escaliers de bois qui permettent de monter de la cour du châ-
teau» soit à la chambre de la herse, soit à l'étage supérieur. Une première
porte de bois était disposée en avant de la fosse, sur le pont, en I, afin de
commander le tablier de celui-ci. Cet espace en avant de la première
herse était abrité des traits qu'auraient pu lancer les assaillants, par un
petit comble en appentis, laissant d'ailleurs passer les projectiles tom-
bant du premier mâchicoulis. Ainsi, en cas d'attaque, une garde postée
sur le tablier mobile couvrait d'abord le tablier du pont fixe de pro-
jectiles. Si l'on prévoyait que la porte I allait être forcée, on faisait tomber
le tablier mobile. Du haut de la tour d'où Ton pouvait facilement voiries
dispositions de l'attaque, on laissait couler la herse, on fermait le vantail
derrière elle, et l'on commandait, au besoin, de laisser tomber la seconde
herse. Alors toute la défense agissait du haut, soit par les hourds, soit
par les meurtrières, soit parle grand mâchicoulis. Si l'on voulait prendre
l'offensive et faire une sortie, on commandait du haut de lever la seconde
herse, on massait son monde sous le passage de la porte, on préparait
une passerelle, on faisait lever la première herse et l'on ouvrait le van-
tail. Était-on repoussé, on rentrait quelquefois ayant l'ennemi derrière
soi ; mais en laissant du haut tomber la première herse, on séparait ainsi
les assaillants les plus avancés de la colonne massée sur le pont et on les
faisait prisonniers.
La iigure 6 est une vue perspective de la porte prise du pont, en sup-
posant la défense de bois et son appentis enlevés. Sur les flancs des tours
on voit les deux corbeaux destinés à porter la traverse postérieure de
cet appentis. La première herse est supposée levée et la fosse non
fermée par son tablier mobile. Sauf les herses qui ont été supprimées,
mais dont toutes les attaches et les moyens de suspension sont appa*
' Voyef UouRD^ lig. 1.
[ POBTE ] — 320 —
rents, celte porlc n'a subi aucune dégradation. Il faut ajouter que la
fosse a été remplacée par une voûte moderne. Cette construction e»t
faite de petites pierres de grès jaune et est exécutée avec grand sois.
Les salles sont voûtées en calotte avec de petits moellons bien taillés.
Les combles qui recouvrent cette entrée ont été refaits depuis peu daos
la forme indiquée sur la coupe longitudinale.
- 3!) - [ PMTE ]
Les moyens d'attaque des places fortes de celte époque admis, moyens
qui ne consistaient qu'en un travail de sape, fort long et périlleux puis-
qu'il était impossible de battre en brèche des tours et courtines dont tes
murs avaient une forte épaisseur, faisaient que les assaillants cherchaient
toujours k brusquer un assaut ou à surprendre l'ennemi. Si les tours et
courtines avaient trop de relief pour qu'il fût possible de tenter une
escalade, surtout lorsque les parapets étaient garnis de hourds, on
essayait de s'introduire dans la place par surprises ou par une attaque
brusquée sur les portes. Dès lors les assiégés accumulaient autour de
ces portes les moyens de défense ; on doublait les herses, les vantaux,
les obstacles, et l'on séparait les treuih de ces herses afin de rendre les
trahisons plus difficiles. Ainsi, dans l'excaiple que nous venons de pré-
senter, on voit que la première herse, celle qui ferme l'issue à l'exté-
rieur, est manœuvrÉe du haut ; c'est-à-dire de l'étage où tous les défen-
seurs de la porte sont réunis, où se trouve nécessairement le capitaine.
Les gens chargés de cette manœuvre, ainiîi entourés du gros du poste,
vli. — il
[ PORTE ] — 322 —
sous les yeux du commandant, pouvaient difficilement trahir. La cham-
bre de la seconde herse est lolalemcnt séparée du premier treuil. Les
hommes chargés de manœuvrer cette seconde herse ne voyaient pas
ce qui se passait à l'extérieur, et ne pouvaient s'entendre avec ceux
postés au premier treuil. Ils pouvaient môme être enfermés dans cette
chambre. On évitait ainsi les chances de trahison : car il faut dire
qu'alors les défenseurs comme les assaillants d'une place étaient recrutés
partout, et ces troupes de mercenaires étaient disposées à se vendre au
plus offrant; beaucoup de places étaient prises par la trahison d'un
poste, et toutes les combinaisons des architectes militaires devaient ten-
dre à éviter les relations des postes chargés de la manœuvre des ferme-
tures avec les dehors, à les isoler complètement ou à les placer sous l'œil
d{\ capitaine.
Les surprises des places par les portes étaient si fréquentes, que non-
seulement on multipliait les obstacles^ les fermetures dans la longueur
de leur percée, mais qu'on plaçait, au dehors, des barbacanes, des
ouvrages avancés qui en rendaient l'approche difficile, qui obligeaient
les entrants à des détours et les faisaient passer à travers plusieurs
postes.
Aujourd'hui, lorsqu'on assiège régulièrement une place, on établit la
première parallèle à 600 ou 800 mètres, et en cheminant peu à. peu vers
le point d'attaque par des tranchées, on établit les batteries de brèche le
plus près possible de la contrescarpe du fossé ; les assiégeants, avec l'ar-
tillerie à feu, ne se préoccupent guère des portes que pour empêcher les
assiégés de s'en servir pour fiire des sorties. Mais lorsque l'attaque d'une
place ne pouvait être sérieuse qu'au moment où l'on attachait les mi-
neurs auxremparts, on conçoit que les portes devenaient un point faible.
L'attaque définitive étant extrêmement rapprochée, toute ouverture, toute
issue devait provoquer les efforts de l'assiégeant.
En étudiant les portes fortifiées des places du moyen Âge, il est donc
très-important de reconnaître les dehors et de chercher les traces des
ouvrages avancés qui les protégeaient ; car la porte elle-même, si bien
munie qu'elle soit, n'est toujours qu'une dernière défense précédée de
beaucoup d'autres.
La porte de Laon à Coucy-le-Chàteau est, à ce point de vue, une des
plus belles conceptions d'architecture militaire du commencement du
moyen âge. Bâtie, ainsi que les remparts de la ville et le château lui-
même, tout au commencement du xiii' siècle par Enguerrand IH, sire de
Coucy *, elle donne entrée dans la ville en face du plateau qui s'étend
*' litt pftrio de Laon à Coucy est d'uno date un peu nriléricure à la construction du
cbAlcau. Naturellement Tenceinte de la \\\\c dut précéder l'édification du château et du
fameux donjon; celte porte, par son style et sa structure, appartient aux premières
années du xm^ siècle. Enguerrand III prit possession de sa seigneurie >ers 1183, et
mourut en 1242.
— 35:i — 1 POHTs J
du côlé de Laon. Cette porte, placée en face de la langue de- terre qui
réunit le plateau à la ville de Coiicy, donnait une entrée presque de
niveau dans la cité ; mais à cause de cette situation même, elle deman-
dait à être bien défendue, puisque cette langue de terre est le seul point
par lequel on pouvait tenter d'attaquer les remparts, dominant, sur tout
le reste de leur périmètre, des escarpements considérables. Au commen-
cement du XIII* siècle, voici quel était le système défensif des abords de
cette porte (f)g. 7).
En A, était tracée la route de Laon, reportée aujourd'hui en B ; en G,
une voie descendant dans la plaine et allant vers Cbauny '. En D, était
une grande barbacane dans laquelle se réunissaient les deux voies pour
atteindre un viaduc E, admirablement construit sur arcades en tiers-
point. Ce viaduc aboutissait à une tour 'G, bâtie dans l'axe de la porte H.
Du point de jonction F des roules au point Ë, ce viaduc s'élevait par une
pente sensible vers la ville. Il était de niveau du point E au seuil de la
porte; du seuil de cette porte au point H sous le couloir de l'entrée, il
existait encore une pente. Des salles inférieures de la porte, par un sou-
terrain d'abord, percé sous le passage, et par des baies percées dans
chacune des piles du viaduc, on arrivait au niveau D de la barbacane,
sous la voie supérieure. Ainsi, de laTille,etsansouvrir aucune des herses
et vantaux de la porte elle-même, sans abaisser le pont & bascule, sans
I Celte Toie i;<it encore nppiircnle.
[ PORTE ] — 326 ~
ouvrir les vantaux des baies de la tour G, les défenseurs pouvaient se
répandre dans Tenceinte de la barbacane, se porter aux issues L et K, à
la tour du coin P, et sur les chemins de ronde terrassés garnis de palis-
sades. Si la barbacane était forcée, les défenseurs pouvaient rentrer dans la
ville, sous le viaduc, sans qu'on fût obligé d'ouvrir les vantaux des portes
de la tour G, non plus que les herses de l'ouvrage principal. Plus tard,
vers la lin du xv* siècle, un beau boulevard rjevêtu et encore entier fut
construit sur l'emplacement de la tour G, dont les substructions restèrent
engagées ainsi au milieu du terre-plein ; le viaduc fut maintenu et en
partie englobé dans les maçonneries du boulevard. Le plan (fig. 8) donne
l'ensemble de ces constructions successives. Ce plan est pris au niveau
de l'étage inférieur de la porte. De la ville on descend, par deux esca-
liers A, dans deux salles basses B, et de ces salles dans le souterrain G.
On suivait le viaduc dans sa longueur sur des ponts volants D, posés
d'une pile à l'autre jusqu'à la grande barbacane et en traversant l'étage
inférieur de la tour G. Nous verrons tout à l'heure le détail de l'amorce
de ce passage avec la porte, et du pont à bascule placé en Ë. Notre plan
donne, en teinte plus claire, le boulevard construit vers la fin du
XV* siècle, et qui est d'un grand intérêt pour l'histoire des défenses
appliquées à l'artillerie à feu ^ Alors les ingénieurs se servirent du
passage souterrain pour permettre d'arriver aux galeries inférieures de
ce boulevard. Ils fermèrent seulement les arcades I par de la maçon-
nerie et comblèrent le passage des ponts volants. Vers la partie détournée,
le viaduc ne servit plus que de pont passant sur un fossé, pour attein-
dre, du plateau, le niveau de la plate-forme du boulevard ^. Les es-
paces R formaient fossé séparant le plateau de la ville et déclinant à
droite et à gauche vers les escarpements naturels. Les galeries infé-
rieures du boulevard, indiquées sur le plan, étaient percées de nom-
breuses meurtrières couvrant le fond de ce foâsé de feux croisés. Get
aperçu de l'ensemble des défenses de la porte de Laon à Coucy fait assez
connaître l'importance de ce poste militaire, et comme il était puis-
-samraierit dérendu. Examinons maintenant la porte en elle-même, assez
bien «oriserVée encore aujourd'hui pour qu'on puisse juger du système
îadopté par le constructeur *. Le plan (fig. 8) est pris au-dessous du pavé
de la tille, de sorte que le sol des deux salles formant caves non voûtées
•et des deux salles rondes V est au-dessus du niveau du fond du fossé K,
■ • •
' 1 Voyez MEUBTBiiRE, fig. 11.
' ^ Nous n'avons, sur la tour 6, aujourd'hui enterrée dans te boulevard et sons la route
-actuelle de Laon, que des données vagues, n'ayant pu faire des fouiUes étendues. Quant
au viaduc, il est complet et se distingue même au milieu des adjonctions du xv* siècle.
' Cette porte avait été terrassée au xvi' siècle, au moment des guerres de religion.,
pour pouvoir placer dé l'artiUerie au sommet des tours. Ces rembUus ont été eolevés, il
y a queVlues années, par les soin^ de la Commission des monuments historiques, ^ ce
déblaiement a permis de découvrir les dispositions anciennes que nous présentons dans
cette suite de gravures. *
— 325 — [ POBTE 1
On ne descendait dans ces salles, destinées à servir de magasins, que par
des trappes percées dans le plancher el dans la niche P.
I^ figure 9 donne le plan de la porte, au niveau du pavé àe la ville.
Ce plan montre le passage pour les chariots et les piétons, se rétrécis-
sant vers l'entrée extérieure.
[ PonTF, ] — 32ti —
Ce passage esl voûlé en berceau tiers-point en A, en B elen C; il est
couvert par un pianolier en D. En E, est un large mâchicoulis entre deux
herses. L'entrée F se fermait par le pont G relevé, et en J était une porte
A deux vantaux avec barres. Du couloir D, vers la ville, on entrait par
deux portes détournées dans deux salles J, servant de corps de garde.
On obsenera que les deux entrées dans ces salles sont disposées de telle
K
façon que, du passage, on ue puisse voir rinlérieur^des postes, ni recon-
naître, par conséquent, le nombre d'hommes qu'ils rontiennent. Ces
postes sont chauffés par deux cheminées K, et éclairés par deux fenê-
tres L placées au-dessus des deux descentes de caves marquées A sur le
plan souterrain. De ces deux postes J, on passe dans les salles circulaires
M. percées chacune de trois meurtrières, deux sur le fossé, une sur le
passage.
En N, esl une des trappes donnant dans une trémie qui correspond
à l'étage en sous-sol. Deux escaliers, pris dans l'épaisseur des murs des
tours, permettent de monter au premier étage, dont le plan (fig. 10}
présente une disposition peut-être unique dans l'art de fortifier les
portes au mo3'en âge. Les deux escaliers que nous venons de signaler
arrivent en A dans deux couloirs donnant sur le chemin de ronde K des
courtines, et dans les salles rondes B. De ces salles rondes on monte au
mâchicoulis M percé entre les deux herses, par deux degrés D. Les
salles rondes sont percées de trois meurtrières chacune, donnant sur le
- 327 - [ PORTE ]
dehors ', et d'une fenôtre F donnant sur la ville. Elles soiil, eu outre,
munies de cheminées C. Par les couloirs E, od arrive, soil à la grande
salle S, largement éclairée du ci^të de la ville par cinq fenêtres, soil aus
escaliers à vis qui montent aux défenses supérieures. Des latrines 5ont
disposées en L, et une vaste cheminée s'ouvre en H. Ou conviendra.quo
ces dispositions, soit comme défenses, soit comme postes, sont remar-
quablement entendues. La grande salle S, ayant 22 mélrcs de longueur
sur 8 nr:ètres de largeur, pouvait servir de dortoir ou de lieu de réunion
aune garde de vingt-cinq hommes, sans compter les défenseurs veillant
dans les corps de garde du rez-de-chaussée et dans les trois étages de
salles rondes. Ainsi un poste de cinquante à soixante hommes pouvait
facilement tenir dans cet ouvrage en temps ordinaire, et, en cas d'atlaquc,
il était aisé de doubler ce nombre de défenseurs sans qu'il y eût encom-
brement. Si l'on continue à gravir les deux escaliers à vis, on arrive au
second étage (Rg. 11), et l'on pénètre, soit dans les deux salles circu-
laires A, soit dans les deux échauguetles B, donnant entrée sur un che-
min de ronde crénelé C, du côté de la ville, et permettant aux défen-
seurs de surveiller les abords de la porte i l'intérieur. Les salles A sont
percées chacune de deux meurlrières, d'une fenClre F, et communi-
quent au jeu <ie la hei-se, situé en H, cl au hourd situé en D, par les deux
couloirs G. lin montant encore par les escaliers à vis, on arrive au troi-
sième éUge (lig. 12), qui est l'étage spécialement consacré ù la défense.
' Vuji-i Ukiithiëre, Kg. 0.
I POBTE ] — 328 —
Par les couloirs A, on entre dans les salles circulaires B, on passe dans
les chemins de ronde munis de hourds C, ou sur le chemin de ronde
intérieur P. Des salles circulaires, ou du chemin de ronde extérieur C,
on arrive au jeu du pont-levis situé au-dessus 'du hourd protégeant la
porte.
il
Faisant une coupe sur l'axe de la porte, c'cst-à-dirc sur la ligne ac de
la dernière ligure, on obtient la ligure 13.
Celte figure indique les principales dispositions de cet ouvrage. A est
le sol de la ville. On observera que le sol du passage est Irès-incliné vers
l'entrée, afin de donner plus de puissance ji une colonne de défenseurs
s'opposant i^ des assaillants qui auraient pu franchir le pont et soulever
les herses. En B, on voit, en coupe, le couloir souterrain aboutissant à la
poterne de sortie C, laquelle est mise en communication avec tes pas-
sages pratiqués à travers les piles du pont. Un pont à bascule, pivotant
en Cet muni de contre-poids, permettait, une fois abaissé, de descendre
les degrés D. De ce point il fallait faire manœuvrer un second pont à
bascule, pour franchir les intervalles E, F entre les piles D, G, H. Et ainsi,
soit par des ponts à bascule, soit par des passerelles de planches, qu'on
pouvait enlever facilement, arrivait-on, h travers la tour G du plan
général [flg, 7), jusqu'à la grande barbacano D. Le tablier I du pont
(lig. 13) était interrompu en J et remplacé par un pont-levis, non point
combiné comme ceux de la tla du xiii* siècle et des siècles suivants,
mais composé d'un tablier pivotant en K, de deux arbres L pivotants, et
de deux chaînes passant à travers les mâchicoulis du hourd M; là ces
— 329 — [ PORTE' ]
chaînes se divisaient chacune en deux parties, dont l'une s'enroulait sur un
treuil et l'autre était terminée par des poids. C'était donc du niveau des
hourds N qu'on manœuvrait le poot-levis, c'est-à-dire au-dessus des
mâchicoulis du hourd M. Quant aux deux herses, on les manœuvrait par
un treuil unique ; les chaînes enroulées en sens inverse sur ce treuil per-
mettaient, au moyen d'un mécanisme très-simple, de lever l'une des deux
herses avant l'autre, mais jamais ensemble. Il suffisait pour cela, quand
les herses étaient abaissées, et ne tiraient plus sur le treuil par consé-
quent, de décrocher les chaînes de la herse qu'on ne voulait pas lever,
et de manœuvrer le treuil, soit dans un sens, soit dnns l'autre. L'une des
herses levée, on la calait, on décrochait ses chaînes, on rattachait celles
de la seconde, et Ton manœuvrait le treuil dans l'autre sens. Il n'est pas
besoin de dire que des contre-poids facilitaient comme toujours le
levage. Pour baisser les herses, on raccrochait les chaînes, et on laissait
aller doucement sur le treuil l'une des herses, puis l'autre. L'obligalion
absolue de ne lever qu'une des deux herses à la fois était une sécurité
de plus, et nous n'avons vu ce système adopté que dans cet ouvrage.
Mais il est nécessaire d'examiner eu détait le mécanisme des ponls
et des herses.
En A (fig. U), nous donnons le plan de la chambre de levage des
herses au niveau a de la coupe, et en B, le plan de la plate-forme dé
levage du pont, au niveau à de la même coupe. On observera d'abord
que l'intervalle qui sépare les deux tours, cl qui couvre l'entrée, donne
en plan une portion de cercle. Deux consoles c forment saillie sur celte
VII. — Û2
[ POBTE 1 — 330 —
portion de cylindre et portaient un hourd de bois d, dont il existe en
place des Tragments. Ce hourd était posé sur deux pièces de bois bori-
zonlales e, et consistait en un empilage d'épais madriers courbes figurés
en E dans la coupe. De chaque c6té, sur les flancs des tours, étaient
fixées deux poulies F destinées à diriger les deux chaînes du pont et à
les empêcher de frotter, soït contre le hourd, soit contre la maçonnerie.
Au-dessus de ces poulies, en G, les chaînes se partageaient en deux bran-
ches ; l'une, celle H, allait s'enrouler sur le treuil T, au moyen de la
poulie de renvoi A; l'autre, celle I, était tendue par un conlre-poids K.
[ PORTE ] — 332 —
En appuyant sur le treuil de /*en 9, on enroulait la chaîne et Tgo soule-
vait le pont. Cette manœuvre était facilitée par les contre-poids- K. Lors-
que ce contre-poids était descendu en /, le pont était complètement
relevé. Pour l'abaisser^ on appuyait sur le treuil en sens inverse. Sur le
plan B est indiquée la position du treuil, et par des lignes ponctuées la
projection horizontale des chaînes; la ferme de charpente M étant posée
en m sur ce plan. Un deuxième mâchicoulis existait eu p. Pour manœu-
vrer les deux herses, il était posé à droite et à gauche deux solives
jumelles n (voy. le plan B) sur les traverses y (voy. la coupe), reposant
elles-mêmes sur les deux épaulements s (voy. le plan A). Ces solives
jumelles recevaient chacune deux poulies doubles t^t'^ destinées à rece-
voir, celle ty les deux chaînes de levage et de contre-poids de la herse
extérieure ; celle /', les deux chaînes de levage et de contre-poids de la
herse intérieure. La coupe fait voir le treuil V, avec la chaîne de levage
de la herse intérieure accrochée et la herse 0 levée, son contre-poids
étant par conséquent descendu; la chaîne de levage de la herse exté-
rieure décrochée, celle-ci abaissée et son contre-poids R à son point
supérieur, les deux chaînes de levage s'enroulaient sur le treuil en X
(voy. le plan A), et les manivelles étaient fixées en Y. Aujourd'hui la
construction étant conservée jusqu'au niveau N, les scellements, les
corbeaux, sont visibles, et pour la partie supérieure nous avons retrouvé
les fragments qui en indiquent suffisamment les détails.
Il n*y a rien, dans ce mécanisme, qui ne soit très-primitif; mais ce
qu*il est important de remarquer ici, ce sont les dispositions si parfaite-
ment appropriées au besoin, et conservant par cela même un aspect
monumental, qui certes n'a point été cherché. Il est évident que les
architectes auteurs de pareils ouvrages étaient des gens subtils et réflé-
chissant mûrement à ce qu'ils avaient à faire. Sur tous les points, les
passages, les issues, sont disposés exactement en vue du service de la
défense, n'ont que les largeurs et hauteurs nécessaires, et Tarchilec-
turc n'est bien ici que l'expression exacte du programme. Cependant, à
l'extérieur, l'aspect de cette défense est imposant, et rappelle sous une
autre forme ces belles constructions antiques des populations pri-
mitives.
La figure 15 donne l'élévation extérieure de la porte de Laon, àCoucy,
les ponts étant supposés abattus et les herses levées. Les hourds de bois
de cet ouvrage étaient évidemment permanents et portés sur des con-
soles de pierre, comme ceux du donjon du château.
Toute la maçonnerie est élevée en assises de pierres calcaires du bas-
sin de l'Aisne, d'une exellente qualité. Parementées grossièrement, ces
assises sont séparées par des joints de mortier épais, et l'aspect rude de
ces parements ajoute encore à l'cfTet de cette structure grandiose. Quand
on compare ces ouvrages de Coucy, le donjon, le château, la porte de
Laon, les remparts et les tours, aux travaux analogues élevés vers la même
époque enltalie) en Allemagne et en Angleterre^ c'est alors qu'on peut
- 333 - [ POBTK ]
reconnaître chez nous la main d'un peuple puissanl, doué d'une séné el
(l'une énergie rares, el qu'on se demande,- non sans quelque tristesse,
comment il se fait que ces belles et nobles qualités soient mcronnués, et
qu'un esprit étroit et exclusif ait pu parvenir à répudier da pareilles
œuvres en les rejetantdans les limbes de la barbarie?
Une coupe transversale, faite sur l'axe des tours, sur les passages
[ POMK ] — 33?l —
ouverts sur le mâchicoulis et sur la chambre du levage des herses (flg. 16),
montre l'inlérieur des salles circulaires de ces tours, les passages A sur
te chemin de ronde des courtines, la coupe B des hourds, et tout le sys-
tème de la défense à l'intérieur.
Une deroière Bgure complétera cet ensemble, sur lequel on pourrait
publier un volume : c'est l'élévation de la Face intérieure de la porte
du côté de la ville (flg. 17). L'arcade large, à doubles claveaux, qui donne
entrée dans le passage, est d'un effet grandiose. La grande salle du pre-
mier étage est bien accusée par ces cinq fenêtres carrées à meneaux, et les
deux éc^auguettes d'angle épaulent de la façon la plus heureuse cette
structure si simple.
Cette façade, créoel^ k son sommet^ fait assez voir que les portes.de
— 535 — [ PORTE ]
places bien défendues pouvaienlà la rigueur tenir lieu de petites citadelles
et se défendre au besoin contre les citoyens qui eussent voulu capituler
malgré la garnison. Alors la porte est toujoui-s un poste isolé, commandé
par un chef sûr, et pouvant encore résister en cas de trahison ou d'esca-
i7
Inde du rempart. Nous faisons ressortir, à l'article Arcbitbgture uiutaike,
l'importance de ces postes isolés dans le système défensif du moyen Age,
et il ne paraît pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet.
Laissant de côté, pour le moment, des ouvrages d'une moindre i m-
porlance, mais de la même époque, c'est-à-dire du commencement du
XIII* siècle, nous allons examiner comment, dans l'espace d'un siècle,
ces dispositions avaient pu 6tre modiflées dans la construction de portes
(l'une force semblable.
Sur le flanc oriental de la cité de Carcassonne, il existe une porle
défendue d'une manière formidable, et désignée sous le nom de porte
[ PORTE ] — 336 —
Narbonnaise ^ Celte porte et tout l'ouvrage qui s'y rattache avaient été
bâtis par Philippe le Hardi, vers 1285, lorsque ce prince était en guerre
avec le roi d'Aragon.
Nous présentons (fig. 18) le pian général de x;ette entrée, avec sa bar-
bacane et ses défenses environnantes^. La porte Narbonnaise^ indiquée
en Ë, n'est pas munie d'un pont-levis ; elle s'ouvre sur le dehors de plain-
pied, suivant une pente assez roide de l'extérieur à l'intérieur et d'après
la méthode défensive de ces ouvrages. Les ponts mobiles n'existaient
qu'en B, sur des piles traversant un large fossé en dehors de la barba-
cane A. L'arrivant, ayant traversé ce pont, se présentait obliquement
devant la première entrée C de la barbacane, fermée seulement par des
vantaux. Cette entrée C était flanquée par un redan D de l'enceinte exté-
rieure , qui la commandait complètement. Un autre redan L, avec forte
échauguette sur le rempart intérieur, commandait en outre^ à portée
d'arbalète, cette entrée C '. Se détournant vers sa gauche, l'arrivant se
trouvait en face de la porte; Narbonnaise, défendue par une chaîne, un
mâchicoulis, une herse, des vantaux, un grand mâchicoulis intérieur G,
un troisième mâchicoulis I, une seconde herse et une porte de bois. Deux
meurtrières H sont percées sur le passage entre les deux herses, et dépen-
dent de deux salles à rez-de-chaussée F, dans lesquelles on entre par les
portes V. Ces salles sont encore percées chacune de cinq meurtrières.
La partie attaquable des tours de la porte est renforcée par des éperons ou
becs N, percés chacun d'une meurtrière 0. Nous avons expliqué ailleurs*
la destination spéciale de ces éperons ou becs. Ils obligeaient l'assaillant
à s'éloigner de la tangente, et le plaçaient sous les traits des assiégés. Ils
rendaient nulle l'action du bélier sur le seul point oi!i l'assiégeant pou-
vait le faire agir avec succès. Percer la pointe de ces becs par des meur-
trières au ras du sol extérieur, était encore un moyen d'empêcher l'at-
taque rapprochée.
Des salles F, on prenait deux escaliers à vis qui montaient au premier
étage, d'où se faisait la manœuvre des herses. Sous ces salles sont pra-
tiqués de beaux caveaux pour les provisions.
Des palissades de bois P empêchaient le libre parcours des lices entre
les remparts extérieur et intérieur, et ne permettaient pas d'approcher
du pied des courtines intérieures en M et en K. Les rondes seules pou-
vaient passer par les barrières N, afin de faire leur service de nuit. Une
énorme tour, indiquée au bas de notre figure, et dite tour du Trésau*,
commandait ces lices, et servait encore d'appui à la porte Narbonnaise
en battant' les dehors par-dessus l'enceinte extérieure.
> Voyez Tarticlc Architecture militaire, fig. 11, cl les Archives des monamenh IthiO'
riffues.
- Ce plan ost a réchcUe de 2 miilimctrcs pour mètre.
5 Voyez ÉCIIAVGCETTE, fig. 6.
^ Voyez Architecture militaire, fig. 2A.
» Voyez C0.XSTRUCTI05, fig. U9, 150, 151, 152, 153 et IM.
[ PORTE ] — 338 —
La figure l!) donne le plan du premier étage de la porte Narbonnaise.
Les deux escaliers à vis que nous avons vus indiqués à rez-de-chaussée
débouchent dans les deux salles A , Ces deux salles, voûtées comme celles
du rez-de-chaussée, possèdent une cheminée C chacune, avec four. De
ces deux salles on peut sortir par les deux portes B, sur le chemin de
roade D, s' élevant jusqu'au niveau des coursiëres Ë des courtines, par de
I 1^
grands emmarcheraents. Parles deux passages G on entre de plain-pied
dans la salle centrale F, au milieu de laquelle s'ouvre le grand mâchi-
coulis carré \. En supposant que les assaillants aient pu pénétrer Jusqu'à
la seconde herse, en Torçant les premiers obstacles, on pouvait les acca-
bler de projectiles et de matières enflammées ; les défenseurs chargés de
cet office se tenaient en arrière dans les deux réduits K, cl étaient ainsi
parraitement à l'abri des traits qui auraient pu élre lancés par les enne-
mis, ou soustraits à la fumée et aux flammes des matières accumulées
dans le passage. Par les deux couloirs détournés L, les assiégés se ren-
daient au côté du mâchicoulis antérieur M. De cette salle F, on manœu-
vrait la première herse N et l'on servait le troisième mâchicoulis 0. En
continuant à monter les escaliers H, au-dessus du premier étage, on ne
débouche nulle part et l'on arrive à un précipice; de telle sorte que des
assaillants ayant pu pénétrer dans ces escaliers ù rez-de-chaussée, trou-
vant les portes fermées et barrées au premier étage et continuant à
gravir les degrés comme pour atteindre l'étage supérieur, se trouvaient
pris dans une véritable souricière. Pour monter au deuxième Stage, celui
de ta défense, il faut traverser les salles A, et aller chercher les escaliers
ii vis R qui seuls montent aux crénelages. Pour servir la seconde herse,
il fallait franchir les portes B et se rendre sur la plate-forme P. Les ser-
vants de cette seconde herse recevaient des ordres du dedans par une
petite fenêtre percée au-dessus des mâchicoulis 0. Les deux salles A sont
— 389 — [ PORTE ]
percées, sur les dehors, Tune de trois meurtrières, l'autre de quatre, et
éclairées du côté de la ville par deux fenêtres. Cette description fait assez
connaître le soin minutieux apporté dans l'établissement de cette porte.
Mais la coupe longitudinale fiiite sur ab, que nous présentons (flg. 20],
rendra encore cette description plus claire.
Celte coupe nous montre en A la chaîne suspendue d'un côté de la
porte à un anneau scellé au flanc de la tour, passant dans l'autre tour
par un orifice et retenue par une barre à l'intérieur, lorsqu'on voulait
la tendre. La chaîne était un obstacle qu'on apportait en temps ordi-
naire^ lorsque les herses étaient levées et les vantaux ouverts, à une
troupe de cavalerie qui aurait voulu se jeter dans la ville. Même en
temps de paix on craignait et l'on avait lieu de craindre les surprises. En
B, est le premier mâchicoulis percé en avant de la herse et figuré dans
le plan du premier étage en M. En C, coule la première herse, servie
dans la chambre carrée centrale. En D, est la première porte de bois, à
un vantail, ferrée, barrée, ainsi que le fait voir la figure. En E, la meur-
trière commandant le passage, et au-dessus le grand mâchicoulis carré,
central, avec l'un des réduits décrits dans la figure précédente. En F, le
troisième mâchicoulis percé en avant de la deuxième herse ; en G, cette
seconde herse, manœuvrée du dehors et abritée par un auvent P. Enfin
en H, les derniers vantaux. De la salle du deuxième étag€, par l'œil I, on
pouvait commander la manœuvre .des herses ; car il ne faut pas oublier
que le commandement se faisait toujours du haut. Uu formidable sys-
tème de mâchicoulis doubles en bois et hourds, défendait en outre,
en temps de guerre, les approches de la porte. Les scellements de cet
ouvrage de charpenterie sont aujourd'hui parfaitement visibles. En cas
de siège, on établissait donc en avant du mâchicoulis B un double hour-
dage, avec premier mâchicoulis K et second mâchicoulis L. Ce double
hourd était couvert et crénelé d'archères. Il formait auvent au-dessus
d'une niche dans laquelle est placée une fort jolie statue de la sainte
Vierge. On ne pouvait descendre dans ce double hourd que par la baie N
et des échelles ; de telle sorte que si ces hourds étaient pris par escalade,
ou brûlés, l'assaillant n'était pas pour cela maître de la défense. Dans la
partie supérieure, nous avons figuré les hourds posés. Toute la défense
active s'organisait à l'étage supérieur M, l'étage 0 ne servant que de dépôt
et de salle de réunion pour la garnison. Cette salle 0 est largement
éclairée par de belles fenêtres» du côté de la ville. Nous donnons (fig. 21)
le plan de l'étage M supérieur, dont le plancher était de bois. En WN,
sont les chemins de ronde de la défense, et en X une partie des hourds
en place '.
La figure 22 présente l'élévation extérieure de la porte Narbonijaise,
avec son grand hourdage de bois au-dessus de l'entrée et les hourds de
1 Voyez Fenêtre, fig. 40,
'2 Ce planestÀ 0'n,002 pc
,002 pour mètre.
[ PORTE ] — 3&0 -
couronnement posés sur la tour et la courtine de droite. La tour de
— :(41 — [ pOBTE ]
gauche est présentée avec ses créneaux à Tolets, en temps de paix ', ToutD
la maçonnerie de cet ouvrage est entièrement élevée en belles pierres de
grès, gris verdàlre, d'une bonne qualité. Les assises sont ciselées sur les
arêtes des lits et joints avec bossage brut sur la face ; les lits, très-bien
dressés et posés sur couche de mortier excellent, ont 0",01 d'épaisseur
en moyenne. L'aspect extérieur et intérieur de cette porte est des plus
imposants et les salles intérieures admirablement construites avec beaux
parements layés. Il ne manquait à cette construction, pour être com-
plète, que les combles, qui ont été rétablis depuis peu, sous la direction
de la Commission des monuments historiques^.
Avant de quitter cet édifice si remarquable k tous égards, il est néces-
s.iire de rendre compte du jeu des herses, parfaitement visible encore.
Nous prenons pour exemple la seconde herse, celle qui est manœu-
vrée extérieurement sur le chemin de ronde du cûté de la ville (flg. 23).
En A, la herse est supposée levée. En a, sont les trous de scellement des
deux jambetles du treuil figuré en a' dans la coupe C. On voit encore en
place les deux gros pitons b dans lesquels était enfilée une barre de fer
ronde qui était destinée à maintenir les contre-poids e, lorsqu'ils étaient
abaissés. En outre, deux cales e, figurées en e*, dans la coupe, et entrant
dans deux trous disposés à cet effet, soutenaient la herse levée. Les scel-
lements des deux pièces de bois f qui étaient destinées à supporter les
poulies sont intacts. Lorsqu'on voulait baisser la herse (vojez en B), on
appuyait un peu sur le treuil de manière à enlever facilement les cales c
et à faire glisser la barrette de fer passant dans les pitons b ; puis on lais-
sait aller, en lâchant, sur les deux manivelles du treuil. La herse tom-
bée, on décrochait les deux barres de fer g, et on laissait entrer leurs
leils A dans deux goujons de fer encore scellés dans la muraille. Ainsi
devenait-il impossible, du bas, de soulever la herse. Deux grands cro-
chets de fer scellés en l supportaient une traverse de bois à laquelle était
suspendu l'appentis tracé dans la coupe (Gg. 20), et dans laquelle ve-
naient s'assembler les pièces de charpente f. Les contre-poids rendaient
' Cette éléTBlion est à 0*',002a pour mètre.
* Pour de ptiu amples délailB, tojet let Archives de* monupitnlt hùloriqaei publiées
•on* let auiplcei du iDiawtre de 1* HiImu de l'Empereur et dei Beaui-Arl&
l; PORTE ] — 3?l2 —
la manœuvre facile à deux hommes appuyant sur le treuil. Voulail-on
relever la herse, on faisait sortir les œils h des barres d'arrèlp de leurs
goujons, on accrochait ces barres aux mailles de la chaîne, et l'on ap-
puyai! sur le treuil. Celte manœuvre était simple et rapide. La première
herse s'enlevait par les mêmes moyens. Il s'agissait seulement d'avoir des
contre-poids bien équilibrés, de façon à empêcher la herse de gauchir au
levage ou à la descente.
Il ne parait pas que cet ouvrage ait jamais été attaqué, et, depuis
l'époque de sa construction, l'histoire ne signale aucun siège en règle
- 3Ù3 — [ TOBTE ]
de la cité de Carcassonae, bien qu'à plusieurs reprises le pays ait été
[ PORTE 1 — 3a4 —
envahi, soit par les troupes du prince Noir, soit par les troupes de
l'Aragon, soit dans des temps de guerres civiles. C'est qu'en effet, avec
les moyens d'attaque dont on disposait au moyen âge, la cité était une
place imprenable, et la porte Narbonnaise, la seule accessible aux char-
rois, eût pu défier toutes les attaques.
Lorsqu'on visite cette porte dans tous ses détails, outre la beauté de la
construction, la grandeur des dispositions intérieures, on est émerveillé
du soin apporté par l'architecte dans chaque partie de la défense. Rien
de superflu, aucune forme qui ne soit prescrite par les besoins; tout esl
raisonné, étudié, appliqué à l'objet. Nous ne connaissons aucun édiûce
qui ait un aspect plus grandiose que cette large façade plate donnant du
côté de la ville. Ce n'est qu'un mur percé de fenêtres et de meurtrières;
mais cela est si bien construit, cela prend un si grand air, qu'on ne peut
se lasser d'admirer, et qu'on se demande si la scrupuleuse observation
des nécessités en architecture n'est pas un des moyens les plus puis-
sants de produire de l'effet.
Le mode d'attaque des places devait nécessairement influer sur les dis-
positions données aux portes fortifiées. Lorsque les armées assiégeantes
n'avaient pas encore adopté des moyens réguliers, méthodiques, pour
s'emparer des places, il est clair que leurs efforts devaient se porter sur
les issues. La première idée qui venait au commandant d'une armée
assiégeante, dans des temps où l'on ne possédait pas des moyens des-
tructifs organisés^ était naturellement d'entrer dans la place assiégée par
les portes, et de concentrer tous ses moyens d'attaque sur ces points
faibles ; aussi, par contre, les assiégés apportaient-ils alors à la défense
de ces portes un soin minutieux, accumulaient-ils sur ces points tous
les obstacles, toutes les ressources que leur suggérait leur esprit subtil.
Cependant, déjà vers la fin du xii* siècle, Philippe-Auguste avait su faire
des sièges réguliers , conduits avec méthode et à l'instar de ce que
faisaient les Romains en pareil cas. Pendant le xiii' siècle, quelques
sièges bien conduits indiquent que l'art d'attaquer les places se main-
tenait au point oii Philippe-Auguste l'avait amené ' ; mais les progrès
sont peu sensibles, tandis que l'art de la défense se perfectionne d'une
manière remarquable. A la fin du xiti* siècle, la défense des places avait
acquis une supériorité évidente sur l'attaque, et lorsque les places
sont bien munies, bien fortifiées, elles ne peuvent être réduites que par
un blocus étroit. Mais dès le commencement du xiv* siècle, les engins
s'étant très-perfectionnés, les armées agissant avec plus de méthode et
d'ensemble, on voit apparaître dans l'art de la fortification des modiû-
cations importantes. D'abord les ouvrages de bois, qui occupent une si
large place dans les forteresses jusqu'alors, disparaissent ; et en effet,
à l'aide d'engins puissants, surtout après l'expérience acquise en Orient
pendant les dernières croisades, on mettait le feu à ces hourds, si bien
I Voyoz l'article SiAgk.
— 345 — [ PORTE ]
garnis qu'ils fusseat de peaux fraîches ou de feutres mouillés. On
renonça donc d'abord aux hourds de bois mobiles, établis seulement en
temps de guerre^ et on les remplaça par des hourds de pierre, des mâ-
chicoulis ^ Puis les perfectionnements apportés dans l'attaque étaient
assez notables pour qu'on ne s'attachât plus à forcer les portes: on pra-
tiquait des galeries de mine, on aifouillait les fondations des tours, on
les étançonnait avec du bois, et, en mettant le feu à ces soutiens, on fai-
sait tomber des ouvrages entiers. On possédait des engins destructifs
assez puissants pour battre en brèche des points saillants, ou pour jeter
dans une place une si grande quantité de projectiles de toutes sortes, des
matières enflammées, infectantes, qu'on la rendait inhabitable. Dès lors
la défçnse des portes prenait moins d'importance. Il ne s'agissait plus
que de les mettre à l'abri d'un coup de main, de les bien flanquer et de
leur donner assez de largeur pour qu'une troupe pût rentrer facilement
après une sortie, ou prendre TofFensive en cas d'un échec essuyé par
l'assiégeant.
Ces portes étroites et basses des xii* et xiii* siècles, si prodigieusement
garnies d'obstacles, prennent de l'ampleur ; les petites chicanes accumu-
lées sous leurs passages disparaissent, mais en revanche les fianquements
et les ouvrages avancés sont mieux et plus largement conçus; les défenses
extérieures deviennent parfois ce qu'on appelait alors des bastilles, c'est-
à-dire de véritables forteresses à cheval sur un passage.
Philippe le Bel fit élever, pendant les dernières années du xiii* siècle,
en face d'Avignon, une citadelle importante ^, ouverte par une seule
porte, du côté accessible, c'est-à-dire au midi, en face de la petite ville
de Villeneuve-lez-Avignon. Cette porte est flanquée de deux grosses
tours couronnées de mâchicoulis. Son ouverture^ au point le plus étroit,
est de 4", 20, largeur inusitée pour les portes des xu* et xiii" siècles.
Nous en donnons le plan à rez-de-chaussée (flg. 24). Entre deux arcs
en tiers-point coule une première herse A, derrière laquelle, en B, rou-
lait une porte à deux vantaux. En G, est un mâchicoulis, devant la
seconde herse D, derrière laquelle également était suspendue une seconde
porte à double vantail. Les mâchicoulis de couronnement défendent la
première herse. On pénètre dans les deux tours par les portes E, fermées
par des vantaux à coulisse, manœuvres des salles du premier étage.
Les deux herses A et D se manœuvraient d'une salle voûtée située direc-
tement au-dessus du passage; deux escaliers à vis montent du rez-de-
chaussée aux salles du premier et à la plate-forme supérieure, qui est
dallée sur voûtes. Sur cette plate-forme, au-dessus de la salle de ma-
nœuvre des herses, s'élève un châtelet carré voûté en berceau, sur la
plate-forme dallée duquel on arrivait par une échelle de meunier pas-
sant par une trappe ménagée au centre du berceau. Dans cette construc-
* Voyez lIoL'RD, MACuicoiuâ.
- Voyez l'article Po.nt, où il est parlé de ces ouvrages ù propos du pout Suint-Bciiezttl
ci' An ig non.
vu. — W
[ PORTE ] _ 3i6 —
lion, tout ouvrage de charpenterie avait été exclu, atin de soustraire celte
défense aux chances d'incendie. La construction est traitée avec un soin
extrême; élevée en excellente pierre de Villeneuve, par assises réglées
de 0",27 de hauteur, elle n'a subi aucune altération. Les voûtes sont
faites avec la plus grande perfection, épaisses, bien garnies dans les
reins par une maçonnerie excellente. Les deux escaliers à vis donnent
dans des chambres, cachots et latrines, placés dans les épaulements qui
réunissent ces tours aux deux courtines voisines. Sur le flanc de l'épau-
lement de gauche, on voit l'une de ces descentes de latrines, tombant
sur les dehors. Un pont-levis, d'une époque plus récente, avait été dis-
posé en avant de la première herse. Les abords de celte porte étaient
primitivement défendus par un ouvrage avancé, sorte de barbacase qui
est représentée dans la figure 23, donnant l'élévation extérieure de la
porte de Villeneuve-lez-Avignon. Cette élévation fait voir, au centre, le
chAIclet carré qui surmonte la plate-forme et les couronnements cré-
nelés des escaliers à vis qui, à droite et à giiuche, servaient de guette cl
complétaient la défense des deux pans coupés. Le châtelet, par sa po-
sition dominante, commandait les abords et pouvait recevoir un ou deux
engin» i^ longue portée. Des engins, pierriers, mangonneaux, pouvaient
également être dressés sur les plates-formes dallées des tours. Par la
suppression des combles de charpente on évitait donc les incendies, et
l'on rendait, par l'installation des machines de jet, les npproches plus
— S(|7 — [ TOBTE ]
diniciles; car res engins rernpHssAJenl alors l'ofllce de nos pièces de
rempart. Tout porte à croire que les deux pans coupés qui unissent les
lours AUX courtines étaient principalement destinés h recevoir de ces
formidables machines qui, dans cette position, battaient les assaillants
2S
qui eussent voulu s'approcher de la porte par les flancs des deux tours.
C'était ainsi, en effet, qu'on attaquait les portes pendant les sièges,
depuis le xir siècle. Les assiégeants se gardaient de se présenter en face
de ces portes, toujours munies sur leur Front. Ils formaient leur attaque,
[ PORTE ] — 3'l** —
suivanl une lî^rn! oblique, en se couvrant par des manlclels, dos épau-
lemenls et des galeries de bois, conli-e les projectiles des nourlines;
laissant les baiLacanes, dont ils occupaient les défenseurs par des
attaques rapprochées, ils les prenaient laléialemenl, et arrivaient ainsi
à la base îles tours des portes, au point le plus diniciie à défendre '.
C'était en prévision de ce genre d'attaque queles construclours mili-
H
taires faisaient ces becs saillants, ces éperons renforçant les tours de
portes au point attaquable et obligeant l'assaillant à s'éloigner de la
tangente; mais dés l'instant qu'on pouvait munir les couronnementi
des tours de macbines dejel à longue portée, ce moyen de défense rap-
prochée devenait superflu.
Une coupe faite suivanl l'axe du passage de la porte de Villeneuve
Icï-Avignon (flg. 26) complétera l'intelligence de ce bel ouvrage d'un
' Vojret l'uiiclc Sitci.
-^ 'àU9 — [ PORTE ]
aspect vraiment imposant. Celle coupe B indique la coulisse de la pre-
mière herse en C, les premiers vantaux en /", la coulisse de la seconde
herse en D elles seconds vantaux en e. On observera que, conformément
à l'usage admis, autant que la configuration du terrain le permettait,
le sol du passage s'élève de l'extérieur à l'intérieur. Au-dessus du pas-
sage, se voit la chambre de manœuvre des deux herses, et au-dessus de
cette salle le châlelet supérieur, surmonté d'un engin à longue portée.
Devant la seconde herse D, s'ouvre un mâchicoulis. La figure A donne la
coupe transversale du passage fait sur oAen regardant du côté de l'entrée. *
En E, sont encore scellés les trois anneaux de fer, de O^^ÎS de diamètre,
qui servaient à suspendre les poulies nécessaires à la manœuvre des
chaînes de la première herse.
Mais la place de Villeneuve-lez-Avignon est située sur une colline de
roches abruptes, et sa porte s'ouvre en face d'un contre-fort descendant
vers la plaine. Dans une pareille situation, il n'est besoin ni de fossés,
ni d'ouvrages avancés très-forts, car l'assiette du lieu offre déjà un ob-
stacle difficile à vaincre. La circulation des allants et venants se borne
à des sorties et à des rentrées d'une garnison. La porte que nous venons
de présenter ci-dessus est donc plutôt l'entrée d'un château que d'une
ville populeuse et dont les issues doivent être laissées libres tout le jour.
Les portes de la ville d'Avignon étaient bien, au xi\» siècle, des ouvrages
disposés pour une cité fortifiée, mais contenant une population nom-
breuse et active.
Les remparts d'Avignon furent élevés de 13/i8àl364. Ils étaient percés,
soit du côté du Rhône, soit du côté de la plaine, de plusieurs portes,
parmi lesquelles nous choisirons la porte Saint-Lazare, l'une des mieux
conservées et sur laquelle nous possédons des documents complets ^
La porte Saint -Lazare d'Avignon fut détruite, ou du moins fort
endommagée par une inondation formidable de la Durance en 1358.
Elle fut reconstruite sous Urbain V, vers 136/i, avec toute la partie des
remparts qui s'étend de cette porte au rocher des Doms, par l'un des
architectes du palais des Papes, Pierre Obreri, si l'on en croit la
tradition.
Voici (fig. 27) le plan général de cette porte, avec le châlelet qui la
couvrait. Il ne reste plus aujourd'hui de ces constructions que la porte A
et les soubassements d'une partie du châlelet, mais des dessins complets
des ouvrages avancés nous sont conservés *.
Les arrivants se présentaient par une voie B sur le flanc du châlelet;
ils devaient franchir un premier pont-levis G, traverser l'esplanade du
châlelet diagonalement, se faire ouvrir une barrière D ; passer sur un
> G*est à robU}<eaucc de M. Achard, le savant archiviste de la préfecture de Vaiicliisp,
que nous devons la plus grande partie des renseignements qui nous ont aide à restituer
celle porte dans son état primitif.
^ Les dessins appartiennent à M. Achard, qui a bien voulu nous les laisser copier.
[ PORTE ] _ 350 —
second pont-levis E, entrer dans un ouvrage avancé P fermé par le pont-
levis et défendu par deux échauguelles avec mâchicoulis ; se présenter
devant la porte protégée par une ligne de mâchicoulis supérieurs, par
une herse et par un second mâchicoulis percé devant les vantaux. 1^
chAtelet était complètement entouré par un fossé G rempli d'eau, de
même que le grand fossé H protégeait les remparts. Ces fossés étaient
alimentés par les cours d'eau naturels qui cernaient la ville sur toute
l'étendue des murailles ne faisant pas face au Rhône.
Trois tours peu élevées flanquaient le chàtelet. On montait à l'étage
supérieur de ces tours et aux crénelages descourtines par les escaliers K.
Une vue cavalière (flg. 28), prise du point X de notre plan, fera saisir
l'ensemble de cette porte avec ses défenses antérieures.
Les trois tours du châtelet étaient voûtées et couvertes par des plates-
rormes dallées à la hauteur du crénelage.
[ PORTE ] — 352 —
Il est facile de voir que le châtelet était ouvert à la gorge et com-
mandé parTavant-porte, de môme que cette avant-porte était commandée
par la tour carée couronnant la dernière entrée. Cet ouvrage était donc
déjà construit suivant cette règle de fortification, que ce qui défend doit
ôlre défendu.
La coupe longitudinale faite sur la porte A du plan et Tavant-porte
(fig. 29) fait saisir les détails de cette défense. En B, est le pont-levis
abaissé ; en G, la porte qui conduit par un degré pris dans l'épaisseur de
la muraille au crénelage de Tavant-porte ; en D, la coulisse de la herse;
en G, le mâchicoulis qui protège les vantaux H; en I, le passage couvert
par un plancher. La herse se manœuvrait du palier K, auquel on montait
par un escalier L posé sur la saillie du mur inférieur; car il faut noter
que le mur supérieur M est beaucoup moins épais que le mur du
rez-de-chaussée. Get escalier L servait d'ailleurs à dégager Tescalier
marqué I sur le plan général, et qui aboutissait en retour à côté de
Tarcade plein cintre portant le jeu de la herse. Du palier K, en prenant
un escalier de bois, on montait àTétage supérieur sous la couverture, et
Ton entrait sur le chemin de ronde du crénelage par la porte P ménagée
dans un tambour de pierre posé à Tangle du crénelage. Ghacune des
portes des remparts d'Avignon était munie d'une cloche, afin de pouvoir
prévenir les défenseurs ou les habitants en cas d'attaque ou de surprise.
Si nous faisons une section transversale sur la ligne ab de la figure 29 et
du plan général, en regardant rentrée de l'avant-porte, nous obtenons le
tracé S. Le pont-levis étant relevé, son tablier fermîiit l'issue T, et ses
bras, passant à travers les deux rainures V, ainsi qu'il est marqué en V
sur la coupe longitudinale, ne gênaient nullement la défense. Le créneau
milieu, ses deux meurtrières, restaient libres, et les deux échauguettes
latérales J flanquaient la porte. De la salle du premier étage de la tour on
passait sur les chemins de ronde des courtines par les portes N. Du côté
de la ville, un simple pan de bois Y percé de baies fermait les étages
supérieurs de la tour.
La figure 30 donne, en A, la face de Touvrage avec Tavant-porte, et en
B, la face de la tour, en faisant une section sur l'ouvrage avancé.
La porte Saint-Lazare d'Avignon est remarquable déjà par la simplicité
des constructions. Ici on ne voit plus cette accumulation d'obstacles
dont la disposition compliquée devait souvent embarrasser les défenseurs.
Les portes d'Avignon ne sont pas, il est vrai, très-fortes, mais elles ont
bien le caractère qui convient à l'enceinte d'une grande ville. La porte
Saint-Lazare, avec son boulevard ou barbacane extérieure, protégeait
efficacement un corps de troupes voulant tenter une sortie ou étant
obligé de battre en retraite. On pouvait, sur l'esplanade du boulevard,
masser facilement cinq cents hommes, protéger leur sortie au moyen des
flanquements que fournissaient les tours ; et eussent-ils été repoussés,
ils trouvaient dans cette enceinte un refuge assuré, sans que le dés-
ordre d'une retraite précipitée pût compromettre la défense principale,
— Si3 — [ POHTË ]
celle de la porte tenant aux courtines. Enfin, le boulevard fùt-il tombé
aux mains de l'assiégeant, les défenses étant ouvertes complètement du
cdté delà ville, les assiégés, au moyen ëuitout de l'avanl-porle crénelée,
pouvaient contraindre l'assaillant à i>e lenfernier dans les trois tours
VII. —65
1" POHTB j — îJ'i —
rondes el à laisser l'esplanade el les courtines libres, ce qui facilitait un
retour agressif.
La disposition des portes ouvertes à Iravers une simple tour carrée,
sans flanquements, appartient plus particulièrement h la Provence. Il
existait à Orange, fi Marseille, et il existe enrore à Carpentras, à Aigues-
Mortcs, des portes de la lin du xtii* et du commencemenl du xiv* siècle,
percées à travers des tours carrées sans échaugnettes ou tourelles flan-
quantes; tandis que les ouvrages de ce genre qui appartiennent au
domaine royal sont, sauf de très-rares exceptions, munis de tours rondes
ou dellanquements prononcés. .
La petite ville de Villeneuve-sur-Yonne possède encore une très-jolie
porte du commencement du .\iv' siècle, qui, par la disposition de ses
flanquements, mérite d'Être signalée entre beaucoup d'autres.
— 355 — [ PORTE ]
Cette porte, modinée au xvi' siècle, dans sa partie supérieure, par de
nouvelles loilurcs, laisse cependant voir toutes ses dispositions primi-
tives, La figure 31 en donne le plan.
En A, était un ponl-levis flanqué par deux tourelles angulaires forman
éperons el pleines dans leur partie inférieure. En B, était un large mâ-
chicoulis, bouché aujourd'hui, qui protégeait la première herse C. Des
vantaux de bois formaient le passage en E. En G, est la seconde herse
précédée d'un second mâchicoulis, et en 1 une .seconde paire de van-
taux. On montait aux étages siipérieurs de la porte et aux courtines
par tes deux escaliers extérieurs H. En P, se présentaient obliquement,-
; PORTE I — 350 -
xt.
& l'extérieur, deux grands mâchicoulis qui baltaienl le pout-levis et
— 357 — [ POHTE ]
à travers lesquels passaient les chaînes servant à enlever le tablier. Le
tracé M donne le plan de la partie supérieure de la porte. On voit les
deux échauguettes flanquantes crénelées qui commandent le pont et les
dehors ; en N, les deux mâchicoulis obliques à travers lesquels passent
les chaînes 0 du pont-levis ; en S, le treuil servant à manœuvrer les
chaînes; en T, la défense supérieure dominant tout l'ouvrage.
La figure 32 présente l'élévation extérieure de la porte de Villeneuve-
sur-Yonne. Cette élévation fait saisir la double fonction de mâchicoulis
obliques. Toute cette construction est élevée en cailloux de meulière
avec chaînes de pierre aux angles. Elle est bien traitée, et les mortiers en
sont excellents. C'est peut-être à la bonté de cette construction et au peu
de valeur des matériaux que nous devons sa conservation.
Une coupe longitudinale faite sur la partie antérieure de la porte
(fig. 33) fait voir la manœuvre du pont-levis et son mécanisme. Des
contre-poids, suspendus en arrière des deux longrines du tablier, facili-
taient son relèvement, lorsqu'on appuyait sur le treuil T. La première
herse abaissée, le mâchicoulis qui la protège était ouvert aux défenseurs.
Daifs cet exemple, comme dans tous ceux précédemment donnés, la
défense n'agit que du sommet de la porte, et par la disposition des
échauguettes et des grands mâchicoulis obliques, le fossé ainsi que les
abords du pont pouvaient être couverts de projectiles.
On comprend qu'un pareil ouvrage, si peu étendu qu'il soit, devait
être très-fort. D'ailleurs les courtines avaient un grand relief, et étaient
renforcées sur le front opposé à la rivière par un gros donjon cylindrique
qui existe encore. Toute l'enceinte de cette petite ville, si gracieusement
plantée sur les bords de l'Yonne, n'était percée que de quatre portes
semblables, deux sur les fronts d'amont et d'aval, et deux autres, Tune
près du donjon, l'autre en face du pont jeté sur l'Yonne. Six tours cylin-
driques plantées aux angles formés par les courtines complétaient les
défenses. Quant au donjon, il est séparé de la courtine, qui s'infléchit en
demi-cercle pour lui faire place, par un fossé. Il ne se reliait au chemin
de ronde que par un pont volant, et était percé, vers les dehors, d'une
poterne au niveau de la contrescarpe du fossé.
En 137/i, le roi Charles V flt refaire l'enceinte de Paris sur la rive gau-
che, en reculant les murs fort au delà des limites établies sous Philippe-
Auguste. Cette nouvelle enceinte suivait h peu près la ligne actuelle des
boulevards intérieurs et était percée de six portes, qui étaient, en par-
tant d'amont, les portes Saint-Antoine, du Temple, Saint-Martin, Saint-
Denis, Montmartre, Saint-Honoré. La plupart de ces portes étaient éta-
blies sur plan carré ou barlong avec tourelles flanquantes. L'une des plus
importantes, et dont il nous reste des gravures, était la porte Saint-
Denis ^ a Nos roys, dit Dubreul*-^, faisans leurs premières entrées dans
1 Voyez la tapisserie de T Hôtel de ville, le grand plan à vol d'oiseau de Mérian, les
gravures d'Israël Sylvestre.
2 Livre III, p. 1062, édition de 1612.
( rOHTE ] — 'ISo —
« Paris, eolrenl par cette porle, qui est ornée d'un riche avanl-porlail,
1 où se voyenl par adoiiralion diverses stfttues et ligures qui sont faictes
Il el dressées exprès, avec plusieurs vers et sentences pour explications
a d'icelles C'est aussi par ceUe porte que les corps des défuncts
— 359 — [ PORTE ]
« rois sorteot pour être portez en pompes funèbres à Saint-Denys en
a France » La porte Saint-Denis de Paris était bâtie fort en saillie sur
les courtines et formait un véritable châtelet, dans lequel on pouvait faire
loger un corps de troupes. En 1^13, le duc de Bourgogne se présenta
devant Pairis vers Saint-Denis, dans l'intention, disait-il, dé parler au roi ;
mais, dit le Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de Charles VI *, a on
a lui ferma les portes, et furent murées, comme autreffois avoit esté, avec-
a ques ce très grant foison de gens d'armes les gardoient jour et nuyt...»
Et en effet, la plupart de ces portes furent murées plusieurs fois pen-
dant les guerres des Armagnacs et Bourguignons. Ainsi, à cette époque
encore, au commencement du xv' siècle, on ne se fiait pas tellement aux
fermetures ordinaires des portes de villes, qu'on ne se crût obligé de les
murer en cas de siège. Il faut dire que ce moyen était particulièrement
adopté lorsqu'on craignait quelque trahison de la part des habitants.
Alors les portes devenaient des bastilles, des forts, permettant de réunir
des postes nombreux sur l'étendue des remparts.
Les portes bâties à Paris sous Charles V se prêtaient parfaitement à ce
service, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant la vue cavalière
que nous donnons de la porte Saint-Denis (fig. 3i!»). La grande saillie
que présentait cet ouvrage sur les courtines donnait un bon flanque-
ment pour l'époque, et avait permis l'établissement d'une fausse braie,
avec petit fossé intérieur entre ces courtines et le large fossé qui était
alimenté par des cours d'eau, aujourd'hui en partie perdus sous les
constructions modernes de la ville '^,
Celte porte fut restaurée ou plutôt modifiée au xvr siècle. Les créne-
lages supérieurs furent remplacés par des parapets destinés à recevoir de
l'artillerie. Elle fut démolie sous Louis XIV, pour être remplacée par
l'arc triomphal qui existe encore aujourd'hui et qui se reliait à un sys-
tème de courtines et de bastions non revêtus.
Notre vue cavalière fait voir la petite cour intérieure, qui était néces-
sairement entourée de meurtrières au premier étage, de façon à couvrir
de projectiles les assaillants qui auraient pu forcer le pont-levis. Le pre-
mier étage contenait ainsi des salles sur les quatre côtés de la cour, pou-
vant renfermer une assez nombreuse garnison. Deux escaliers pratiqués
dans les tourelles en arrière-corps desservaient ces salles et l'étage supé-
rieur crénelé, couvert en terrasse. Probablement les arcades latérales
étaient percées de larges mâchicoulis, et dans leurs murs de fond don-
nant sur la cour s'ouvraient des meurtrières enfilant l'intervalle entre
la fausse braie et la courtine.
En dehors, des barrières et palissades défendaient les approches du
ponceau', protégé lui-même par un crénelage et deux échaugueltes.
* Gollecl. Michaud, l. If, p. 641. ,
*^ La gravure d'Israël Sylvestre fait voir la place de la fausse braie avec son fossé ou
arrière.
' Voyez Barrière.
[ PonTB ] — 360 —
Comme tous les ouvrages élevés à Paris pendant le moyen âge, ces
portes étaienl bien exécutées en maç4>nnene revêtue de pierre de taille,
et possédaient ce caractère grandiose, monumental, qui indiquait la
grande ville.
Cette enceinte, percée de belles portes, s'appuyait à l'est sur la Bastille,
construite en même temps, mais achevée seulement au comiDencemeal
du règne de Charles VI'.
Vers le commencement du xV siècle, l'art de la fortification des
places tendait à se modifier. Du ûuesclin avait pris de vive force un si
grand nombre de places sans recourir à la méthode régulière des siège*,
qu'on devait chercher dorénavant à éloigner les assaillants par des
— 361 — . [ PORTE ]
ouvrages avancés étendus, particulièrement en dehors des portes; ou-
vrages qui formaient de larges boulevards quelquefois reliés entre eux
par des caponniëres en terre ou de sjnnples palissades. Un recoanaissail,
au moment où l'artillerie à feu commençait à Jouer un rôje dans les
sièges, qu'il était important de couvrir les approches des portes par des
terrassements ou des murs épais, peu élevés, commandés par les cour-
tines et les tours.
3J
Il existe encore à Nevers une belle porte de la fin du xiv* siècle ou des
premières années du xv*, qui possède les restes très-apparents du grand
ouvrage avancé qui la protégeait. La porte du Croux (c'est ainsi qu'on
la nomme) se compose (fig. 35) d'un boulevard A, avec épaisse mu-
raille basse B sur les chemins de ronde, de laquelle on montait par un
[ PORTE ] — 362 —
escalier C, pris dans l'épaisseur d'un mur de contre-garde D, qui flanque
la porte extérieure E, protégée par un fossé F et fermée par un pont-
levis. Cette première entrée était enfilée par la courtine D'. Un corps de
troupes pouvait être massé dans l'espace A, qui avait à peu près la forme
d'un bastion et qui n'était mis en communication directe avec le che-
min G que par la poterne H. Si l'assaillant parvenait à forcer la première
porte E, il se trouvait pris en flanc par les défenseurs logés en A. Peut-
ôtre existait-il autrefois un pont volant mettant le boulevard A en com-
munication avec les remparts de la ville. L'espace I n'était qu'une berge,
et en K était creusé le fossé entourant les murs de la place. La porte L,
peu étendue, flanquait les épaisses courtines M. Elle était fermée par
des ponts-levis et des vantaux en P. Outre l'issue destinée aux chariots,
cette défense possède une poterne latérale, avec petit pont-levis particu-
lier, suivant un usage généralement admis depuis le xiv* siècle. Le cou-
loir de cette poterne, détourné, bien que permettant le jeu du bras du
petit pont-levis, était mis en communication avec la ville par la porte R,
et avec le grand passage charretier par la porte S. Des barres étaient
encore placées en T, de sorte que si l'on voulait faire entrer des piétons
ou une ronde dans la ville, on abaissait seulement le pont-levis de la
poterne, et ces gens devaient se faire reconnaître par la garde postée enL
avant de pouvoir pénétrer dans la cité. Le couloir de la poterne, par sa
configuration irrégulière, rendait le passage des piétons plus difficile, et
faisait que, toutes les petites portes étant ouvertes, un homme placé sur
le pont-levis ne pouvait voir ce qui se passait au delà de la défense, dans
l'intérieur de la ville. On arrivait au premier étage de la porte par l'esca-
lier 0, et de ce premier étage aux crénelages et mâchicoulis supérieurs
par un escalier intérieur de bois.
La figure 36 donne l'élévation extérieure de l'ouvrage principaL On
voit, dans cette élévation, les deux rainures du grand pont-levis et celle
unique du pont-levis de la poterne. Les faces de la tour sont défendues,
sur les trois côtés extérieurs, par des mâchicoulis crénelés, et les angles
par deux échauguettes dont le sol est un peu relevé au-dessus de celui
des mâchicoulis. Ceux-ci ne se composent que de consoles de pierre avec
mur mince crénelé posé sur leur extrémité. Des planches placées sur les
consoles permettaient aux défenseurs de se servir de créneaux et meur-
trières, et de jeter des pierres, entre ces consoles, sur les assaillants.
Nous allons indiquer quels étaient la disposition et le mécanisme de ces
ponts-levis des xiv" et xv* siècles. Soit (fig. 37) une porte d'une largeur
et d'une hauteur suffisantes pour permettre le passage des cavaliers et
des chariots, c'est-à-dire ayant environ, suivant l'usage admis au xiv*
siècle, 3",50 de hauteur sur 3=,50 de largeur. Cette porte est présentée
en A vue extérieurement, et en B vue intérieurement, suivant une coupe
transversale faite sur le passage. En C, est l'une des rainures du pont-
levis telle qu'elle se montre sur le dehors, et en C, masquée par le pare-
ment intérieur de la salle du premier étage. Le plan D fait au niveau qù
explique la position de ces rainures. Sur les élévations A, B, le pont-levis
est supposé abaissé. La coupe longitudinale G explique le jeu du ponl-
— 365 — [ PORTE ]
' levis. Celui-ci est relevé en appuyant sur les chaînes E ; alore la partie
postérieure F des bras I, entraînée par des poids, tombe en F', après
avoir décrit un arc de cercle, et les bras I viennent se loger en 1'. Le
tablier K, en décrivant un arc de cercle sur ses tourillons, s*élève en K' et
bouche l'entrée; les bras étant en retraite, les chaînes se tendent suivant
un angle, et obligent ainsi le tablier à s'appuyer sur les montants do Tare
de la porte. Il faut, bien entendu, que la longueur des chaînes soit cal-
culée pour obtenir ce résultat et pour laisser aux bras une inclinaison
qui facilite le premier effort de relèvement. Le tablier est composé d'un
châssis de fortes solives avec croix de Saint-André, sur lesquelles sont
cloués les madriers. Une autre croix de Saint-André et des traverses ren-
dent solidaires les deux bras à l'intérieur.
En L, nous montrons l'un des tourillons des bras, et en M l'entaille
ferrée dans la pierre, destinée à recevoir ces tourillons.
On a de nos jours rendu la manœuvre des ponts-levis plus facile et plus
sûre, au moyen de treuils, de poulies avec chaînes à la Vaucanson, mais
le principe est resté le même.
Les ponts-levis des poternes se relevaient au moyen d'un seul bras, à
l'extrémité extérieure duquel était suspendue une fourche de fer rece-
vant les deux chaînes. Mais nous aurons l'occasion de parler de ces
ponts-levis en nous occupant spécialement des poternes *.
L'emploi de l'artillerie à feu contre les places fortes obligea de modi-
fier quelques-unes des dispositions défensives des portes dès le xv" siècle;
mais alors l'artillerie de siège était difficilement transportable ^, et le plus
souvent les armées assiégeantes n'avaient que des pièces de petit cali-
bre; ou bien si elles parvenaient à mettre en batterie des bombardes d'un
calibre très-fort , ces sortes de pièces n'envoyaient que des boulets de
pierre en bombe, comme les engins à contre-poids. Si ces gros projec-
tiles, en passant par-dessus les murailles d'une place assiégée, pouvaient
causer des dommages, ils ne faisaient pas brèche et rebondissaient sur
les parements des tours et courtines, pour peu que les maçonneries fus-
sent épaisses et bien faites. Les ingénieurs militaires ne se préoccupaient
donc que médiocrement de modifier l'ancien système défensif, quant aux
dispositions d'ensemble, et n'avaient guère apporté de changements que
dans les crénelages, afin de pouvoir y poster des arquebusiers. Nous
avons un exemple de ces changements dans une des portes antérieures
de la petite ville de Flavigny (Côte-d'Or). Cette porte (fig. 38) est encore
flanquée de deux tours cylindriques percées de meurtrières à la base,
à mi-hauteur et au sommet. Ces meurtrières, faites pour de très-petites
bouchesà feu, sont circulaires. La porte elle-même, ainsi que sa poterne,
est surmontée d'un mâchicoulis avec parapet percé également de meur*
trières circulaires. Cet ouvrage précède une porte du xiv* siècle, en
1 Voyes aussi^ à l'article Post, divers systèmes de ponts a bascule.
' Voyez Arcritbcturb militaire, E^vcm. .
[ POBTE ] — 366 —
partie démolie aujourd'hui et qui était fermée par une herse et des
vantaux.
La flgure 39 donne en A la face intérieure de la porte présentée en
perspective extérieurement dans la figure 38, On remarquera que chaque
console de mâchicoulis porte une séparation en pierre qui donne de la
force au parapet . Cette disposition est d'ailleurs expliquée par la coupe B.
Il faut ajouter que cette porte s'ouvre au sommet d'un escarpement, et
que le chemin qui y conduit a une très-forte pente. Il n'était besoin, dans
une telle situation, ni de fossés, ni de pont-levis par conséquent ; l'assail-
lant qui se présentait devant celte entrée ayant à dos un précipice. Toute
simple qu'elle est, cette porte est un joli exemple des constructions mili-
taires de l'époque de transition, au moment où les architectes se préoc-
cupent de l'emploi des bouches à feu.
— 367 — [ JOBTE ]
Olivier de Clisson, le frère d'armes de du GuescHn, qui lit aux Anglais
unegueiresi désastreuse, élait un général d'un rare mérite, etquiforlilla
un assez grand nombre de châteaux en Poitou, sur les frontières de la
Bretagne et de la Guienoe. Il adopta, pour les défenses des purtes, un
système qui parait lui appartenir. 1! élevait une tour ronde sur un pont,
•^
et la perçait d'un passage fermé par des licrses et des vantaux. Sur le
pont de Saintes, il existait une porte de ce genre ', et l'on en voit encore
quelques-unes dans les provinces de l'Ouest. Une des portes de l'enceinte
du chftteau de Montargis présentait celte disposition, et le vide central
de cett* tour, îl ciel ouvert, permettait d'écraser, du sommet de l'ou-
vrage, les assaillants qui se seraient introduits entre les deux portes
percées dans les parois opposées du cylindre *■ Les tours rondes servant
de partes, qui paraissent appartenir à l'initiative du connétable Olivier de
Clisson, sont habituellement très-hautes, c'est-à-dire donnant un com-
mandement considérable sur les alentours. Elles sont isolées et ne se re-
lient pas aux courtines des enceintes. Ce sont de petites bastilles à cheval
»ur un pont, de sorte que les assiégés enfermés dans ces postes, n'ayant
que des moyens de retraite très-peu sûrs, étaient pins disposés à se dé-
fendre k outrance. II arrivait assez fréquemment, en elfct, que les portes
se reliant aux courtines, si bien munies qu'elles fussent, devenant l'objet
d'une attaque très-vive et tenace, étaient abandonnées peu à peu par les
I Viiye» PoM, lig. 4.
ï VojKï ADiIruucl du Orcciiu, Des plus excellent hualimeitj r/e FriiHce.
[ PORTE ] — 3§8 —
défenseurs, qui trouvaient, par les chemins des courtines voisines, un
moyen de quitter facilement la partie, sous le prétexte d^étendre le
champ de la défense. Enfermée dans une tour isolée servant de porte,
la garnison n'avait d'autre ressource que de lutter jusqu'à la dernière
extrémité. La disposition qui semble avoir été systématiquement adoptée
par le connétable Olivier de Clisson est d'ailleurs conforme au caractère
énergique jusqu'à la férocité de cet homme de guerre*. C'est ainsi que
beaucoup des ouvrages militaires du moyen âge prennent une physio-
nomie individuelle, et qu'il est bien difficile, par quelques exemples, de
donner un aperçu de toutes les ressources trouvées par les constructeurs.
Aussi ne prétendons-nous ici que présenter quelques-unes des disposi-
tions les plus généralement admises ou les plus remarquables. 11 n'est
pas douteux, d'ailleurs, que dans les constructions militaires du moyen
âge, les idées personnelles des seigneurs qui les faisaient élever n'eussent
une influence particulière considérable sur les dispositions adoptées, et
que ces seigneurs, en bien des circonstances, fournissent eux-mêmes
les plans mis à exécution, tant est grande la variété de ces plans. Il est
bon d'observer encore que si, pendant le moyen âge, les constructions
des églises et des monastères sont souvent négligées; que s'il est évident,
dans ces constructions, que la surveillance a fait défaut, on ne saurait
faire le môme reproche aux travaux militaires. Ceux-ci, bien que très-
simples, ou élevés à l'aide de moyens bornés parfois, sont toujours faits
avec un soin extrême, indiquant la surveillance la plus assidue, la direc-
tion du maître. C'est grâce à cette bonne exécution que nous avons con-
servé en France un aussi grand nombre de ces ouvrages, malgré les des-
tructions entreprises d'abord par la monarchie, à dater du xvi" siècle,
pendant la révolution du dernier siècle, et enfin par les communes, de-
puis cette époque.
Avant de passer à l'examen des poternes, nous devons dire quelques
mots des portes de barbacanes, c'est-à-dire appartenant à de grands ou-
vrages avancés, portes qui présentent des dispositions particulières.
Ce ne fut guère qu'au xiii" siècle qu'on se mit à élever des barba-
canes en maçonnerie. Jusqu'alors ces ouvrages avancés, destinés à faci-
liter les sorties de troupes nombreuses, ou à pratiquer des retraites,
étaient généralement élevés en bois, et ne consistaient gu'en des terras-
sements avec fossés et palissades. Mais les assiégeants, mettant le feu
à ces ouvrages, rendaient leur défense impossible; on prit le parti, eu
dehors des places importantes, de construire des barbacanes en maçon-
nerie, et de les appuyer par des tours, au besoin. Toutefois on cherch»iil
toujours h ouvrir ces défenses du côté opposé aux remparts formant le
corps de la place, afin d'empêcher les assiégeants qui s'y seraient logés
de pouvoir s'y maintenir. Les portes des barbacanes sont conçues suivant
ces principes, et les défenses qui les composent sont ouvertes à la gorge.
1 Olivier de CHi^aou élJÎl suriioininé par les cont^mporoiusy le Boucher,
— 3ft9 — [ PORTE ]
Versia lin deson règne, !c roi Louis IX Ht relever l'enceinte extérieure
et ['é)i.irer le château de la cité île Carcassonnc. Du côté de ta ville, il lit
construire une barbacanc sur plan semi -circulaire, qui défendait l'appro-
che delà porte du château, porte que nous avons donnée figures 3,î,5,
et 6'. Labarbacane du château de Carcassonne, en forme de de:iii-lune,
s'ouvre, sur les rues de la cité, par une porte d'une construction aussi
simple que bien entendue ; et cette porte, ne débordant pas le nu du
mur circulaire composant la barbacane, est ouverte entièrement du côté
de l'inlérieur, de sorte que les défenseurs de l'entrée du chdleau pou-
vaient voir complètement ceux de la porte delà barbacane et même leur
donner des ordres. Si les assiégeants s'emparaient de cotte première en-
trée, il était facile de les couvrir de projectiles.
Voici, ligure fiU, en A, le plan do cette porle au niveau du sol, l'exté-
rieur de la barbacane étant en B. Un mâchicoulis C défend les vantaux
' 1 Voyci, pour le pUo de celte barbacaoe, la figure II, en E(A*CunEC'niBEHitiTAIIE}.
VII. — Ù7
I roHTË 1 — 370 —
se fermant eu D. En E, est l'entrée de l'escalier à ciel ouvert qui monte
à l'étage supérieur; en F, une armoire destinée à renfermer les falots
et autres ustensiles nécessaires au service. Le plan G est pris à l'étage
supérieur crénelé, auquel ou arrive par l'escalier I et le degré J. Les
chemins de ronde K de la courtine circulaire sont placés à. un mèlre en
contre-bas du sol L. On voit en M l'ouverture du mdcliicoulis qui protège
les vantaux. Des créneaux latéraux enlilent tes chemins de ronde, qui
sont isolés de l'étage défensif de l'ouvrage par deux portes 0. Cet étage
supérieur, comme l'entrée à rez-de-chaussée, est commandé par les dé-
fenses de la porte du château.
La figure 'il présente l'élévation extérieure de cette porte, et la ligure fi2
sa coupe faite sur son axe. L'aspect de l'ouvrage, pris de l'intérieur de la
barbacane, est reproduit dans la vue perspective (lig. 43). II est aisé de
reconnatlre, en examinant celte dernière ligure, que les défenses supé-
rieures, comme l'entrée, .sont ouvertes du cûté du château, et qu'il élai'
dé^ lors dimcile ù un assiégeant de s'y maintenir en face de la grande
défense qui protège la portique nous avons donnée ligures 3, ù et 5.
— 371 — [ PORTE J
Assez généraleraenl, cependant, les portes des barbacanes s'ouvraient
latéralement dans des rentrants, alin d'être bien couvertes par les sail-
lants, et alors elles n'étaient que des issues ne se défendant pas par elles-
mêmes '. Ces barbacanes, vers le commencement du xiv' siècle, prirent
une importance plus considérable au point de vue de la défense ; elles se
munirent de tours, ainsi que nous l'avons montré plus haut en nous
occupant de la porte Saint-Lazare d'Avignon; elles prirent le nom
de chaielcts, de bastilles, de boulevards, et leurs portes, tout en étant
commandées par les ouvrages intérieurs, furent souvent flanquées de
tourelles ou d'échau guettes. Telles étaient défendues la porte des Deux
m<n//((M,âla Rochelle, située derrière la tour du phare *; celles de Saint-
Jean-d'Angely, de Saint-Jacques, à Paris; d'Orléans, etc.
Parmi ces portes précédées de bastilles, une des plus remarquables
■ Vojet Bauacaki, flg. 3 et 3.
* Vojei Topographie de la Goule, Mérian.
I POflTE ] — 372 —
éliiil celle (lu châleau tic Marcoussis, qui daUit de la fin du liv' siècle,
el dont Ja desIrucUon esL si regrettable. Là le système défensif élail
complet. L'avant-porte s'ouvrait sur le cûlé d'un châtelet carré, défendu
par deux t(iurs. Du chillclet on communiquait ii l'entrée de la forteresse
\
\
— 373 — [ PORTE ]
par un pont fixe, de bois, jeté sur un large fossé plein d'eau, et un pont-
levis. Cette entrée était flanquée de deux grosses tours, puis s'élevait
au delà la tour du coin, surmontée d'une guette très-élevée qui permet-
tait de voir tout ce qui se passait dans le châtelet et au dehors. La porte
du château et ses ouvrages de défense commandaient absolument le châ-
telet à très-petile portée *
Portes de donjons. Poternes. — Les donjons possédaient des portes
défendues d'une façon toute spéciale. Ces portes étaient souvent relevées
au-dessus du niveau du sol extérieur, afin de les mettre à l'abri d'une
attaque directe ; des échelles de bois étaient alors disposées par la gar-
nison pour pouvoir entrer dans ces réduits ou en sortir. Mais on com-
prend que cette disposition présentait de graves inconvénients. Si les
défenseurs du château ou de la ville étaient obligés de se réfugier préci-
pitamment dans le donjon, ce moyen d'accès était insuffisant, et il adve-
nait (comme cela^s'est présenté pendant la dernière phase du siège du
château Gaillard par Philippe-Auguste '^ ) que les défenseurs, pris de
court, n'avaient pas le temps de rentrer dans le réduit. Aussi chercha-
t-on à rendre les portes de donjons aussi difficiles à forcer que possible,
en laissant aux assiégés les moyens de se réfugier en masse serrée dans
la défense extrême, s'ils étaient pressés de trop près. Beaucoup de don-
jons possédaient deux poternes, l'une apparente, l'autre souterraine,
qui communiquait avec les dehors, de telle sorte que si une garnison
pensait ne pouvoir plus tenir dans la place^ soit par suite de la vigueur
de l'attaque, soit par défaut de vivres, elle pouvait se dérober et ne
laisser aux assaillants qu'une forteresse vide. Les gros donjons normands
sur plan carré étaient habituellement ainsi disposés^. Mais cependant,
une fois les garnisons enfermées dans leurs murs, il leur devenait
bien difficile de les franchir devant un ennemi avisé, soit pour s'é-
chapper, soit pour tenter des sorties off'ensives, car les poternes sou-
terraines n'étaient pas tellement secrètes, que l'assiégeant ne pût en avoir
connaissance, et les portes relevées au-dessus du sol extérieur étaient
difficiles à franchir en présence de l'assiégeant. Ces problèmes parais-
sent avoir préoccupé le constructeur de l'admirable donjon de Coucy.
Ce donjon possède une porte percée au niveau de la contrescarpe du
fossé creusé entre la tour et sa chemise, et une petite poterne relevée
au niveau du chemin de ronde de cette chemise, chemin de ronde qui
est mis en communication, par un escalier, avec une poterne aboutis-
sant aux dehors de la place *. La porte du donjon de Coucy, percée
à rez-de-chaussée, est combinée avec un soin minutieux ; elle permet à
la garnison, soit de franchir rapidement ce fossé, soit de descendre sur
> Voyez Topographie de la Gaule ^ Mériaii.
2 Vovez Château.
3 V'oycE Donjon.
* Voyez CHATFAr.
[ PORTE ] — 374 —
le sol dallé qui en forme le fond, et de joindre la poterne extérieure, soil
de protéger un corps de troupes pressé de très-près par des assaillants;
de plus, cette porte est, contrairement aux habitudes du temps, trcs-
richement décorée de sculptures d'un beau style.
La figure liU donne en A le plan de cette porte, et en B sa coupe lon-
gitudinale. Elle se fermait (voy. la coupe) au moyen d'un pont à bas-
cule, d'une herse, d'un vantail avec barres rentrant dans l'épaisseur
de la maçonneries et d'un second vantail également barré. Le pont
à bascule était relevé au moyen du treuil C posé dans une chambre
réservée au-dessus du couloir, chambreà laquelle on arrive par l'unique
escalier du donjon'-. Ce treuil était disposé de manière qu'on pût en
même temps abaisser le pont et relever la herse, les deux chaînes du
pont et celles de la herse s'enroulant en sens inverse .sur son tambour.
Mais c'est dans la disposition du tablier du pont que l'on constate le
soin apporté par les constructeurs sur ce point de la défense. Le tablier
du pont roulait sur un axe, sa partie supérieure décrivant l'arc de cercle
ab. Lorsqu'il était arrivé au plan horizontal, il était maintenu fixe par
unejambe mobile c\ qui tombait dans une entaille pratiquée dans l'assise
en saillie e] alors son plancher se raccordait à niveau avec un tablier fixe
de bois G qui traversait le fossé, tablier dont les deux longrines latérales
H s'appuyaient sur deux corbeaux L Ce tablier fixe pouvait être lui-môme
facilement démonté, si les assiégés voulaient se renfermer absolument
dans le donjon. En effet, un chevalet K incliné, dont les pieds entraient
dans trois entailles L, était arrêté à sa tête par des chantignoles M main-
tenues par des clefs m. En faisant tomber ces clefs par un déchevillage
facile à opérer de dessus le pont, le chevalet s'abattait ; on enlevait dès
lors facilement les longrines, et toute communication avec le dehors
était interrompue en apparence. Cependant, si nous examinons le tablier
du pont à bascule indiqué séparément en N, on remarquera qu'une par-
tie 0 de ce tablier est disposée en façon d'échelle. Cette partie était mo-
bile et roulait sur l'axe D. En enlevant une cheville de fer, marquée sur
notre figure, la partie mobile 0 tombait et venait s'abattre en n (voy. la
coupe). A cette partie mobile du tablier était suspendu un bout d'échelle
P, qui, le tablier abattu, pendait en P'; dès lors les assiégés pouvaient
descendre dans le fossé par cette échelle, et là ils étaient garantis par le
petit ouvrage R de maçonnerie percé d'archères. De ce réduit ils des-
cendaient par quelques marches sur le sol dallé formant le fond du fossé,
et pouvaient se diriger vers la poterne de la chemise qui communique
avec les dehors de la place. Le tablier mobile du pout étant relevé, la par-
tie 0 servant d'échelle pouvait être abattue, et la garnison trouvait ainsi
un moyen de sortie sans avoir besoin d'abaisser le pont ; il suffisait alors
d'ouvrir les vantaux intérieurs et de lever la herse, ce qu'on pouvait faire
* Voyez Barre.
2 Voyez Donjon, fig. 35.
[ rORTE 1
sausabulii-u Icponl, i-iiilécrochaiilles (^huinci^ du lambour du Ireuil. La
[ PORTE ] — 376 —
partie mobileU du pont étiiil relev^^o au moytMi de la chaîne S. Le plan A
indique la charpente du pont à bascule et celle du itiblier fixe, ses lon-
grines étant tracées en d. On voit que, d'un côté, en /", il reste, entre la
longrine et le tablier du pont à bascule, un espace vide assez large. Cet
espace se trouve réservé du côté oi!i l'assiégeant pouvait plus facilement
se présenter au fond du fossé. C'était un mâchicoulis, car de ces longrines
aux barres d'appui y, indiquées sur la coupe, on devait établir, en cas
d'attaque, des mantelets percés d'archères, pour battre le fossé. De ce
côté, il existe également au-dessous des corbeaux h (voy. le plan) un
épaulement en pierre qui masquait le dessous du pont et les défenseurs
descendant par les échelles. EnT, nous avons tracé la coupe transversale
du passage fait sur la chambre de levage et regardant vers l'entrée.
La ligure h^ complète cette description ; elle donne l'élévation de la
porte du donjon de Coucy, avec toutes les traces existantes du méca-
nisme du pont à bascule. On voit en a les trois entailles recevant les
pieds du chevalet ; en 6, le petit terre-plein défendu descendant au fond
du fossé ; enc, l'entaille recevant la jambette du pont à bascule, pour le
maintenir horizontal ; en rf, l'épaulement formant garde ; en e, les cor-
beaux recevant les longrines du pont lixe; en /) les entailles des barres
d'appui ; en g, les poulies de renvoi des chaînes du pont à bascule. Le
niveau dallé du fond du fossé est en A. En /, est tracée la coupe du pont
à bascule, avec sa partie mobile servant d'échelle, en i.
Le tympan de la porte est décoré d'un bas -relief représentant le sire de
Coucy combattant un lion, conformément à la légende. Des personnages
en costumes civils ornent la première voussure, des crochets feuillus la
seconde. On observera que des deux barres d'appui fy la barre /*' seule
est placée à l'aplomb de la longrine isolée du tablier et laissait un mâ-
chicoulis ouvert : c'est que cette barre d'appui, étant placée du côté atta-
quable, se trouvait réunie, comme nous l'avons dit, à la longrine par
un mantelet de bois percé d'archères. Par la même raison, de ce côté,
l'épaulement d était destiné à empêcher les traits qui auraient pu être
lancés parles assiégeants obliquement, de frapper, en ricochant, les dé-
fenseurs descendant par l'échelle au fond du fossé.
Tout est donc prévu avec une subtilité rare dans cet ouvrage; mais il
faut reconnaître que le donjon de Coucy est une œuvre incomparable,
conçue et exécutée par des hommes qui semblent appartenir à une race
supérieure. Dans cette forteresse, l'art le plus délicat, la plus belle sculp-
ture, se trouvent unis à la puissance prévoyante de l'homme de guerre,
comme pour nous démontrer que l'expression de l'utile ne perd rien à
tenir compte de la beauté de la forme, et qu'un ouvrage militaire n'en est
pas moins fort parce que l'ingénieur qui l'élève est un artiste et un homme
dégoût. A côté de cette œuvre vraiment magistrale, la plupart des portes
de donjons ne sont que des issues peu importantes. Leurs fermetures
consistent en des herses ou des ponts à bascule, ou de simples vantaux
protégés par un mâchicoulis. Nous devons mentionner cependant les
[ FORTE ]
4r
__L.
portes étroites muaies d'un pont-levis à un seul bras, et qui se voient
dans le» ouvrages militaires des xiV et xV siècles.
Voici (11g. 46) quelle est la dispo^ilion la plus générale de ces portes.
— 379 — [ PORTE ]
Elles se composent d'une baie d'un mètre de largeur au plus et de
2 mètres à 2", 50 de hauteur, surmontée d'une rainure destinée à loger
le bras unique supportant une passerelle mobile. En A, est représentée la
face de la porte extérieurement; en B, sa coupe; en C, son plan. L'uni-
que bras C, suspendant la passerelle, pivote sur les tourillons a, et vient,
étant relevé, se loger dans la rainure E. Alors le tablier G entre dans la
feuillure g et ferme hermétiquement l'entrée. Ce tablier est suspendu au
moyen d'une chaîne à laquelle est attaché un arc de fer K, qui reçoit
deux autres chaînes L, lesquelles portent le bout de la passerelle M. Le
bras relevé, l'arc de fer vient se loger en /, et les chaînes, étant inclinées
en retraite, forcent le tablier à entrer en feuillure; presque toujours une
herse ferme l'extrémité postérieure du passage de la porte, comme l'in-
dique notre figure. Nous avons donné quelques exemples de portes de
villes qui possèdent, à côté de la porte charretière, une de ces poternes
à pont-levis mue par un seul bras (voy. fig. 3/i et 35). Lorsqu'il s'agis-
sait de faire sortir ou rentrer une ronde ou une seule personne la nuit,
on abaissait la passerelle de la poterne ; on évitait ainsi de manœuvrer le
grand pont-levis, et l'on n'avait pas à craindre les surprises. Quelquefois,
pour les entrées des donjons, la passerelle consistait en une échelle qui
s'abatt;iit jusqu'au sol, alors la chaîne était mue par un treuil et un bras.
Mais il est une série de poternes de places fortes qui présentent une
disposition toute spéciale. Il fallait, lorsque ces places contenaient une
garnison nombreuse, pouvoir les approvisionner rapidement, non-seule-
raent de projectiles, d'armes et d'engins, mais aussi de vivres. Or, si Ton
considère que la plupart de ces places sont situées sur des escarpements ;
que leur accès était difficile pour des chariots ; que les entrées en étaient
étroites et rares ; qu'en temps de guerre, l'affluence des charrois et des
personnes du dehors devenait un danger; que les gardes des portes de-
vaient alors surveiller avec attention les arrivants; que parfois on s'était
emparé de villes et de châteaux en cachant dans des charrettes des
hommes armés et en obstruant les passages des portes, on compren-
dra pourquoi les approvisionnements se faisaient du dehors sans que la
garnison fût obligée d'abaisser les ponts et de relever les herses. Alors
ces approvisionnements étaient amenés à la base d'une courtine, en face
d'une poterne très-relevée au-dessus du sol extérieur, dans un endroit
spécial, bien masqué et flanqué ; ils étaient hissés dans la forteresse au
moyen d'un plan incliné, disposé en face de cette poterne. Il y avait au
Mont- Saint-Michel en mer une longue trémie ainsi pratiquée sur l'un
des flancs de la forteresse supérieure, en face de la porte de mer.
Cette trémie, de maçonnerie, aboutissait à une poterne munie d'un treuil,
et ainsi les vivres et tous les fardeaux étaient introduits dans la place
sans qu'il fût nécessaire d'ouvrir la porte principale. Cette trémie fonc-
tionne encore, et les approvisionnements de la forteresse ne se font que
par cette voie. Le château de Pierrefonds possédait aussi sa poterne de
ravitaillement. Nous avons indiqué sa position dans le plan de ce château
[ PORTE ] — 380 —
(voy. Château, fig. 2/j, et Donjon, fig. ^1 et UU), Le château de Pierre-
fonds pouvait facilement contenir une garnison de 1200 hommes; il
fallait donc trouver les moyens de la munir d'une quantité considérable
de vivres et d'objets de toutes sortes, d'armes et de projectiles, en un
court espace de temps, si, comme il arrivait souvent pendant le moyen
âge, on se trouvait tout à coup dans la nécessité de se mettre en défense.
Eût-il fallu introduire les chariots, les bêtes de somme et les gens du
dehors dans la cour du château, pour compléter le ravitaillement, que
l'encombrement eût été extrême, que la place eût été ouverte à tout ce
monde, et qu'il eût été impossible à l'intérieur, pendant ce temps, de
préparer la défense et d'adopter les mesures d'ordre nécessaires en pareil
cas. La cour, embarrassée par tous ces chariots, ces ballots, ces bêtes ei
ces gens, n'eût présenté que confusion; impossible alors de faire entrer
et sortir des gens d'armes, de disposer des postes, et surtout de cacher
ses moyens de défense. On conçoit alors pourquoi l'architecte du châ-
teau avait combiné une poterne permettant l'introduction de ces appro-
visionnements, sans que les gens du dedans fussent gênés ni ralentis
dans leurs dispositions, et sans qu'il fût nécessaire de faire entrer
ni un chariot, ni un homme étranger à la garnison dans la place. Non-
seulement la poterne de ravitaillement du château de Pierrefonds est éle-
vée de 10 mètres au-dessus du chemin extérieur qui pourtourne la for-
teresse ; mais elle donne dans une cour spéciale, séparée elle-même de
la cour principale du château par une porte fermée par une herse, par
des vantaux, et protégée par les mâchicoulis (voy. Château, lîg. 24 et
Donjon, fig. 21). Cette poterne de ravitaillement est percée à travers une
haute courtine ayant 3 mètres d'épaisseur. Son seuil, comme nous venons
de le dire, est placé â 10 mètres au-dessus du niveau du sol extérieur.
Un plan incliné, de maçonnerie et charpente, s'élevait du chemin jus-
qu'à un niveau en contre-bas de 2 mètres du seuil et à 4 mètres de dis-
tance delà courtine. Il restait ainsi, entre le sommet du plan incliné et
la- poterne, une coupure qui était franchie par le pont-levis lorsqu'on
l'abattait. La figure kl nous aidera à expliquer cet ouvrage. En A, est
tracé le plan de la poterne ; deux contre-forts «, destinés h masquer le
tablier du pont lorsqu'il est relevé s'élèvent â l'aplomb, de la partie infé-
rieure du talus de la courtine ; en B, est tracée la coupe longitudinale
de la poterne. Cette coupe fait voir en b le tablier du pont abaissé sur
le plan incliné C. Les bras mobiles de ce tablier sont marqués en d. Sur
le sol du chemin de ronde supérieur D est établi un treuil ; une che-
minée /■, qui s'ouvre sous le berceau en tiers-point ^, permet de passer
deux câbles qui, du treuil, viennent frotter sur le rouleau e de renvoi,
et de là vont saisir les fardeaux qui doivent être enlevés sur le plan in-
cliné. Les extrémités de ces deux câbles s'attach'fent à deux crochets /
scellés sur les parois des pieds-droits de la poterne. Lorsque l'opération
d'approvisionnement est terminée, les câbles sont rentrés, les vantaux /
de la poterne fermés et le pont-levis relevé ; le tablier entre alors dans le
[ PORTE ]
tableau m réservé dans la maçonoerie, et les deux bras se logent dans
[ PORTE ] — 382 —
les rainures d\ indiquées par la ligne ponctuée : la face extérieure de
celte poterne est tracée en E et sa face intérieure en F. Dans ce dernier
tracé, la cheminée des câbles est indiquée par des lignes ponctuées. Des
crochels i, les câbles viennent passer sur deux poulies placées à l'extré-
mité des chantiers de roulement, en p (voy. le plan), car on observera
que ces crochets i sont scellés sur la ligne de prolongement des plans
inclinés. Le plan incliné fixe et le tablier mobile sont garnis de deux lon-
grines qui servent au roulement des fardeaux et masquent les câbles; la-
téralement des taquets formant échelons permettaient à des manœuvres
de monter en môme temps que les fardeaux pour les empêcher de dé-
vier. Ces taquets facilitaient au besoin la descente ou l'ascension d'une
troupe d'hommes d'armes ; car celte poterne pouvait aussi servir de porte
de secours. Le plan incliné était d'ailleurs masqué par un ouvrage avancé
qui était élevé en dehors de laroutepourtournantle château (voy. Don-
jon, (ig. ^^). Lctracé G montre une portion du tablier du pont, avec ses
longrineset ses taquets-échelons. La poterne était surmontée d'une niche
décorée d'une statue de l'archange saint Michel, que nous avons retrou-
vée presque entière dans les fouilles pratiquées en 0 ; car il ne reste de-
bout, de cette poterne, qu'une moitié, celle de gauche. En R, est donnée
la coupe d'ensemble de l'ouvrage, avec son plan incliné, à l'échelle de
0", 002 pour mètre. Cet ensemble fait voir comment on pouvait déchar-
ger les charrettes et hisser les fardeaux jusqu'au seuil de la poterne.
La poterne de ravitaillement du château de Pierrefonds est peut-être
une des plus complètes et des plus intéressantes parmi ces ouvrages de
défense. La simplicité de la manœuvre, la rapidité des moyens de ferme-
ture, la beauté de la construction, ne laissent rien à désirer. Le même
château possède une poterne basse, du côté du nord, qui était destinée
à la sortie et à la rentrée des rondes. Cette poterne, qui s'ouvre dans un
souterrain, et n'était fermée que par des vantaux, possède un porte-voix
pris dans la maçonnerie, à côté du jambage de gauche et qui correspon-
dait à deux corps de garde, l'un situé à rez-de-chaussée, l'autre au pre-
mier étage (voy. la description du château de Pierrefonds). On voit aussi
parfois des poternes qui s'ouvrent sur un passage détourné, et dont l'issue
est commandée par des meurtrières (voy. le plan du château de Bonaguil,
à l'article Château, fig. 28).
Mais nous ne pouvons donner dans cet article tous les exemples si va-
riés de poternes. lien était de ce détail de la fortification comme de toutes
les autres parties des places fortes ; chaque seigneur prétendait posséder
des moyens de défense particuliers, afin d'opposer à l'assaillant des chi-
canes imprévues, et il est à croire que, dans les longues heures de loisir
de la vie des châtelains, ceux-ci songeaient souvent à doter leur rési-
dence de dispositions neuves, subtilement combinées, qui n'avaient point
encore été adoptées.
Portes d'abbayes, de monastères. — Il est rare que les portes d'éta-
blissements religieux, pendant le moyen âge, aient l'importance, au point
— 383 — [ PORTE ]
de vue de la défense, des portes de châteaux. li parait que es moines,
sans négliger entièremenl les précautions adoptées dans les résidences
féodales (car ils étaient seigneurs féodaux], voulaient conserver à leurs
élnblissements le caractère pacifique quiconvenaitàrinstitution. Excepté
dans quelques abbayes qui, comme celle du Monl-Sainl-Micliel en nier,
étaient des forteresses du premier ordre, les entrées, tout en présentant
quelques signes de défense, n'accumulent pas les obstacles formidables
[ roRTE I — dna —
qui fonl, dy la plupart des portes de châteaux, des ouvrages compliqués
et étendus. Ces portes de monastères ne sont pas précédées d'ouvrages
avancés, de barbacanes, de boulevards; elles s'ouvrent directement sur
la campagne, quelquefois môme sans fossés ni pont-levis, et leurs dé-
fenses sont plutôt un signe féodal qu'un obstacle sérieux. La porte de
l'abbaye de Saint-Lcu d'Esserent, qui date du xiv* siècle, est construite
d'après ces données mixtes : c'est autant une porte de ferme qu'une
porte fortifiée. Nous en présentons (fig. Ù8) la face du dehors. Cet ouvrage
consiste en deux contre-forts extérieurs, poêlant chacun uneéchauguette
cylindrique. Entre les contre-forts qui masquent la courtine, s'ouvrent
une porte charretière et une poterne. Trois mâchicoulis sont percés au-
dessus de la grande issue et deux au-dessus de la poterne (voy. le plan
en a) ; un crénclage couronnait le tout. En B, est tracé le prolll des en-
corbellements des échaugueltes, avec leur larmier. La Bgure ii9 donne
la coupe de cette porte fuite sur a6. Un rcconnait aisément qu'une
entrée pareille ne pouvait présenter un obstacle bien sérieux à des
assaillants déterminés ; quoi qu'il en soit, cette composition ne laisse pas
d'être habilement conçue et d'une très-heureuse proportion. On élevait
même pendant les xiii° et .\iv* siècles des portes de monastères qui n'a-
vaientnuUemcnt le caractèredcfensif; alors ces portes étaientplutAt hos-
pitaliàres, c'est-à-dire qu'elles étaient précédées d'un porche, comme
l'entrée d'une église : telle était la jolie porte de l'abbaye de Troarn (Cal-
VII. — ù9
[ PORTK ] — 386 —
vados), aujourd'hui transportée dans la propriété de M. le marquis de
Banneville *. 11 existe encore une très-jolie porte fortiflée de monastère à
Saint-Jean-au-Bois (forêt de Compiègne). Cette entrée, d'une dimension
réduite, était munie de ponts-levis et défendue par deux petites tours. Sa
construction date de la seconde moitié du xv" siècle; car elle est percée
de meurtrières disposées pour des arquebusiers. Nous en donnons
(fi g. 50) le plan à rez-de-chaussée en A, Télévation extérieure en B, et la
coupe longitudinale enC. La poterne n'a pas plus de 0",50 de largeur, et
était munie d'un pont-levis à un seul bras. Les tabliers des deux ponts-
levis entraient en feuillure et étaient défendus par des mâchicoulis. Les
tours seules étaient couvertes, le dessus de la porte ne présentant qu'un
chemin de ronde, comme celui des courtines; la construction est faite
en pierre et en maçonnerie de moellons. Le ponceau qui précède la porte,
et qui passe sur un fossé de 12 mètres de largeur, date de la même épo-
que. 11 se compose de deux arches, la plus étroite du côté du pont-levis,
pour diminuer la poussée sur la dernière pile.
Nous craindrions de fatiguer nos lecteurs en ajoutant d'autres exem-
ples à ceux déjà fort nombreux que nous avons donnés touchant les portes
fortifiées ; mais ce détail de l'architecture militaire du moyen âge est
d'une si grande importance, que nous devions réunir au moins les types
les plus remarquables. Nous sommes loin d'avoir épuisé ce sujet, et il y
aurait à faire sur les portes fortifiées du xi* au xv' siècle un ouvrage tout
entier. Nous n'avons pas parlé des portes détruites aujourd'hui entière-
ment, mais sur les dispositions desquelles il reste des documents pré-
cieux. Telles sont, par exemple, les portes deTroyes, de Sens, de Paris.
Parmi les portes de villes encore debout et qui méritent d'être étudiées,
nous citerons celles de Provins, de Moret, de Chartres, de Gallardon, de
Dinan, de Vézelay, qui, bien que d'une médiocre importance, ne sont
pas moins des ouvrages remarquables. Les ruines de nos châteaux féo-
daux présentent aussi de beaux spécimens de portes*, et jusque vers la
lin du xvi^ siècle, les dispositions adoptées pendant le moyen âge sont
conservées dans ces sortes d'ouvrages.
Portes extérieures d'églises. — Il faut distinguer les portes principales
des églises des portes secondaires. Les portes principales, placées géné-
ralement sur Taxe de la nef centrale, sont larges, décorées relativement
avec recherche, et présentent souvent, par la sculpture qui couvre leui-s
tympans, leurs voussures et leurs pieds-droits, une réunion de scènes
religieuses qui sont comme idi pré face du monument. Nous ne possédons
pas de portes d'églises ayant quelque importance, au point de vue de la
sculpture, avant le commencement du xn" siècle. Celles qui existent
encore, et qui datent d'une époque plus reculée, sont d'une forme très-
1 Voyez la description de cette porte dans le Bulletin monumentaly t. IX, p. 300.
^ Dans son exccltcnl ouvrage sur V Architecture militaire de la Guyenne^ M. L«o
Drouyn a présente un assez grand nombre de ces exemples de portes.
— 387 — [ PORTE ]
simple et ne paraissent avoir été décorées que par des moulures, des
t^'mpans imbriqués ou couverts de peintures. Nous aurons l'occasion de
parler de ces portes du xi* siècle, remarquables plutôt par leur structure
que par leur ornementation. Quand il s'agit d'architecture religieuse, il
faut toujours recourir à l'ordre de Gluny, si l'on veut trouver les éléments
d'un art complet, formé, affranchi des tâtonnements, étranger aux imi-
tations grossières de l'architecture antique romaine.
La porte principale de la grande église abbatiale de Cluny, dont il ne
reste que des gravures, ne datait guère que du milieu du xii® siècle, tandis
que celle de l'église abbatiale de Vézelay fut élevée dès les premières an-
nées de ce siècle. Comme composition, c'est certaineiïient une des œuvres
les pius remarquables et des plus étranges du moyen âge, au moment où
les artistes abandonnent les traditions antiques gallo-romaines, mêlées
d'influences byzantines, pour chercher de nouveaux éléments. Nous
croyons donc devoir présenter cette œuvre en première ligne, car elle a
servi de type évidemment à un assez grand nombre de compositions du
XII* siècle, en Bourgogne, dans la haute Champagne et une partie du
Lyonnais. La figure 51 donne l'ensemble de cette porte aujourd'hui placée
au fond d'un porche profond et fermé *, mais originairement ouvert sous
un portique étroit et à claire-voie. Elle se compose, ainsi que l'indique le
plan A, de deux baies jumelles séparées par un trumeau et fermées par
deux vantaux roulant sur des gonds scellés dans les feuillures B. Les
deux baies, larges dans leur partie inférieure, afin de laisser le plus d'ou-
verture possible à la foule, se rétrécissent par une ordonnance d'encor-
bellement portant sur les deux pieds-droits et sur le trumeau central. Ces
encorbellements sont décorés de six figures d'apôtres, demi-bas-relîef, de
1",50 de hauteur environ. Sur le pilastre saillant du trumeau est placée
une statue de saint Jean Précurseur, tenant entre ses mains un large nimbe
au milieu duquel était sculpté un agneau'. Deux linteaux portent sur les
pieds-droits et sur le trumeau, et les figures qui décorent ces deux blocs
de pierre ont exercé, depuis plusieurs années, la sagacité des archéolo-
gues. En efl'et, les sujets qu'elles représentent sont difficiles à expliquer.
Sur le linteau de gauche, on voit une longue suite de figures marchant
toutes vers le trumeau ; les unes montrent des archers (chasseurs), des
personnages parmi lesquels l'un porte un poisson, un autre un seau de
bois rempli de fruits, plusieurs conduisent un bœuf. Adossé au trumeau
et semblant recevoir la série des arrivants, est un homme tenant une
sorte de hallebarde. Sur le linteau de droite, tout contre le trumeau,
sont deux figures plus grandes que celles décorant ce linteau : l'une tient
les clefs, et est évidemment saint Pierre ; l'autre est une femme. Ces
deux personnages se tiennent étroitement unis. A la suite de ces deux
personnages viennent des guerriers complètement armés, et qui paraissent
* Voyej! PoHCHB, fig. à,
^ Cet n^neati a été gratte à la fin du dernier siècle.
[ PORTE J — 388 —
combullre; puis un caviiliev porlanl un bouclier; puis une trës-petile
SI
Dgure d'homme velu <l'iin manteau IloUant, qui monte à cheval au
— 389 — [ PORTE ]
moyen d'une échelle ; puis, à la suite d'un homme, d'une femme et d'un
enfant qui paraissent se quereller, une famille composée également d'un
homme, d'une femme et d'un enfant dont les têtes sont munies d'oreilles
colossales. La tête de l'enfant sort de ses deux oreilles comme de deux
coquilles qui l'enveloppent presque entièrement.
Que signifient ces bas-reliefs? Il faut d'abord observer qu'ils tiennent
la place occupée dans des tympans de la môme époque, ou peu s'en faut
(comme celui de la cathédrale d'Autun, par exemple), par les scènes du
jugement dernier, de la séparation des élus des damnés. Alors les élus
occupent le linteau de gauche (celui qui est à la droite du Christ), et les
diimnés le linteau de droite. Si l'on se reporte au temps où fut sculptée
la porte principale de l'église de la Madeleine, on observera que les
moines de Vézelay avaient atteint un degré de puissance et d'influence
tel, qu'il fallut près d'un siècle de luttes sanglantes entre ces religieux,
les comtes de Nevers et les habitants de la commune de Vézelay, pour
amoindrir ce pouvoir exorbitant. Pour les abbés de Vézelay, l'action la
plus louable, celle qui devait faire gagner le ciel, était certainement le
payement régulier des redevances dues à l'abbaye, l'apport de dons ;
et, jusqu'au milieu du dernier siècle, bien que l'abbaye de Vézelay fût
sécularisée depuis le xvi% il y avait encore, à Vézelay, une fôte dite de
{'Apport^ et qui consistait à remettre à l'abbé des produits du sol, des
l;>estiaux et des volailles.
Pour nous, le linteau de gauche représente les élus, c'est-à-dire ceux
qui apportent à l'abbaye les produits de leur chasse, de leur pêche, de
leurs champs. Le linteau de droite représente les damnés, ou plut(>t les
damnables. On remarquera d'abord, de ce côté, la figure de saint Pierre
qui garde les portes du paradis, et probablement celle de sainte Made-
leine, qui intercède pour les pécheurs*. Les personnages qui remplissent
ce linteau représenteraient donc les vices ou les péchés. Les guerriers
combattants personnifieraient laDiscorde, la Guerre; le petit homme mon-
tant à cheval à l'aide d'une échelle, l'Orgueil*; la famille qui semble se
quereller, la Colère; et enfin, la famille aux grandes oreilles, peut-être la
Calomnie. Nous ne prétendons donner cette explication autrement que
comme une hypothèse, déduite d'ailleurs de beaucoup d'autres exemples
tirés de l'église de Vézelay elle-même. Plusieurs chapiteaux représentent
également des vices personnifiés. Et, d'ailleurs nul archéologue n'ignore
que, sur les portails de nos cathédrales, sont figurés fréquemment les
Vices et les Vertus en regard. Nous y reviendrons. Au-dessus de ces deux
linteaux, si étrangement composés, se développe la grande scène du Christ
dans sa gloire, entouré de douze apôtres, tous nimbés, tous tenant
' Les têtes de ces figures ont été cUssées, mais elles paraissent avoir été tournées du
côté des personnages qui garnissent le linteau.
* On voudra bien se rappeler que dans beaucoup de sculptures et de peintures des
xii« ot XIII* siècles, l'Orgueil est personnifié par un homme tombant de chcvaK
1 PORTE ] — 390 —
des livres ouverts ou fermés, hormis saint Pierre, qui porte deux clefs.
Des mains du Christ s*échappent douze rayons qui aboutissent aux têtes
des apôtres.
Mais la difflculté de Tinterprétalion se présente encore pour les sujets
de la première voussure. En partant du compartiment de gauche, parle
bas, on voit deux personnages assis, tenant chacun un scriptional sur
leurs genoux K Dans le compartiment suivant, au-dessus, est un homme
richement vôtu, et une femme coiffée d'un bonnet conique. Dans le troi-
sième compartiment, des hommes qui paraissent discuter, Tun d'eux est
échevelé ; et dans le dernier compartiment on remarque deux hommes à
tête de chien. De Tautre côté du Christ, le compartiment supérieur con-
tient des personnages dont les nez sont faits en façon de groin de porc.
Les trois autres cases sont remplies de figures parmi lesquelles on dis-
tingue un groupe de guerriers.
S'il faut donner une explication à ces sujets, nous serions porté à
croire qu'ils représentent les divers peuples delà terre. On sait la créance
qu'on donnait, pendant le moyen âge, aux fables recueillies par Pline,
et corrompues encore après lui, touchant les peuplades de l'Afrique et
des contrées hyperboréennes.
Ainsi, sur le tympan de Vézelay, le Christ serait placé au milieu du
monde, entouré des peuples de la terre*. Les médaillons qui remplissent
la deuxième voussure, et qui sont au nombre de vingt-neuf, représentent^
le zodiaque et diverses occupations ou travaux de l'année. Un ornement
court sur la dernière voussure.
La sculpture de la porte principale de l'église de Vézelay est traitée
de manière à fixer l'attention. Très-découpée, ayant un haut relief, les
détails sont exécutés avec une grande finesse. On ne peut méconnaître
le style grandiose de ces figures, l'énergie du geste, et souvent même
la belle entente des draperies. Mais, à l'article Statuaire, nous aurons
l'occasion de faire ressortir les qualités singulières de cette école du-
nisienne. Les profils sont beaux, et la sculpture d'ornement d'une har-
diesse et d'une largeur de composition qui produisent un effet saisis-
sant^. Il faut reconnaître que toutes les portes romanes pâlissent à côté
de cette page, conçue d'une façon tout à fait magistrale.
Toutes les figures et les ornements de la porte principale de la Made-
leine de Vézelay étaient rehaussés de traits noirs sur un ton monochrome
blanchâtre. Nous n'avons pu découvrir, sur ces sculptures, d'autres traces
de coloration.
A Autun, la porte principale de la cathédrale présente une disposition
* Les tètes de ces deux figures sont brisées.
' Voyez^ dans les Archives des monuments historiques publiées sous les auspices de
Son Exe. le Ministre de la maison de l'Empereur, la description des sculptures de Véselay
donnée par M. Mérimée.
' Voyez, à Tarticle Architbctukb ibugibusb» ftg. 21, Taspect intérieur de cette porte.
— 391 — [ PORTE ]
analogue à celle de Vézelay, mais sa sculpture, bien que d'une époque
un peu plus récente^ n*a pas un caractère aussi puissant. La composition
manque d'ampleur et d'originalité. A Aulun, cette double ordonnance
des pieds-droits et du trumeau n'existe plus; les colonnettes s'élèvent
jusqu'au niveau du linteau. Les profils sont maigres^ la statuaire plate et
sans effet. Cependant la porte de la cathédrale d'Autun est encore une
œuvre remarquable. On peut en saisir l'ensemble sur la figure 13 de
l'article Porche.
Parmi les portes d'églises du xii* siècle les plus remarquables, il faut
citer aussi celle de Moissac. Cette porte s'ouvre latéralement sur le grand
porche dont nous avons donné le plan figure 2il(, à l'article Porche. Elle
est élevée sous un large berceau qui forme lui-mélme avant-porche et
qui est richement décoré de sculptures en marbre gris. Son trumeau est
couvert de lions entrelacés qui forment une ornementation des plus ori-
ginales et d'un grand effeL Les pieds-droits se découpent en larges den-
telures sur le vide des baies, et le linteau présente une suite de rosaces
circulaires d'un excellent style*. Dans le tympan, est assise une grande
figure du Christ bénissant, couronné ; autour de lui sont les quatre signes
des évangélistes, deux anges colossals, et les vingt-quatre vieillards de
l'Apocalypse. Les voussures ne sont remplies que par des ornements.
Mais, sur les jambages du berceau formant porche, sont sculptés, à la
droite du Christ, les Vices punis; à la gauche, l'Annonciation, la Visita-
tion, l'Adoration des mages et la Fuite en Egypte.
Il nous serait difficile de présenter les exemples les plus remarquables
des portes d'églises du moyen âge. Une pareille collection nous entraî-
nerait bien au delà des limites de cet ouvrage. Nous devons chercher au
contraire à circonscrire notre sujet, à donner quelques types principaux,
et surtout à étudier les progrès successifs des écoles diverses qui ont
abouti aux œuvres magistrales du xiii* siècle. Il n'est pas besoin d'ôtre
fort versé dans l'étude de nos anciens monuments, pour reconnaître que
les portes principales des églises en France présentent une variété extra-
ordinaire dans leur disposition et leur ornementation, tout en se confor-
mant, parleur structure, à un principe invariable. Ainsi, les portes prin-
cipales, c'est-à-dire qui possèdent de larges baies, se composent toujours
d'un arc de décharge sous lequel est posé le linteau, et d'un remplissage,
qui est le tympan. Si ces portes doivent donner accès à la foule, dès le
XII* siècle elles se divisent en deux ouvertures séparées par un tru-
meau. Ce trumeau reçoit le battement des deux vantaux et soulage le
linteau au milieu de sa portée. C'est là une disposition qui appartient à
notre architecture du moyen âge, et qui ne trouve pas d'analogues dans
l'antiquité. La porte principale de l'église abbatiale de Vézelay, que nous
• Cette ornementation a été estampée et est bien connue des artistes. C'est un des
plus beaux exemples de la sculpture du moyen Age, et qui peut rivaliser avec les œuvres
de l'antiquité grecque.
[ PORTi: ] — 392 —
avons donnée (lig. 51), est certainement une des premières constructions
de ce genre et Tune des plus remarquables par l'ordonnance double des
pieds-droits et du trumeau, qui a permis de diminuer la portée des linteaux
en laissant le plus large passage possible à la foule. En allant chercher
les exemples d'architecture byzantine qui ont si puissamment influé au
XII*' siècle sur notre art national, nous ne trouvons pas un exemple de
portes avec trumeaux et rangées d*arcs de décharge. L'influence de l'art
byzantin se fait seulement sentir dans le système d'un arc soulageant un
linteau, dans les profils et quelques ornements. On ne saurait donc mé-
connaître que les portes de Vézelay, d'Autun, de Moiss:ic, appartiennent
à l'art français, sinon par tous les détails, au moins par la disposition gé-
nérale. Une fois admise, cette disposition dut paraître bonne, car elle
ne cessa d'être adoptée jusqu'à la fin du xv' siècle. Pendant la seconde
période du moyen âge, on ne trouve que bien peu de portes principales
qui n'aient leur trumeau central servant de battement aux vantaux, et
ofl*rant ainsi à la foule, comme les portes de villes de l'antiquité, deux
issues, l'une pour les arrivants, l'autre pour les sortants. Ces trumeaux
furent souvent enlevés, il est vrai, pendant le dernier siècle, pour donner
passage à ces dais de menuiserie recouverts d'étofl'e, qui servent lors des
processions ; mais ces actes de vandalisme furent heureusement assez
rarement commis.
Le principe admis, les architectes en surent tirer promptement tout le
parti possible. Les arcs de décharge nécessaires pour soulager le linteau
furent décorés de moulures, d'ornements, et bientôt de figures qui parti-
cipaient à la scène représentée sur le tympan. Gomme il s'agissait de
percer ces portes sous des pignons très-élevés et lourds, on augmenta le
nombre des arcs à mesure que les monuments devenaient plus grands.
De là ces voussures à quatre, cinq, six et huit rangs de claveaux qu'on
voit se courber au-dessus des tympans de nos cathédrales. Les portes
formaient alors de profonds ébrasements très-favorables à l'écoulement
de la foule, car on remarquera que ces arcs de décharge, ces voussures,
se superposent en encorbellement, et que les pieds-droits qui les por-
tent s'élargissent d'autant de l'intérieur à l'extérieur. Il y a encore, dans
cette disposition, une innovation sur l'architecture antique de la Grèce
et de Rome.
G'est aussi à Vézelay où nous voyons adopter la statuaire dans les
voussures. Sur la porte principale de cette église, la tentative est encore
timide. Le premier rang de claveaux décoré de sujets fait corps, pour
ainsi dire, avec le tympan. Mais déjà à Avallon, l'église Saint-Lazare, qui
date du milieu du xii* siècle, présente des voussures dont chaque claveau
est décoré d'une figure sculptée. Dès cette époque, ce système d'orne-
mentation est admis, comme on peut .le reconnaître en examinant les
portes de l'église abbatiale de Saint-Denis, celles occidentales de la ca-
thédrale de Ghartres, et enfin la porte Saint-Marcel de la cathédrale de
Paris, dont les fragments furent soigneusement remployés au coraraen-
— 393 — [ POUTt: ]
cément du xiii* siècle, lors de la construction delà façade actuelle. A ce
propos, il est bon de signaler ce fait assez fréquent du remploi des
fragments de portes du xii* siècle pendant le xIIl^ C'est qu'en effet, le
XII* siècle, dont l'art est si élevé, si puissant, avait su composer des portes
d'une grande beaulc, soit comme entente des proportions, soit comme
détails de sculpture. Les architectes du xiii* siècle, si hardis novateurs
qu'ils fussent, si peu soucieux habituellement des œuvres de leurs devan-
ciers, paraissent avoir été saisis de scrupules lorsqu'il s'agissait de faire
disparaître certaines portes élevées pendant le siècle précédent. Ainsi,
non-seulement sur la façade occidentale de la cathédrale de Paris, l'ar-
chitecte replaça habilement le tympan, un linleau, la plus grande partie
des voussures et les statues des pieds-droits d'une porte appartenant très-
probablement à l'église refaite par Élienne de Garlande, au xii* siècle;
mais, à la cathédrale de Chartres, nous voyons qu'on replace, sous la fa-
çade du XIII" siècle, les trois portes qui autrefois s'ouvraient en arrière
des deux clochers, sous un porche ; qu'à Bourges, l'ai'chilecte remploie
des fragments importants, sous les porches nord et sud, des deux portes
du transsept de l'église du xii* siècle;qu'à la cathédrale de Rouen, on con-
serve, sur la façade occidentale, auxvi' siècle, deux portes du xii*.
Ces œuvres d'art avaient donc acquis une célébrité assez bien
établie pour qu'on n'osât pas les détruire dans des temps où cependant
on ne se faisait aucun scrupule de jeter bas des constructions antérieu-
res, surtout lorsqu'il s'agissait de cathédrales. Plus tard on peut signaler
le môme esprit de conservation, le même respect, lorsqu'il s'agit de por-
tes du xiii* siècle. Quelques-unes de ces œuvres paraissaient assez belles
pour qu'on les laissât-subsistcr au milieu de constructions plus récente?.
Sous le porche de Saint-Germain TAuxerrois, à Paris, on voit que les ar-
chitectes ont conservé une porte du xin* siècle, bien qu'ils aient entière-
ment rebâti la façade auxv'. A Saint-Thibaut (Côte-d'Or), une porte fort
belle, du xiii' siècle, reste enclavée au milieu de constructions du x^■^
A la cathédrale de Sens, les constructeurs qui relèvent la façade au com-
mencementdu xiv" siècle, conservent la porte principaledatant delà fin
du xii*. A l'abbaye de Saint-J)enis, la porte nord du transsept de Sugcr
est laissée au milieu des reconstructions du xiii*. A Auxerre, des portes
datant du milieu du xm'' siècle restent engagées dans les constructions
refaites sur la façade au xv°. El en effet, jamais les architectes des xiv* et
XV* siècles, malgré leur savoir, malgré la profusion de leurorneujentation,
leur recherche des effets, ne purent atteindre à celte largeur de compo-
sition, à cette belUî entente de la statuaire môlée à l'architecture, qui
étaient les qualités dominantes des artistes des xii''etxin* siècles. Ils se
rendaient justice en conservant ces débris qui, très-probablement, pas-
saient avec raison pour des chefs-d'œuvre.
En nous occupant, avant toute autre, de la porte de l'église abbatiale
de Vézelay, nous avons voulu donner un de ces exemples qui servent de
point de départ, qui sont une innovation et prennent une influence con-
vii. — 50
[ PORTE 1 — 39'l —
sidcrable; mais les principales écolesdela France, dès le commencement
du MI*' siècle, avaient adopté, pour les portes des églises comme pour
les autres parties de l*architeclure, des types assez différents les uns
des autres, bien que soumis au principe commun d'arcs et de linteaux
indiqués plus haut. L'Auvergne, le Nivernais et une partie du Berry;
rile-dc-France, la Champagne, la Picardie, la Normandie, le Poitou el
la Saintonge, le Languedoc, la Bourgogne, présentaient alors huit types
distincts qui se confondirent au xiii'' siècle dans Tunité gothique. Nous
ne prétendons pas établir que ces provinces élevassent chacune de leur
coté df s portes d'églises suivant un modèle admis, invariable ; nous con-
statons seulement qu'on trouve, dans chacune de ces écoles, des simi-
litudes, soit dans les proportions, soit dans les décorations, soit dans la
construction; qu'il est impossible, par exemple, de confondre une porte
romane de la Champagne avec une porte de la même époque appartenant
à un monument religieux de l'Auvergne ou du Poitou. C'est en Auver-
gne et dans le Nivernais, dans cette école romane si avancée dès lecom-
mencement duxii* siècle, que nous trouvons les exemples de portes les
plus remarquables par la façon dont elles sont composées et appa-
reillées.
La porte principale de l'église Saint-Étienne de Nevers est un des
exemples les plus francs de l'école des provinces du Centre, et des plus
anciens. Cette porte date des dernières années du xi** siècle. Elle était
entièrement peinte. Les chapiteaux de ses colonnes n'étaient ornés que
par de la peinture. Les claveaux, appareillés d'une façon remarquable,
élaient également couverts de peintures représentant des oiseaux affron-
tés el des ornements sur fond noir. Nous donnons (fig. 52) le plan et
l'élévation de cette porte. Le linteau et le tympan ont disparu; ils
étaient très-probablement décorés seulement par des peintures. On doit
signaler, comme appartenant à cette école, la proportion relativement
élancée de la baie ; la grosseur inusitée des deux premières colonnes
qui rappellent les exemples gallo-romains, et enfin cet appareil de cla-
veaux qui est motivé par la nécessité d'employer de très-petits maté-
riaux.
Cependant les colonnes sont monolithes et ont été taillées au tour,
conformément à un usage admis dans les provinces du Centre, pendant
les XI' et XII'' siècles ; les chapiteaux sont également tournés, sauf les
tailloirs, qui sont rectangulaires et sont pris dans une autre assise de
pierre. En A, est tracé le profil des archivoltes. Cet art roman de l'Au-
vergne et du Nivernais, déjà délicat vers la fin du xi* §iècle, bien étudié
quant aux proportions et aux profils, devait promptement produire des
résultats remarquables ; et en efiet, dès le milieu du xii'' siècle, dans la
môme ville, à Nevers, on élevait la porte de l'église de Saint-Genest, qui
peut être considérée comme un chef-d'œuvre par ses bonnes proportions,
la beauté et la sobriété de sa sculpture. Cette porte (fig. 53), qui n'a que
2 mètres d'ouverture, ne possède, pas plus que la précédente, de tru-
— 3»»5 — L WHTB ]
meau central. Les deux vanlaux battaient l'un sur l'autre '. Sur le lin-
teau sont sculptés les douze apôtres debout % et dans le tjmpan, le Chrisf
> Culte porte, enclavée aujourd'hui dans udg prnpriétê parlicuUèrc, a perdu son tym-
pan, dont il eiislait, en 18A5, den Fra^enU dam nu jardin voisin.
> ^nul une seule, cvt etaluettrs ont été mulilées.
— 39'i —
j3 i 1,
I.m.Im.M 1
entouré des quatre signet des évaiigé]istes. Les boudins des arrhivolles
— 397 — [ PORTE ]
sont ornés de délicates sculptures qui ne détruisent pas la masse du
profil, et les quatre chapiteaux sont finement travaillés. Letracé de cette
porte a été obtenu au moyen de deux triangles équilatéraux,' ainsi que
l'indique le géométral A. Le triangle équilatéral inférieur est inscrit entre
les trois points a,b,c\ le triangle équilatéral supérieur, entre le départ
intérieur des boudins de la seconde archivolte et son sommet.
L'ogive est tracée, les centres étant très-relevés et posés sur les points
divisant le diamètre de la première archivolte en trois parties égales. Cette
disposition a donné une proportion très-heureuse et des courbes com-
plètement satisfaisanles.il y a évidemment là des combinaisons étudiées,
cherchées. On observera encore que comme construction, cette porte est
sagement conçue; le linteau et les ty/npans étant laissés indépendants
des archivoltes et soutenus seulement par les saillies des deux corbeaux
des pieds-droits. L'un de ces corbeaux, celui de droite, est décoré d'un
ornement feuillu, celui de gauche est simplement mouluré.
II est bon de faire ressortir par plusieurs exemples le caractère propre
à quelques-unes de ces écoles dont nous parlions tout à Theure. Les
portes étant, dans les édifices religieux et civils du moyen âge, la partie
traitée avec une attention toute spéciale, sont particulièrement emprein-
tes du style admis par chacune de ces écoles. Si nous nous transportons
en Picardie, province dans laquelle les monuments de l'époque romane
sont devenus rares à cause de la qualité inférieur des matériaux, nous
trouverons encore cependant quelques portes du commencement du
XII* siècle qui sont élevées sur un modèle'très-diiférent de ceux de l'Ile-
de-France, de la Normandie et des provinces du Centre ou de l'Ouest.
Voici (fig. 54) l'ensemble et les détails d'une porte s'ouvrant latérale-
ment sur la nef de l'église de Namps-au-Val, dans les environs d'Amiens.
Elle se rapproche du style romano-grec des monuments des environs
d'Antioche, et il est bien étrange que l'architecte qui a bâti cette porte
n'eût pas vu, ou tout au moins reçu des tracés de ces édifices du v" siècle.
Les profils, les ornements du tympan, les terminaisons en volute de
l'archivolte extérieure, sont des réminiscences de l'architecture romano-
grecque de Syrie que les premiers croisés avaient trouvée sur leur pas-
sage. Cette baie est richement entourée de profils à l'intérieur. Les profils
de l'archivolte et du linteau, que nous donnons en A, à l'échelle de 0",10
pour mètre, sont très-beaux, et n'ont plus rien de la grossièreté des
moulures romanes copiées sur les édifices gallo-romains. Mais cette porte
ne ressemble en aucune façon, ni par ses proportions, ni par son style,
à celle de l'église Saint-Étienne de Nevers, qui date à peu près de la
même époque *.
I M. Massenot, architecte à Amiens, a relevé pour nous cette porte avec le plus grand
soin. Les fenêtres romanes de cette église sont empreintes du même caractère plein
cintre, et ornées de cette volute terminale à la base des archivoltes si fréquente dans l<*s
monuments romano-grecs recueillis par M. le comte de Vogué et par M. Duthoil, en
Svric.
I PORTE 1 — 398 —
Si nous pHKSons dans le Beauvoisîs, nous voyons quelques portes d'égli-
ses du commencement du .\ri* siècle prenant un tout autre caractère.
Choisissons, entre toutes, celle de l'église de Villers-Saint-Paul (tlg. 55).
Ici ce ne sont plus les proportions élancées admises dans les ewinpi»
— 399 — [ PORTE I
précédcnU. Les ébrasemenls sont profonds, supportent des archivoltes
épaisses, décorées de bàtiim rompus, de méandres. Un pignon trapu couvre
le portail. La sculpture d'oincmcnl est d'un asscî beau caractère, quoi-
que sauvage. La sculpture de ligures est d'une grossièreté toute primi-
live et rappelle les monnaies gauloises. Ces figures ne sont guère indi-
quées d'ailleurs que dans un petit bas-relief carré posé sous la pointe du
pignon, et qui représente Samson terrassant le lion. Un remarquera l'np-
H
pareil singulier du lintenu, qui s'explique parla diriiculté de monter sur
les pieds-droits un trcs-gros bloc de pierre, toute la construction étant
élevée en matériaux de petit échantillon. En A, nous donnons l'un des
pieds-droits en plan, el en B, la section sur l'arcliivolte.
Le style de celle porte se rapproche davantage du style adopte en
Normandie et eu Poitou que de tout autre, mais il est cependant plus
[ PORTE I — U{)0 —
lourde plus massif. Les profils sont moins étudiés, la taille plus gros-
sière. Il est évident que les architectes auteurs de ces œuvres appartenant
à des édifices si voisins de Paris avaient été soustraits aux influences qui
avaient agi si puissamment sur les artistes de la Picardie, de l'Auvergne,
du Berry, de la Bourgogne et du Midi. Les influences directes orientales
n'avaient pas pénétré dans TIle-de-France, le Beauvoisis et la Normandie.
Les artistes de ces contrées restaient sous l'empiré des traditions gallo-
romaines et des objets envoyés de Constantinople ou de Venise, tels que
certains meubles et bijoux, des ustensiles et des étoffes. C'est cependant
au milieu de cette école de l'Ile-de-France et des bords de l'Oise, que l'ar-
chitecture appelée gothique prend naissance dès le milieu du xir siècle
et se développe avec une rapidité prodigieuse. Ce qui* tendrait à prou-
ver une fois de plus que les croisades n'ont été pour rien dans cet essor
de l'art propre à l'école laïque française, vers le milieu du xii' siècle, et
qu'au contraire, si les croisades ont eu une influence sur l'art de l'archi-
tecture chez nous, ce n'a été que sur certaines écoles romanes, et parti-
culièrement sur celles de la Bourgogne, du Berry, du Lyonnais, des
provinces méridionales et occidentales.
L'exemple que nous avons donné figure 52, pris sur la porte principale
de l'église Saint- Etienne de Nevers, bien qu'il appartienne aux pro-
vinces du Centre et nullement à la Bourgogne, diflère cependant de la
plupart des types adoptés à la même époque en Auvergne. Une porte
latérale de l'église Notre-Dame du Port, à Clermont (Puy-de-Dôme),
nous fournit un spécimen bien caractérisé de ces baies d'églises auver-
gnates. La figure 56 donne l'élévation extérieure de cette porte. La baie
est rectangulaire, à vives arêtes, sans ébrasements. Un linteau d'uneseule
pièce, renforcé dans son milieu, supporte un tympan et est déchargé par
un arc plein cintre. Il y a, dans cet exemple, la trace d'une tradition
antique évidente. Deux figures, les bras levés comme pour supporter une
imposte saillante, reçoivent les extrémités du linteau, très-franchement
accusé. Ce linteau est décoré d'un bas-relief représentant l'Adoration des
mages et le Baptême de Jésus. Le tympan représente le Christ dans sa
gloire, bénissant, avec deux séraphins. Des deux côtés de rarchivoUe,
deux groupes représentent TAnnoncialion, et probablement la Naissance
du Christ (ce dernier bas-relief étant très-alléré).
Sur l'un des flancs de la cathédrale du PuyenVelay, il existe une
porte semblable à celle-ci comme siructure, mais dont l'arc de décharge .
est déjà brisé. Ces portes datent des premières années du xn* siècle,
peut-être de la fin du ji®.
Pendant la première moitié du xii' siècle, on élevait dans la Saintonge
et l'Angoumois un nombre prodigieux d'églises remarquables par leur
style et la beauté de leur structure. Les portes principales de ces églises
sont toutes conçues, à peu près d'après un type uniforme. Elles sont
basses, habituellement dépourvues de linteau et de tympan, et leurs
archivoltes plein cintre sont très-richement décorées d'ornements em-
— ÙOl — [ PORTE ]
pmntés, la pluparl, au slyle oriental de la Syrie. Voici l'une de ces
portes s'ouvrant sur la nef de l'église de Château-Neuf (Charente)
(lig. 57). Sur la première archivolte sont sculptés en plat relief, très-
découpés, suivant la méthode de l'école de Saintooge, à la clef, un
agneau dans un nimbe, des anges, et les quatre signes des évangélistes ;
sur la seconde archivolte, des .inimaux fantastiques au milieu d'entrelacs
Ircs-coinpliqués et délirais; sur la troisième, des feuilles en forme de
palniettes, enveloppant un tore sous leur tige. Le cordon extrême est
décoré de feuillages cnlrelacés et retournés. Les entrelacs avec animaux
couvrent l'imposte et les chapiteaux ', Les vantaux de la porte battent
intérieurement sur l'archivolte, et s'ouvrent par conséquent jusqu'au
sommet du cintre. Un "peu plus tard les ornements de ces archivoltes
consistent en des billcLlcs, des Lésants, des dents de scie courant sur des
moulures trës-tlnement prolllées. Telles sont ornées les portes des églises
de Surgères, de Jonzac, etc.
I Ci'ttf rglifc .1 été liahilcTnent restaurée drpui» peu par M. Abiilif.
Les portes des églises Sainlc-Croix à Bordeaux, de lu (i;t'aiide église
(les Dames à Sainles, ont, avec celle donnée ci-dessous (lig. 57), la plus
parfaite analogie. L'influence de ce slyle se répand jusque dans le Poiloii,
ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant les portes de Notre-Dame
la Grande, à Poitiers, Mais dans cette province, comme dans la Hanle-
Marne, apparaissent parfois, dès le commencement du xu' siècle, les
arcliivoltes à claveaux présentant chacun im bossage arrondi pareil à
celles qui se voient sur le portail méridional de l'église du Saint-Sépul-
cre, à Jérusalem. Ceci serait encore une preuve de la reconstruction
d'une grande partie de l'église du Saint-Sépulcre par les croisés, si M. le
comte de Vogué n'avait suffisamment indiqué les dates de celle recon-
struction ',
Bien que très-ornées de sculptures, les portes de la Saintonge, de
l'Angoumoiset du Poitou sont d'une proportion lourde, et n'ont pas
l'élégance des portes des provinces du Centre. Leur ornementiUinn cA
confuse et ne présentejamais celte large entente de l'effet, si liien exprimée
dans la composition des portes de la Bourgogne, de la liante Champagne
et du Lyonnais. Cependant, vers le milieu du xri° siècle, on voit, dans
une partie des pi-ovinces de l'Ouest, une étude délicate des proportions
et de l'eiïel se développer, lorsqu'il s'agit de la composition des façades,
I Vosfi tes iylUes île lu Terre-Saitik, par U. le cuiiilo Je Voyiié, 1860.
— IxOZ — [ PORTE 1
el notamment des portes. L'église de Saint-Pierre de Melle (Deux-Sèvres)
nous fournit un excellent exemple du progrès obtenu par les derniers
architectes romans.
Cette porte (fig. 58) se recommande plutôt par la manière dont elle est
composée que par ses dimensions, puisque la baie n'a pas plus de 1",70
de largeur. Il semble que Tarchilecte ait voulu rompre avec les traditions
admises. D'abord les archivoltes sont en tiers-point et dépourvues de tout
ornement. Afin de faciliter le dégagement, les pieds-droits sont en retraite
sur les arcs, et portent ceux-ci au moyen d'encorbellements ornés de
sculpture. Un cordon sculpté sertit la dernière archivolte. Il n'y a pas ici
de tympan sculpté ni de linteau, conformément à l'usage des provinces
occidentales, mais au-dessus d'un couronnement très-riche est posée une
niche contenant la statue du Christ dans sa gloire, et celles de la sainte
Vierge et de saint Jean. Entre les corbeaux qui soutiennent la corniche
intermédiaire, dans des sortes de métopes, sont sculptés quelques signes
du zodiaque et un porc, qui, suivant un usage assez fréquent au xii* siècle,
représente un mois de l'année, celui pendant lequel on tue cet animal
domestique. Il n'est pas nécessaire de faire ressortir la belle entente de
cette composition, que notre gravure permet d'apprécier. La façon dont
la sculpture est disposée, les divisions des parties principales, le contraste
heureusement trouvé entre les surfaces lisses et les surfaces décorées,
font assez connaître que l'architecte de cette œuvre entendait son art. La
sculpture est d'ailleurs très-délicate et exécutée avec un soin minutieux.
C'était la dernière expression de l'art roman des provinces de l'Ouest, qui
devait s'éteindre, quelques années plus tard, sous l'influence de l'art de
l'école laïque de l'Ile-de-France.
Nous avons vu déjà, par l'exemple tiré de l'église Notre-Dame du Port
à Clermont, que les portes étaient décorées, dans certaines provinces,
aa moyen de bas-reliefs accessoires qui étaient comme plaqués à côté
ou au-dessus des archivoltes. Peut-être cet usage n'était-il qu'une tradi-
tion fort ancienne. Lorsque, pendant la période carlovingienne primitive,
l'art de la statuaire était complètement perdu, on recueillait parfois des
bas-reliefs provenant de monuments antiques gallo-romains, et on les
incrustait dans les nouvelles constructions, notamment au-dessus des
portes, comme étant la partie de l'édifice qu'on tenait à décorer. Plus
tard les artistes romans conservèrent cette disposition en incrustant des
bas-reliefs neufs, comme on l'avait fait pour les fragments antiques.
C'est, en effet, dans les provinces où les restes gallo-romains étaient
abondants, qu'on voit ce système d'ornementation persister jusque
pendant le xii" siècle. La grande porte méridionale de l'église Saint-
Sernin, à Toulouse, nous fournit un exemple très-remarquable de ce
genre de décoration (fig. 59). Cette porte, parfiiitement conservée jus-
qu'à la corniche *, se compose de trois rangs d'archivoltes entourant
1 \jo couronnement tracé sur notre figure est en restauration.
un linteau et un tympan de mai-bre gris. Co tympan représente l'ascen-
sion du Christ, suivant In donnée byzantine. Deux anges soulèvent le
[ PORTE J — /l06 —
Sauveur, dont les bras sont tournés vers le ciel. Quatre figures d'anges
président, deux à droite, deux à gauche, à cette scène. Les douze apùtres
sont sculptés sur le linteau et tournent la tôte vers le Christ. Deux anges
terminent, à droite et à gauche, cette série. A la droite du cintre est
incrustée la statue de saint Pierre foulant sous ses pieds Simon le
Magicien, accompagné de deux démons. A la gauche, la statue de
siint Paul prêchant. Deux petites figures au-dessus de sa tôte semblent
écouter. Sous ses pieds sont placés deux dragons, puis deux autres figu-
res assises sur des lions. Des quatre colonnes logées dans les ébrase-
ments, deux sont de marbre ; ce sont celles qui sont voisines des pieds-
droits. Les chapiteaux, les cordons, les corbeaux portant le linteau et la
corniche, sont très-finement sculptés et d'un style remarquable. Mais
nous parlerons ailleurs de cette école des sculpteurs toulousains ^ si
brillante au xii* siècle, et qui s'éteignit brusquement pendant les croi-
sades contre les Albigeois, pour ne plus reparaître avec quelque éclat
que vers la fin du xv" siècle.
Les exemples que nous venons de donner des portes d'églises apparte-
nant à quelques-unes des principales écoles romanes de France, qu'elles
soient ou non pourvues de linteaux, partent tous d'un même principe de
structure, simple, rationnel et qui demande à être expliqué.
Une épaisseur de mur étant donnée, lorsque les architectes du
xii* siècle voulaient y percer une porte principale, l'ébrasement intérieur
et répaisseur du tableau étant réservés, il restait une certaine épaisseur
de mur dont on profitait pour placer une, deux, trois, quatre colonnes
et archivoltes, et môme plus; ces colonnes variant de 0",33 (un pied)
de diamètre à 0",16 (six pouces), on procédait de cette façon (fig. 60).
A étant le tableau, on lui laissait un champ de face a, puis, prenant la
largeur BG pour la base en partie engagée, on traçait la colonne D. On
faisait CB' égal à CB. On recommençait l'opération de B' en E, et de
E en F, comme ci-dessus, et ainsi autant de fois que l'épaisseur du mur
l'exigeait. Alors les carrés CBB'^, B'EFe donnaient la projection horizon-
tale des tailloirs des chapiteaux sous leur saillie.
Cette succession de carrés donnait la trace des sommiers des archi-
voltes, tracés en P; ces archivoltes se rccouvrarjt pour former un arc
plus ou moins profond en décharge. Les colonnettes étaient posées en
délit et monolithes, indépendantes de la bâtisse. Ainsi les nus des tail-
loirs des chapiteaux et les plinthes des bases suivaient exactement les
nus de la maçonnerie pleine, et chaque rangée de claveaux venait reposer
sur les colonnettes. Les charges étant reportées sur les parties maçonnées
BGB'EF, etc., il n'y avait alors aucune rupture à craindre. Pins tard, vers
la fin du XII' siècle, lorsque les archivoltes furent allégies et décorées
de figures, on procéda d'après le môme principe. Seulement, les colon-
nettes s'amaigrirent, les tailloirs s'obliquèrent souvent, suivant l'ébrase-
* Voyez l'article Statuaire.
— UQl — [ roRTE ]
ment, el les inlervallcs de ces colonnetles furent évidés, ainsi que l'in-
dique le tracé T. A ces colonnettes s'adossèrent parfois des statues
surmontées de dais dans la hauteur de l'assise des chapiteaux ou dans
l'assise au-dessus, dais figurés en g sur le tracé T, et alors les claveaux ,
des archivoltes furent appareillés et moulurés, comme le fait voir le
Y
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tracé M, les épannelages h étant réservés pour les figures el les petits
dais qui les séparent. Le principe roman était conservé, mais avec un
perfectionnement et un allégissement ; les colonnes restaient habituel-
lement indépendantes, c'est-à-dire monolithes. Cette règle présente plu-
tôt des variétés dans l'application du principe que des exceptions,
comme nous le verrons.
Pour peu qu'on ait étudié les divers styles d'architeclure antérieurs
h cette période et étrangers k ceux de la France, on reconnaîtra qu'il y
avait, dans ce principe de composition et de structure des portes, un
élément nouveau, sans précédents, et qui se prèle singulièrement à la
décoration. En effet, lorsqu'il s'agissait d'ouvrir dans des grands murs
de façade, épais, des baies assez larges pour faciliter l'entrée et la sortie
de la foule, il fallait combiner ces baies de telle sorte, qu'elles pussent
sans danger crever ces constructions massives et hautes, et en môme
temps s'ouvrir largement par des ébrasemenls. Le système d'archivoltes
superposées, et formant comme une succession de cerceaux concen-
[ PORTE ] — /|08 —
triques allant toujours eu s'évasaut du dedaus au dehors, était Irès-bien
trouvé au point de vue de la solidité et de relTel. Ces archivoltes ébra-
sées formaient comme un large cadre autour du tympan, et il était
naturel, celui-ci étant orné de bas-reliefs, de couvrir ces archivoltes de
figures formant comme le complément de la scène principale, une
assemblée de personnages participant à cette scène. Nous avons vu qu'à
Vézelay déjà, ce parti est adopté. Nous le voyons développé aux porte;?
occidentales de Téglise Saint-Lazare d'Avallon, au portail royal de
la cathédrale de Chartres, et dans beaucoup d'autres églises élevée?
de 1150 à 1180. Maintenant nous allons examiner comme ce principe
roman du xu" siècle se modifie pour tomber dans la donnée gothique
par plusieurs voies.
Évidemment, vers la seconde moitié du xir siècle, les architectes
cherchaient dans la composition des portes, considérées comme une par-
tie très-importante des édifices religieux, sinon de nouveaux principes,
tout au moins des applications variées. La monotonie de composition
des portes romanes dans chaque école fatiguait; on voulait tenter du
neuf, sans cependant abandonner la donnée première, qui paraissait
excellente et qui Test en effet. C'est ainsi, par exemple, que sur la façade
de réglise de la Souterraine (Creuse), surmontée d'un gros clocher, on
perçait une porte d'un aspect très-original, bien que son plan soit tracé
conformément au mode d'ébrasement admis définitivement. Celte porte
(fig. 61), comme la plupart de celles du Poitou et de la Saintonge, ne
possède pas de linteau ni de tympan. La première archivolte, posée sur
les pieds-droits, est découpée par une suite de redents très-prononcés, se
détachant sur le vide de la baie; les vantaux s'ouvrent par conséquent
intérieurement jusqu'au sommet de cette archivolte dentelée. Les autres
arcs présentent une suite de boudins alternativement unis et redentés.
Ces redents descendent môme jusqu'au niveau des bases. La seule
sculpture qu'on remarque sur cotte porte est celle des chapiteaux, et
cependant l'aspect général est très-riche et d'une très-heureuse propor-
tion K On remarquera comment l'appareil des claveaux se combine avec
le système des redents. Ce système d'appareil était d'ailleurs conforme
à celui qui était adopté pour toutes les baies avec archivoltes. Ici les arcs
sont déjà en tiers-point, le plein cintre a disparu.
11 est intéressant d'observer comme au sein d'une autre province se
faisait la transition entre le style roman et le style gothique. Dans l'Ile-
de-France, la petite église de Neslcs, près de l'Isle-Adam (Seine-et-Oise),
possède une porte principale qui date des dernières années du xii' siècle,
contemporaine par conséquent de l'exemple précédent , et qui se recom-
mande par la pureté de son style, la sobriété de son ornementation,
sans que dans cet ouvrage, d'une physionomie neuve pour cette époque,
1 L'église de Id Boutcrraiuej d'un très-^beau style de id fin du xu^ siècle, a été res-
taurée depuis peu pHr M* Abadie.
[ POBTE ]
\
on .signale aucnnc de ces étmngelés ({ii'admcltent volontiers les aiiistes
en quête d'idées originales. Entre celte porte (Hg. 62) et celle que nous
VII. — 52
I rORTE 1 -Mo-
uvons donnée (fig. 55), provenant de réglise de Villers-SaiDt-l»aul, il n y
a fe'uère qu'un espace de soisante années. Or, on recoiinail aisénoenl que
dans celte province l'art s'est dégagé phis rapiilcment qu'ailleurs de la
tradition romane. La porte de Villers-Saint-Paul est d'un style romau
— /lH — [ PORTE ]
lourd, barbare même, si on le compare à celui des provinces du Centre,
de rOuesi et du Midi ; et tandis que dans ces dernières contrées, la tran-
sition du roman au gothique se fait péniblement, ou ne se fait pas du
tout, nous voyons s*épanouir tout à coup, dans TIle-de-France, en quel-
ques années, un style délicat, sobre , rompant avec les traditions des
âges précédents, tenant compte des proportions, en évitant les bizarre-
ries si fréquentes au moment de la formation d'un art.
A Nesles, les colonnettes sont monostyles, indépendantes de la bâtisse;
le tracé du plan est, sauf plus de légèreté, tout roman ; mais les archi-
voltes se profilent de la façon la plus heureuse et la plus logique (voy.
en A). La sculpture, rare, tandis qu'elle est prodiguée dans les portes
romanes de la même contrée, est répartie par uh artiste de goût sur les
cordons, sur les pieds-droits, entre les colonnettes, comme pour faire res-
sortir celles-ci. Il y a évidemment ici réaction contre le style roman. Ce
n'est pas une modification, c'est une rupture complète, qui devait ame-
ner rapidement les plus beaux résultats, puisque les portes occidentales
de la cathédrale de Paris sont à peu près contemporaines de celle-ci, et
que les portes des cathédrales d'Amiens et de Reims s'élèvent trente ou
quarante ans plus tard K
Avant de nous occuper des portes si remarquables de quelques-unes
de nos cathédrales françaises, nous croyons nécessaire de faire connaître
encore certaines tentatives faites dans les provinces au moment où l'art
s'affranchit des traditions romanes.
Pendant qu'on élevait les portes que nous avons figurées dans ces
deux derniers exemples, c'est-à-dire de 1190 à 1200, on bâtissait en
Bourgogne, près d'Avallon, un très-remarquable monument religieux,
dont nous avons souvent l'occasion de parler, la petite église de Mont-
réal (Yonne). Sa façade occidentale, entièrement lisse, n'est décorée
que par une porte basse, large , et par une rose. La porte se distingue
par la singularité de sa composition et par sa sculpture, qui est du plus
beau style. Afin de pouvoir mieux faire apprécier cet ouvrage à nos
lecteurs, nous adoptons une échelle qui permettra de prendre une idée
plus exacte de son caractère, et nous ne donnons ainsi que la moitié de
l'ensemble (fig. 63).
Bien que les murs de Téglise de Montréal soient élevés en moellon
smillé, les piles intérieures, les contre-forts et la façade sont construits
en bel appareil de pierre de Goutarnoux (Champ-Rotard); les joints et lits
étant fins et parfaitement dressés. Quant aux ravalements, ils sont faits
avecunsoinet uneprécision de taille tout à fait remarquables, et lecharme
de ce petit édifice consiste principalement dans la manière dont sont
1 Le linteau et le trumeau de la porte de l'église de Nesles ont été enlevés et ne sont
restitués ici que sur des fragments. Nous ne savons si le tympan contenait un bas-relief;
nous en doutons, considérant Textrême sobriété de la sculpture de ce petit monument,
é!e>'é à t*aide de ressources tr^s•mlDimcs.
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traités les profils et les tailles. Tous les parements droits ou udÎs sont
— 613 — [ PORTE ]
layés à la laye ou au taillant droit, tandis que les moulures fines, comme
les bases, les tailloirs, sont polies. Le contraste entre ces tailles donne
quelque chose de précieux aux profils et arrête le regard.
Notre figure indique l'appareil, et permet de reconnaître qu'il est
entièrement d'accord avec les formes adoptées. Les lits coïncident avec
es membres de moulures, la hauteur des chapiteaux, des bandeaux, la
division des redents décorant les pieds-droits et la disposition des membres
(les archivoltes. Les détails de l'architecture sont, de plus, traités avec un
soin rare et par un artiste consommé ; les colonnettes des ébrasements
sont monolithes, et entre elles les angles des pieds-droits retraites sont
ornés de fleurettes, deux dans chaque assise. A l'article Congé (fîg. 3),
nous avons donné la partie inférieure du trumeau, dont la composition
est des plus originales. Mais, suivant l'habitude des architectes de la
Bourgogne, vers la fin du xii" siècle (car cette porte date de 1200 au plus
lard), les moulures d'archivoltes, au-dessus du lit inférieur des som-
miers, naissent au milieu d'ornements ou de demi-cylindres pris aux dé-
pens de Téquarrissement du profil, ainsi que nous l'avons indiqué en A.
Les moulures d'archivoltes ne reposent donc pas brusquement sur les
tailloirs des chapiteaux et conservent de la force à leur souche. En B, est
tracé le profil des archivoltes à l'échelle de 0",04 pour mètre. Chaque
claveau étant profilé dans un épannelage rectangulaire tracé en o, c'est
aux dépens des évidements b que sont taillées les souches feuillues ou
composées de demi-cylindres horizontaux. Les vantaux de la porte de
l'église de Montréal ont conservé leurs pentures de fer forgé, qui sont
d'un dessin très-délicat.
La figure 6/i donne en A le plan de cette porte. On observera que la
première colonnette a est retraitée de la saillie du profil du socle de la
base et du tailloir du chapiteau (qui donnent la môme projection horizon-
tale), afin que celte saillie ne dépasse pas le nu b du mur de la façade.
Dès lors le membre d'archivolte externe repose sur le nu ô, et non sur le
tailloir. Tout cela indique du soin, de l'étude, et ne permet pas de suppo-
ser, ainsi que plusieurs le prétendent, que cette architecture procède au
hasard, qu'elle ne sait pas tout prévoir. A l'intérieur, une tribune de pierre
s'élève au-dessus de cette porte; elle est soutenue par de grands encorbel-
lements et par la colonnette B(voy. Tribune), posée sur l'emmarchemenl
qui descend dans la nef ; car le sol extérieur est plus élevé que le sol
intérieur du côté de la façade occidentale. Deux arcs de décharge en
tiers-point surbaissé doublent le linteau à l'intérieur, et portent sur les
colonnettes engagées éf et sur le trumeau. En C, nous donnons un dessin
perspectif des chapiteaux, avec leurs tailloirs, au-dessus desquels on re-
marquera les naissaiices des archivoltes plongeant dans les demi-cylin-
dres dont nous venons de parler ; car, d'un côté de la porte, sont des
ornements, de l'autre ces demi-cylindres. Notre croquis, si insuffisant
qu'il soit, montre assez cependant que la sculpture est d'un bon style,
grande d'échelle, bien composée; que ces chapiteaux portent franchement
[ roiiTi; J — ùlù —
Ips quatre membres de l'iircliivolle et se combineol adroilemenl avec les
fleurettes qui garnissent les angles des pieds-droils.
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L'architecture de Bourgogne, pendant lesxTi' el xiii* siècles, se recom-
mande par l'ampleur cl la hardiesse. Les profils, la sculpture, soni
traités largement; de plus, les compositions présentent un caractère
— Ûl5 — [ POilTE ]
d'originalité qu'on ne trouve pas développé au même degré dans les
autres provinces françaises. La porte principale de l'église de la Made-
leine de Vézelay, celle de l'église de Montréal, donnent la mesure de ces
qualités particulières, et qui appartiennent